how about some honesty ? (wyatt)

Juin | Winona & Wyatt

Une clope au bout des doigts, un poignard au bout des autres et le pitbull qui ne s’éloigne pas à cinquante mètres de lui, la truffe dans les pâtures. Wyatt longe le champ d’un pas tranquille, comptant ses enjambées comme un arpenteur des temps anciens. Tout le monde sait où s’arrête les champs des Rhodes. Tout le monde l’a toujours su, et aujourd’hui ceux qui l’ignorent sont soit morts, soit sur le point de l’être. Wyatt écrase la cendre de sa cigarette du bout du pied, au fur et à mesure. D’ici, il voit la section qui a brûlé, et jamais il n’arrivera à ôter toute la cendre du banda glissé à sa ceinture. Pas plus qu’il n’arrivera à effacer la notion d’échec, la faute professionnelle, sa putain de responsabilité. Il aurait dû protéger ses hommes de la traîtrise des mineurs, Abel de la perte d’Isaac. Il aurait dû faire mieux, il aurait dû assurer la sécurité du ranch. Il n’avait pas besoin du mépris cinglant, ou des remontrances acerbes de Rhodes, de menaces ou de jugements expéditifs pour s’en sentir coupable. En échange, le chef de la sécurité du ranch se montrait encore plus intransigeant qu’à l’ordinaire, doublant les gardes, ne laissant jamais de cavaliers seuls ou hors de vue ;  il ne dormait peu, Vladimir lui manquait jusqu’à l’os puisque le cavalier battait la campagne de son domaine sans en bouger,  et si les cigarettes faites maison creusent les joues sous la barbe, rendent le visage hagards. Ce sont des coupe-faim, des coupe-pensées, la nicotine artisanale le maintient sur le qui-vive.

Ce n’est pas une bonne période pour le ranch, mais depuis que le patriarche s’est estompé, Wyatt n’est pas sûr de se souvenir d’une bonne période. Une période où Abel tient la barre et empêche le navire de couler : il n’aurait jamais pensé que Abel Rhodes en pleine possession de ses moyens soit une définition de jours heureux, et pourtant, ils en sont là. Les deux pieds dans le purin.
Wyatt s’arrête dans sa ronde éternelle pour attendre la blonde qui lui sert de meilleure amie, de langue de pute, et de répit dans ses journées sans vacances ni temps de repos. Il arque un sourcil et hausse une épaule, sans s’engager trop. Pas besoin d’expliciter de qui elle parle. Et encore moins sa réponse. L’une des raisons pour lesquelles il patrouille seul c’est que s’il reste accompagné d’un seul cavalier il va lui mettre son poing dans la gueule. Et il a déjà foutu son genou dans les couilles d’Abel il y a à peine un mois. Wyatt sort machinalement de sa poche le briquet zippo de Vladimir – il va falloir qu’il trouve de quoi l’alimenter à nouveau, et son pouce ripe, les étincelles s’éteignent par deux fois avant de mettre feu à la cigarette de Winona. Il glisse l’objet précieux au fond de sa poche et exhale lentement sa propre bouffée, la fixant avec scepticisme. « - Si tu ne veux pas l’entendre, passe pas ta vie dans ses jupes. » Ce n’est pas un secret pour lui que Winona a regagné sa place avec la décrépitude du leader. Wyatt n’aime pas ça, sans savoir l’objet de la vague amertume, la vague jalousie qu’il éprouve. Comme si Winona le trahissait.  

« - J’ai besoin de venir faire des blagues de merde tout seul où je vais frapper quelqu’un là-bas.  Et je préfère patrouiller, au cas où. » Admet Wyatt en tirant une nouvelle latte, le regard se déportant vers les champs plutôt que vers sa compagne. Disons que le chef de la sécurité était devenu plus sombre, presque tyrannique et ses éclats salaces ou d’humour à deux ronds plus rares. Forcément, il implosait dans l’ambiance tendue, névrosée de la vallée. Bullet revint vers eux, venant chercher la caresse auprès de Winona. Abel grognait. Abel buvait trop, Abel pétait les plombs, Abel gênait le travail de tous à devenir paranoïaque et à ne jamais dormir, Abel perdait pieds, Abel tuait des gens, Abel menait sa vendetta contre le monde. L’homme craquait, craquelait de partout, la fissure qui se préparait depuis des années à présent béante. Nul homme ne peut vaincre l’apocalypse à lui tout seul. Wyatt admirait son leader pour avoir tenu bon aussi longtemps. Il n’aurait pas aimé être à sa place. Il n’aimait pas être lui-même déjà, la loyauté se heurtant au pragmatisme. C’est vrai que Wyatt avait eu des plaintes, mais tout compte fait, Abel était un saint pour les âmes en perdition. L’homme de la situation, quand bien même il déplaît. Surtout s’il déplaît. Il fallait une main de fer et appliquer les sanctions que personne ne veut prendre ; Il fallait tuer les assassins d’enfants. Wyatt n’avait jamais reproché une seule action prise par Abel. Les manières de faire… par contre…  L’ironie étant que si c’était Wyatt, ou un autre, qui perdait pied ainsi, Abel l’aurait évincé sans hésitation. Et il aurait eu raison. Abel avait été un bon leader. Abel les avait fait tenir jusque là, tel un berger protégeant son bétail au creux de la vallée. Abel n’était plus à la hauteur, et Wyatt s’inquiétait, mettait les bouchées doubles pour cacher ses propres doutes aux cavaliers.  Il secoue la tête et jette un coup d'oeil à son amie. Un amusement, fatigué, mais un amusement certain passe dans sa voix tandis qu'il cherche sa future cigarette dans sa poche, l'actuelle fumant encore au coin de ses lèvres. « - Qu’est-ce qu’il a encore fait ? »

Juin | Winona & Wyatt

Wyatt porte la main à sa poitrine, mimant une fausse blessure mortelle – il en serait pdas loin, avec sa cigarette qui fume entre ses phalanges et le cul rougeoyant appliqué contre sa chemise. On ne passe pas loin d’un énième cercle brun cendré sur son vêtement – ça, le sang, et l’usure de la barbe sur les cols, l’épuisement textile de l’apocalypse.  « - Tu sais ce qu’on dit sur les gays et le SIDA, va. » La joie de faire des blagues terriblement pourries sur le partage, les maux indécrassables et l’homosexualité, le genre de blagues que Wyatt tuerait, sans exagération, si les entendait dans une bouche autre que la sienne. Est-ce qu’il compare son humour avec une MST et tire sur l’ambulance ? Peut-être un peu : c’est sa spécialité. Partager ce qu’il devrait garder pour lui, surtout niveau humour douteux. Il reste plutôt beaucoup de thèmes marrants faut dire.
Autre thème : l’arrachage de couilles. Le rire mal contenu de Wyatt résonne un peu contre les arbres et lui arrache un sourire et un reniflement.  « - Comme nous tous quoi. » Il a de plutôt bonnes raisons de penser que Abel lui arracherait pas les couilles, mais il tient tout autant ( contrairement à ce que peuvent dire les mauvaises langues à son sujet ) à sa boîte crânienne. Abel n’est pas passé loin de la lui faire sauter l’autre jour. Andrea, les mineurs, le chef de la sécurité : même rôdeurs une fois passés par les nerfs d’Abel. Wyatt se renfrogne et expire un rond de fumée parfait ;  « - Jesus-Christ. Quel gâchis. » De café, pas de sexe masculin. Cela promettait encore une sacrée soirée pour l’une des personnes forcées d’interagir avec le maître des lieux. Il roule un peu des épaules cherchant à dénouer le nœud qui s’y trouvait  et tapote du doigt sur la cigarette, écrase immédiatement la cendre avant que la braise ne se niche dans l’herbe. L’automatisme est rôdé maintenant.

 « - Tant que la vallée a encore des couilles, ça me va. »
Il lance un regard de biais à la blonde à côté de lui et l’observe un instant. Les cheveux courts, le menton volontaire, le ras le bol au fond des yeux. Wyatt se sent sourire malgré lui. Il l’aime bien, cette garce. C’est ce genre de moments qu’il fait qu’il s’acharne à protéger le ranch. Et Abel. Et à protéger Abel du ranch et le ranch d’Abel.  « - »Une bonne chose que ma ligne d’intérêt s’arrête au ranch alors. Répond Wyatt d’un ton docte, ramenant sa clope à ses lèvres. Il n’a aucune envie de participer à une troisième guerre mondiale. Il finit par faire la moue et pincer les lèvres. Abel perdait pied, la raison, la sobriété. Et cela inquiétait plus le chef de la sécurité qu’il voulait bien le laisser croire. Il fallait croire que la situation était sous contrôle. Que Abel se contrôlait. Que toute exécution sommaire suivait un plan réfléchi, pas la colère d’un homme en deuil. Wyatt pouvait le comprendre, mais Abel s’approchait dangereusement de la limite de temps qu’on pouvait accorder à un leader, au chef protégeant une centaine d’âmes et plus de vies encore pour reporter sa haine sur le monde. Wyatt conclut simplement à mi-voix, fixant la cigarette au bout de ses doigts, qui fume près de sa cuisse.  « - Je voudrais pas être sa place. »

Juin | Winona & Wyatt

Le bref répit sous le couvert des arbres ne dure pas. Pas plus que les galipettes dans les fleurs, Wyatt n’a pas vraiment le luxe de prendre du repos. Il embrasse Vladimir – Abel surgit pour lui rappeler que, entre tous, il ne devrait pas se permettre ça. Il fume une clope – Winona vient lui rappeler qu’Abel a besoin d’un foutu baby-sitter pour pas s’immoler par le feu et eux avec. Wyatt siffle entre ses lèvres pincées autour de sa cigarette, faisant lever une oreille à Bullet, intrigué.   « - Je m’en branle du monde extérieur, Winona, c’est déjà assez dur de vous gérer tous. » Pas son cirque, pas ses singes, mais son ranch, ses cavaliers. « - J’ai pas signé pour me préoccuper de ça. »   Les alliances, il n’a pas son mot à dire dedans, et heureusement . Il est bien américain pour cela : eux d’abord, et tant pis pour le tiers monde et les autres camps.

Il tend la main vers elle, apaisant, la cigarette fumante entre l’index et le majeur. Légèrement éberlué, très amusé à la voir s’exciter, presque vociférer entre les arbres. « - Calm your tits, okay ? »  Ils allaient droit dans le mur – Wyatt secoue la tête. Tout s’empilait ces derniers mois, il n’avait pas un instant pour garder la tête hors de l’eau. Abel craquait – putain Wyatt pouvait le comprendre, il avait toutes les raisons de devenir fou. Wyatt rêvait d’exploser à son tour – mais l’intervention de Rhodes l’autre jour lui avait laissé un goût amer en bouche. Il ne pouvait pas détourner les yeux quand la maison brûlait sous sa garde. « - Tu crois que je sais pas ça ? » Une admission qu’il ne ferait pas à beaucoup au ranch.  Il claque sa langue contre son palais et se rapproche de son ami, cherchant son regard, proche d’elle à respirer son odeur. « - Qui tu crois passe derrière son cul pour récupérer ses conneries ? » Articule doucement Wyatt à contre cœur. Qui s’était retrouvé le flingue sous la gorgée il y a quelques mois, qui s’était battu avec Abel dans l’espoir de le sortir de sa transe maniaque ?

Il s’humecte la lèvre, réfléchissant un instant le regard perdu dans le vide. Puis il reprend tout doucement, mais n’admettant pas d’opposition dans son ton. « - Je comprends ce que tu ressens. Je sais tout ça. Merde, Abel sait tout ça. S’il continue, s’il ne trouve aucune épaule sur laquelle s’appuyer. » Les yeux limpides de Wyatt se posent sur elle, porteur d’un langage indicible. Abel est seul, parce qu’il l’a voulu bien sûr, il a lui-même dû ouvrir sa piaule à Peyton réfugiée des humeurs du maître. Mais il va être englouti par ses démons. « - Il a eu du temps et bientôt ça sera trop tard. Si je dois intervenir, s’il pose un danger immédiat pour le ranch, je le tuerais de mes mains. Si on arrive là. Mais ni lui, ni Jenna n’en sont encore là. » Il murmure d’une voix d’outre-tombe, féroce, marquant chacun de ses mots. Il choisit le ranch, pas Abel. Mais qui d’autres reprendrait la dynastie, sinon Jenna ? Jenna qui n’est pas prête à condamner son frère à mort ou à l’exil, pas encore, et ils sont encore en équilibre précaire. Wyatt veut bien jouer au garde-fou, pas soutenir un coup d’état – jamais il n’y penserait de lui-même.

Juin | Winona & Wyatt

Depuis quand il est devenu la mère de Abel ? Depuis la première fois où il lui a sauvé la vie, faut croire. Ils le disent bien, dans l’exégèse chrétienne, qu’une bonne action vous refile le sacerdoce, que vous êtes responsables de la vie de l’homme que vous avez sauvé. Cela l’aide à supporter ça mieux que l’idée que c’est son job et qu’il doit pointer à heures fixes. Depuis qu’entre Abel et lui, c’est un équilibre délicat et que Wyatt tient à faire son boulot correctement. A garder le ranch debout. Il a beau hausser les épaules, n’en avoir rien à foutre de l’opinion de Rhodes : le respect entre eux n’a pas été une mince affaire. Il entend le mériter maintenant, il entend mériter le rôle qui lui a été infligé comme dernière moquerie, défi sans délicatesse. Wyatt expire le nuage de fumée par le nez, gardant sa cigarette au niveau de son torse, le regard fixé sur la blonde.

« - Tu sais ce que disent les flics ? Ne le tabasse pas à mort tant qu’il est présumé innocent. » Présumé innocent plutôt que présumé coupable plutôt. Mais ce n’était pas une règle que Wyatt avait beaucoup appliquée, à partir du moment où ses enquêtes l’avaient attiré dans les eaux troubles des cloaques humains. Personne n’est innocent une fois qu’on piétine la notion d’humanité pour quelques dollars et une branlette. Face à la mort, celui qui méritera de vivre et celui qui vivra sont deux choses bien différentes. Wodding se flatte d’avoir toujours su où était la ligne, d’avoir des putains de principes, même s’ils ne sont pas grand-chose. Abel ne mérite pas particulièrement de vivre. Lui non plus, Winona pas plus. Abel sans doute le moins d’eux trois. Il voit où Winona veut en venir. Et il ne peut pas lui donner tort. Elle a raison. Il suit la ligne de sa pensée et il ne peut pas lui donner tort, chaque mot prononcé se rangeant à ce en quoi il croit. A ce qu’il faut faire pour le bien du ranch.

Le problème… Wyatt tique et secoue la tête, tapotant nerveusement sur sa clope. Le problème c’est qu’elle parle de tuer le leader du ranch à son chef de sécurité, un meurtre de sang-froid. Pire : un complot, un coup d’état. « - Et tu… ? »  Et tu voudrais prendre sa place. La poitrine massive de l’homme se vide d’un coup, tandis qu’il s’humecte la lèvre. Il a un sale goût de cendres dans la poitrine. « - Qu’est-ce qu’on fout ici Winona ? » Cachés dans un bosquet, loin des oreilles et des regards, comme des petits comploteurs sordides qui discutent la mort de l’homme grâce auxquels ils sont encore en vie. Il se rapproche d’elle après s’être écarté, baissant la voix jusqu’à ce qu’elle devienne un murmure contre son cou. « Non, j’étais venu fumer une clope, puis je pensais me faire pomper le gland mais c'est contre le règlement de ta petite culotte, alors on le fait sans se déshabiller, dans les bois, cachés comme des traîtres ! Parce que ça a autant de chance d’arriver que ça ! Foutaises ! » Son ton d’abord tranquille devient tranchant et acerbe. Il a toujours les mêmes métaphores imagées et vulgaires aux lèvres, mais pour une fois son esprit est dénué de toute plaisanterie. Elle se fout de lui. C’est un piège d’Abel. C’est impossible que ce soit autre chose. Il s’est approché pour murmurer, le visage près du sien, regardant par-dessus son épaule. Il n’élève pas la voix, les sons passant à peine la barrière de sa barbe qui vient chatouiller la chemise de la cavalière.   « - Pour qui tu me prends Winona ? Bon sang, toi et moi, nous sommes amis ! Tu me connais mieux que ça ! Et je te connais mieux que ça. Tu vas juste finir par te faire tuer. » Il tourne juste assez la tête pour l’observer dans le blanc des yeux. Il n’a pas envie de la perdre. Il n’a pas beaucoup d’amis au ranch, et cela le ferait chier devoir achever la jeune femme. Parce que Abel la laissera se vider de son sang au sol, ou parce qu’elle perdra à son tour le pouvoir. Décapiter un roi est un acte dangereux, il enseigne qu’il est mortel et faillible comme le reste du monde.

Juin | Winona & Wyatt

« - Est-ce que les rôdeurs offrent des pipes ? »  Ce genre de réponse ne demande pas vraiment un temps de réflexion, et Wyatt réplique du tac au tac, roulant ses yeux dans leurs orbites. Abel n’était pas innocent, et la liste de personnes non-innocentes encore en vie, et gardés comme de précieux étalons à l’intérieur des barrières du ranch était une liste interminable. Trouver un innocent ici aurait été plus difficile qu’une aiguille dans leurs bottes de foins.
Il tique et regarde ailleurs. C’était de la traîtrise – Abel n’aurait aucune hésitation à trancher de ce côté-là du couperet, si on lui rapportait la discussion. Et Wyatt… il voyait où voulait en venir son amie, mais c’était une pente boueuse, glissante. Plus que ça. Les questions avec lesquelles elle retournait le couteau dans la plaie, il se les étaient posées seul. Et la réponse qu’il s’était trouvé ( attendre encore, surveiller les arrières d’Abel, se tenir prêt à tout éventualité, se tenir prêt au pire pour la survie du ranch et non pas d’un homme ) était insatisfaisante. Il tourne la tête vivement, blessé par les propos de Winona et articule, incrédule. « - Tu te fous de ma gueule ?  Personne ne branle rien ? Je n’ai pas eu une minute à moi, de me branler ces quatre derniers mois ! Littéralement ! » Sous-entendre qu’il ne branlait rien ( comme tout le monde ) ( il n’était pas entièrement d’accord ni opposé à cette affirmation : il y avait des sacrés branleurs dans le camp, qui avaient déjà reçus son coup de pied au cul, mais certains cavaliers ne restaient pas les bras ballants toute la journée cachés derrière une botte de paille ) – sous-entendre qu’il faisait mal son boulot était 1) l’apanage de Rhodes, on va pas commencer du mauvais pied Jackson. 2) pas le meilleur moyen de s’attirer le bon cœur du cavalier.

Il cligne des yeux, une, fois deux, fois avant de pouffer. « - Nous ? Toi ? » Il s’étrangle légèrement et secoue la tête. Il n’en revient pas de sa putain d’audace, de sa connerie monumentale. « - Tu veux prendre les rênes ? Dans quel putain de monde… » Wyatt lève les paumes au ciel comme pour atténuer le coup fait à la dignité de la blonde. Il prend un peu temps comme pour réfléchir, passant sa langue sur sa lèvre. « - Dieu sait que je t’aime bien Winnie, mais regarde la vérité en face. Tu n’arrives pas aux chevilles d’Abel, gonflées ou pas par son ego. Tu n’es pas à la hauteur, pas plus que moi. Qu’il craigne, je suis d’accord. Mais ça ? » Un tttt échappe ses lèvres pincées comme lorsqu’il réprimande un cheval un peu trop vif. « - Un tient vaut mieux que deux tu l’auras. Ne sois pas conne. Pour moi, je brûlerais ce pont lorsque j’en serais rendu là. » Les mains sur les hanches, Wyatt se mord la lèvre et fixe Winona, le regard aussi ferme et déterminé qu’elle, reflet calme de la passion trop bienpensante de la jeune femme. Calme, trop calme, il ne demande comme s’il parlait de la saison des framboises : « - Tu n’as pas parlé de traîtrise, n’est-ce pas ? »

Juin | Winona & Wyatt

Wyatt n’aurait pas parié que l’humanité aurait tenu huit ans, ou que Abel  aurait tenu une minute après que le vieux ait cédé le pas. Il n’avait pas eu une grande opinion du cavalier fringuant et méprisant.  Ils tiendraient le temps qu’il faudra, où ils ne tiendraient pas, cela n’importe peu pour Wyatt. Il n’a pas vraiment un idéal à vivre là – le ranch leur a offert un refuge, et la surprise d’aimer vivre là, un point c’est tout. Il ira ailleurs s’il le faut. Il suivra un autre leader s’il le faut. Si cela s’impose . Non, Abel n’est plus à la hauteur.

Il lui laisse l’ultime occasion de se dérober, de sauver la face et sa peau. Mais le cavalier a un goût dégueulasse en bouche. Le faux-fuyant a un goût amer. Il n’a pas beaucoup d’amis au ranch, encore moins des gens avec qui il peut être lui-même, arrêter de bomber le torse, prendre la grosse voix. Winona était l’une de celle qui s’en approchait le plus, et tout ça pour quoi ? Voir le ver du complot ronger l’amitié dans son coeur. Tout est pourri, tout est mort, tout est rôdeur en devenir. Il détourne les yeux pour ne pas l’imaginer en cadavre, crucifiée comme Andrea. “- Alors tu es encore plus naïve que je le pensais.” Sa langue claque contre son palais, et l’homme a une moue de mépris, dégouté, rare sur ses lèvres, inédite concernant la blonde. Jésus, Winona a des qualités à la pelle, même certaines qui ne mérite pas le titre de qualité, mais que Wyatt apprécie d’autant plus. Mais gouverner le ranch ? C’est une autre paire de manche. Le truc, c’était que Abel avait démarré au fond du trou de son estime, et avait rampé jusqu’au respect par des actes - non, pas par des mots, ça, certainement pas. C’était un point que Rhodes devait encore travaillé à 40 ans. Winona était la personne vers qui il venait pour fumer une clope, et assurer ses arrières en raid. Pas être chef d’un ranch de connards.

Elle écrase sa cigarette, il s’en allume une nouvelle, la protégeant de ses doigts autant qu’il accorde du temps à son amie pour singer un sourire. Putain, son coeur tambourine trop dans sa poitrine. Qu’est-ce que c’était que cette conversation.   « - Yeah, yeah, je sais, ne faisons pas ça, okay ? » Il agite sa clope dans une geste vague tandis qu’elle finit. La menace sous-jacente est méprisable, petit même pour elle. Et la pensée “même pour elle”, tique Wyatt. Il déteste de la penser.  Il adore Winona et pourtant il la fixe comme une étrangère, légèrement effaré. Incapable de mettre le doigt sur ce qui le tracasse, comme s’il avait quelque chose sur le bout de la langue.   “ - Je sais pas d’où ça sort, mais j’ai la conscience tranquille et je joue pas. Si quelqu’un cherche à tuer mon leader pour prendre sa place, je le tuerais moi-même s’il le faut, c’est tout.” Son ton est calme, pensif, très loin de ce qu’il ressent mais Wyatt prend une bouffée de nicotine artisanale du bout des lèvres. Il détesterait que Abel la tue, il préférerait le faire lui-même. Il y aurait plus de dignité. Wyatt siffle Bullett après avoir expiré par le nez, un long soupire gris de fumée. ” - On va aller pisser.” Il jette un dernier regard, plein de regrets à Winona avant de s’écarter dans l’ombre de la vallée.