amen omen + whilelmina

La promenade journalière de Whilelmina au sein de la Carrière s’était comme souvent interrompue par un énième cas de blessure accidentelle. Avec les réparations occasionnées au marché et tous les travaux qui devaient être effectués pour remettre sur pied leur territoire, certains survivants avaient la main un peu lourde niveau outillage. Et l’un d’entre eux avait apparemment confondu la planche de bois qu’il devait clouer avec son bras. Pas de chance pour lui, cela s’était produit sous ses yeux et la demoiselle avait voulu par acquis de conscience et surtout par bon sens l’aiguiller vers la tente de soins. Conseil que l’homme avait refusé tout net sous prétexte que « ça n’était pas grave », en dépit du sang qui coulait, de la légère rouille des clous utilisés et de l’hygiène relative qui régnait ici. Ce genre d’individus persuadé de pouvoir survivre aux moindres blessures dans un monde devenu hostile ne lui facilitait jamais la tâche. Au beau milieu des jérémiades de son interlocuteur, elle finit par balancer, un poil sèchement. « Bon écoutez-moi je suis pas une spécialiste, mais à mon avis, là, vous allez mourir, hein ! Peut-être pas d’un clou en effet mais plutôt d’une septicémie, ça oui ! » Evidemment qu'elle grossissait le trait, mais l'hypothèse pouvait malgré tout être plus que plausible. L’homme, quelque peu vexé par la remarque, finit par se contenter d’un silence mécontent. Le fait de se savoir en tort devait jouer dans ce sens. Faisant signe à Micah son aide de soin qui, fort heureusement, l’accompagnait de s’occuper du Carrière pour qu’il soit convenablement pris en charge, l’ex-Jackal lui confia le cas en solo sans hésitation. Elle était capable de le soigner seule, ses compétences s’étant révélées satisfaisantes ces derniers jours en tant qu’aide de soin.

Une fois le patient redirigé vers l’intérieur du campement, Whilelmina s’apprêtait à tourner les talons pour faire demi-tour quand la vision d’un jeune homme à une bonne cinquantaine de mètres l’arrêta. Pendant quelques secondes, elle crut bien avoir affaire à une hallucination visuelle – car elle ne pouvait pas sincèrement avoir vu ce qu’elle pensait voir. Et elle avait eu raison, ce n’était qu’une impression de déjà-vu. Troublante, flagrante et plutôt dérangeante, mais elle devait reconnaître que la similitude était présente ; ce garçon là-bas qui se promenait mains dans les poches avait de sérieux airs d’Angus. Erin l’aurait vue qu’elle n’aurait pas nié la chose mais heureusement elle n’était pas dans les parages et cela arrangeait quelque part la soigneuse, qui continuait de l’éviter soigneusement comme elle le pouvait.

Distraitement, au lieu de passer outre et de retourner à son quotidien, la jeune fille continua d’observer sans mot dire l’objet passager de son intérêt. La petite brune ne savait que trop bien se faire discrète et son physique passe-partout y était pour beaucoup. On ne prêtait jamais trop attention à la frêle petite brune qui traînait l’air de ne pas y toucher, ses yeux furetant ça et là sans donner l’impression de scruter fixement autrui comme un cerbère.

Le comportement du jeune homme l’intriguait. Il ne lui était, une fois sa ressemblance avec son ex-petit ami mise de côté, aucunement familier et observer une tête inconnue aussi proche d’un des points d’entrée de la Carrière sans totalement s’y aventurer interpellait nécessairement. Etait-il un arrivant fraîchement débarqué un peu déboussolé ou un étranger venu pour une raison précise – qui ne semblait à présent pas avoir pointé le bout de son nez, au vu de son air légèrement pincé et de ses yeux froncés ? Ami ou ennemi, c’était tout l’enjeu du dilemme. Et Whilelmina, mine de rien, tenait trop à sa nouvelle famille et à son clan pour passer outre. Après ce qui s’était passé au marché, elle ne pouvait plus ignorer qu’il devenait dangereux de laisser passer n’importe qui ici. Alors elle s’avança vers lui ; pas frontalement, s’arrêtant de temps à autre, observant un détail anodin de la barrière, se penchant pour ramasser quelque chose qui n’était en fait qu’un caillou. Et finalement déjà elle se situait à seulement quelques pouces de l’homme à la veste de cuir, hors de son champ de vision. « Tu cherches quelqu’un ? » Elle avait du le prendre par surprise puisqu’elle avait déboulé dans son dos sans s’annoncer et se trouvait à présent juste devant lui, ses grands iris clairs et ronds sagement posés sur lui. La moue bienveillante était une façade convaincante mais d’autant plus suspicieuse qu’elle commençait à avoir un peu l’habitude de gérer les mensonges et les histoires à dormir debout. Whil avait déjà hâte d’entendre celle que lui servirait peut-être ce garçon. Un sourire poli vint ourler ses lèvres comme pour temporiser la brusquerie de son intervention. « Excuse-moi. C’est juste que tu as l’air perdu, je me disais que tu avais besoin d’aide. » Ou tout simplement besoin de savoir où il avait atterri car toute son attitude criait la perdition. Il avait le même air que tous ces nouveaux hagards et hébétés qui une fois immergés dans l’activité bouillonnante de la Carrière ne savaient pas exactement par quoi et par où commencer. « Tu es nouveau ici ? » A lui de voir ce qu’il allait lui raconter : mais Whil mettait sa main au feu qu’elle ne l’avait jamais aperçue avoir mis un pied à la Carrière depuis qu’elle y résidait.

Elle écouta son explication avec attention, amusée par la facilité avec laquelle certaines personnes étaient capables d’énoncer des vérités qui n’en étaient pas. Il lui était bien impossible de dire s’il mentait ou non, mais en tout cas il ne manquait pas d’aplomb et il pouvait au moins être fier de cette qualité. « Je comprends. Je peux peut-être t’aider à retrouver la personne si tu sais dans quelle zone elle vit. Elle s’appelle comment ? » Un premier test facile à appréhender mais Whilelmina était bien intéressée d’en apprendre plus sur l’individu recherché par cet inconnu. Qui était-il donc bien venu visiter jusqu’ici ?

Peut-être une demoiselle esseulée qu’il avait charmée. A l’écouter, la soigneuse devinait l’aisance du jeune homme confiant dans ses attributs et dans son attitude. Le genre de garçons qui n’avait aucun mal à séduire la première venue d’un coup d’œil translucide ou d’une petite phrase enjôleuse bien placée. Un tout petit sourire de celle qui n’en croyait pas un mot pointa le bout de son nez. « N’importe quoi. » La flatterie ne marchait pas toujours efficacement sur elle, trop persuadée de ne pas avoir cet éclat caractéristique des filles qui intéressaient réellement les autres garçons. La complimenter lui donnait plutôt l’impression d’être le dindon d’une farce que l’attention principale d’une convoitise quelconque. Ses joues n’avaient pu s’empêcher de rosir, parce qu’elle était toujours un peu gênée face à cela. Les beaux-parleurs finiraient bien par avoir raison d’elle tôt ou tard. « Moi c'est Whil, enchantée également. » Elle lui tendit une main cordiale et sûrement un peu ampoulée au vu de leurs jeunes âges, avant de repartir à l’assaut des questions.

Le but n’était pas de lui faire sentir qu’il passait un interrogatoire. Le cas échéant l’autre aurait rapidement pris ses jambes à son coup et elle n’aurait jamais su si elle venait de faire perdre à leur camp un potentiel nouveau membre, ou bien si elle avait fait détaler un nuisible. Pour le moment le dénommé Mikh était un compagnon de discussion on ne peut plus habile dans ce domaine et il savait se montrer agréable. Elle pouvait donc tenter de se montrer plus curieuse sans qu’il n’y sente de suite une méfiance de sa part. « Tu n’es pas d’ici alors ? Tu viens des environs ? » Peut-être était-il un survivant solitaire en quête d’un ami ou d’une famille perdue de vue ? « Pour être honnête on se connaît tous un peu ici, et je dois avouer que je ne t’ai jamais vu dans le coin. » Un peu de sincérité de sa part n’était pas totalement hasardeuse ; elle espérait quelque part l’inciter subtilement à en faire de même, doucement mais sûrement.

Le prénom la prit littéralement au dépourvu. « Angel, tu dis … » répéta t-elle non sans transpirer une certaine perplexité. La chance voulait qu’elle puisse faire passer son étonnement pour de l’incompréhension, ce qui n’attiserait aucun soupçon chez le jeune inconnu. Ca ne pouvait pas être un hasard bienheureux qu’il lui cite avec exactitude le nom peu commun d’un individu de son entourage. Soit le garçon était drôlement bien renseigné sur son compte et jouait un jeu rondement mené, soit il s’agissait véritablement de la connaissance qu’il était venue trouver. Ce dénommé Mikh, Whil n’en avait strictement jamais entendu la simple évocation – mais peut-être que le froid polaire qui régnait en ce moment entre son ancien collègue Jackal et elle justifiait son ignorance. La brune finit par trancher, optant pour un compromis qui lui permettrait d’esquiver toute pente glissante. « Mh, je vois qui c’est, mais je ne le connais pas personnellement. Et si j’étais toi j’éviterais de fréquenter ce garçon, il n’est pas vraiment fiable d’après ce qu’on dit. » L’avertissement asséné avec sagesse, bien qu’entaché d’une pointe de rancœur mal digérée, était pourtant mensonger et n’avait que comme seul intérêt d’évaluer la réaction de son interlocuteur. Si Angel l’avait entendu, il n’aurait guère apprécié. Mais vu où ils en étaient de leur relation, elle n’était plus à une erreur près le concernant.

De toute façon, le survivant qui lui faisait face n’avait pas non plus l’allure d’un chérubin. Il était bien surfait de ne se fier qu’à l’apparence pour bâtir une opinion d’autrui, mais Whil ne pouvait pas non plus frôler l’inconscience au point de placer une confiance aveugle et immédiate en un nouvel arrivant qui maniait aussi bien sa langue que ses jeux de regard céruléens. Angus, sors de ce corps. Et n’y reviens jamais. Elle décrocha son regard fixé depuis bien trop longtemps dans ses pupilles avant de pincer les lèvres, captant l’aveu sûrement le plus proche de l’honnêteté du jeune homme. « Mmh, je vois. » Sur l’instant, Whilelmina avait failli bondir sur l’occasion pour lui demander abruptement de décliner son appartenance et de déguerpir rapidement sous la menace d’alerter les gardes. Ceux-là ne manqueraient pas de s’occuper de son cas, les protecteurs de la Carrière bien trop frustrés de n’avoir pu passer leurs nerfs sur les disciples de Lazarus. N’importe quel intrus aurait fait l’affaire pour assouvir leurs colères.

Mais malgré les risques et en dépit du bon sens, la soigneuse voulait poursuivre sa chasse à l’information. Et puis mine de rien ce petit jeu lui plaisait, qu’elle le veuille ou non. Elle savait bien qu’il n’y avait pas de quoi être fière ou enjouée à l’idée d’inventer de séduisants bobards pour mener en bateau quelqu’un qui n’avait vraiment rien demandé, mais ce n’était pas bien méchant. Et puis, qui ne lui disait pas qu’il en faisait exactement de même avec elle ? La texane n’était ni dupe ni naïve, ses airs doux et sages lui prêtaient à tort un air candide de celle qui aurait avalé n’importe quelle couleuvre. « J’apprécie ta sincérité. » Ces mots étaient bien moins spontanés qu’ils n’y paraissaient, Whil les enjolivant d’un regard où l’on pouvait y lire l’équivalent d’un sourire. « On peut s’éloigner un peu de l’entrée, si tu veux … Je peux comprendre que tu ne cherches pas les ennuis. » S’ils s’isolaient, peut-être Mikh se sentirait plus en confiance.

Comme si le brun était parti dans sa lancée, il posa une autre question, cette fois impossible à prévoir. « Les Redeemers ? » Jamais entendu parler de ce groupe. La soigneuse aurait bien fait semblant d’être au courant de cette curieuse organisation mais elle risquait de ne pas tenir la route très longtemps avec un tel mensonge. Elle retint néanmoins le nom du groupe pour plus tard. « Non désolée, ça ne me dit rien du tout. » Elle parut réfléchir quelques secondes avant de demander, curieuse. « Ton fameux Angel fait partie de ce groupe ? » Là, elle saurait démêler le vrai du faux.

Doux ? Qui était ce garçon au juste, un ami d’Angel ou … Un doute saisit Whilelmina, mais elle ne pipa mot. Angel était un dragueur invétéré incapable de résister à la moindre jolie fille qui passait à quelques mètres de lui ; mais se pouvait-il qu’il ne se limitait pas qu’à un seul sexe dans sa recherche insatiable d’éternelles conquêtes ? Elle ne pouvait pas affirmer avec certitude qu’il n’aurait jamais joué de ses charmes avec un homme pour avoir ce qu’il voulait, mais de là à l’imaginer avec un autre homme … Les joues de la demoiselle s’empourprèrent sensiblement et la brune de refouler l’hypothèse pour arrêter de se laisser troubler par son imagination un peu trop fantasque. Mikh allait finir par se poser des questions sur ce qui la faisait tant rougir.

Sur conseil de la soigneuse ils s’éloignèrent donc, non sans que Whil jetât un coup d’œil derrière elle comme pour espérer qu’un garde les ait remarqués et les surveille de loin. Peu de chances que cela se produise, mais après tout la soigneuse savait se défendre. Elle savait même faire bien plus que cela, n’est-ce pas ?

Le jeune homme à l’appartenance encore indéfinie continua de délier sa langue, ce que la jeune fille appréciait. S’il était aussi franc avec tous les étrangers qu’il rencontrait, il n’avait pas du avoir que des bonnes expériences – mais peut-être ne jouait-il pas cette carte avec tout le monde. Quelque part, l’ex-Jackal n’arrivait pas tout à fait à expliquer pourquoi, mais elle se sentait à la fois privilégiée et dupée, un peu comme si Mikh parvenait à la faire se sentir hors du lot tout en manigançant suffisamment bien sa barque pour qu’il puisse l’embobiner comme d’autres jeunes demoiselles un peu naïves. Ou bien elle s’imaginait juste encore des choses. Méfiance, méfiance, lui susurrait une voix proche de celle de sa sœur. « Désolée, je ne vais pas pouvoir t’aider. » Les Redeemers ne faisaient pas partie de ses connaissances et puisque l’autre avouait qu’Angel n’en était pas plus un qu’elle, elle n’avait aucune raison tangible de lui faire croire autre chose que la vérité vraie.

Ils échouèrent sous un arbre aux branches déplumées. Les yeux si clairs qu’ils paraissaient transpercer tout ce qu’ils voyaient de Mikh la fixèrent, ayant l’air d’absorber chaque information que le moindre centimètre carré de son visage, de ses boucles attachées à la-vite, de sa veste trop grande ou de ses bottes un peu terreuses montraient. Whilelmina ne pouvait pas dire qu’elle s’estimait particulièrement détendue sous cette inspection qui oscillait entre la minutie et la contemplation. Quelque chose avait retenu son attention, quelque chose de brillant – Mikh était-il une pie voleuse ou un renard, elle n’avait pas encore décidé. La petite croix chrétienne pendait à son cou, visible plus qu’elle ne l’avait jamais été ces derniers mois ; comme une forme de remerciement à Dieu pour avoir remis sur sa route Lucy et Miles. « Oui. Et pratiquante. » Elle insista sur ce dernier mot, mue par une petite pointe d’affirmation. Si auparavant elle s’était longuement cachée de cette affiliation un peu désuète au regard de bien des survivants, peu à peu, elle avait fini par s’affranchir de cette crainte du jugement. Elle avait le droit de croire en ce qu’elle voulait en avait eu assez de se cacher. Si cela posait un problème à quiconque, qu’il vive comme il l’entende. Whil ne passait pas son temps à conspuer tous les gens qui avaient choisi de vivre une vie de débauche. Chacun était bien libre de ses actes. « Si tu ne m’avais pas déshabillé du regard, j’aurais pu me demander comment tu l’avais remarqué. » Elle ne le disait pas vraiment sur un ton flatteur ni engageant, davantage mal à l’aise avec ce genre d’yeux insistants et scrutateurs que charmée d’être l’attention d’un mâle. C’était elle tout craché, suspendue à cette pudeur qu’elle n’aimait pas qu’on enfreigne, retenue par cette gêne d’être perçue comme une fille jolie. Ce n’était pas une habitude ou une sensation familière chez elle, et le seul qu’elle avait autorisé de la couver de ce genre de regards n’était plus de ce monde pour en témoigner.

Des lieux de culte ? Oui, ils en possédaient. Ca n’avait plus rien à voir avec les églises et les édifices du siècle dernier, mais c’était déjà mieux que rien du tout. « Quelques chapelles, oui, mais rien de très officiel. » On pouvait facilement sentir à son ton qu’elle n’en était pas spécialement enchantée ; un arrière-goût de frustration ponctuant ses mots. « On aimerait pouvoir faire quelque chose d’un peu plus concret et sérieux. » Autre chose que des bricolages bancals et des installations qui menaçaient à tout moment de s’effondrer. Un véritable lieu de culte, solide et capable d’accueillir tous ceux et toutes celles qui en éprouvaient le besoin. A la Carrière, ce n’était pas les idées qui leur manquaient, c’était la conviction de devoir les réaliser. Les gens préféraient encore trop donner de leur énergie et de leur temps à l’amélioration de leurs vies individuelles qu’à l’instauration de véritables lieux collectifs comme ceux-là. Et avec la pagaille ambiante et les attaques des disciples, ce n’était pas prêt de s’arranger. C’était pour ça qu’ils avaient besoin de gens motivés, volontaires et surtout désireux de bâtir quelque chose de rationnel et tangible. Tout était encore trop fragile, preuve en était leurs défenses réduites pour parti à néant et leur marché détruit.

L’étranger annonça comme une petite fierté qu’il avait lui aussi sa petite marque personnelle religieuse sur lui. Baptisé et arborant sa croix sous le nez de l’intéressée, qui avait certes l’air candide mais n’était pas pour autant la fille naïve et crédule que l’on espérait. Dans les faits et en toute objectivité, une cérémonie de baptême et un bijou peut-être dérobé à autrui ne suffisaient pas vraiment à attester de quoi que ce soit. « Qui l’eut crû ? » Un drôle de rictus, mi-amusé mi-sceptique passa sur son visage en coup de vent. « Pas moi, pour être honnête. » Loin d’être dans la critique, Whilelmina préférait lui avouer qu’elle l’imaginait davantage comme un diable qu’un chérubin. Cette opinion ne devait sûrement pas le surprendre ni être une nouveauté pour lui. Malgré tout elle n’était personne pour mettre en défaut ses envies de repentir s’il en éprouvait ou son souhait potentiel de se réorienter un peu plus vers Dieu – et un peu moins vers la drague de parfaites inconnues. « Tu pries de temps en temps ? » Elle en doutait mais ne se permettait pas de lui fermer la porte. Certaines personnes retrouvaient une forme de foi des années après avoir vécu certaines épreuves irréversibles. D’autres ne quittaient jamais leur religion et l’entretenaient avec ferveur. Tous étaient au fond les bienvenus, la tolérance et l’acceptation étant pour elle au cœur-même de leurs croyances.

Jusqu’ici Whil avait tenu bon et avait conservé une neutralité plutôt courtoise ou semblant de sympathie. Mais la dernière flatterie de Mikh lui arracha cette fois un vrai bon rire. Elle n’en gobait pas un traître mot par souci évident d’humilité. Au moins, il pouvait s’octroyer la satisfaction de lui avoir décroché un vrai sourire. « Oh, je doute que ça soit vraiment le cas. On dit que les anges sont souvent invisibles. » Et bien qu’elle n’aurait pas été contre une petite intervention divine pour tous les soulager de cette situation apocalyptique, la brune ne pouvait malheureusement pas dire qu’elle était dans les premières à mériter un tel titre ou un honneur équivalent. « Si tu en croisais un qui daignait se montrer à toi, ce serait sûrement pour te délivrer un message assez important. Une idée ? » Ses yeux observèrent le jeune homme sans qu’ils ne puissent y montrer quoi que ce soit de réellement déchiffrable. Quitte à mener la discussion et à tenter d’en savoir plus sur le genre d’hurluberlus qui rôdaient dans leurs alentours, autant qu’elle en profite un peu pour savoir ce que l’autre pensait – et par quelle pirouette il parviendrait sûrement à la surprendre un peu plus.

Bien qu’elle ne doutait pas des intentions qui se planquaient derrière ces manœuvres bienveillantes, Whilelmina ne se fermait pas à discuter dès lors qu’il s’agissait d’évoquer l’homme tout Là-haut. La Carrière ne comptait pas un nombre époustouflant de croyants pratiquants et cela n’étonnait ni n’attristait pas grand-monde, aussi répondit-elle d’un ton un brin fataliste. « Beaucoup c’est un grand mot … Mais même s’il n’y avait que trois personnes, il faut un vrai endroit pour eux. Juste un échappatoire. » Ce n’était pas la quantité qui justifiait le droit à la croyance. Qu’ils soient mille ou un, tant qu’il y avait encore l’étincelle d’une conviction, on devait pouvoir se voir offrir la possibilité d’entretenir cette flammèche.

Bien sûr, avec l’arrivée de Lazarus de plus en plus proéminente dans leurs vies de campement, il devenait parfois compliqué d’expliquer qu’on pouvait croire en Dieu sans être un cinglé fanatique. Depuis peu, les disciples de Lazare avaient réussi à jeter l’opprobre sur tout ce qui avait attrait à la foi. Et maintenant qu’il fallait rétablir la vérité et surtout la nuance entre eux et les autres, Whil devait de temps à autre se heurter à cette incompréhension qui ne l’arrangeait pas. Elle refusait net d’être assimilée de près ou de loin aux crimes commis par ces personnes qui ne lui inspiraient rien d’autre que du dégoût. Quant à l’instigateur de tout ceci … Elle préférait ne pas y songer – l’individu devait être aussi aliéné que dangereux pour avoir réussi ce tour de force de manipuler autant de personnes. « Les gens pensent souvent que la religion est un truc démodé, vieillot et inutile. Ou, comme tu pourrais l’entendre, que c’est juste des conneries. » De sa bouche, il semblait plutôt drôle d’entendre ça. « Mais si ça aide des gens et que ça ne blesse personne, est-ce que ça en est vraiment ? » Pas qu’elle le sache. Mais la question restait libre d’interprétation et de réponse.

Un sourire se dessina sur ses lèvres, empreint d’une empathie nouvelle et étrange. Mikh passerait certainement à côté de l’émotion qu’elle éprouvait et c’était normal, il ne pouvait pas deviner à quel point elle pouvait s’identifier à lui sur l’instant. « J’ai fait comme toi pendant longtemps. » La brune de poursuivre son anecdote future non sans une pointe de fierté dans la voix. « Et il faut croire qu’on m’a entendue, puisque ma sœur est miraculeusement revenue. » Soit il la prendrait pour une menteuse doublée d’une cinglée, soit il saurait reconnaître ce sentiment identifiable entre tous – celui d’avoir retrouvé un des siens. « Je te souhaite la même chose. » Le vœu était sincère, quoi qu’il fût.

Tout cela n’arrêtait en rien le baratin du joli-cœur. Et à chaque fois que la soigneuse pensait qu’il ne pourrait pas raconter une histoire encore plus abracadabrantesque, il relevait le défi avec brio. Cette fois-ci il s’agissait de lui offrir à boire … Décidement, ce Mikh se plantait sur toute la ligne. « Où ça ? Au Caveau ? » Elle ne put réprimer le rire qui naquit de sa gorge – clairement, un rire qui se moquait de lui sans méchanceté aucune. « Donc tu voudrais corrompre un ange ? C’est osé. Comment tu comptes t’y prendre ? » Whil n’aurait peut-être pas vraiment du lui demander d’approfondir sa technique. Elle pouvait bien rire et prétendre de converser avec légèreté : elle n’était néanmoins toujours pas fixée sur l’identité et le bienfondé des paroles de cet homme.

Durant l’ombre d’une seconde, Whil aurait pu se laisser tenter et céder. Accepter cette proposition étrange et sortie de nulle part venant d’un séduisant inconnu. Boire un verre, à quoi cela engageait-il réellement ? A rien d’autre qu’un peu de recul et d’amusement loin des soucis actuels. « Mh. » Seule onomatopée qui servit de réponse, les yeux de la jeune fille fixèrent Mikh avec une insistance profonde, comme si elle pesait le pour et le contre avant de prendre sa décision.

L’ébauche d’un sourire étira lentement ses lèvres. « C’est une bonne idée. » Une très bonne idée, oui … Mais pas pour quelqu’un comme elle malheureusement. Il y avait mieux à faire que jeter ses responsabilités par la fenêtre pour se réfugier dans quelques godets d’alcool artisanal. Et surtout, il y avait plus sage et plus raisonnable que l’invitation de ce garçon. « Et je suis sûre que des tas d’anges seraient partants. » poursuivit-elle, sa voix marquée par une conviction amusée. L’homme face à elle savait comment flatter et apprivoiser ; nul doute qu’il aurait toutes les facilités du monde à inviter n’importe qui au Caveau si l’envie lui prenait. « Dommage qu’ils ne soient pas présents ici aujourd’hui. » Après tout, les êtres célestes existaient-ils réellement pour un non-croyant comme lui ?

Ce refus aurait pu heurter la fierté de tout homme lambda mais il ne fallait pas y voir de cas personnel. Whilelmina n’arrivait pas à faire comme le reste du monde, à se laisser simplement absorber par des distractions de chair, de jeux ou d’ivresse. Elle ne parvenait pas à essayer de mener l’existence d’une toute jeune demoiselle d’une vingtaine d’années. Personne ne l’aurait réellement blâmé de flirter avec qui que ce soit. Mais elle, elle ne pouvait pas le faire. Elle n’y parvenait pas – et la seule fois où elle avait réussi à abaisser ses barrières, elle l’avait fait pour quelqu’un qui s’était servi d’elle. Whil avait eu du mal à s’en remettre ; elle s’en cicatrisait encore aujourd’hui. Aussi absurde et innocente pouvait être l’approche de Mikh, elle ne correspondait pas aux aspirations de la soigneuse. Cela étant elle croyait à présent une chose : il avait un bon fond, quoiqu’il fut et peu importe son appartenance de clan. Alors plutôt que de le balancer aux gardes sans remords ou de le semer dans un guet-apens du camp comme elle aurait pu le vouloir au départ, elle lui accorda ce qu’elle pouvait faire de mieux : un au-revoir. « A une prochaine fois, Mikh. Fais attention à toi. » Son regard effleura le sien une dernière fois avec une bienveillance honnête alors qu’elle passa à côté de lui pour rejoindre l’entrée de la Carrière où elle entrerait seule – l’étranger, quant à lui, n’aurait plus qu’à attendre le prochain esprit plus facile à convaincre pour s’y immiscer.