Tought i'd never see you again | Whilelmina&Andrea

Je déambule dans les semblants de rues, vêtue d’un sweat en coton gris ultra confortable, la capuche complètement rabaissée sur mon visage. Je me fais l’impression d’une somnambule, alors que j’essaie d’enligner mes pas sans trébucher. J’essaie de me faire discrète, de passer incognito. L’accès de la carrière ne m’est pas complètement interdite, mais je sais que mon camp n’est pas forcément vu d’un bon œil ici. Une vieille histoire, des querelles que je n’ai pas trop suivie. J’ai passé trop de temps dans les bois pour m’y intéresser. Je sais seulement que je n’ai pas envie d’être abordée, ni même remarquée. Surtout pas dans l’était pitoyable dans lequel je me trouve. Vu la quantité d’alcool ingurgitée la veille, un mal de crâne immense m’afflige. Je ne suis pas d’humeur à parler et je crois que même si j’essayais, j’aurais bien du mal à enligner deux mots. Et comme si ce n’était pas assez, la lumière du soleil est si insuportable que j’avance en fixant le sol. J’essaie de me repérer du mieux que je peux dans les dédalles de tentes et de kiosques improvisés. J’essaie de retrouver Angel pour lui offrir un cadeau, un peu plus gros que ce que je lui dois pour la boisson qu’il a fournit hier. J’ai aucune idée d’où il la prend, mais je suis heureuse qu’il arrive à fournir chaque fois que je lui demande. Surtout hier où j’avais véritablement besoin de me changer les idées. Sa simple présence a été d’un grand support et j’ai envie de le récompenser un peu. Je veux lui offrir le chocolat que j’ai déniché. Je pensais le garder pour noël qui approche, mais il le mérite et je finirai bien par trouver autre chose. Mais, à force de ne pas trop regarder où je vais, je finis par me perdre complètement. Ayant perdu tous mes repères visuels, je finis par lever le regard. Il n’y a rien que je reconnaisse dans les parages, alors je suis forcée de demander de l’aide à quelqu’un. Vaut mieux parler à une seule personne que continuer d’errer et risquer d’en croiser un nombre plus élevé. Je m’approche donc d’une brune qui me fait dos. Je ne sais pas ce qu’elle est entrain de faire, mais je me risque à la déranger. Je tapote doucement sur son épaule, j’esquisse un sourire peu convainquant. Mon discours est tout fait, mais, prise par surprise, je perds mes mots. Je reconnais très bien le regard que je viens de croiser. Whil a été ma première alliée. La première survivante de mon âge que j’ai rencontré. Nos chemins ne se sont pas croisés longtemps, mais à l’époque, lui parler quelques fois me permettait d’oublier un peu la merdre dans laquelle nous étions. Comme Erin et bien d’autres personnes rencontrées dans le nouveau monde, j’ai fini par croire qu’elle était morte et que je ne la reverrais jamais. C’est donc des paroles complètement idiotes qui finissent par s’échapper d’entre mes lèvres, après un long silence. « Whil! C’est bête, je croyais pas que t’arriverais à survivre! » Mon sourire s’agrandit. À l’époque, la brune était toujours collée à ses parents et pour être honnête, je n’aurais jamais cru qu’elle aurait l’étoffe pour vivre aussi longtemps. Mais je suis heureuse d’apprendre qu’elle ait réussi.

Faut croire que ces derniers temps, le destin est de mon côté. Ça aura pris du temps, mais je suis enfin chanceuse. Après avoir appris qu’Erin est toujours en vie, voilà que mon chemin croise celui de Whil. Une fille avec qui je n’ai aucune affinité, vraiment. Nos caractères sont assez opposés et en d’autres circonstances, je ne lui aurais probablement jamais adressé la parole. Elle est exactement le genre de nana que j’évitais au lycée. Trop chiante, trop ennuyante. Mais l’apocalypse nous a donné un immense point en commun et à partir de là, nous avons pu développer quelque chose. Une amitié brève, mais sincère du temps qu’elle a duré. Je ne sais pas pour elle, mais de mon côté j’étais plus qu’heureuse d’avoir enfin quelqu’un de mon âge qui comprenait tout ce que je traversais. Elle a été l’une des rares personnes à me marquer parmi tous les groupes que j’ai rejoints avant de me retrouver chez les Crimsons. J’ai toujours cru qu’elle était morte, alors je n’y avais pas trop repensé depuis un moment déjà. Mais je suis heureuse d’apprendre que ce n’est pas le cas. « Non, je suis au Ranch. Mais je devais quelque chose à quelqu’un. » Je sais qu’avec Whil, vaut mieux ne pas mentionner l’alcool de contrebande. Je n’ai pas envie de gâcher le moment en évoquant mon penchant pour les comportements autodestructeurs. Je me redresse donc légèrement, essayant d’avoir l’air normale. J’essaie d’avoir l’air de la fille qui fait de l’insomnie plutôt que pour celle qui boit comme un trou parce qu’elle a eu des retrouvailles compliquées avec son ex. Mais ma ruse ne prend pas. Pire qu’un test d’alcoolémie, la brune finit par détecter les résidus de boisson dans mon sang. L’odeur ne doit pas être terrible si elle l’a repéré aussi rapidement. Mais faut dire que hier, j’étais ailleurs. J’ai tellement bu que je n’avais plus idée de ce que je faisais et ce matin, je me suis réveillée au beau milieu des bois. Je n’ai probablement jamais réussi à atteindre ma roulotte. J’aurais pu mourir à cause d’une décision idiote. Je suis pathétique, mais plutôt que de l’admettre, je me braque. Mon corps se raidit et mon sourire s’efface rapidement. Avant, la remarque ne m’aurait pas affecté le moindrement. J’aurais probablement rit et j’aurais répondu une idiotie du genre “c’est vendredi, faut bien se détendre de temps en temps. “ Parce que c’est ce que je faisais avant. Je picolais de temps en temps, uniquement pour m’amuser un peu. Mais maintenant, ma relation avec la bouteille est de plus en plus profonde et je dois avouer que ça m’effraie un peu. Ma réplique est donc un peu plus sec, complètement dénuée d’humour. « Et alors? » Je ne lui dois rien et je n’ai pas à me justifier. Pourtant, je ressens le besoin d’ajouter quelque chose. « Tout le monde ou presque le fait. Ça aide à oublier. » Malgré les lendemains difficiles, l’alcool a ses avantages. Elle m’inhibe complètement, au point où j’oublie momentanément à quel point le monde est rendu merdique. La vie n’est plus ce qu’elle était et je m’adapte comme je peux. Je sais que ma solution est loin d’être l’idéale, mais c’est la seule que j’ai trouvé pour ne plus être confrontée à moi-même.

Lorsque je comprends que la croyante ne m’en veut pas pour mes mauvaises habitudes, je me détends d’un cran. J’avoue avoir réagit rapidement et fortement à ses propos. Seulement, j’avais peur qu’elle me fasse la morale comme la plupart des gens le font. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle me propose un antidote à la gueule de bois, mais quand j’y pense, c’est du Whilelmina tout craché. Même à l’époque où elle restait dans les jupes de sa mère, elle prenait soin des autres. Elle a toujours été gentille, peut-être même trop. J’espère sincèrement que ça ne causera pas sa perte. Elle ne le mérite pas. En fait, elle est le genre de fille qui ne mérite que le meilleur. Mais la vie est une garce et le karma n’est pas une science exacte. Elle ne mérite pas ce monde, mais heureusement qu’elle y est. Nous avons besoin de gens comme elle pour nous rappeler que ça en vaut –relativement- la peine. Je lui adresse un sourire que je regrette aussitôt. Mon crâne m’élance terriblement, alors je me contente de la suivre en silence. J’ignore sa dernière phrase. Elle est véridique, mais je n’ai pas forcément envie d’y réfléchir davantage. C’est plus simple lorsqu’on ne pense pas. Et il se trouve que j’ai parfois besoin d’alcool pour y parvenir. J’en prendrais maintenant pour oublier les bruits ambiants et l’endroit dans lequel je me trouve. Mais, lorsque je réalise la tentative de plaisanterie de la brune, je m’arrête néanmoins un moment. J’oublie la carrière et ses recoins méconnus. Un petit éclat de rire s’échappe d’entre mes lèvres. « Je l’ai déjà lue de toute façon. Mais si l’eau bénite pouvait soigner ma migraine, je boirais n’importe quoi. » Je grimace, mais pas méchamment. Je mentirais si je disais que ça a été une lecture agréable. J’avais pas loin de dix ans. J’aurais préféré aller jouer à l’extérieur avec mes amis plutôt que d’aller à l’église tous les dimanche et m’endormir en lisant ce livre un peu trop épais. J’ai aussi quelques rancoeurs envers Dieu, surtout au niveau des préjugées qu’on lui associe. J’en ai longtemps voulu à ma mère de ne pas m’accepter comme j’étais, sous prétexte qu’une femme devait aimer un homme parce que le tout puissant l’avait voulu ainsi. J’ai même longtemps détesté tout ce qui touchait la religion, juste pour faire suer ma mère. Mais maintenant, je suis en paix avec tout ça. Plus ou moins. La bible ne me rassure pas. Elle ne guide pas mes actions. Mais je ne la déteste plus. Ce n’est qu’un livre un peu trop épais. « On est bientôt arrivés? » Je me donne l’impression d’une gamine impatiente, surtout que nous marchons depuis à peine quelques minutes. C’est juste que je ne me sens pas tout à fait à mon aise ici.

Je ne sais pas si je suis extrêmement chanceuse ou extrêmement malchanceuse. Dans ce monde de merde, retrouver un proche ou un ami est l’équivalent de gagner à la loterie avant l’épidémie. En l’espace de quelques semaines à peine, j’ai gagné deux fois. Deux rencontres complètement fortuites. La première a été une vraie catastrophe, causant plus de peine que de bien. Je m’étais toujours imaginée assaillie par la joie lorsque je retrouverais Erin. Finalement, l’exact opposé s’est passé. Je suis passée par plusieurs émotions lorsque je l’ai trouvée dans mes filets, mais le bonheur n’était pas de la partie. Par contre, avec Whil, j’ai l’impression que les choses sont différentes, probablement parce que nous n’avons pas été aussi près que je l’ai été avec l’ancienne Crimson. Nous avons survécu un moment toutes les deux, mais nous étions jeunes, toujours cachées sous les jupes de nos mères. Nos rares échanges avaient été amicaux, mais uniquement parce que nous nous comprenions. Nous traversions les mêmes épreuves à cette époque et c’était tout ce qui comptait. Je n’ai jamais réellement cherché à la connaître davantage, à savoir qui elle était avant et maintenant. Nos chemins ont fini par se séparer et j’ai relégué son souvenir aux oubliettes, comme je le fais toujours en changeant de groupe. Mais aujourd’hui, je suis heureuse d’apprendre qu’elle a survécu. S’il y a bien quelqu’un qui le mérite, c’est elle. Ses remontrances le montrent bien. Elle est entourée de mercenaires, de meurtriers et d’alcooliques. Pourtant, elle s’accroche à ses valeurs, à sa religion. « J’me contenterai de ta potion magique alors. » J’hausse les épaules même si elle ne peut me voir et mes muscles encore endoloris m’arrachent une grimace. La gueule de bois ne fait déjà pas de bien, mais combinée au manque de sommeil, c’est pratiquement mortel. J’ai hâte d’arriver, alors je ne me gêne pas pour le demander. Tant pis si j’ai l’air d’une gamine impatiente. Je veux juste me mettre à l’abri des regards et des rayons lumineux. Heureusement pour moi, nous finissons par arriver à destination. Je m’engouffre sans la moindre hésitation derrière la toile opaque. Je lui obéis sans rouspéter. Je prends place et je reste tranquille malgré l’inconfort du siège. J’observe ma vieille amie pendant qu’elle s’affère devant une étagère pleine de bocaux étranges. J’en déduis qu’elle est devenue soigneuse, guérisseuse ou quelque chose du genre et je trouve que la profession lui va comme un gant. Si je suis taillée pour abattre des animaux, Whil est faite pour venir en aide aux gens. Elle est trop gentille. Si elle ne l’avait pas été, je serais partie sans prévenir après une telle question. Mais, plutôt que de me refermer sur moi-même, je pousse un bref soupire avant de répondre. « Ils m’ont sauvé pas longtemps après que mon père soit mort. Maman était partie depuis longtemps. » Je fixe le mur opposée à la brune et je passe mes doigts dans mes cheveux en bataille, un peu moins à l’aise. « Et ta famille? » Je finis par me retourner vers elle, la curiosité l’emportant sur le reste. Je les connaissais encore moins que Whil, mais je les ai tout de même côtoyés assez longtemps pour me soucier d’eux.

Si je n’étais pas tombée sur les Crimsons, je n’aurais pas fait long feu. Après Dany, je n’avais plus vraiment de raison de m’accrocher. Je déprimais dans mon coin, jusqu’à ce qu’ils me sauvent. Je me suis rapidement taillée une place, toute petite, mais suffisante. Il y a eu Erin qui m’a permis de m’ouvrir un peu. Elle m’a fait tomber amoureuse, pas seulement d’elle, mais aussi de la ferme, des Rhodes et de leurs réfugiés. Je ne le montre pas forcément, surtout vu mon caractère, mais je les apprécie énormément. J’aime travailler pour eux, me sentir aussi utile, voir plus qu’avant. Je suis peut-être seule, mais grâce à eux, je n’ai plus l’impression de l’être. Je hoche la tête lorsque l’infirmière affirme la même chose. Normalement j’aurais eu tendance à m’excuser, mais je ne crois pas que ce soit nécessaire. Sa famille n’est pas là, mais elle ne les a pas vus mourir. Il reste un peu d’espoir, surtout si Lucy s’en est sortie. À l’époque, je n’aurais jamais parié sur elle. Mais faut dire, nous étions tous complètement perdus. Au final, elle s’est juste adaptée, comme nous tous. Elle a trouvé un moyen de survivre et elle est plus douée que ce que j’aurais pensé. « Vaguement. J’étais plus certaine, mais j’avais d’gros doutes, surtout avec le nom de famille. J’osais pas le mentionner au cas où t’aurais été… morte. » Je préférais ne pas savoir et en même temps, j’évitais des souvenirs cruels à l’ainée. Mais au final, savoir ne change pas grand-chose. Ma vision de Lucy ne change pas plus que celle de Whil. Je suis fière des deux, même. Elles ont trouvé leur place à leur manière, même si la plus vieille se contente de nettoyer derrière les autres. J’espère qu’un jour elle montrera ce dont elle est capable aux autres et qu’elle trouvera sa place, comme Whil qui vient, d’ailleurs, de me tendre sa boisson miracle. Je la renifle un peu. Je m’attendais à une odeur infecte, mais non. Ça me rappelle les tisanes que préparait maman. Je m’empare du gobelet, humectant mes lèvres avant de me lancer. Le goût n’est pas mauvais. Ça n’équivaut pas un latté à la vanille française, mais c’est bon.

Je suis toujours entrain de boire lorsque je remarque l’air étrange de la carrière. Je fronce les sourcils, me demandant pourquoi elle sourit si bêtement. Je veux lui demander, mais elle ne m’en laisse pas l’occasion. Elle s’explique aussitôt, comme si sa réaction n’était pas appropriée. Pourtant, elle a seulement sourit. « Une amie? » J’hausse à nouveau les sourcils. Voilà peut-être la raison de sa réaction. Elle ne serait pas sur la défensive s’il s’était agit d’un patient ordinaire. Je sais aussi que Whil est très attachée aux valeurs que ses parents lui ont transmises. Je sais aussi qu’elle est assez prude. Si je l’avais connue avant l’épidémie, je l’aurais probablement prise en grippe au lycée. Je me serais moquée d’elle avec mes autres amies sans raison importante. Parce que dans le temps, j’étais aussi cool que ça. Je lève les yeux au ciel en y pensant, puis je repousse ma boisson maintenant terminée. « T’es certaine que c’était pas plus qu’une amie? À te voir sourire comme une idiote, c’est pas l’impression que j’ai. » Je fais peut-être faux bond, mais rien ne m’empêche de demander pour être fixée.

Lorsqu’elle e parle de son remède et de celle qui a eu la chance de la tester avant moi, un déclic se produit dans mon esprit. Je me demande aussitôt s’il n’y aurait pas une autre histoire derrière cette amitié pour la faire sourire autant. N’étant pas du genre à m’embarrasser de tact inutile, je n’hésite pas un instant à la questionner sur le sujet. La confusion que l’interrogation fait naître chez la quarry n’a rien de surprenant, mais ça ne la rend pas moins amusante pour autant. Mon sourire s’étire, espiègle, et, lorsqu’elle réalise enfin ce que j’entends par-là, un bref éclat de rire s’échappe d’entre mes lèvres. Elle a raison, je me sens déjà mieux. Je ne sais juste pas si c’est du à la tisane ou à la tournure que prend ma conversation avec la soigneuse. Je sais que ce n’est pas de mes affaires et que sa sexualité ne regarde qu’elle, mais je ne peux m’empêcher d’en profiter pour la taquiner un peu. C’est ce que je fais toujours avec tout le monde et c’est pour cette raison que la plupart des gens ont du mal à m’endurer. Je ne leur en veux pas. J’ai moi-même du mal à supporter ma grande gueule, vu le nombre de fois où elle me met en fâcheuse position. « Je croyais que j’l’étais aussi avant qu’une nouvelle débarque au lycée. » Je n’ajoute rien, de peur de froisser la brune. Je suis peut-être une peste, mais je ne suis pas conne pour autant. Je tais donc mon ressentiment envers l’église et ma mère qui avaient tout fait pour que j’entre dans leur moule. Ils voulaient que j’oublie mon amie et que je me concentre sur les garçons autour de moi, plus précisément ceux qui venaient à la messe chaque dimanche. Ils ne voulaient pas mal faire, mais sans le réaliser, ils n’ont réussi qu’à m’éloigner un peu plus de mon entourage. « Peu importe c’que t’aime, l’important c’est que tu sois certaines et bien dans tout ça. C’est juste qu’à la façon que tu parlais, j’avais l’impression qu’il y aurait pu y avoir plus. T’aurais du voir tes yeux et ton sourire. » Je prends une énième gorgée du breuvage miracle, réalisant par le fait même que ma migraine est déjà plus endurable. Ma tête ne m’élance plus et je peux ouvrir un peu plus les yeux sans que mes pupilles ne soient brulées par le peu de lumière. « Mais t’as raison. Je la connais pas, alors je peux pas juger. » Je fronce les sourcils, terminant ma tisane en vitesse, désireuse que les effets décuplent rapidement. Une fois la boisson terminée, je me lève maladroitement pour aller remettre la tasse à la soigneuse. «Heureusement que j’ai aucune dignité… Sinon je serais bien dans la merde. » Si je m’étais pas pointée aussi mal en point à la carrière, je n’aurais pas revu Whilelmina. Je n’aurais pas eu droit à ses soins miraculeux non plus et à cette heure-ci, ma migraine aurait probablement empiré à force de marcher à la lumière du jour. Bref, sans mon alcoolisme presque pathétique et mon entêtement minable, ma journée aurait été encore plus pourrite.

Je ne sais pas ce qu’il y avait dans sa tisane, mais je me sens plus posée qu’à l’habitude, comme si quelques gorgées m’avaient fait prendre un brin de maturité. À moins qu’il ne s’agisse des derniers événements ou du manque de sommeil qui me rattrape, qui me pousse à réfléchir. Je me sens sage et visiblement, ça ébranle Whilelmina qui hésite un peu lorsqu’elle reprend la parole. Je dois avouer que ce n’est pas dans mes habitudes et qu’au moment où elle me connaissait, j’étais encore adolescente. L’épidémie venait tout juste de débuter. J’étais impulsive, idiote et un peu trop casse-cou. J’ai fini par apprendre à la dure que ces traits de ma personnalité n’aidaient en rien à me garder en vie, alors je les ai délaissés avec le temps, ne conservant que ma grande gueule et mon pessimisme à tout casser.

« J’espère bien, sinon j’risque de leur mettre une baffe. » Whil, ça passe. Mais si un pur inconnu commence à essayer de me faire la morale, il le regrettera assez rapidement. Je ne suis pas du genre à me laisser embêter par les autres et si quelque chose ne me va pas, je le fais savoir assez rapidement. Ça, ça ne changera jamais. Me renfrognant un peu, je commence à jouer avec mon pull, observant la cabane un peu plus en détail. J’imagine ce que je pourrais faire de l’endroit avec quelques pinceaux, des planches de bois et un peu de couleur. Ça pourrait être beau. La carrière entière pourrait l’être, mais je crois que les gens d’ici n’ont pas de raison pour se poser si ce n’est la proximité et la sécurité. C’est un peu triste comme endroit. Je préfère nettement la dictature des Rhodes.

Je réfléchis en silence, profitant du départ définitif de mon mal de crâne pour essayer de mettre un peu d’ordre dans mes idées, lorsque la brune reprend la parole. Je secoue un peu la tête, pour me réveiller un peu plus, puis je ris en entendant sa question qui n’en est pas une. J’hoche la tête, bien que je ne sois pas homosexuelle. En fait, j’ignore un peu ce que je suis. Je me surprends de jour en jour et je crois qu’au final, le physique m’importe peu. Tant que la personne est à mon goût et qu’elle arrive à me faire rire, ça me va. Mais mes parents avaient du mal à assimiler l’idée. Je passe de l’affirmation à la négation en vitesse, grimaçant face aux souvenirs. « Non. Ça va peut-être te surprendre, mais ma mère elle était encore plus croyante que toi, je crois. » J’ai été élevée par la religion. Petite, les histoires de la bible me plaisaient et l’ambiance familiale des sermons du dimanche me rendait heureuse. Mais en vieillissant, j’ai fini par m’en éloigner, même si au fond, je ne peux empêcher quelques doutes de s’accrocher. Je n’ai pas envie de m’étaler sur le sujet, alors j’accueil la révélation de la soigneuse avec bonheur.

« C’est normal de réagir comme ça, je crois. Moi aussi j’étais déstabilisée au début. L’important c’est que votre amitié n’soit pas gâchée à cause d’une connerie pareille. » Ce serait bête. Tisser un lien avec quelqu’un est difficile aujourd’hui. Pour moi, l’amitié est encore plus précieuse que l’amour. Faut s’y accrocher autant qu’on peut pour ne pas virer complètement fou. C’est ce que j’aurais du faire avec Erin plutôt que de filer à travers les bois. Plus les jours passent, plus je le réalise. Pourtant, je ne peux toujours pas me résoudre à partir à sa recherche pour essayer de renouer les choses du mieux que je le peux. « J’ai déjà fait la même erreur avec Erin hmm.. une vieille amie à moi et crois moi, c’est pas super comme sentiment. » Je recommence à jouer avec mon pull, un peu nerveuse. C’est fou, chaque fois que je pense à elle, je perds toute mon assurance. Alors, pour essayer de me redonner un peu de contenance, je me redresse. « Si t’as un peu d’eau ce serait sympa, mais je veux pas abuser non plus. »

Pour une fois, mon orientation sexuelle n’est pas un sujet indiscret. Ce n’est pas une chose que j’aborde avec difficulté vu mon ouverture. Certes, elle m’a fait traverser quelques passes plus compliquées à l’adolescence, mais au final, ce n’est qu’un mot de plus pour me décrire. Ça me passe dix pieds par-dessus la tête, alors les mots me viennent plus naturellement lorsque je tente de répondre du mieux que je le peux aux questions de la soigneuse. J’essaie d’en profiter pour la rassurer. Quant à moi, sa réaction a été parfaitement normale. C’est le cas d’à peu près n’importe qui se faisant embrasser par un ami pour qui il ne ressent pas ce genre de choses, sans égard pour le sexe ou l’orientation. Je laisse même s’échapper le prénom de mon ancienne amie, celle avec qui j’entretenais de si grands espoirs pour l’avenir. Un véritable accident que je ne peux malheureusement effacer. L’instant suivant, le regard de la brune s’agrandit. Elle s’exclame, l’air beaucoup trop heureuse. Erin ne lui a certainement pas parlé de moi, sinon elle n’aurait pas eu cette réaction. Prise de cours, je sens mon regard s’embuer. Mes lèvres se resserrent malgré moi et mon corps entier se crispe. Je n’en veux pas à Erin d’avoir embrassé Whil. J’ai fait bien pire avec plusieurs personnes, malgré qu’il n’y ait jamais eu aucun sentiment mêlé à ça. Seulement, les propos de la brune n’ont fait que remuer le couteau dans la plaie. Elle a, sans le savoir, ravivé les souvenirs qui m’avaient préalablement poussés à boire. De savoir qu’Erin se trouve possiblement juste à côté me tétanise. Je ne suis pas prête à la revoir, pas après la catastrophe de la dernière fois. J’ai peur de ne pas pouvoir le supporter si je croise son regard maintenant, surtout dans cet état lamentable. Complètement prise de cours, je finis par me relever d’un mouvement brusque, secouant la tête pour chasser ces pensées de mon esprit. Un comportement auquel mon interlocutrice ne doit rien comprendre et je n’ai pas envie de m’attarder plus longtemps pour lui expliquer les raisons de mes agissements. « Je suis désolée, je… je dois partir. » Je fais un pas vers l’arrière, butant contre l’une des planches qui soutient sa baraque. Je bredouille de secondes excuses, l’impression de manquer d’air, d’étouffer un peu plus à chaque secondes qui passe, m’empêchant de parler à un volume normal. Je secoue à nouveau la tête en attrapant ma veste, me demandant d’un coup ce qui m’a pris de venir à la carrière sachant qu’il y avait des risques de la croiser. J’aurais du être plus responsable, bien regarder où j’allais. Donner ce que je devais à Angel, puis retourner aussitôt au Ranch. J’aurais du. « Je suis contente de t’avoir revue. Dis lui pas que je suis passée, s'il-te-plait. » J’arrive à ajouter, le menton tremblant, juste avant de quitter les lieux à la course.