happy birthday + whilelmina

Le calme de son abri la berçait. Concentrée et minutieuse, la jeune femme suspendit son geste, crayon en main. La carte récupérée qu’elle avait complétée à partir de ses relevés établis depuis bientôt des mois prenait enfin forme et elle y avait rajouté des détails. La localisation d’Olympia, celle du Ranch et, plus anodin et pourtant tellement plus important, l’emplacement de leur cachette à Eisenhower Square. Elle n’avait pas eu le temps de mettre à jour son plan et avec les retrouvailles de Lucy et de Miles, il lui semblait essentiel de pouvoir conserver de quoi se repérer en cas de coup dur.

Toute perdue à sa tâche qu’elle était, Whilelmina profitait de son temps mort dans une journée bien trop remplie par les soins, les patients et les infectés à gérer au quotidien. Tant et si bien qu’elle ne sentit pas de suite la présence dans son dos qui venait de s’infiltrer à la porte de sa cabane, et que seule l’ombre qui s’étalait jusqu’à son plan de travail éclairé par un rayon de soleil la fit se retourner promptement dans un sursaut. Tout allait bien ; ce n’était qu’Erin. « Quoi ? Non, évidemment. » Elle repoussa le papier l’air de rien sous la tonne de boîtes et de timbales qui traînaient sur son établi de fortune, se tournant complètement vers la boxeuse avec un sourire de composition pour l’accueillir comme il se devait.

La soigneuse était pour le moins dans l’expectative. Erin et elle ne se croisaient plus aussi fréquemment que d’habitude, et si la blonde ne l’avait peut-être pas remarqué, cette coïncidence avait démarré peu ou prou suite à sa confession sur Angus et les Jackals. Whil avait pris le temps d’y repenser mûrement et surtout d’avoir une véritable explication avec Angel, au courant de bien plus de choses qu’il n’y paraissait et depuis trop longtemps resté muet. Cette même explication s’était d’ailleurs plutôt mal terminée et c’était sûrement le terme de dispute qui aurait davantage correspondu, mais la brune avait besoin de distance, que ce fut entre eux deux comme entre Erin et elle. Après tout ce qu’elle avait appris, sa stratégie première de mentir ne pouvait pas tenir comme ça indéfiniment.

Whil s’attendait donc clairement à ce que la jeune femme vienne lui parler la première pour désamorcer cette esquive en avant qu’elle avait potentiellement perçue. Or, si la plus jeune se préparait déjà à sortir un arsenal d’excuses plus ou moins crédibles, la main tendue de l’ancienne cavalière dans sa direction la surprit.

Un paquet cadeau emballé dans un tissu de récupération présenté sous ses yeux surpris, l’ancienne Chacal n’eut pas à forcer pour montrer son étonnement. Quelque part elle était aussi touchée que la boxeuse se soit rappelée d’un jour aussi futile que celui de son anniversaire – la discussion qu’elles avaient eu sur leurs dates de naissances ce jour de printemps où elles étaient parties à la chasse aux lapins lui revint en tête. « Oh … C’est gentil d’y avoir pensé ! » Avec l’allure d’une petite fille gênée et pas sûre de son audace, Erin lui arracha un petit sourire. « C’est l’intention qui compte. » Vraiment. Elle le pensait, et pas juste pour lui faire plaisir ou la rassurer. « Tu pourrais n’avoir rien mis là-dedans, ça serait très bien aussi. » Ses yeux allèrent alternativement de la surprise au visage de son amie, avant de questionner d’un air faussement inquiet pour la taquiner. « Tu as vraiment mis un cadeau là-dedans, rassure-moi. » Un petit rire espiègle plus tard, la soigneuse défaisait proprement l’emballage improvisé pour en extirper un livre à la couverture plutôt correcte pour un ouvrage qui avait du essuyer des années d’oubli et de poussière, ainsi qu’un petit bracelet de couleur dorée qui finit aussitôt autour de son poignet.

Conquise plus qu’elle n’aurait du l’être par ces présents, Whilelmina se mit à feuilleter le bouquin d’une main curieuse, ses doigts explorant chaque feuillet avec un vif engouement. « C’est vraiment gentil Erin … Merci. » Elle se leva pour la remercier mais s’arrêta alors qu’en l’observant de plus près, les cernes qui soulignaient ses yeux fatigués lui sautèrent directement au visage. « Excuse-moi de te dire ça mais tu as vraiment mauvaise mine, tu dors un peu de temps en temps ? »

Ce n’était pas vraiment le genre de remarques qu’Erin avait envie d’entendre, et encore moins auquel elle tenait à répondre. Soucieuse de ne pas devenir finalement la rabat-joie de service de leur binôme et jugeant que le ciel au-dessus de leurs têtes était déjà assez nuageux comme ça, Whil n’insista pas et se contenta d’éluder la partie fâcheuse de sa question pour en revenir aux présents. « Oui, oui, ça me plaît beaucoup. » Le petit bracelet n’avait bien aucune valeur pécuniaire et devait certainement être l’ouvrage d’une manufacture autrefois commerciale, mais c’était – avec sa croix – le seul bijou qu’elle portait sur elle et qu’elle conserverait en permanence comme un petit grigri. L’un appartenait au passé, l’autre devenant l’ancre du présent. Quant à l’ouvrage … La brune était curieuse de le relire au calme et seule, une petite voix lui murmurant que la blonde n’avait peut-être pas pris ce livre par hasard même si la rareté des bouquins encore présents et lisibles limitait forcément la possibilité de choix. « Je crois que j’en ai déjà lui des extraits en classe. Ca commence à dater un peu mais de ce que je me rappelle, ça m’avait plu. »

La soigneuse observa son amie s’échouer sur le fauteuil non sans une pointe de satisfaction. Malgré l’usure du mobilier, il en restait de très loin un des points de chute les plus confortables de son habitat spartiate et semblait d’ailleurs attirer les âmes en peine avec l’efficacité d’un aimant à métaux. Whilelmina resta ainsi immobile durant quelques secondes, le regard dans le vague avant de finalement sortir de sa torpeur et de reposer le précieux manuscrit offert sur son bureau improvisé. « Tu veux boire un truc ? » Ne pas oublier les règles de convivialité en dépit de tout le reste, voilà typiquement la spécialité première de la jeune fille en cas de situation gênante.

Pour se divertir l’esprit et les mains, elle fouilla dans le compartiment de ses décoctions et bouteilles diverses avant de finalement dégoter quelque chose qui n’était certainement pas de l’alcool mais pas non plus un infâme jus de plantes amer. Whilelmina extirpa un grand flacon plastique rempli d’une eau potable dans laquelle avaient été laissées à infuser une pluie de baies rouges et de curieuses feuilles broyées – l’ensemble donnant une mixture à la couleur du miel. « Tu me diras ce que tu en penses, j’ai essayé de préparer mon propre cocktail maison pour faire concurrence au Caveau … » Sous le regard brièvement intéressé de la blonde, l’apprentie barista jugea utile de préciser pour ne pas susciter plus de déception. « C’est sans alcool. » Dans deux petites timbales, la brune versa un peu de sa préparation et releva le menton avec un demi-sourire espiègle à l’adresse d’Erin. « Et à la question, « ça t’ennuie si je vomis ? » je te répondrai non, mais dans le seau à côté de toi, s’il te plaît. » Whil n’était pas sans savoir que la blonde était bien trop polie et désireuse de lui faire plaisir pour recracher sec la boisson qu’elle s’était sûrement donnée un peu de mal à réaliser.

A se voir ainsi partager ce petit verre anodin, la sensation de déjà-vu gagna la soigneuse et l’image d’Andrea se superposa à celle de la boxeuse confortablement affalée sur le fauteuil défoncé. La jeune texane n’avait pas évoqué cette rencontre impromptue qui pourtant avait tourné rapidement court à l’évocation de la principale concernée, et depuis la brune n’avait pas vraiment songé à en parler à son amie. « J’ai croisé une connaissance à toi il n’y a pas si longtemps. » Après tout elle ne risquait rien à essayer d’en savoir plus sur l’étrange brouille qui avait semé la discorde entre elles, d’autant plus qu’aux yeux de Whil, Andy n’était pas vraiment une étrangère. « En fait pour être plus exacte, on la connaît toutes les deux. Une fille qui s’appelle Andrea, elle est au Ranch, je ne sais pas si ça te parle … » Ca allait forcément lui parler, mais l’ex-Jackal préférait adopter un comportement dégagé et léger dans le cas où ce qu’elle ignorait ne le serait pas. « Elle et moi on a passé quelques mois au début de l’épidémie dans le même groupe de survie avec nos parents. »

Aux aguets face à son avis, Whilelmina semblait attendre l’approbation de son amie comme la bonne note impatiemment espérée par une exaspérante première de la classe. Finalement le verdict tomba et la petite brune s’en trouva ravie. Elle n’avait jamais été une formidable cuisinière, ses seules véritables notions lui venant des recettes de décoctions médicinales transmises par Jo, Faith puis Rayna et testées, ainsi que de ce qu’elle avait appris en faisant ses premières cuissons hasardeuses de bestioles chassées à travers les forêts texanes. « C’est vrai ? Ca ne manque pas trop de sucre ? Tu ne dis pas ça juste parce que c’est moi, hein ? » Connaissant Erin, elle pouvait faire confiance à sa franchise – mais également à son attachement particulier pour ne jamais vouloir heurter la soigneuse, même pour lui dire à quel point son invention culinaire était infecte. « Il faudra qu’on lui donne un nom. » Car c’était le projet le plus important de leurs vies, oui, trouver un intitulé à une espèce de vieille recette de grand-mère de thé amélioré.

Whil ne savait pas où elle allait puiser l’énergie de cette insouciance feinte. Au fond, elle n’oubliait pas vraiment qui lui faisait face, buvait dans sa tasse, assise dans son fauteuil : une ennemie qui aurait pu lui faire la peau. Littéralement. Une fille qu’elle avait privé de père définitivement et surtout, une amie qu’elle avait trahie avant même de la connaître. Continuer à entretenir cette relation relevait du malsain et du sadomasochisme. Peut-être que c’était cela qui plaisait à la brune. Ou bien n’arrivait-elle tout simplement pas à se tenir éloignée de ces deux yeux bleus, de ce doux sourire si timide et discret.

Elle avait essayé de l’éviter à  tout prix, de limiter leurs échanges à l’essentiel. L’avantage de ces derniers jours résidait dans la criticité de la situation de la Carrière ; tout le monde était bien trop occupé à guérir les infectés de Lazare, à chasser les responsables du carnage du marché et de l’empoisonnement généralisé pour faire autre chose. Et à la fin de la journée, quand toute l’agitation urgente du peuple de Diggs s’essoufflait, c’était seulement pour sombrer dans le sommeil. Et tout recommencer le lendemain. Un ballet vertigineux qui offrait à Whil l’échappée parfaite. Jusqu’à ce qu’Erin cherchât à la trouver par elle-même, bien sûr.

Et elle ? Elle trouvait juste Andrea comme diversion pour se cacher. Plantant le nom de la jeune cavalière qui n’avait rien demandé à personne comme une distraction, un drapeau bariolé à agiter sous le nez de la raider pour l’occuper. « Oui. » La ruse qui n’en était pas tout à fait une fonctionnait, Erin était intriguée. « Je sais, incroyable, hein ? » Certains étaient adeptes de la croyance selon laquelle rien n’était du au hasard. L’intrusion d’Andrea dans leurs existences était un parfait exemple. « Moi aussi, je me suis dit que le Texas était tellement petit que c’était devenu un vrai village. » Dans un si grand Etat devenu aussi vide, quelque part, c’était logique et surtout avec le nombre réduit de survivants qui y était installé.

De ce qu’elle se souvenait, la relation entre les deux jeunes filles n’avait pas été sans remous. La Crimson avait parlé de sentiments – et aussi évoqué l’échec entre les lignes. « Je sais que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais elle avait l’air chamboulée quand je lui ai parlé de toi. Je croyais qu’elle te pensait morte alors je lui ai proposé d’aller te voir, mais elle a détalé comme un lapin. » Ce qui était vrai du début à la fin, mais Whilelmina n’avait plus jamais recroisé l’autre depuis et n’avait donc jamais vraiment su l’impair commis. « J’ai fait une bêtise ? »

Bonne question à laquelle la jeune femme devait répondre et sans mentir. Ca n’allait pas arranger les affaires de l’ancienne Crimson mais tant pis, autant être honnête jusqu’au bout. « … Plus ou moins ? » La soigneuse sentait bien qu’elle avait bourdé en décryptant la moue et les interrogations de son interlocutrice, mais ce qui était fait était fait et elle ne pouvait plus rien changer à ce qu’elles s’étaient racontées. Au final, la cavalière n’avait rien à craindre de Whilelmina puisqu’elle n’était qu’une amie de la boxeuse, mais la Carrière n’avait rien eu le temps d’expliquer que son invitée d’alors avait pris la poudre d’escampette sans autre forme de procès. Dur d’engager une discussion pour aplanir les malentendus après ça. « C’est venu dans la conversation comme ça, bien avant qu’elle ne me dise que c’était toi l’amie dont elle parlait, sinon j’en aurais jamais parlé, tu sais. » Evidemment qu’elle se serait tue. Mais qui aurait pu deviner l’ironie de la situation sinon la première concernée ? « Et puis de toute façon ce n’est pas comme si c’était quelque chose d’important, il ne s’est rien passé. » Et il ne se passera rien, rajouta dans un silence aussi long qu’évocateur son subconscient entêté. Il n’aimait toujours pas qu’on le rappelle à ce soir-là.

L’ex-Jackal s’en voulait un peu de mettre son amie dans l’embarras. Et elle n’aurait peut-être pas du tenter de la rassurer, mais au contraire sauter sur l’occasion pour amorcer doucement mais sûrement un début d’éloignement entre elles. Toutes les opportunités étaient bonnes à prendre pour ne pas continuer plus longtemps à s’accrocher à elle et à leur amitié. Et pourtant. La jeune texane ne pouvait pas se retenir que de vouloir redonner un simulacre d’enthousiasme ou de gaité dans les yeux clairs de la raider – parce que c’était précisément ce qu’elle aimait voir dans ses iris. « Elle finira par passer à autre chose et par revenir te parler, j’en suis sûre. Elle avait l’air de regretter ce qu’elle t’avait fait. Quoi que ce soit. » Il n’avait pas été très compliqué de percevoir le passif entre les deux jeunes filles dans les propos de la brune. Pas plus qu’il n’avait été difficile de lire dans la réaction de fuite en avant d’Andy sa peur de l’affrontement avec Erin. Ce n’était pas le manque d’envie de la revoir qui la hantait, c’était la peur de la recroiser, d’avoir à lui parler et à la voir.

Prenant un peu de sa boisson pour en siroter, la jeune fille soupira doucement. « Andrea a peut-être juste besoin d’un peu de temps. » Comme tout le monde. Comme elles deux avaient eu besoin de temps pour faire avec et oublier ce drôle d’incident nocturne mort dans l’œuf. Il arrivait encore parfois à Whil d’y repenser avec une drôle de boule au ventre, un inexplicable sentiment de trouble et de nervosité qui habillait ce vague souvenir. Elle n’en avait parlé à personne parce qu’elle n’en avait jamais vu l’utilité et qu’elle avait choisi de ne pas considérer cela comme quelque chose d’important. Juste un détail. Pas de quoi en faire une histoire. Est-ce que ça avait été la même chose pour Erin ? Elle ne le savait pas mais n’avait pas tout à fait l’envie et le courage de le lui demander.

Quelque chose semblait travailler Erin en profondeur, et la jeune femme n’avait pas vraiment besoin de le verbaliser pour que Whilelmina le perçoive. Ses agissements face à Andrea réveillaient des interrogations, bousculaient le calme habituellement apparent de la blonde qui donnait l’impression de ne pas comprendre tout ce qu’elle racontait. Oui, après tout, qu’est-ce qui pouvait bien amener son ancienne camarade cavalière et sa nouvelle amie carrière à échanger quoi que ce soit ? Pourquoi diable avaient-elles parlé et surtout, de quoi exactement avaient-elles discuté pour que les choses tournent aussi subitement au vinaigre ?

La soigneuse réalisait qu’elle ne pouvait pas complètement tout raconter à la jeune fille sans se rendre d’autant plus suspicieuse à ses yeux. Et sans qu’elle aussi, ne se mette à remettre en question la raison exacte de ses réactions.

Alors la plus jeune des deux se tut. Patienta, accordant le temps nécessaire à son interlocutrice d’encaisser la nouvelle et d’une fois de plus découvrir que les choses se complexifiaient chaque fois u peu plus entre elles. Décidément leur relation ne pouvait jamais se borner à une simple amitié sans irrégularités. Comme le silence s’épaississait entre elles et n’arrangeait pas l’étrangeté de l’ambiance qui s’était installée, la blonde finit par s’accrocher à la seule tierce personne absente dans ce trio bancal. Apparemment Andy avait surpassé ses appréhensions et avait osé refaire surface dans la vie de la raider. Whil ne pouvait qu’espérer un peu benoîtement que c’était leur rencontre qui avait poussé Andrea à faire le premier pas vers Erin. Si elle avait pu l’aider d’une manière ou d’une autre, tant mieux pour elles deux. « C’est une bonne chose, non ? » Oui, c’en était forcément une.

Elle aurait pu franchement rire de la situation. L’autre avouant sur la pointe des pieds qu’elle avait fait partie du camp des Rhodes : en voilà une situation bien comique. A quel moment Whilelmina confesserait-elle à son tour avoir déjà intégré un groupe auparavant et pas n’importe lequel ? Oh, tu sais, les Jackals, ça te dit quelque chose ? « Je me doutais un peu, oui. » Confirmant implicitement les pensées de son amie, la brune continua sans achever sa phrase qui laissait clairement entendre qu’elle avait fait les connexions d’elle-même après leur discussion. « Après ce qu’Andrea a expliqué … » Qu’Erin ait été membre d’un autre clan avant le leur n’était pas forcément choquant ni incohérent, et Whil sentait qu’elle avait tout intérêt de témoigner du peu de gravité de cette information. « C’est pas grave, tu sais ? » A côté de tout le reste, ironiquement, cette révélation était quantité négligeable. « On a juste pas de chevaux ici, j’espère que ça te manque pas. » Elle savait bien qu’Erin ne sourirait qu’à moitié. Depuis qu’elles avaient commencé à parler de son ex-camarade Crimson, son esprit avait l’air ailleurs.

Ces derniers temps, Erin s’était dévoilée plus qu’elle ne l’avait fait depuis qu’elles se connaissaient. Et à une période Whil se serait ravie de cette ouverture. Elle aurait apprécié l’effort que faisait la raider à lui dévoiler qui elle était. Elle aurait interprété ce geste à sa juste valeur et s’en serait sentie honorée.

Mais tout ce qu’elle arrivait à penser maintenant que la jeune fille lui avouait certains faits de son passé, c’était qu’elle aurait bien plus savouré l’ignorance insouciante dans laquelle elle avait pataugé pendant des semaines. Apprendre que son amie sortie de nulle part était liée aux plus sombres aspects de son passé sans le savoir l’avait pour le moins refroidie. Elle en était venue à se disputer avec Angel et ne lui adressait plus la parole. Elle en était à avoir fait une croix sur le seul lien de confiance qui préservait jusqu’alors son identité et sa sécurité. Tous ces secrets avaient semé une discorde inimaginable entre eux et maintenant, la seule personne sur laquelle elle pouvait encore compter était aussi celle à qui elle mentait par obligation. C’était elle qui lui cachait à présent des choses. Et Whilelmina le vivait bien moins facilement qu’elle ne l’espérait.

C’était exactement pour ça qu’il fallait qu’elle trouve absolument une solution pour prendre du recul et se séparer d’elle, petit à petit ou brutalement. Qu’elles coupent les ponts une bonne fois pour toutes. Si ça ne ferait sûrement guère plaisir à Erin et qu’il y avait des chances pour qu’elle le vive plutôt mal, ce n’était qu’une infime déception comparé à la tempête qui les guettait sournoisement si la vérité venait à se savoir.

Des sujets comme Andrea ou les Crimson étaient donc dérisoires aux yeux de la soigneuse, plutôt obsédée par l’idée constante que son affiliation avec les Rosario puisse un jour ou l’autre remonter à la surface. Mais elle ne pouvait pas faire comme si rien de tout cela ne l’affectait. Et Erin lui donna le moyen de s’inquiéter réellement de ces confessions. « Ta mère est encore en vie chez les Rhodes ? » Ca semblait surréaliste que sa camarade ait encore un parent sur cette Terre, mais ce qui était encore moins compréhensible, c’était qu’elle était malgré tout restée à la Carrière au lieu de retourner sur le champ auprès de sa mère. « Mais pourquoi tu n’es jamais allée la rejoindre ? » Whil eut un sursaut de regret ; si Erin avait utilisé le passé pour parler de sa génitrice, c’était peut-être qu’elle n’était plus de ce monde ou qu’elle avait disparu de la circulation. Et une part de son subconscient s’en félicitait cyniquement : si sa mère était morte, elle risquait moins d’être percée à jour. Rien que pour avoir pensé ça, la brune avait comme envie de vomir d’écoeurement.

Il apparaissait enfin clair dans l’esprit de Whil ce qui avait motivé la blonde à échouer quasiment morte aux portes de la Carrière. Dans sa mémoire les images défilaient, elle accourant aux pieds de l’inconnue qui sans même le soupçonner allait défaire consciencieusement le rangement ordonné que tentait d’instaurer la soigneuse dans sa nouvelle vie. « Et tu es arrivée ici. » compléta t-elle à voix basse et songeuse, son regard ne laissant pas la moindre chance de deviner son avis sur la question. « Je comprends mieux. » Le mystère avait été dissolu. Maintenant, elles savaient.

Erin se sentait responsable de tout ce qui était arrivé. Ici, elle échappait à ses problèmes. Ses yeux se posèrent sur les mains nerveuses de la jeune raider qui alimentait un peu plus son corps en saletés diverses et variées. Toutes plus nocives les unes que les autres, mais Whilelmina ne dit mot – peut-être que c’était ça, au final, le but du jeu : se sanctionner jour après jour de ses erreurs.

Le karma n’était pas qu’une belle invention destinée à les maintenir dociles et obéissants, non. La brune aurait pu approuver ses paroles mais la suite la bloqua, ses dires coincés quelque part entre ses lèvres et sa gorge. Qu’est-ce que « Ryan » venait faire là ? Par quel stupide moyen Angel avait-il réussi à mêler un peu plus la raider à leurs problèmes ? Whilelmina sentit ses nerfs se tendre mais fit bonne figure, tentant de garder sa contenance calme et rassurante. Il n’était pas du tout temps de paniquer. Elle aurait bien voulu en savoir plus mais sans évoquer le fait qu’elle savait qui était Ryan, elle ne pouvait pas le faire sans courir le danger d’être encore plus louche. « Tu sais, tu devrais peut-être prendre tes distances avec Angel. » Ces mots, elle les avait sous-pesés. Il ne lui apparaissait tout à coup pas si obscur de jouer à fond le jeu de la distance. Oui, jusqu’à preuve du contraire et il n’y a pas si longtemps encore, les deux ex-Jackals étaient amis. Etaient. « Je pense pas qu’il t’apporte grand-chose de bien. » Marchant sur des œufs, Whil ne tenta pas de dissimuler l’embarras que son propre conseil lui inspirait – elle savait mieux que quiconque que ce n’était pas très judicieux de lui dire ça, mais ce malaise servait plus encore son propos et appuyait bien sur le fait qu’elle et lui n’avaient décidément plus rien en commun. « Enfin tu fais ce que tu veux, mais c’est juste que je veux pas que tu aies d’ennuis, tu comprends … » Evidemment, rien que des intentions louables, ce n’était que ça qui l’animait.

Une fois n’était pas coutume, leurs conversations finissaient inlassablement par tourner au vinaigre. « Laisse tomber, je crois que je ruine un peu ma fête d’anniversaire, là. » rassura la jeune fille d’un air un peu trop ironique. « De toute façon il faut que j’aille à l’infirmerie, ils vont sûrement avoir besoin de moi. » Elle ne voulait pas donner l’impression de tout à coup essayer de la fuir, mais elle avait besoin d’un peu de recul pour réfléchir à ce qui venait d’être dit. Au moins le temps de penser à un plan B, voire C. « Mais si tu veux on se voit après pour fêter ça ? On peut même aller au Caveau si ça te dit. » Whil était prête à tout pour essayer d’avoir l’air normale et de ne pas chercher à écarter Erin d’elle ou des suspicions qu’elle aurait pu avoir vis-à-vis des Jackals. Si ça impliquait d’aller trainer dans un bar mal famé, elle le ferait.