Trapped in a web of lies | Erin&Andrea

Le soleil commence à se coucher. L’horizon s’est teinté de rose, ce qui veut dire que je ne dois pas tarder si je ne veux pas passer la nuit dans l’une de mes planques. J’accélère donc le pas, veillant néanmoins à ne pas faire de bruit. Je passe mes pièges un à un, sans dévier de ma trajectoire. J’en suis déjà à mon huitième et tout ce que j’ai, c’est une carcasse de lièvre suspendue à ma ceinture. Assez ragoûtant, mais ça m’est égal. Je ne pense qu’aux bouches à nourrir là-bas. À tous ces gens qui dépendent autant sur les chasseurs que sur les raiders. Un rongeur, si maigre qui plus est, ne pourra nourrir qu’une infime partie de notre clan. Je dois faire mieux et vite, mais il ne reste que trois pièges. Je crois les doigts discrètement, vieux réflexe de l’ancien monde. Je sais qu’ici la chance est rarement de notre côté et je ne suis pas assez naïve pour espérer un quelconque miracle. Pourtant, lorsque j’approche enfin du neuvième piège, j’ai l’impression que ça pourrait arriver. Je note quelques feuilles de travers, quelques branches brisées. Des pistes à peine visibles, forcément invisible pour tout novice, mais bel et bien présentes. Un animal discret. Probablement un cerf. Ce serait une proie idéale. Une belle victoire pour la journée. Un léger espoir m’anime, rapidement chassé. Au sol, une emprunte de botte solitaire. Elle semble fraîche, mais vu le manque de profondeur, je me doute qu’elle est accidentelle. La personne qui l’a laissé doit avoir pris toutes ses précautions pour marcher légèrement, ne pas se faire découvrir. Ou encore, la mort l’habite depuis si longtemps que son corps tellement léger effleure à peine le sol. Un rôdeur, forcément. Je pousse un long soupire de découragement, puis j’accélère encore le pas. Cette fois, je fais moins attention aux signes que je laisse, trop déçue pour m’en préoccuper. Je veux seulement en finir au plus vite. Descendre le corps, l’abattre, réinitialiser le piège, puis passer au suivant. C’est dans cet état d’esprit, pressée et pleine de déception que j’arrive enfin sur le site. Je remarque aussitôt les feuilles éparpillées et la terre disséminée. Le filet n’est plus légèrement enterré, mais suspendu parmi les branches. « Fichu rôdeur. » Je grommelle en m’approchant de la poulie. Je sors mon couteau de chasse, prête à libérer le monstre. Je lève donc les yeux en sa direction pour mesurer sa force. Mais, plutôt que de faire face à un corps en décomposition, c’est le regard d’une blonde que je croise. Des yeux trop familiers qui hantent toujours mes rêves comme mes cauchemars. Erin. Je recule d’un pas, incertaine. Certes, j’avais entendu les rumeurs à son sujet. Certains disaient qu’elle était toujours envie, qu’elle avait été aperçue à quelques endroits. Mais personne n’avait voulu m’offrir plus de détails, probablement par peur de ma réaction. Je n’y avais donc jamais cru ou du moins, j’avais refusé de me faire de faux espoirs. Mais voilà qu’elle était là, piégée par ma faute. Ma Erin, celle qui m’avait aidée à traverser le deuil de Dany, celle avec qui j’avais partagé mes plus beaux souvenirs chez les Crimson. Elle m’avait aidée à m’ouvrir un peu, à retrouver mon ardeur d’avant l’épidémie. Elle m’avait fait renaître, en quelque sorte, pour me renfermer dans ma coquille suite à son départ. J’avais si longtemps pleuré sa perte sans savoir qu’elle était vivante. Elle, n’avait même pas tenté de me contacter, de m’expliquer la situation ou de me rassurer. Un seul signe de vie aurait suffit à alléger ma souffrance, mais elle m’en avait jugée indigne. Pourquoi? J’aimerais lui en vouloir, lui hurler après et réclamer des réponses à toutes mes questions, mais je n’en ai pas la force. À la place, je donne un coup de couteau sur la corde qui n’oppose aucune résistance. La corde était vieille, affaiblie. Erin ne doit pas être là depuis longtemps si elle est toujours là-haut. Ou elle n’a pas d’arme sur elle. Peu importe. J’assiste à sa chute, le regard vide. Je n’ose prononcer aucune parole, complètement plongée dans mes souvenirs douloureux. Ce n’est qu’au moment où elle réussit à se déprendre du filet que mes lèvres remuent. « Reste. S’il te plait. » Je murmure, presque imperceptiblement. Si elle n’a donné aucun signe de vie depuis tous ces mois, c’est qu’elle n’a probablement pas envie de me voir. Mais moi, je n’ai pas envie qu’elle m’échappe à nouveau.

Dans ma tête, tout est flou. J'ai l'impression que les mots s'emmêlent avec mes souvenirs et mes émotions. L'esprit assaillie par cette vague déferlante, j'ai du mal à réfléchir. Plus j'essaie, plus c'est compliqué. J'ai tant de questions, d'interrogations que je ne sais pas par où commencer. Je ne sais que dire, ni quoi faire. J'aurais envie de prendre mes jambes à mon cou. De partir, malgré que je lui aie demandé le contraire. Courir le plus rapidement possible pour éviter cette confrontation. J'ai aussi envie de m'élancer vers elle, pour la giffler ou l'enlacer. Ou les deux en même temps, pourquoi pas. N'importe quel geste, n'importe quelles paroles suffirait à briser la glace. Mais je reste plantée là, complètement muette. J'essaie de décrypter une émotion quelconque sur le visage de celle que j'ai aimé, mais je n'y arrive pas. Elle n'est plus la même. J'ai beau avoir une bonne mémoire, je n'arrive plus à lire son regard comme je le faisais si bien auparavant. Cette observation me fait l'effet d'un coup en plein ventre. Je ne peux toujours pas parler. Heureusement, la blonde finit par se jeter à l'eau. Trois petits mots, pleins d'hésitation. Une question toute simple, mais à la fois si complexe. Comment je vais? Franchement, je n'en ai aucune idée. J'ai l'impression d'agir méchaniquement depuis des mois déjà. Je ne vais ni bien, ni mal. J'avance, c'est tout. Et j'en ai fait du chemin après tout ce temps! Je suis une meilleure chasseuse, une meilleure survivante. Tuer les rôdeurs est de plus en plus facile, anodin. Je suis devenue une pro de la cachette et si je décide de m'isoler un peu, que je sois dans les bois ou en ville, il est pratiquement impossible de me trouver. Je sais aussi distinguer à peu près toutes les herbes toxiques des comestibles. Je me suis améliorée, mais pas vraiment. Parce qu'à l'intérieur, j'ai l'impression que tout s'est écroulé. Je me suis à nouveau enfermée dans une carapace. Je n'ose plus m'ouvrir aux gens, de peur d'être encore blessée. Je suis un peu plus cynique, un peu plus pessimiste. Moins amusante et insouciante. Comme une automate. Ou un rôdeur. Mais ça, je ne peux pas le lui dire. De toute façon, je déteste parler de moi. J'ai plutôt envie de savoir comment elle va, comment elle s'en est tirée et, surtout, où et pourquoi elle s'est cachée. Qu'est-ce qui a pu justifier qu'elle laisse tout derrière elle du jour au lendemain. Cette question, je me la suis posée à maintes reprises depuis notre victoire. J'ai toujours cru qu'obtenir enfin une réponse m'aiderait à mieux dormir, mais finalement je doute que ce soit le cas. Mon regard est toujours embué et je ne peux rien y faire. Devant elle, je suis complètement démunie. Je n'ai plus rien de la rebelle un peu grande gueule du camp. Je suis vulnérable et je n'aime pas ça. Alors, plutôt que de lui faire face, je commence à fouiner dans mon sac. Je sors la corde qu'il me reste, puis mon couteau de chasse. « J'ai mes bons jours. Et toi? Comment tu t'en sors? » Je eommence à nouer les cordes, la nouvelle à celle que je viens de trancher pour libérer Erin,veillant à ce que tout soit parfait. Être aussi concentrée sur ma tâche me permet de me changer un peu les idées, de me libérer de la tornade dans ma tête. « En passant, je préférais tes cheveux d'avant. T'as une drôle de tête comme ça. » Je plaisante, bien sûr. Pour être honnête, je n'ai plus aucun souvenir de son ancienne coiffure. Alors, même si j'ai l'impression qu'ils sont plus courts qu'avant, je n'en ai aucune certitude. Et elle est toujours aussi belle, mais plutôt crever que de lui avouer. « On a une nouvelle barbière au ranch. Une blonde un peu tarée qui se promène en talons. Je crois qu'elle pourrait t'arranger ça. » Je délaisse momentanément ma tâche pour observer sa réaction. Je veux savoir s'il y a espoir qu'elle revienne à la maison un jour.

Lentement, je commence à me remettre de mon choc. Mon corps se détend, mes mains arrêtent de trembler. Il ne reste que mes yeux qui ne cessent de s’embuer peu importe à quel point je lutte contre ce torrent que je sens monter. Je ne sais toujours pas s’il s’agit de larmes de rage ou de tristesse, ou d’un mélange des deux. Je préfère ne pas le savoir, tout bloquer avant de laisser cette tornade déferler sur Erin. Je n’ai pas envie de la faire fuir. Alors, plutôt que de laisser mes sentiments emmêlés prendre le dessus, j’essaie de me cacher derrière mon sens de l’humour plutôt douteux dans le moment. Une taquinerie déguisée plutôt que de poser une question directement. C’est plus facile ainsi et dans tous les cas, j’ai ma réponse. Sauf que celle-ci ne me convient pas du tout. J’ai l’impression qu’Erin se cache aussi. Je laisse retomber ce que j’avais en main. La poulie, faute d’avoir terminé mon nœud, s’écrase sur la terre un peu humide, pratiquement sans un bruit. C’est moi qui suis la plus bruyante, mais ça m’est égal. Lorsque je me relève, je ne prends pas la peine d’amortir mes pas. Je laisse mes bottes crisser sur les feuilles sèches. Pour une fois, je fais face à la blonde. Je la regarde droit dans les yeux. « Pas forcément. Ta mère pourrait  parler pour toi, moi je pourrais parler pour toi, Wyatt aussi et tous les autres. Tu manques à beaucoup de gens, Erin. » Mes paroles sont cassantes. Les tremblements dans ma voix se sont effacés, remplacés par une colère non-dissimulée. Lorsque j’imaginais nos retrouvailles, elles étaient toujours autrement. Erin finissait toujours par revenir au campement, auprès de moi. Dans mes cauchemars, je l’imaginais morte. Un corps sans vie, qui déambulait dans la forêt et que je devais abattre. Avec le temps, je m’étais imaginé plusieurs scénarios, mais jamais je n’avais pensé qu’elle ne reviendrait pas. « Si tu crois vraiment ce que tu dis, tu te mens à toi-même. Ou tu caches quelque chose. La Erin que je connaissais ne se serait pas laissé abattre aussi facilement. » Ce qui m’afflige le plus dans cette version de nos retrouvailles, c’es t de devoir parler au passé. Celle que je connaissais. Ce simple verbe me ramène cruellement à la réalité. Après autant de semaines, il était impossible qu’elle me revienne aussi facilement, encore plus que nous arrivions à reprendre les choses là où nous les avions laissées. Elle a changé et moi aussi. Je suis plus renfermée qu’avant, moins marrante, comme il me le rappelle si souvent. J’ai commencé à boire un peu trop, en cachette. Je chasse de plus en plus souvent et j’ai encore plus de mal à faire confiance. Si j’ai autant changé, je n’imagine pas ce qui a pu arriver à Erin, seule hors du camp pendant tout ce temps. « Qu’est-ce qui t’es arrivé après l’attaque? Pour que tu partes sans dire au revoir à personne? » Je sais que je finirai par lui pardonner. Je l’aime beaucoup trop pour ça et elle me manque terriblement. J’ai besoin d’une amie, d’une alliée. Mais pour l’instant, j’ai beaucoup trop de rancœur pour tout effacer et repartir à zéro.  Je veux des réponses. Je veux comprendre pourquoi elle s’est montrée aussi cruelle envers sa famille, ce qu’elle a trouvé de mieux que nous à l’extérieur. Mais il commence à se faire tard et je n’ai pas envie de passer la nuit ici. Surtout que je viens d’hausser le ton et que si des choses rôdaient dans le coin, elles ne devraient pas tarder à débarquer.  Je pousse un soupire. Je charge Winnie d’un mouvement, puis je pointe le canon vers Erin. Je ne sais pas si c’est absolument nécessaire, mais je veux prendre toutes les mesures possibles pour ne pas la perdre à nouveau. « J’ai une cache pas loin. Continue par-là. » Dis-je plus bas en pointant la direction à suivre. Je veux simplement lui parler dans un endroit moins hostile. Obtenir enfin mes réponses.

J’aurais du me douter que les choses auraient changées. Les contes de fée, ce ne sont que des sottises. Des bêtises que les mères racontent à leurs filles pour les rassurer. Dans la réalité, rien ne se passe jamais comme prévu. Le destin est loin d’être magique est l’amour n’est pas aussi simple que les princesses le laisse paraître. La réalité, c’est de la merde. Les gens sont trop complexes, les circonstances jamais idéales. Avec Erin, elles ne l’ont jamais vraiment été. Nous nous sommes rencontrées au bon moment, certes, mais la suite n’a été qu’une série de malchances. Avec les attaques des Jackalls, je n’avais pas l’occasion de penser à ce que j’éprouvais vraiment. Pour moi, elle n’était qu’une amie, une confidente avec qui je passais mes nuits. J’ai réalisé mon amour pour elle beaucoup trop tard, alors qu’elle était déjà partie. J’aurais du prendre la peine d’y réfléchir plus tôt, car maintenant, j’ai l’impression qu’il est trop tard. Peu importe à quel point j’ai envie de m’approcher d’elle pour la serrer dans mes bras, caresser ses cheveux, je sais que je ne peux me laisser aller. Je lui en veux encore un peu et j’ai du mal à la comprendre. Mes émotions ont pris le dessus et ça transparait dans mes actions. Je suis complètement perdue. J’ai envie de me sauver dans les bois, mais je fais tout le contraire. Je me doute qu’elle avait ses raisons. Si elle est partie ainsi, il ne fait aucun doute qu’elle avait besoin d’être seule, mais pourquoi? La situation doit être plus compliquée et je veux des réponses moins évasives. Alors, je lève mon canon vers la blonde, craintive de la perdre à nouveau.

Je la guide à travers la forêt, complètement silencieuse. J’ai besoin d’assimiler l’information. Erin n’est pas morte. Elle était dans les parages depuis tout ce temps, mais elle n’a donné aucun signe de vie. Et maintenant, les choses ont tellement changées que le peu de conversation que nous avons eu n’avait rien de naturel. Avant, j’étais toujours à l’aise en sa compagnie. Je pouvais être moi-même sans aucune crainte. Mais maintenant, j’ai peur de prononcer la moindre parole, de peur de briser le lien fragile qu’il reste entre nous. J’ai aussi peur qu’elle prenne la fuite si jamais je dis quelque chose de travers. Alors, même si elle me rassure à ce sujet, je n’ose pas décharger mon arme. Je me permets de la pointer vers le sol, mais je la laisse chargée même si je sais très bien que je n’oserais jamais tirer vers elle.

Nous marchons ainsi quelques minutes avant d’arriver à ma cache. Le calme me permet de faire le point. Le choc finit tranquillement par passer. Mes mains ne tremblent plus du tout et mon esprit se démêle. J’arrive à saisir l’ampleur de ce qui m’arrive. J’ai retrouvé Erin et c’est déjà une bonne chose. Je lui en veux, mais je suis surtout heureuse d’apprendre qu’elle a survécu. « Je suis désolée de t’avoir menacée avec Winnie et que tu sois tombée sur un de mes pièges. » Je pousse un soupire en pointant la cache dissimulée parmi les feuilles. Si elle n’a pas été découverte, il devrait y avoir encore quelques couvertures et un peu d’eau là-haut. Je lui fais signe de monter, esquissant un demi-sourire. Maintenant que la surprise est passée, la joie commence à prendre le dessus sur mes autres sentiments. Erin est en vie. Elle n’est pas morte dans d’atroces souffrances comme je l’ai si souvent vu dans mes cauchemars. Elle va bien, au moins physiquement. Je refuse encore de me faire la moindre espoir par rapport à notre relation, mais je ne peux m’empêcher de croire qu’après cette rencontre catastrophique, les choses ne peuvent aller qu’en s’améliorant. J’espère ne pas me tromper.

« Tu peux rester si tu veux. Je vais passer la nuit ici, j’ai tout sauf envie de marcher jusqu’au campement en ce moment. » Je lui montre un peu l’endroit. Je soulève une des planches au sol pour découvrir que ma planque n’a pas été dévalisée. Heureusement, parce que je meurs de faim et je ne me vois pas cuire le lapin en pleine nuit. Le feu pourrait attirer des visiteurs indésirables. Je sors donc un sac de croustilles à moitié entamé et deux bouteilles d’eau, l’une pratiquement vide. Quant à la carcasse, je la décroche de ma ceinture pour la suspendre à une branche à proximité. J’espère que la viande sera toujours bonne demain.

Si j’avais su que je finirais par revoir la blonde, j’aurais dressé une liste de questions. J’aurais noté toutes interrogations et mes inquiétudes depuis son départ. Ça aurait été long, mais en même temps, ça m’aurait réellement simplifié les choses en ce moment. Je n’aurais pas eu à me croiser la tête pour savoir quoi demander et par où commencer. Devrais-je lui parler de sa mère? Ou plutôt ignorer le sujet pour éviter de la blesser? Est-ce que je lui demande ce qu’elle devient? C’est un peu vague comme question, mais je veux le savoir. En fait, je veux absolument tout savoir et c’est ce qui rend la conversation si compliquée, peut-être même encore plus que tous les sentiments qui s’emmêlent à mes pensées. J’ai besoin d’y voir plus clair et pour ça, il me faut des réponses. Au final, n’importe quelle question me rapprochera du but. Je décide donc de me lancer avec quelque chose de banal. « Alors… Où est-ce que t’habites maintenant? » Pour la seconde fois depuis que je l’ai sortie du piège, j’ose plonger mon regard dans le sien. J’essaie d’y lire quelque chose, n’importe quoi, mais je n’y arrive pas. J’aime Erin ou plutôt, je l’ai aimée, mais maintenant je réalise que les choses ne sont plus comme avant. J’ai l’impression de faire face à une étrangère. En ce moment, j’ai l’impression que l’étincelle dans son regard, celle qui m’a permise de lui faire confiance au premier regard, a complètement disparue. Une connexion s’est brisée et ça me décontenance autant que ça m’attriste. J’espère sincèrement pouvoir retisser à nouveau des liens avec elle, mais j’ai l’impression qu’elle n’en a pas forcément envie. Si ce n’est pas le cas, elle n’en laisse rien paraître. « Est-ce qu'Aileen est au courant? » Je ne lui ai pas laissé le temps de répondre à la première question que la deuxième s’échappe toute seule. J’aurais du la poser en première. Je sais qu’Aileen est terriblement inquiète. Qu’Erin m’ait laissée sans prévenir, j’arrive à le comprendre en quelque sorte. Au final, notre amitié n’a pas passé le cap des cinq ans et nous ne nous étions faites aucunes promesses. Je l’aimais simplement plus qu’elle m’aimait. Mais sa mère… Si j’avais été à sa place et que ma mère était encore envie, je n’aurais jamais pu lui infliger un tel supplice. J’ai réellement du mal à comprendre ce qu’y lui est passé par la tête et plus j’y pense, plus la colère prend le dessus sur la tristesse. J’aurais envie de lui coller une baffe, mais je n’ai pas envie de la faire fuir. Alors, pour calmer ma rage, je m’empare d’une lanière de viande séchée que je commence à mâcher furieusement. Le goût est horrible, mais c’est plus nutritif que des croustilles. J’en prends donc une seconde en attendant ses réponses. Tant pis si je lui pique toutes ses réserves, elle avait qu’à pas me faire ça.

Autant j’ai envie d’en vouloir à Erin, autant j’ai envie de la serrer dans mes bras et de ne plus jamais la laisser partir. Mes sentiments à son égard sont contradictoires, alors qu’ils étaient parfaitement clairs il y a quelques heures à peine. J’étais amoureuse d’elle et je le suis peut-être encore. J’avais tirée cette conclusion il y a des mois, alors que je venais de passer plusieurs soirées à guetter son retour au camp des Crimsons. Sauf qu’elle n’est jamais revenue. J’ai assumé le pire pendant des années, refusant de conserver le moindre espoir. Parce qu’on dit que l’espoir fait vivre, mais moi, il me tue à petit feu. Les rôdeurs ne font qu’une bouchée des gens naïfs et je me suis toujours promis que je ne quitterai pas le monde de cette manière. Mais je m’étais aussi promise de protéger Dany et de ne jamais laisser Erin partir. Ma parole n’a plus aucune valeur, comme celle de la blonde n’en a plus aucune à mes oreilles. J’ai du mal à comprendre comment celle que j’ai connu a pu en arriver là. « À la carrière? Là où la plupart des Jackals encore vivant sont? » J’arque un sourcil, complètement abasourdite par cette révélation. J’ai du mal à croire qu’elle ait été à portée pendant tout ce temps, mais ce qui reste le plus dur à avaler, c’est qu’elle cohabite maintenant avec ces monstres. Une ordure repentie reste un déchet dans la société et, déjà que celle que l’on tente de rebâtir est fragile, je ne comprends pas qu’on puisse leur offrir une deuxième chance, encore moins qu’Erin arrive à les supporter comme voisins. « Les Jackals, ta mère… » Je me recule de quelques centimètres, secouant la tête. Je n’y comprends rien et peut-être qu’il n’y a rien à comprendre, en fait. Les gens changent. D’une manière ou d’une autre, ils finissent tous par disparaître. J’ai avoir mon amie sous les yeux, je n’ai pas plus l’impression de l’avoir retrouvée que hier. Parce qu’en réalité, celle que je connaissais et que j’ai tant aimé a disparue depuis longtemps. « Comment t’arrives à vivre avec toi-même? Qu’est-ce qui peut justifier un tel comportement à part l’égoïsme? » Complètement dégoûtée, je me lève d’un bond. La haine que j’arrivais à contenir menace de sortir violemment. « Comment t’as pu me faire ça? Faut être lâche pour abandonner sa famille sans donner de nouvelles. Est-ce que t’as idée du nombre de jours où j’ai attendu que tu reviennes? De toutes les fois où je me suis endormie en pleurant? Est-ce que t’as la moindre idée d’à quel point je me suis inquiétée pour toi? » Le menton tremblant, les yeux embués, je lui hurle enfin toute ma haine. Je lui en veux pour ce qu’elle m’a infligé sans raison. « Mais si c’est ça qui t’intéresse, je dirai rien à ta mère, t’inquiètes. » Mon regard se noircit et mes poings se serrent. En face de moi se trouve une étrangère et je dois me retenir de ne pas lui coller mon poing au visage.

Je n'ai plus envie de lui parler. Je n'ai rien à lui dire et elle ne semble pas prête à s'ouvrir. À vrai dire, j'ai du mal à comprendre ce qui m'a pris de l'avoir forcé à me parler ainsi. Les choses ont eu le temps de changer avec tout le temps qui s'est écoulé depuis son départ. Celle qui se trouve devant moi, je ne la reconnais pas. La Erin d'avant détestait les Jackals. Elle a combattu à mes côtés au centre commercial de Stonebriar. Avant de disparaître, elle ne se serait jamais affiliée à eux de près ou de loin. J'ai du mal à comprendre comment elle en est arrivée là, car clairement, elle vaut mieux qu'eux. Peu importe ce qu'elle dit, peu importe ce qu'elle croit, je sais qu'elle n'est pas mauvaise. Elle a son caractère, parfois, et elle fait des erreurs, comme tout le monde, mais jusqu'à maintenant, sa plus grande a été de nous abandonner. Ça ne justifie pas de rester isoler parmi ces monstres. Je ne comprends pas ou je ne veux pas comprendre, peu importe. Mon esprit se referme complètement, ayant de la difficulté à assimiler les dernières information. Le choc des retrouvailles est passé, mais maintenant, je suis confronté à d'autres vérités. Erin était tout près de moi. J'ai passé beaucoup de temps à la chercher et elle, elle aurait pu revenir n'importe quand. Mais elle ne l'a pas fait, parce qu'elle préfère restera avec les criminels de la carrière. Elle a perdu toute estime d'elle-même, mais je ne vois pas ce qui aurait pu causer un tel effondrement entre l'attaque du mall et maintenant. Qu'est-ce qu'elle a bien pu vivre ou endurer pour se refermer ainsi? Je veux savoir, je veux la comprendre comme je le faisais si bien avant. Je ne peux pas laisser son air complètement démoli avoir raison de moi. « Arrêtes. » Je voulais m'adresser à elle de manière sec et directe, mais j'ai du mal à hausser le ton et à calmer les tremblements de ma voix. J'ai toujours l'air d'une gamine effrayée. « Tout ça, c'est des excuses. Mourir, c'est la solution facile. Quand tu meurs, y'a plus rien. T'as plus à vivre avec les remords. Partir, c'est tout comme. T'as choisi la solution facile en disparaissant. Pas parce que tu ne vaux pas mieux qu'eux, mais parce que t'étais trop lâche pour réparer tes erreurs, peu importe ce qu'elles étaient. » Je recule d'un pas, réalisant que je suis pratiquement entrain de crier. Si je continue comme ça, des indésirables finiront par se pointer. « Je... » Je recule encore un peu, secouant négativement la tête. Je ne sais même plus quoi lui dire. Il faut que j'aie décompresser un peu, sinon je risque de regretter ce qui s'échappera de mes lèvres. « J'ai plus envie de te voir. » Je reprends un ton normal, presque déçu, puis je commence à redescendre l'échelle. Je n'ai pas eu le temps de récupérer toutes mes choses, mais tant pis. Je reviendrai plus tard ou elle prendra ce qu'elle veut. Peu importe.