another time + andrea

Je suis encore enfermée dans mon petit chez moi, ignorant complètement le monde qui m’entoure depuis déjà quelques jours. Je suis encore plus renfermée depuis ma rencontre avec Erin, en fait. Je passe mes journées dans la forêt, puis mes soirs et mes nuits ici. Je suis rendue une véritable hermite et je dois avouer que ça me plait. Je n’ai plus à me prendre la tête avec rien du tout et je peux réfléchir. C’est déjà mieux –et surtout beaucoup moins destructeurs- que les premiers jours que j’ai passé à boire pour tout oublier. De toute façon, je commençais à en avoir marre de me réveiller avec une gueule de bois. Le dessin est beaucoup plus inoffensif et il permet de me vider l’esprit. Complètement concentrée sur ma tâche depuis déjà quelques heures, je finis par en oublier Erin et tous mes tracas. J’imagine une scène merveilleuse. Je nous revois, moi et ma mère, qui décorons le sapin pendant que mon beau-père s’affaire dans la cuisine. J’essaie de me remémorer chaque détail de mon noël 2010, le dernier avant que tout s’envole, pour l’imprimer sur la feuille. Je viens à peine de terminer tous les détails du sapin en arrière-plan que je sens des mains se promener sur mes cuisses. Surprise, je me braque un peu jusqu’à ce que je reconnaisse la voix de Mikh. Je ne réponds pas à sa question et de toute façon, je me doute qu’il ait réellement envie de le savoir. Je me contente de repousser mon carnet et mes crayons, puis je me retourne vers lui. Je réponds à ses avances, sans plus. Je le laisse m’entraîner vers le lit sans plus d’entrain. Je ne m’y donne pas autant qu’à l’habitude et le brun finit par le ressentir. J’ai envie de lui, certes, mais l’énergie n’y est plus. Lorsqu’il s’interrompt brusquement pour s’enquérir de ce changement d’attitude à son égard, mon visage se renfrogne davantage. « Dis, tu sais comment parler aux femmes toi! » Je soupire, faussement agacée, puis, passant une main dans mes cheveux pour les replacer grossièrement, je me redresse pour m’assoir à ses côtés. « Ça parait tant que ça? » Je demande, un peu plus sérieusement. Si je passe autant de temps cachée, c’est pour éviter d’en parler. Ce serait bête que mon visage me trahisse aussi facilement.

Normalement les visites surprises de Mikh me plaisaient. Elles me permettaient d’assouvir mes envies sans trop me casser la tête et souvent, il était parti dans l’heure qui suivait. Pas besoin de parler plus que ça. Je ne me mettais à nue que physiquement, ce qui était beaucoup plus facile. Aucun de nous deux n’a envie de plus et c’est tout ce qui compte. Ça nous convient. Mais ce soir, il semble remarquer qu’un truc cloche. J’ai moins d’entrain qu’à l’habitude. Je ne réponds pas autant à ses caresses et, plutôt que de foutre le camp comme je m’y serais attendue, il s’enquiert de mon état. Une question à laquelle je n’ai pas forcément envie de répondre. Je tente donc une distraction assez faible. Je réplique par une vanne, pas forcément amusante, mais il revient à la charge. « Connard. » Je me tourne machinalement vers le petit miroir au fond de l’habitacle. La vitre sale ne me permet pas de bien discerner mon visage, mais je n’ai pas l’impression qu’il soit si ridé, même lorsque je fais la moue. Je redresse un peu mes genoux, puis je lève mon regard pour fixer les étoiles collées au-dessus de ma tête. Elles étaient déjà là lorsque je l’ai déniché et je n’ai jamais osé les décoller. Parfois, lorsque j’ai de la difficulté à m’endormir, elles m’aident à imaginer des milliers d’histoires où tout va bien. Parmi ces récits, les retrouvailles avec elle étaient mon préféré. Mais, maintenant que j’ai pu le vivre, je réalise que les choses ont changé. Le temps a eu son effet. Nous avons changé toutes les deux et la nouvelle Erin n’avait jamais cru bon de me donner des nouvelles. Elle était à quelques pas, juste sous mon nez, mais elle n’a pas donné signe de vie pendant des mois. Elle ne tenait probablement pas à moi autant que je tenais à elle. « Ça t’es déjà arrivé de retrouver une personne que tu croyais morte? » Je me retourne vers le brun, consciente que je ne dois pas tourner autour du pot trop longtemps. Sinon, il risque de s’impatienter et de mettre les voiles. « Je viens de vivre ça et ça s’est pas passé comme je l’imaginais. C’était… froid. Je pensais que j’serais hyper heureuse, que j’allais courir la serrer dans ses bras, mais non. J’avais envie de lui mettre mon poing au visage en fait. » Maintenant que tout est derrière moi, cette envie m’est passée. Je n’ai plus envie de lui faire mal, mais je ressens tout de même un peu de rancœur, peut-être même plus que de bonheur. J’ai du mal à comprendre comme un événement que j’attendais depuis si longtemps a pu être aussi catastrophique. Il y a des soirs où je me demande même si les choses redeviendront passablement comme avant. Si j’arriverai à passer par-dessus tout ce que je ressens pour que notre amitié prenne un nouveau départ.

Sincèrement, j’ai l’impression que c’est la première fois que j’arrive à converser normalement avec Mikh, sans lui crier dessus ou sans que nous soyons entrain de nous envoyer en l’air. Ça me fait un drôle d’impression, mais ce n’est pas si mal. Il est un peu moins con que ce à quoi je m’attendais. Déjà, il n’est pas parti en courant lorsqu’il a compris que je n’étais pas dans mon assiette. Et comme si ce n’était pas déjà miraculeux, il ne se montre pas complètement sarcastique. J’ai même l’impression qu’il m’écoute attentivement. Ou du moins, il répond avec une certaine franchise, peut-être plus que je ne l’avais jamais vu depuis que je le connais. Faut dire qu’avec nos activités habituelles, nous n’avons pas vraiment le temps de parler de ce que nous ressentons vraiment. À vrai dire, je n’ai le temps, ou plutôt l’envie, de le faire avec personne. Mais ce soir est un cas d’urgence. Il faut que je me sorte ce désastre de la tête et pour y parvenir, la seule solution est peut-être de m’ouvrir un peu. Je n’aurais pas cru le faire avec le garde, mais pourquoi pas. C’est déjà mieux que de parler aux chevaux. Lui peut répondre avec de vrais mots. « Une vieille… copine. » J’hésite un moment quant à la manière de désigner Erin. La blonde a été une véritable amie. Elle était ma confidente, la personne que je préférais sur cette terre après avoir perdu tous ceux auxquels je m’étais attachée. Avec elle, je m’étais permis d’être moi-même. J’avais l’impression qu’elle me comprenait, qu’elle me rendait la pareille. Elle a fini par occuper une place importante dans ma vie, au point où je suis tombée amoureuse. Puis elle a disparu. Comme ça, du jour au lendemain. « T’as raison. Je m’attendais à ce que les choses aient changé. Je veux dire… Physiquement, c’était elle. Aucun doute là-dessus. Mais ce qu’elle m’a dit… J’avais l’impression d’écouter une inconnue et ça m’a touché plus que c’que j’aurais imaginé. Je pense qu’au final, je tenais à elle plus qu’elle tenait à moi? Je sais pas trop. J’ai du mal à comprendre. » Maintenant que le brun est étendu à mes côtés, je me tourne sur le ventre, puis je prends appui sur les avant-bras pour pouvoir observer ses réactions. Je sais qu’il est comme moi. Il n’aime pas trop s’étendre sur les choses plus personnelles, alors je ne sais pas s’il s’ouvrira ou s’il prendra ses jambes à son cou. Mais, pour qu’il penche plutôt vers la première option, j’essaie de ne pas agir en peste comme à mon habitude. « Tu crois que ça va s’arranger un peu pour toi? Avec celle que tu as revue? » Même si les choses ne sont pas comme avant, je me demande s’il a encore l’espoir de reconnecter avec elle autrement. Et surtout, j’aimerais bien connaître Mikh en dehors du lit et des prises de tête. Parce que ce soir, je réalise qu’au final, je ne sais rien du tout sur lui. Je me suis contentée de l’utiliser pour son cul, pour qu’il m’aide à oublier.

Je n’ai aucune idée pourquoi je lui en veux vraiment. Peut-être un mélange des deux ou peut-être même aucun des deux. En réalité, je ne lui en ai jamais voulu de m’avoir abandonnée. Je croyais qu’elle était morte ou complètement perdue dans le meilleur des cas. Je ne lui en veux pas d’avoir changé non plus. C’est naturel. Le nouveau monde forge les gens. Il nous pousse à évoluer, à changer sans cesse. C’est normal qu’il soit arrivé la même chose à Erin. Elle a du traverser plusieurs épreuves après l’attaque du mall. Alors pourquoi est-ce que j’avais autant de mal à la regarder dans les yeux pendant nos retrouvailles? Pourquoi j’avais envie de lui coller mon poing au visage si ce n’était pour aucune de ces raisons? C’est peut-être simplement parce qu’elle m’a menti. Elle n’a pas donné signe de vie, alors qu’elle était près. C’est bête comme raison. Les gens cachent toujours des choses. C’est choquant, mais c’est la vie et ça ne justifie pas une telle haine. C’est peut-être une question d’orgueil. J’ai du mal à comprendre pourquoi elle m’a fait ça à moi, alors que je l’ai laissée occuper une place si importante dans ma vie. Peu importe. Ça pourrait être autre chose aussi, mais ce n’est pas l’essentiel. Je lui en veux, c’est tout. J’hoche la tête négativement. Ma moue renfrognée finit par s’estomper lorsque Mikh reprend la parole. Il déconne? Je ne sais pas si je dois éclater de rire ou lui frapper l’épaule. Je savais qu’il n’était pas un enfant de cœur, mais de là à cambrioler les gens même avant que le monde prenne fin? Je comprends la survivante de ne pas l’avoir accueilli à bras ouverts. Je comprends que la situation avec elle est compliquée, mais finalement, il y a plus. Le garde s’ouvre encore un peu pour ma plus grande stupéfaction. S’il a osé reparler à la victime de son crime, je n’imagine pas ce qu’il a pu se passer avec l’autre personne pour qu’il ne l’ait pas abordé. Mais avec le peu qu’il me révèle, j’ai l’impression que la situation est semblable à celle que je traverse avec Erin. « C’est pas effrayant, ça fait chier. » Je ne mâche pas mes mots. C’est exactement ce que je ressens. Avant, je confiais absolument tout à la blonde. Mais maintenant, j’ai l’impression que rien ne sera plus jamais comme avant. Lorsque je l’ai revu, il y a eu un moment où j’avais envie de lui raconter tout ce que j’ai vécu pendant son absence. Seulement, je n’ai pu me résoudre à lui révéler toutes ces choses. J’avais l’impression qu’un lien s’était brisé et j’ignore quoi faire pour le réparer, ni même s’il c’est possible. « J’aimerais tout lui raconter, qu’ça redevienne comme avant, mais je sais même pas si c’est une possibilité. Déjà qu’avant, c’était compliqué de s’entendre avec un ex, j’imagine pas maintenant. » Et en même temps, est-ce que j’ai réellement envie de tout réparer? De reprendre les choses là où nous les avions laissées? Avant, chaque caresse à l’intention d’Erin me venait naturellement. Aujourd’hui, une étreinte me paraîtrait forcée. La vérité, c’est qu’elle n’est pas la seule à avoir changé. Après son départ, j’ai replongé dans mes mauvaises habitudes. Je me suis isolée à nouveau et je crois pas être prête à baisser mes gardes une seconde fois. « Le seul truc, c'est que j'ai aucune idée de ce que je veux vraiment. J'suis pas certaine que ça fonctionnerait toujours entre nous, mais ça ne veut pas dire que je ne veux pas la revoir non plus. » Je pousse un soupire, puis je roule à nouveau sur le matelas peu confortable, ne m’arrêtant qu’une fois mon épaule callée contre celle du brun. « T’as vraiment braqué le coffre? Comme dans les films? » Je lui adresse un sourire un peu plus détendue. Mine de rien, je suis parvenue à démêler quelques trucs grâce à lui. Je me demande si je peux l’aider aussi.

On aurait pu m’annoncer qu’il annonçait une pluie de canards demain que je n’aurais pas été plus surprise que par les événements présents. D’aussi loin que je m’en souvienne, j’avais toujours détesté Mikh. La seule raison qui me poussait à le tolérer un minimum était son corps. Mais ce soir, je m’entends plutôt bien, voir étrangement bien avec lui. Il n’a rien tenté de déplacé, il ne s’est pas sauvé non plus et il semble réellement attentif. Je n’aurais jamais cru de telles choses possibles de sa part, alors peut-être qu’au fond, je ne le connaissais pas vraiment. Je crois qu’il n’aimerait pas que je le dise tout haut, mais il n’est pas le connard égocentrique que je croyais qu’il était. Malgré la tournure que prend la discussion, je n’ai pas envie de l’encastrer dans un mur. Pourtant, c’est ce que j’infligerais probablement à n’importe qui m’ayant vue aussi vulnérable. « C’est dommage. Mais bon, c’est mieux que rien, j’suppose. » En vrai, j’en sais trop rien. Sachant ce que j’ai déjà ressenti pour la blonde, est-ce qu’il me sera possible de tout oublier pour repartir à zéro? Est-ce que j’aurai la force de faire taire mes souvenirs en sa présence? Je n’en ai aucune idée. Mais le seul moyen de savoir est d’essayer. De faire les premiers pas et de voir ce que ça donnera. Au jour le jour, comme maman disait.

Bref, n’ayant plus trop la tête à ça, je décide de revenir sur le crime du garde. Je ne m’attendais tellement pas à ça et il m’a donné si peu de détails que maintenant, je dois en savoir plus. Je le questionne directement, l’air espiègle. Il a beau avoir des allures de mauvais garçon, je ne l’aurais jamais cru capable de commettre un tel acte. Mais la fin justifie les moyens. « Ah les riches. Ils ont tellement d’argent qu’ils savent plus quoi faire avec, mais ils la gardent pour eux. » Peut-être que si les gens avaient été plus généreux avant, plus respectueux de la terre et de leurs semblables, les choses se seraient déroulées autrement. J’espère seulement que le brun ait utilisé l’argent de manière honnête et pas pour se payer un iPhone ou une Ferrari. J’allais lui poser la question lorsqu’il se retourne, essayant d’utiliser l’humour pour détourner le sujet. J’esquisse un sourire, amusée. « Le plus sexy des Crimsons. Mais dis le à personne, j’veux pas perdre ma crédibilité. » Je plonge mon regard dans le sien avant de m’attarder sur les traits de son visage. Il est beau. Exactement mon genre et si j’étais tombée sur lui avant l’épidémie, je l’aurais probablement abordé pour le mettre dans mon lit. Comme quoi au final, les choses ne changent pas tant que ça. Mais ce soir, je n’en ai pas envie. « Mikh, je suis fatiguée. » J’observe ses lèvres qui semblent m’offrir une invitation plus que tentante. Mais bon. J’ai simplement envie de m’étendre sous les couvertures pour tout oublier. Je dépose ma tête sur l’oreiller sans le quitter du regard. Il peut partir s’il en a envie, peu importe. Tant qu’on me laisse dormir.

Il a raison. Avec l’épidémie, tout le monde a perdu tout ce qu’il avait et ça s’est tellement fait rapidement, que je doute que les plus riches aient pu se servir de leurs privilèges pour s’abriter. Alors j’hoche la tête, trop vidée pour ajouter quoi que ce soit. Ça doit faire une bonne semaine que j’ai du mal à trouver sommeil, l’esprit rongé par le passé. À chaque soir je ressassais nos retrouvailles, trouvant à chaque fois une nouvelle raison de m’en vouloir ou d’en vouloir à Erin. J’étais tellement en colère que je refusais de voir plus loin que le bout de mon nez. Mikh m’a aidé à démêler un peu ce que je ressentais. Tout ce qu’il me reste à faire, c’est retourner voir la blonde pour éclaircir davantage les choses. Je préfère lancer une vanne. Je fais comme le garde pour pouvoir enfin profiter d’un moment de repos. « Hm… Tu lui arrives même pas à la cheville. C’est la plus belle, j’crois. » J’essaie de rester sur le même ton, mais mon ventre se noue lorsque je prononce ces derniers mots. C’était la plus belle. Maintenant, je dois essayer d’oublier et de passer à autre chose. Pour ne plus y penser, je me cale dans mon lit peu confortable, refusant les avances de Mikh. Une autre fois, peut-être. Je lui exprime mon désir de me reposer et il n’insiste pas. Il me salut et se relève. Je l’entends marcher un peu dans l’espace restreint, puis tout devient silencieux. J’ouvre les yeux, curieuse de ne pas avoir entendu la porte claquer. Évidemment, il l’a laissé ouverte. Je grommelle, puis je me dirige d’un pas furieux vers l’entrée. Je gueule une injure, la tête à moitié sortie vers l’extérieur avant de refermer brutalement. La porte claque violemment contre le battant en plastique. Les gens alentours doivent penser que nous nous sommes à nouveau disputés. Peu importe. Je retourne vers mon lit, boudeuse, mais heureuse face à cette nuit de sommeil qui s’annonce plus tranquille que les dernières.