stayin' alive | wilou & franfran

Du temps à revendre, Idyl en avait ; mais passait le plus clair de celui-ci à dormir. C’est peut-être pour ça qu’il se faisait aussi long, elle n’avait rien à faire. Passer un peu de temps avec Fran, ça allait peut-être lui faire du bien qui sait. Elle la regarda, alors qu’elle répondait à sa remarque. Rester cloîtré, c’était le mot. Elle venait de passer plus ou moins deux ans enfermée dans ce ranch qu’elle commençait à détester à cause de ça. M’enfin, la situation allait changer, elle en était convaincue ; parce qu’elle allait se donner les moyens de le faire. Elle ne put se manquer d’esquisser un sourire. Peut-être qu’elle appréciait Fran, dans le fond, parce qu’elles se ressemblaient ? Elle aurait probablement utilisé les mêmes mots. Elle acquiesça, c’était tellement vrai tout ce qu’elle disait. Elle avait tellement envie de se barrer, bordel. Elle la quitta des yeux un instant, le temps de balayer à nouveau les alentours, prenant son rôle d’escorte au sérieux.

Elle tendit quand même l’oreille à ce que l’autre avait à dire, esquissant un sourire que son interlocutrice ne put voir. Elle attendit un instant, le temps de finir son tour, avant de lui répondre en tournant la tête vers elle : “C’qui me manque le plus, c’est d’être aux commandes de plusieurs tonnes de métal hurlant et de voler” elle eut un petit rire cynique, avant de rajouter : “Faire péter des trucs, aussi” elle n’était pas fière d’avoir tué des centaines d’innocents ; mais elle avait tué des milliers et des milliers de rôdeurs. Et c’était franchement marrant. Derrière son interface, elle aurait pu avoir conscience que ces trucs qui grouillaient au sol avaient été des gens, mais elle ne s’était jamais posé la question. Elle se contentait de nettoyer les secteurs qui lui étaient attribués ; et y’en avait eut un paquet avant que les munitions commencent à manquer pour se permettre de faire ce genre de missions. ça avait été une drôle de guerre, quand même. Entre les hordes de rôdeurs en ville, les purges de zones de quarantaines, et les survivants déséspérés. Quelle douce ironie, quand même ; ces pauvres citoyiens américains, attaquant leur propre armée, pour finalement être plongé dans une guerre asymétrique où ils se faisaient exploser en morceaux par l’argent de leurs taxes.

Idyl rajouta derrière : “Après, le reste, c’était pas super super. J’étais sur un porte-avion, au début de l’apocalypse. J’avais l’impression d’être un poulet rôti au milieu d’une meute de loup, m’enfin, au moins j’avais le choix” et il y avait beaucoup moins de lourdingues comme au ranch. Entre les coincés du cul, les rednecks consanguins, et les vieux cons sexistes, c’était le festival. Après un instant de réflexion, elle réalisa qu’elle n’était plus très sûre de ce que faisait Fran avant, alors elle lui posa la question : “Et toi ? T’étais quoi, déjà ?”

Les chevaux, le vent tiède et la tranquillité retrouvée depuis à peine quelques secondes : il ne manquait, pour parfaire le paysage, qu’une bonne bière bien fraîche et un vieux morceau de Johnny Cash pour se sentir véritablement à l’aise dans leurs vieilles bottes usées de Crimson Riders. La blonde écoutait sa compagne de route dans un silence aussi relatif qu’appréciable – Swanson qui économisait ses mots, ce n’était pas bien souvent que ça arrivait. « Ha ! Je vois le genre. » Elle esquissa un petit rictus amusé, imaginant sans mal Idyl en passionnée d’explosifs en tout genre. Cette nana-là était sûrement plus couillue et courageuse qu’une bonne poignée de leurs congénères masculins du Ranch, et elle avait du en voir des vertes et des pas mûres dans le passé. Tout ça ne restait que des suppositions cependant ; au sujet de sa consoeur, la jeune femme n’avait à vrai dire pas beaucoup de réelles certitudes.

Non pas que la brune jouait les mystérieuses, mais elle avait un tempérament qui poussait peu à l’expansion et à la confession. Alors pour une fois que la principale intéressée semblait motivée à vouloir parler d’elle-même, Fran accueillait l’initiative sans rechigner. Mais comme trop souvent, lorsqu’on finissait par s’intéresser clairement à une personne, les questions se retournaient inlassablement contre soi.

Un point commun qu’elles avaient de plus ; toutes deux cernées par les loups dans leur passé – d’espèces différentes pour chacune, mais au final avec les mêmes instincts primaires et basiques. Au milieu des flingues, de la misère crasse et des petits trafics de contrebande et de saloperies en tout genre, les gentlemen étaient pour ainsi dire à l’état de mythe. « Oh, pour ça, je suis pas trop dépaysée. » dédramatisa t-elle d’un ton dégagé tout en chassant un ennui invisible de la main droite. Ses yeux clairs se perdirent quelques instants avant de reprendre, d’un air faussement pincé. « Tu m’écoutes pas, ça se confirme. Je suis sûre de t’en avoir déjà parlé ! » La tentative de louvoyer tomba bien vite à l’eau, Fran percevant son espoir de pouvoir éluder la question se réduire au néant. « J’étais déjà dans le commerce. Du côté de Houston. » Une bien belle façon métaphorique de vouloir dire qu’elle ne vendait pas plus de bonbons que de hot-dogs dans sa vie d’avant. A vrai dire elle avait été multitâche, avait même tenté à plusieurs reprises de se convertir dans les métiers de la légalité pratiqués par tant d’honnêtes citoyens. Mais bien vite la blonde avait compris que les portes resteraient toujours plus closes pour certains que pour d’autres et surtout, que le profit était autrement plus fructueux dès lors qu’on acceptait d’augmenter la part de risque.

Elle pouvait estimer n’en avoir pas trop dévoilé pour paraître encore vierge et innocente comme une biche effarouchée mais Hawkins n’était pas facile à berner et elle l’avait un peu trop côtoyée pour gober une telle couleuvre. Sous la coupe de son regard teinté d’inquisition, la blonde finit par pousser un soupir ronchon. « Ouais bon, j’avoue, c’était pas vraiment très légal. On juge pas, c’était un autre temps, et une autre époque ! » se protégea t-elle verbalement d’un air théâtral, mains levées vers le ciel. « C’est pas si grave, le vol. Tout le monde le fait maintenant, et personne dit rien ! » A la tête qu’elle tirait, on sentait bien que Fran n’était pas à court d’arguments foireux pour faire rire et attendrir son auditoire.

Idyl esquissa un bref sourire quand l’autre lui annonça qu’elle ne l’écoutait pas ; c’était parfois vrai. Des fois, la blonde lui cassait simplement les pieds, et elle arrêtait de l’écouter en lui affichant un sourire niais pour lui faire croire que c’était le cas. Et si elle posait une question, elle se contentait d’hausser les épaules, en répondant un très générique “tu crois quoi ?” pour retrouver le fil de la conversation. Dans le commerce. La bonne blague. Le sourire en coin qu’afficha Idyl était évident, et elle pencha la tête en plissant les yeux en lui lançant un regard clairement dubitatif. Elle la prenait pour une conne, ou quoi ? Elle voyait mal Fran dans des histoires de trafiques, mais elle avait clairement une tête à avoir été arnaqueuse. Fran Swanson, fléau des économies des petites mamies ; avec sa bouille d’ange et son charme naturel.

L’autre admetta très vite son mensonge, ce qui lui valut l’approbation d’Idyl qui agita fièrement sa tête. Elle haussa les épaules, lui répondant d’un ton dont l’anormal sérieux mettait en évidence un potentiel souci de sincérité : “Moi ? Juger les gens. Jamais” elle esquissa encore un sourire en coin, amusée par sa propre connerie. Fallait qu’elle arrête de traîner avec Fran, ça allait finir par lui donner des courbatures aux zygomatiques. Elle rajouta derrière : “Ouais, c’est comme tuer des gens, rien de très dramatique parce que tout le monde le fait, hein ?” elle laissa sa tête basculer sur le côté pour lui jeter un énième regard faussement blasé en coin. ça faisait un moment qu’Idyl n’avait tué personne, et, elle en était contente. Malgré le fait qu’elle était probablement la plus grande tueuse encore en vie du Texas, elle se sentait toujours coupable, surtout quand elle avait l’occasion de constater ce qu’elle venait de faire. Il était moins difficile de tuer quelqu’un depuis derrière un écran à des centaines de mètres du joyeux merdier, que de coller plusieurs bastos à un pauvre type avant de le voir agoniser lamentablement. La culpabilité l’envahissait presque toujours, même s’il s’agissait d’une vengeance. Elle l’avait fait ; tuer de manière vindicative. Mais c’était la facilité. Et c’était encore plus se blesser. C’était détruire son humanité, et donner raison au fils de pute que tu venais de cramer de prendre du plaisir à donner la mort.

En attendant, elle était loin de tout ça, loin de son passé. Bien dans le présent, sur le dos de son canasson, à profiter de cette petite balade. Elle poussa un soupir, avant de relancer un peu la discussion : “C’est quand, ta dernière murge ?” elle écouta sa réponse, guettant le moment où l’autre se taisait à peine pour rajouter derrière : “ça te va si la prochaine c’est ce soir ?”

Est-ce qu’Idyl lui tiendrait réellement rigueur de son passif d’escroc ? Fran en doutait. Depuis le temps qu’elles se connaissaient et surtout depuis le temps que la brune avait du apprendre à supporter la présence parfois étouffante de la blonde dans ses parages, l’autre avait du réaliser qu’à défaut de ne pas avoir toujours été totalement honnête, elle avait plutôt bon fond. Les Crimson pouvaient compter sur elle et si elle ne refusait jamais une petite arnaque ou un coup bas, ceux-là n’étaient réservés qu’à leurs ennemis – et aux siens, plus personnels.

Banaliser le vol était une chose, le meurtre une autre et de la bouche de sa comparse, ce qui semblait être un acte banal ne l’était pas tant pour la cavalière à ses côtés. Pour le coup, Fran ne répondit rien. Bizarrement silencieuse, cette absence de répartie ne lui ressemblait pas. Oh, buter des mordus et des espèces de cadavres ambulants ne lui posait aucun dilemme moral. Ils n’étaient plus les êtres conscients et humains qu’ils avaient été. Pourtant, ça ne l’empêchait jamais de repenser à cette vision de Jack obligé d’abattre sa mère devant ses yeux. Ca ne cessait de lui rappeler que sa défunte génitrice n’avait pas eu la moindre chance dans ce monde de merde et qu’elle avait été bien vite rattrapée par cette saloperie de maladie. Monstre ou pas, morte ou pas, elle n’avait pas mérité sa fin.

Alors tuer pour survivre, d’accord c’était bien joli, mais jusqu’à quel prix ? Fran avait bien des torts et traînait de nombreux boulets à ses pieds. Et on pouvait la prendre sans mal pour la brute épaisse, parfois abrutie de violence qu’elle était, mais qui irait croire qu’elle n’avait jamais tué un innocent de ses propres mains ? Pas grand monde. Cette vérité-là, de toute manière, tout le monde s’en foutait bien – sauf elle, étrangement. Idyl n’avait peut-être pas réalisé à quel point ses paroles anodines avaient perturbé Fran intérieurement, mais elle rattrapa le coup en l’écartant de ce noir sujet par une distraction bien plus triviale qui arracha Fran à ses pensées. Sa dernière cuite ne datait pas, clairement. « C’était- » Pas le temps de compter les jours, la brune avait décidé que la prochaine était planifiée à ce soir. « Ouais, d’accord. » Elle n’était pas difficile à convaincre, la mécano. « Je ramènerai de quoi faire. » Un clin d’œil plus tard, elle donnait un petit coup sec sur les flancs de son canasson pour le faire repartir un peu plus rapidement.