(I) tout va bien + gauge

❝ I've been breathing air but there's no sign of life ❞ Well it's cold, cold, cold, cold inside, darker in the day than the dead of night. Cold, cold, cold, cold inside, doctor can you help me cause something don't feel right. Something don't feel right.

Auspex, la Carrière ㅡ 12 juin 2018 Seize heures, Arlo se lève, il a du travail aujourd’hui. Rayna l’attends depuis probablement trop longtemps déjà et il s’étonne que personne ne soit venu le réveiller. Bon… C’est que ça doit pas être si urgent, alors. Il s’habille, les yeux encore plein des fumées d’hier soir. Il se souvient d’une fille. Si elle était réelle, elle n’est plus là. C'est généralement comme ça. Près du lit, il lui reste un morceau d’angélus, qu’il avale en guise de petit-déjeuner et un soutien-gorge rabougri. Elle était bien réelle. Bien ouej frère. Rapidement, les premières sensations de la drogue se font ressentir et Arlo est apaisé, ses émotions ralenties, engourdies, il est bien, complètement détendu. Comme à son habitude, il est sorti de sa tente pour s’étirer et grogner au nez du soleil pour réveiller son corps de géant encore endormis. Près du feu devant la tente, une casserole est à demi-rempli d’eau, il l’attrape et bois tout son contenu, enfin, tout ce qui ne coule pas le long de ses joues (donc pas grand chose au final). Il faudrait qu’il aille retrouver Rayna, mais il a vraiment trop la flemme.

Il est possible qu’Arlo se rendorme sur le canapé, réveillé vers les coups de dix-sept heures par un type, la trentaine, les cheveux mi-long en bataille et un sérieux début de calvitie. « Ugh, dis à Rayna que j’arrive. » Il grogne, la tête enfoncée dans les coussins mités. Mais il reste le bougre et Arlo finit par se réveiller. Le gars est debout, les mains posées sur la ceinture, l’air sérieux, mon dieu si sérieux. Probablement un Mineur. « J’ai pas toute la journée. » Il dit agacé, mais quelque chose dans sa voix trahit un fond de gentillesse, peut-être même autre chose. Arlo masse rapidement son visage d’une main et s'aide à se relèver de l’autre. Il se redresse et dépasse à présent le type de presque une tête et demi. « Rayna doit mieux te payer que moi si tu t’acharnes autant ! » Il plaisante, mais le type ne rigole pas. « Rayna, qui ? Peu importe. Écoutes, j’ai des nouvelles à propos d’Elsa. » Arlo fronce des sourcils. Il ne l’a jamais vu ce type et il se demande comment il sait que lui et Elsa se fréquentent. « On l’a retrouvée humm… Dans la forêt. » Retrouvée ? Elle était perdue ? Maintenant qu’il y pense, ça doit faire cinq jours qu’il n’a pas de nouvelles. Avant sa grossesse, Arlo ne s’inquiétait pas vraiment des tribulations d’Elsa, mais depuis qu’il sait que l’enfant est de lui, il fait plus attention. Un peu. Pas assez visiblement. En tout cas, quand elle daigne venir le voir, il essaye d’être plus sympa que d’habitude, même si elle se laisse pas vraiment faire. Cinq jours donc, sans la voir, sans entendre parler d’elle, ça commence à faire long. Mais s’ils l’ont retrouvé, tant mieux. « Elle va bien ? » Il demande, déjà soulagé. Le gars devient blanc comme un linge. « Elle est morte. » Il jette, comme s’il ne pouvait plus se retenir. C’est à cet instant qu’Arlo entend une démarche familière derrière lui. Il se retourne pour apercevoir Gauge s’approcher. Est-ce qu’il a entendu ? « Quoi ? » Se contente de demander Arlo en reposant son attention sur le Mineur. « Elsa est morte. » D'accord, son pouvoir de réflexion vole plus bas qu'un derrière de cochon, mais quand même, c’est pas des mots particulièrement compliqués à comprendre. Elsa. Est. Morte. Sujet, verbe, complément, super fastoche, non ? Elsa, c’est cette fille, la future mère de son mioche. Est, c’est le verbe être à la troisième personne du singulier au présent. Et puis morte bah, c’est l’inverse d’être en vie. Non vraiment, chaque mot, individuellement, est plein de sens. Arlo regarde Gauge comme pour lui demander des explications. T’as compris c’qu’il dit l’autre con, toi ? Mais le visage de son ami est illisible, complètement indéchiffrable. Il se retourne vers le type, incrédule. « Quoi ? »

Voilà qui était fâcheux : Gauge voulait demander un truc à Arlo. Il s’était dit que ça ne pouvait pas attendre, alors il s’était mis en route. Se rendant compte qu’il avait oublié de fermer son camping-car et qu’il ne voulait pas que quelqu’un… Ok, que Leigh s’incruste pendant son absence, il avait rebroussé chemin et verrouillé sa maison. Et lorsqu’il s’était remis en marche, il avait complètement oublié ce qu’il voulait lui dire, mais assez tardivement, genre au moment où il s’approchait de sa tente. Cela l’énervait d’autant plus qu’il savait que c’était quelque chose d’assez énorme, quelque chose de drôle en plus. Arlo recevait déjà de la visite, mais Gauge se disait que la vie privée d’Arlo était aussi un peu la sienne, alors il n’attendit pas que l’autre s’en allât pour venir à son niveau et entendre la funeste nouvelle.

La bouche bée, Gauge inspectait le visage du Miner pour voit s’il s’agissait d’une plaisanterie, mais ça n’en avait pas l’air. Le garçon posa ses mains sur ses hanches, fronça les sourcils et se senti obligé d’étoffer la question d’Arlo posait pour la deuxième fois. « Mais… pourquoi ? Enfin, comment ? » demanda-t-il en regardant tour à tour son ami et le Miner. Il leur expliqua qu’ils avaient eu du mal retrouver tous ses bouts au même endroit, pas exactement de cette manière-là, ça, c’était comment Gauge comprenait la chose. Infectés ou pillards, ça, ce n’était pas encore trop sûr, mais ça avait été très violent : elle ne ressemblait presque plus à rien, ils l’avaient quasiment dépouillé de son identité. Elsa morte quoi. Les premières interactions avec cette femme avaient été compliquées, mais finalement, il y avait eu comme une sorte d’évolution entre les deux. Mais avant de penser à lui, Gauge pensait à Arlo qui avait connu cette fille d’une autre manière. L’avait-il aimé ? C’était encore ce que se demandait le garçon, Elsa lui avait pourtant affirmé que ce n’était pas son petit-ami.

Le miner n’était pas encore parti, mais il ne savait plus où se mettre. Gauge s’approcha d’Arlo pour lui serrer la main, mais ce fut à peine s’il réagit ou bougea le bras, si bien que Gauge eut l’impression de dire bonjour à un spaghetti. « Salut… Ben putain… C’était un sacré bout de femme, pas facile à vivre, mais elle méritait pas de partir comme ça... » dit sincèrement le garçon. Elle lui manquera, il se souviendra encore longtemps de cette partie de chasse complètement surréaliste, mais il était déjà prêt à aller de l’avant : il allait être suffisamment fort pour ne pas pleurer la mort tragique d’une amie. « Euh… ça va aller ? » demanda-t-il à Arlo sans vraiment le regarder.

❝ I've been breathing air but there's no sign of life ❞ Well it's cold, cold, cold, cold inside, darker in the day than the dead of night. Cold, cold, cold, cold inside, doctor can you help me cause something don't feel right. Something don't feel right.

Gauge semble mieux se maîtriser, lui. Il demande au mineur comment Elsa est morte pendant que les trois petits mots trouvent leur sens lentement, mais sûrement dans la tête d’Arlo. Il écoute à peine la réponse du mineur après ça, elle est morte putain. Quelqu’un sert sa main. Ah, c’est Gauge. Il n’a pas l’air aussi détendu que d’habitude, mais il n’a pas l’air cassé non plus. Pas comme Arlo en tout cas, ou alors il le cache bien. Arlo lui, ressemble à un golem. Trop grand, trop fort, à peine vivant et sans volonté, un être à la merci d’une petite chose, une petite chose qui ne sera plus jamais là. Il se sent comme un gros tas de boue. Sa première pensée est purement égoïste. Est-ce que je suis maudit ? Est-ce qu’elles vont toutes me quitter comme ça ? Avec un mioche dans le ventre ? Il se demande si sa mère était enceinte quand elle a succombé à sa maladie. Il se sent sale d’avoir pensé à ça, mais ce n’est pas le pire sentiment dans son corps, là tout de suite alors il se pardonne. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour mériter ça ? « Euh… Ça va aller ? » Demande une voix. Tout à coup, Arlo se rend compte que le mineur est parti et que Gauge s’est approché de lui. Il a eu comme une absence, comme un moment de sommeil. Sur son visage blême, un sourire se dessine et sa peau reprend des couleurs sous la couche de crasse qui le recouvre. Il pose ses yeux sur Gauge, peut-être un peu mécaniquement, mais le naturel revient dans ses gestes petit à petit. « Moi ? T’inquiètes frangin. » Il donne une tape amicale dans l’épaule de Gauge pour qu’il ne s’inquiète pas. Pour lui montrer qu’il est plus fort que ça, qu’il s’en fiche même. Mais la frappe est trop forte, la machine a du mal à se calibrer. Ah tant pis. « T’es chaud pour aller au Caveau ? » Il demande, et sans attendre la réponse de son ami, Arlo prend la direction opposée au caveau, vers le Domaine, avec l’assurance d’un homme qui attend, avec un certain apaisement, que la mort vienne le prendre à son tour. Il sourit, parce que la vie est belle. Il fait beau. Il est heureux. Il pense aux arbres, à leur tronc, leurs branches, leurs racines. Tout est lié dans le monde, c'est beau. Il s’arrête net, Gauge toujours derrière. « Tu voulais m’dire quelque chose au fait ? » Elsa qui ? Nope. Connais pas. Il attend que son ami le rattrape, mais il a besoin de bouger. Il est comme électrifié. Il a envie de rire. D’oublier. Oublier quoi ? Pas la moindre idée. Soudain, Arlo sait où il va. Il a besoin d’Angélus et il sait qui en a.

« Ouch ! s’exclama-t-il lorsqu’il se prit la tape d’Arlo dans le dos. Au caveau ? Mais tu… Hé attends ! » Gauge n’était pas l’homme le plus intelligent sur cette terre, même celle-là, mais il voyait bien que son ami gérait le deuil à sa manière : une manière bien particulière. Ça tombait plutôt mal, parce que Gauge n’était pas spécialement un expert pour réconforter les gens : c’est qu’il avait du mal à lire les émotions. Le garçon trottinait pour suivre le rythme effréné du grand gaillard aux grandes enjambées, un peu comme un fils suivrait son père quelque part dans une galerie marchande après avoir passé le rayon jouets. « Arlo, c’est pas par-là le caveau, et tu le sais bien… » murmura-t-il.

« Ouais je voulais te parler de… Ben en fait je sais plus, mais du coup… Hé où tu vas encore ?! » Arlo changeait de direction telle une girouette. Gauge s’efforçait de le suivre, mais il savait bien que ce petit manège ne pouvait pas durer éternellement.  Comment faire ? Quoi dire pour le faire redescendre sur terre ? Ou alors, fallait-il le laisser faire ? Fallait-il le laisser s’envoler ? Du moment qu’il ne mettait pas sa vie en danger, Gauge n’avait pas besoin d’intervenir, non ? « C’est bon je me rappelle… De… De ce que je voulais te dire... Il était essoufflé. J’ai vu Dagni. À Olympia. J’ai un truc à te donner là, tiens attends… Oh non… » Il fouilla ses poches uniquement pour y trouver le vide. Et un truc gluant aussi, mais aucune idée de ce que ça pouvait être, donc ça ne comptait pas pour quelque chose. Arlo, s’il ne s’était pas arrêté, avait ralenti la cadence, ce qui permit à Gauge de le rejoindre.

« Viens avec moi dans mon camping-car, je pourrais te donner ton courrier… » demanda-t-il avec un regard suppliant. Bien sûr, c’était également, l’occasion de parler de… la mort d’Elsa ; car Gauge ne croyait pas du tout qu’Arlo puisse accepter comme cela aussi facilement la perte d’une amie… d’une amante ! Ou alors c’était le contraire : Gauge se trompait et Arlo n’en avait réellement rien à faire de ce bout de femme. Le garçon posa une main sur l’épaule de son ami, un peu comme pour le retenir de partir de nouveau dans une direction au hasard. « S’il te plait, viens avec moi dans mon camping-car, répéta Gauge d’un ton qui se voulait rassurant. Tu… tu réagis bizarrement, moi ça me plait pas trop de te voir comme ça. Où tu vas ? Tu veux faire quoi d’ailleurs ? Moi je veux aussi savoir si je peux t’aider quoi, les amis, ça sert à ça dans les moments difficiles, hein ? Qu’est-ce que t’en dis ? »