Fill my cup + Thomas & Dolly

Dolly, elle utilise un vieux t-shirt dépouillé en guise de torchon. Imbibé d'un peu d'eau, elle essuie le comptoir improvisé  et les tables de fortune. Ses gestes sont maladroits, déjà bien imprégnés par la liqueur consommée ces dernières heures, par rancune ou par bonheur. Là, elle s'arrête net et décolle de son front quelques cheveux rebelles avant de reprendre sa tâche ponctuelle. L'ambiance est moite, empestant le sang sec des morts et la sueur des vivants. On réveille les derniers trous inconscients qui jonchent le plancher et on range les bouteilles de whisky sur les étagères en poussière. Il faut un peu de temps à la brune pour trouver le chemin jusqu'à son sac. Elle s'allume une cigarette avant de placer le paquet dans sa poche arrière. Elle fera la petite vaisselle dans une bassine, la clope au bec et le palais bien sec. Une présence attire son attention du coin de l'oeil, c'est Thomas qui clôture l'endroit. Son esprit embrumé l'encourage à pincer deux verres du bout des doigts pour les poser sur le bois fraîchement essuyé. Elle a hésité un instant. Peut-être pas ce soir, peut-être qu'il faudrait qu'elle les goûte seule pour éviter d'empoisonner son collègue. Elle se mordille alors un peu la lèvre, croquée par une culpabilité manifeste...  La poupée s'éclaircit la voix après avoir lâché un « eh » des plus muets et des plus spontanés. « Mon Grand, viens voir. » Dolly balance son mégot dans le bac à vaisselle, crache son dernier nuage de fumée et se penche pour fouiller dans une cagette les différentes liqueurs. Des bouteilles claquent tendrement entre elles jusqu'à ce qu'elle trouve sa convoitise: un vieux récipient en plastique rempli par cette préparation qui l'attise. Seul le bouchon rouge prouvait sa vie antérieur à servir Coca Cola. « Je vais te faire goûter un truc et tu vas me dire ce que c'est. » Pour Dolly, c'était bien plus qu'un simple test gustatif. Son ami allait devenir ses papilles quand elle commençait à être trop aveuglée par  sa chimie contrebandière. Il allait confirmer, si oui ou non, cette potion sera servie aux âmes meurtrières.  Elle  débouchonne la flasque et quelques effluves s'échappent. En collant son nez au goulot, ses sourcils se déforment. Dolly grimace et frisonne. Peu rassurée, elle sert quelques centilitres qu'elle coupe avec de l'eau. « Si tu trouves le nom de cette gnôle, je t'appelle Champion. » Cette once de défi s'accompagne de son sourire à la fois le plus malicieux et le plus sincère. C'était le rictus d'une princesse qui criait victoire trop vite et il fallait la comprendre. Pouvait-on trouver cette idée farfelue et expérimentale de germer du riz à bouffer ? Le gaillard pouvait-il deviner que, dans ce verre tendu, il y avait une tentative de saké préparé depuis les entrailles du Texas ?  Seul une esprit dénué de bon sens réussirait à chercher et seule une gorge avertie finirait par trouver. Dolly trinque en regardant Tommy dans les yeux. « Santé. »

Alors que sa bouche lance  un défi, Dolly scrute les gestes de Thomas avec une curiosité des plus enfantines. Un peu mauvaise perdante et trop bonne compétitive, elle est persuadée qu'il ne trouvera jamais l'intitulé de l'alcool qui se trouve dans leurs verres. Les traits du brun se déforment après avoir reniflé la liqueur et la poupée se délecte déjà de sa victoire à venir.  Avec un rictus plaqué sur ses lèvres, elle hoche plusieurs fois la tête. D'accord, elle l'appellera maître. En attendant, Dolly prend des courtes gorgées de ce breuvage âcre. Elle envenime son état déjà bien saoul. Elle ne le savait pas encore mais par moment, Dolly buvait par réflexe plus que par plaisir. Comme un trouble obsessionnel compulsif ou comme un état d'alcoolémie chronique, elle cherchait à se détourner d'une situation délicate ou d'une pensée trop coupable en ' se détendant avec un verre '. Maintenant comme d'autres fois, elle aperçoit le sourire de Thomas et prend une lampée.  Dans l'ombre de ce sourire se tapissait quelque chose  que Dolly n'avait pas vu depuis très long.  Une sérénité s'en dégage à croire qu'à elle seule, cette bouche réussissait à éclipser  tous les fléaux de cette décennie. La femme se demandait si Thomas avait toujours eu cette façon de montrer ses dents.  Elle aurait voulu le connaître avant l'invasion des walkers, voir le moment  où il avait hérité de ses yeux rieurs.  

Dolly manque de s'étouffer quand elle l'entend prononcer le mot saké. Elle perd sa malice en un battement de cil. « T'es vraiment un sorcier. » Elle fait la moue boudeuse. Elle devait gagner car il ne pouvait pas trouver. Du revers de la main, elle écarte son verre ainsi que la bouteille trônant entre elle et lui. Cet alcool a désormais le goût de la défaite. « Je bois pas avec les tricheurs, et je t'appellerai pas maître. »  Le jeu n'est plus drôle, elle avait commencé avec celui-ci car il était le plus dur. Elle ne semble plus si certaine de continuer, elle boira les autres bouteilles seule. Quoique...  « On refait une tentative... » Elle finit son verre cul-sec. Si Thomas avait deviné la liqueur, ça voulait dire que c'était vendable.  Elle se penche de nouveau pour regarder ce qu'elle a dans la caisse. « Mais on va pas tous les goûter si tu gagnes tout le temps hein. » Elle ôte le bouchon de la bouteille et s'apprête à servir Thomas quand elle remarque qu'il reste encore un fond. « Finis ton verre. » Autoritaire plus que maternelle, son ton s'est chauffée à cause de l'échec mais  sa phrase demeure accompagnée par des lèvres retroussées. Dolly sert cette boisson ambrée. « Tu vas voir elle te ressemble : elle n'a pas de caractère. »
 

Savoir bluffer, garder son sang-froid ou ravaler sa défaite sont trois notions qu'on a tenté d'inculquer à Dolly ces vingt-neuf dernières années.  D'abord par son père dans « l'Ancien Monde » puis par-elle-même dans ce « Nouveau Merdier ». Force est de constater que les défauts ont la peau dur et ce, en toute compagnie. Il n'y avait qu'en extrême situation de survie – sociale ou vitale – que la brune réussissait à converger ce triangle. Quand Thommy lui fait remarquer la mauvaise perdante qu'elle est, Dolita n'a pas d'autre choix que de se taire car c'est l'un des seuls vices reconnus par sa mauvaise foi. Il y a cependant un sentiment animal qui peut surpasser  ce sens particulièrement développé du drama : l'esprit de compétition. Elle passera sûrement pour lunatique ou bipolaire mais la barmaid remet la partie sur le tapis en une demi-seconde. A contrario des autres, son humeur n'était pas un carrousel fonctionnel où l'on voguait à califourchon  en continu. La sienne était plus semblable à une course de formule 1 à prendre un virage inattendu ou un tonneau... L'image est extrême mais son essence justifie pourquoi les gens pensent que la néo-orléanaise a un caractère de feu.

Elle lève les yeux au ciel en buvant cul-sec le reste de saké. Son cou tendu fait descendre plus rapidement l'alcool dans son estomac. Et, toujours en évitant le regard de son adversaire, elle sort le deuxième round : une liqueur ambrée. Elle ordonne à Thomas de finir son verre tandis qu'elle remplit le sien. Dolly attend le bruit sec du verre contre le comptoir mais rien ne vient alors elle porte enfin son attention sur lui. Il déguste et savoure ces dernières goûtes d'alcool et elle, elle soupire, épuisée par son comportement enfantin. Elle n'appréciait pas la provocation  et avait peu de patience. Ses paupières se ferment un quart de seconde pour qu'elle puisse se voir donner un coup dans le verre de saké et le faire éclater sur le sol. Pour qu'elle puisse lui répliquer que des gens sont morts en l'attendant finir sa boisson. Son « balance » la tire de son absence et elle s'exécute.  Elle sourit de nouveau quand Thomas lui annonce à quel point l'alcool pouvait la rendre mauvaise. C'est un flash infos dont aurait pu se passer Dolita parce qu'elle n'avait pas besoin de ça pour être « mauvaise ». Il est vrai que son collègue l'avait plus souvent vu imbibée d'alcool que sobre... mais quand même. « Ca me rend plus importante que mauvaise, sinon tu serais pas entrain de boire à ma table niño. »  Il sera peut-être difficile de le croire mais la liqueur a sauvé la vie de la poupée. Elle a très vite fait le bilan suivant : Les personnes croisées sur les sentiers de la carrière doivent leurs survies à des talents particuliers. Par exemple, Thomas était montée comme une armoire et il n'est pas impossible de l'imaginer prendre deux marcheurs par le col pour les fracasser l'un contre l'autre. Dolly possédait une certaine endurance mais des événements bouleversants, une mauvaise hygiène de vie et -il faut l'admettre- la vieillesse ne l'aidaient guère à conserver cette compétence. L'amour sauvait aussi ceux qui possédaient fratrie, parents, enfants ou amants. Dolly passait son tour sur la question. Elle a toujours su que le moindre individu rencontré l'a gardée en vie pour ce savoir plus luxueux que nécessaire.

Cette idée d'action et vérité la met légèrement mal à l'aise par son absurdité. Elle n'y a jamais joué avant le retour des morts alors y jouer en plein milieu du chaos... Elle n'a pas souvenir d'avoir vu Thomas aussi joueur depuis qu'ils se connaissent. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle fait un bref hochement de tête. Et quand le mot vodka s'échappe de ses lèvres, Dolly prend son visage entre deux mains. On dirait qu'elle vient de voir son joueur de football préféré rater un but de justesse. L'alcool était ambré. A la place de cet or liquide, concurrent du Saint Graal, Dolly y voyait plus de la pisse en bouteille. Un silence à la fois léger et pesant s'installe le temps qu'elle prenne une lampée. « J'vais t'avouer un truc même si t'as perdu. Mon père est né à Cuba et a passé une partie de sa jeunesse en Irlande. Il rêvait d'être naturalisé Américain – ce qu'il a réussi très facilement. Il en a pas chié toute une vie pour que sa fille fasse de l'alcool de communistes après sa mort ! J'veux bien être Whiskypedia mais y a des limites quand même. »  Tout en racontant son anecdote, Dolly sort son paquet de clopes de sa poche arrière.  Après en avoir proposé une à Tom et allumé la sienne, la barmaid annonce : «  C'est du Corn Whiskey. Si on avait été en Georgie il aurait été meilleur. Mais on est au Texas alors j'en ai volé une partie au Ranch. Profites-en parce que je recommencerai pas. » Dolly sait qu'il fallait approximativement 80% de maïs pour appeler ça un Corn Whiskey. En réalité il y en avait 60%. Le reste étant du blé dérobé chez les riders. Elle n'avait pu faire que trois bouteilles. La brune sirote son verre, cette gnôle demeure malgré tout plus forte que la précédente.
« Donc je vais choisir une action. Mmmmh... » Son doigt trace des cercles à partir du goutte tombée sur le plan tandis qu'elle réfléchissait. Un méli-mélo d'idées lui vient mais elle savoure avant tout sa victoire en prenant son temps. Dolly veut lui demander ce qu'il se passerait s'il n'acceptait pas son défi mais elle préférait voir sa réaction sur le coup. « Demain, il faudra que tu sacrifies soit une partie de tes cheveux, soit une partie de sa barbe. » Elle crache son nuage de fumée au visage de Thomas, comme le bon petit démon qu'elle a toujours été.
 

Le rire de Dolly est devenu légèrement sec, il témoigne qu'elle est peu impressionnable face à la menace de Thomas. Elle a du se battre à maintes reprises contre des montagnes de son espèce, qu'elles soient physiques ou mentales. Sa vie s'apparentait au mythe de Sisyphe Elle recommançait continuellement à lutter contre n'importe quelle forme de domination sociale. Se faire respecter n'est pas une option pour Dolly, c'est plus un devoir qu'un art en soit. Par moment elle a du donner des coups de poing et s'est pris des revers. Dans d'autres cas, elle a fini sur le tapis à cause du venin. Féroces comme des ours, malins comme des singes, malicieux comme des serpents, Dolly les avait tous affronté au moins une fois. Père, frères, amis, collègues, exs... On avait tenté de la cerner en la prenant pour un vulgaire agneau.  Thomas demeure sympa parce que la brune ne veut pas le voir comme une menace. Elle l'apprécie sincèrement et ne chercherait pas le conflit perpétuel. Comment faire autrement avec celui qui l'a sauvé de l'antre des morts ?  Il n'empêche qu'elle n'accepterait pas de descendre de ' ce piédestale '.
Elle ponctue son histoire avec quelques nuages de fumée. Ses lèvres, imprégnées de liqueur et de tabac, s'agitent égayement non sans une pointe de fierté. Elle a pris des risques pour faire cet alcool. S'introduire au ranch, leur faucher des plantations, se faire prendre la main dans le sac... Elle n'avait pas été aussi aventureuse depuis ses débuts à la Carrière.  Il fallait donc profiter de ce Whiskey Corn car il ne saura plus jamais aussi satisfaisant. En réalité, Dolita a réussi à produire l'équivalent de quatre bidons de lessive en plastique dont trois qui reviendront aux riders. Elle avait déjà sifflé trois verres du bidon restant avant d'avoir cette conversation avec Thomas...  Dolly admet être d'accord avec lui en un hochement de tête. Ce Corn Whiskey est certainement le meilleur alcool créé entre ces murs depuis des années.  
Dolly ne sait pas jouer à ce jeu . Si elle y avait déjà joué, elle saurait que c'est à l'intéréssé de choisir l'action ou vérité. Mais la jeune femme a préféré imposé une action. De toute évidence, elle ne se serait jamais permise de l'interroger sur sa vie. Thommy reste un petit mystère à ses yeux sans être auster. Juste jovial et cordial. Se faire couper les cheveux ou la barbe, il n'y a rien de mal intentionné ou de grave dans cette action. Pourtant Dolly se délecte de la réaction de Thommy. Elle a pensé qu'il serait ce genre d'hommes à se laisser aller et finalement sa réponse en dit long. Thommy le coquet,  Thommy fait attention à sa barbe et à ses cheveux, Thommy sait qu'il plaît grâce à sa barbe et à ses cheveux. Son rictus devient sincère et les mots s'échappent contre son gré.

 T'as pas besoin de ta barbe et de tes cheveux pour être attirant...

Elle le suit du regard. Il se lève et ramène une paire de de ciseaux. L'homme la pose entre lui et elle avec un air de défis. Dolita l'imite en écrasant son mégot sur le comptoir avant de les saisir. On peut le dire, elle le mate entrain d'ôter son t-shirt sans détourner son regard, sans once de politesse. De son oeil alcoolisé et sensible, elle note ces kilomètres de peau lisse et ce relif qu'imposent ses muscles. La nature avait fait un travail titanesque sur cet homme.
Elle s'éclaircit la gorge avant de le rejoindre. Le faire maintenant sur la barbe avec une énième menace.

 Y aura pas de fessée Thommy, je suis bourrée  et je t'ai dit d'attendre demain. T'as pas voulu m'écouter alors  arrête tes menaces !

Dolita s'installe à califourchon sur les jambes de Thomas. Elle veille à ne pas frôler son torse mais se penche malgré tout. Elle tente de lisser sa barbe avec les doigts, faute de n'avoir aucun peigne.Elle caresse ses pomettes et le coin de ses lèvres... plus ou moins malencontreusement. Elle fait preuve d'une concentration remarquable alors qu'elle sent émaner la chaleur de ce corps malgré la distance, malgré ses vêtements.
Elle fait le premier coup de ciseaux quand Thommy lui propose un marché. Dolita arrête de loucher sur sa barbe pour le regarder droit dans les yeux. Elle n'hésite pas à arquer l'un de ses sourcils, incapable d'être aussi subtile sous alcool.  Il mérite tant de surprise car il lui propose de faire la vaisselle entièrement nue... excepté le tablier.

Pff... La satisfaction personnelle je l'ai eu dès que j'ai mis un coup de ciseau dans ta barbe. Tu me proposes ça pour que je fasse le nettoyage ou bien pour me voir nue ?