suite intrigue 1er novembre (Abel/Aaren)

Citation :

Abel n'a pas l'air pressé de découvrir s'il y a anguille sous roche. Après avoir annoncé froidement à Aaren qu'il désirait lui parler, il rebroussa chemin et les laissa tous les deux seuls et mal à l'aise. Un instant, Aaren ne sait pas quoi faire, regarde Jenna, presque timide, avant de se décider. Il s'approche à nouveau d'elle, la colle à la paroi et contre lui, passe une main dans ses cheveux et l'embrasse à nouveau, plus désespéré, passionné, sentant contre son corps la courbe de ses formes et s'en délectant. Puis, il s'éloigne, lui adresse un sourire narquois « On reprendra ça plus tard ? ». Il lui fait un clin d'oeil.

Encore un peu sonné par leur échange, il lui tourne le dos et rejoint Abel qui s'est posté plus loin dans la carrière, à côté de quelques arbustes et d'un vieux banc en bois. Il espère qu'il ne passerait pas pour un imbécile, cette fois, Jenna avait tendance à lui faire perdre ses moyens et il ne pouvait imaginer la réaction d'Abel s'il venait à apprendre sa relation avec sa soeur.

« Il est plus que temps que nous discutions, toi et moi, Rhodes » dit-il pour unique salutation. Il s'adosse à un arbre et jauge son interlocuteur. Il ne sait pas encore si Abel est digne de confiance, mais ne peut qu'espérer que la teneur de leur conversation ne viendrait pas aux oreilles d'Anita. « Tu es un homme intelligent. Je pense que tu sais la raison pour laquelle je dois te parler. ». Il jète un coup d'oeil aux alentours, vérifient que personne n'est suffisamment proche pour les entendre. Heureusement, le bruit de la fête semble noyer celui de leur conversation.

Aaren ne fut pas long à le rejoindre et Abel lui épargna donc une énième de ses remarques acides dont il avait le secret. Ils avaient autre chose à faire que se prendre le bec pour rien et l'occasion qu'ils avaient ce soir ne se représenterait pas forcément de sitôt. « La Mine n'a jamais été aussi exposée, Diggs. Il serait dommage de laisser filer cette opportunité tu ne crois pas ? » Le rider rentrait dans le vif du sujet sans s'embarrasser de gants. Pourquoi tourner autour du pot alors qu'il n'y avait personne dans les environs et que les bruits de la fête empêchait une oreille indiscrète d'épier quoi que ce soit ? « Mais je pense que tu as quelque chose à me proposer, non ? » Simple déduction : tout à l'heure, Aaren n'était-il pas, après tout, spontanément venu le voir alors qu'Abel venait à peine de s'écarter du cœur de la fête ? Et encore maintenant, la manière dont il avait formulé sa dernière réplique laissait sous-entendre qu'il avait une idée derrière la tête. Eh bien soit, le rider était toute ouïe, las de cette situation qui commençait à stagner un peu trop à son goût.

« La Mine n'a jamais été aussi exposée, Diggs. Il serait dommage de laisser filer cette opportunité tu ne crois pas ? » Abel sait, évidemment. Aaren n'en attendait pas moins, mais le ton d'Abel ne lui plaît pas, et encore moins sa franchise désarmante. Pour tout dire, il trouve ça suspicieux, ne peut se départir d'un sentiment de malaise. Il ne lui fait pas confiance « Mais je pense que tu as quelque chose à me proposer, non ? ». Aaren garde un visage neutre, évalue Abel d'un coup d'oeil. Il n'aurait jamais la certitude que ce dernier ne le trahirait pas. Là était toute la réalité, toute la cruauté du monde dans lequel ils vivaient. On n'était sûr de rien.

« Tu as raison. J'ai besoin d'aide. Ou plutôt de soutien » commence-t-il prudemment « Je ne sais pas encore quel type de soutien. Il peut être politique comme militaire. ». Il croise les bras et se redresse pour faire face à Abel. « Je n'ai jamais caché mon intention de prendre la mine, d'une manière ou d'une autre. J'aimerais cependant éviter la violence. J'ai beaucoup tergiversé, et il m'en coûte d'admettre que je ne pourrais le faire sans ton appui ». Il penche la tête, passe une main sur son menton, son cou « Tu n'es pas sans savoir les avantages qu'une alliance avec moi, à la tête de la mine et de la carrière, pourraient t'apporter. ». il ne dit plus rien, l'observe, lui laisse le temps de réfléchir et de formuler à son tour ses pensées.

Abel hocha la tête aux derniers propos d'Aaren tout en conservant le silence quelques secondes supplémentaires. En soit, il n'était pas intimement convaincu que le roi de la Carrière lui offre un partenariat plus intéressant qu'Anita Jones, l'animosité séparant les deux hommes y étant pour beaucoup dans cette opinion. Mais de toute façon, la seule personne que le rider souhaitait voir à la tête de la Mine étant lui-même, il était clair que détrôner la tenante actuelle du titre s'imposait. Or, jusque là, ses intérêts concordaient avec deux de son vis-à-vis et il avait tout intérêt à ce que ce dernier reste pour l'instant ignorant de l'objectif du rider. « Je ne crois pas qu'il soit possible de prendre la Mine sans faire acte de violence » finit-il enfin par laisser tomber. « Anita ne va pas juste coopérer gentiment et abdiquer aussi simplement que ça. Sans compter les occupants actuels, tu veux en faire quoi ? Tous les exiler ? Ils lui sont fidèles, pas à toi. Ils n'accepteront pas de se voir mis à la porte sans lutter pour leur place ou bien ils se retourneront contre toi à la première occasion si tu les tolère à l'intérieur. Dans un cas comme dans l'autre, le pacifisme paraît exclu par avance. »

« Tu y as beaucoup réfléchi, Abel » commente Aaren, froidement « À t'écouter, on pourrait penser que tu veux la mine pour toi. ». Il ne dit plus rien, le temps de réfléchir, de moduler ses pensées et sa réponse. Abel serait stupide de ne pas vouloir la mine pour lui, c'était un atout stratégique incontestable. « Mais tu es trop malin pour penser que tu pourrais commander la mine et le ranch tout seul. Les gens ont besoin de davantage de proximité, et tes cavaliers sont trop peu nombreux pour tenir tout le monde à carreau. ». Il a envie de frapper Abel pour lui enlever son rictus hypocrite. L'impérialisme du Rhodes n'était inconnu de personne, tout le monde savait qu'il avait les yeux plus gros que le ventre. « Je ne te fais pas confiance. » finit-il par dire « Je pense que t'es un salopard sans foi ni loi, et que tu me poignarderas dans le dos à la moindre occasion, pourvu que tu trouves plus offrant. ». Il s'avance, nez à nez avec Abel « Écoute, Rhodes. Pour le moment, je suis le plus offrant. La mine est un lieu stratégique, mais elle ne serait rien sans la carrière. Nous sommes plus nombreux, et nous avons le contrôle des échanges dans un rayon d'au moins cent kilomètres. Anita ne peut pas t'offrir la moitié de ce que j'ai. »

Bien sûr qu'il y avait déjà réfléchi. Il y réfléchissait depuis son premier échec quelques années plus tôt lorsque lui et ses cavaliers s'étaient heurtés aux défenses impénétrables de la mine mais ça, Aaren ne l'avait certainement pas oublié n'est-ce pas ?
Le reste de ses propos lui arracha un sourire en demi-teinte. Son interlocuteur avait décidé de jouer franc jeu et il choisit de ne pas s'en offusquer, parce que c'était l'exacte vérité. A quoi bon nier et simplement paraître encore plus hypocrite alors qu'ils savaient tous les deux que Diggs avait raison ? Du plus loin qu'il s'en souvienne, ils n'avaient jamais prétendu bien s'entendre ni même seulement s'apprécier. Evidemment, se faire traiter de salopard aussi simplement au détour de la conversation réveillait toujours le mauvais réflexe de serrer les poings  et il dû réprimer l'envie de lui coller une bonne droite : s'il avaient voulu se rouler dans la boue, ils n'auraient pas pris toutes ces précautions pour se trouver à l'abri d'oreilles indiscrètes. Autant se comporter en personne civilisée.  « Je n'ai jamais prétendu le contraire, nous ne serions pas en train de parler de son éviction sinon. Donc oui, tu m'intéresses plus, sauf que sans mon aide tu n'iras pas bien loin. N'oublie pas ce détail. » Léger détail. Mais qu'il ne se gênerait pas pour ramener dans la conversation à chaque fois qu'il en aurait l'envie, avec ce petit air parfaitement détestable. « Et tu n'as pas répondu à mes questions » souligna-t-il « Mais peut-être préfères-tu régler un point plus crucial avant d'aborder ce genre de problème ? Je ne peux pas te tenir rigueur de ne pas me faire confiance, après tout tu te doutes bien que je ne t'estime pas plus. Mais envisager une alliance dans ces conditions n'est tout simplement pas possible, alors il va falloir trouver un moyen de remédier à ça. »

Aaren voit arriver l'impasse. Comment prouver leur bonne foi à tous les deux et s'assurer une alliance et une paix durable ? C'est bien simple, il ne se voyait pas faire confiance à Abel, il était tout simplement trop imprévisible, trop égoïste. Mais il était indéniable - quoiqu'il ait du mal à l'admettre - qu'ils aient tous deux besoin de l'autre pour arriver à leurs fins. Une idée, folle, culpabilisante, lui traverse l'esprit. Il ne peut pas faire ça, si ? N'était-ce pas indigne du père qu'il était ? De proposer son fils aux Rhodes, comme une vulgaire monnaie d'échange ?
Peut-être était-ce là la malédiction des leaders, sacrifier vie privée et états d'âme au profit du plus grand bien.
Le coeur lourd parce ce qu'il va devoir faire, Aaren dit d'une voix qu'il tente de garder neutre.
« Un échange. Archer, mon fils. Contre Jenna. Je ne vois pas d'autres solutions. »

Aaren avait bel et bien une idée derrière la tête, ne tarda-t-il pas à se rendre compte. La surprise passa sur son visage, fugace ; clairement, Abel ne s'attendait pas à ça. Il s'accorda quelques secondes de réflexion mais, lorsqu'il répliqua, sa décision semblait déjà bien arrêtée. « Non. » Le ton était catégorique, pas vraiment ouvert à la négociation. « Hors de question que je laisse Jen partir à la Carrière. » Il aurait pu sortir tout un tas d'argument pour justifier son refus, à commencer par le fait qu'il s'agissait de sa sœur et qu'il ne tenait pas spécialement à la voir s'éloigner encore une fois de lui, encore plus si c'était pour aller s'installer dans ce bazar à ciel ouvert que représentait le domaine du "roi" de la carrière. Sauf que c'était pas vraiment son genre de jouer les sentimentaux. « J'ai besoin d'elle au ranch, elle y est utile et ton fils ne risque pas de la remplacer. Qu'est-ce que tu veux que je foute d'un mioche ? »

« Abel, si tu n'es pas prêt à faire un pas vers moi, cette alliance va mourir dans l'oeuf » gronde Aaren, agacé par la mauvaise volonté de son interlocuteur « Cette solution ne m'enchante pas plus que toi. C'est de mon fils qu'on parle, et il est peu de choses que je ne ferais pas pour lui » il pense un instant à Archer, affligé, paniqué, venant le voir avec du sang sur ses mains d'enfant. Oui, peu de choses. « Et ce n'est pas qu'un mioche » rajoute-t-il, un peu plus agressif, protecteur. « Je doute que la fin du monde ait laissé des enfants derrière elle. Il n'a pas eu d'enfance. Comme ton propre gamin n'en a pas eu et n'en aura pas. Alors ravale moi ta condescendance. Il te sera aussi utile qu'un autre, sinon plus» continue-t-il, soucieux de défendre la chair de sa chair. « Si tu as une meilleure idée, tu es libre de la proposer. Mais en attendant, l'offre est caduc si tu n'es pas capable de me montrer que tu la prends au sérieux. »

L'allusion à Silas le força à réviser son jugement hâtif, Diggs avait au moins raison sur ce point bien qu'il n'ait pas franchement l'envie de l'admettre à haute voix. Un instant, Abel songea à toutes les tâches ingrates qu'il pourrait se faire un plaisir mesquin de confier à la progéniture de son vis-à-vis : des boulots dégradants et éprouvants, ce n'était pas ça qui manquait au ranch. Si Archer était aussi utile que son père l'affirmait, alors il ne se priverait pas pour lui donner les pires. Cette idée avait un côté particulièrement séduisant qui aurait presque pu le pousser à changer son avis immédiatement s'il n'y avait eu sa sœur de l'autre côté de la balance. De toute façon, Jenna refuserait à coup sûr. Avec son caractère de merde (on se demandait bien d'où elle tirait son inspiration tiens), elle n'était certes pas une créature docile qu'il pouvait traîner où bon lui semblait. « Tu ne crois pas que Jones va se douter de quelque chose ? Un échange aussi important ne risque pas de passer inaperçu, l'annonce de cette alliance la mettra en alerte aussitôt. » Après tout, elle savait la convoitise qu'avait Abel pour la Mine, et les intérêts de Ren dans l'affaire n'étaient pas plus transparents que les siens. « Elle n'est pas stupide, elle cherchera à comprendre la raison. Et si elle décide de prendre des mesures préventives, tu seras aux premières loges. Avec Jen. »