(II) waiting always kills + jude

Neve maudit les déserteurs. Ezechiel en particulier. A moins qu’elle ne l’admire pour son courage et son audace, pour avoir osé quitter la secte sans un dernier regard, sans peur des représailles. Elle, elle ne dispose pas encore de cette force. Il faut bien avouer que leur statut est complètement différent. Elle est persuadée que Lazare la traquerait. Persuadée qu’il préférerait la savoir morte que loin de lui. Peut-être se voile-t-elle la face, pourtant elle en doute. Elle repense à Harry, à Owen, à leur fin tragique. Elle est destinée à terminer comme eux si elle s’échappe sans songer à la suite des événements. Le but n’étant pas de se transformer en chair putride et sans vie. Cette possibilité lui donne des sueurs froides. Et, en même temps, peut-être que la mort ne serait autre qu’une délivrance comme une autre, une option à envisager. Cependant, elle n’est guère déjà désespérée à ce point. Elle tient encore debout, elle joue le jeu. L’existence n’est qu’une vaste supercherie.

L’impression d’être suivie lui collant à la peau, Neve déambule dans les rues de Maxwell, un sac à dos trop lourd sur les épaules. Elle connaît l’endroit presque comme sa poche, elle a l’avantage du terrain. Elle ne s’imaginait pas Lazare capable de la faire suivre. Il a confiance en elle après tout, en sa capacité à raisonner Ezechiel qui ne doit pas être très loin. Pourtant, elle n’est pas seule, elle le sait. A moins qu’elle ne soit prise en chasse par un inconnu… L’idée la fait frémir. Pour autant, elle n’accélère guère le pas, souhaitant préserver les apparences. Il faut qu’elle sème l’inconnu avant de tenter de suivre les traces d’Ezechiel. Même si, en réalité, elle n’a jamais eu l’intention de le raisonner, de le ramener au sein de leur clan. Il est libre maintenant.
Rapidement, elle bifurque à droite, au cœur d’une petite ruelle se séparant en deux. Une seconde fois, elle tourne à droite, accélérant cette fois-ci la cadence, espérant que son plan fonctionne. Le souffle un peu court, elle pénètre au sein d’un ancien bureau de poste, enfonçant sa lame dans le crâne de l’unique mort hantant les lieux avant de se cacher à l’arrière d’un guichet. La main gauche posée contre sa poitrine, elle tente de calmer son myocarde affolé, la main droite enserrant fermement sa serpette. Prête à bondir, elle n’a pas l’intention de mourir aujourd’hui.
Les minutes s’écoulent au cœur d’un silence presque pesant, un silence presque trop… silencieux ? Belle ironie. Finalement, la vieille porte branlante grince et quelques bruissements de pas retentissent. Peut-être n’est-elle pas aussi douée qu’elle ne le pensait pour semer les autres. Tant pis, s’il faut en venir aux mains… Elle sait qu’elle n’a pas beaucoup de chance du haut de son mètre cinquante-cinq et de ses quarante-cinq kilos tout mouillés. Mais, elle ne compte pas rester là sans rien faire. L’inconnu s’approche, elle l’entend, il contourne le guichet. Aux aguets, désespérée aussi, elle bondit sur ses deux pieds, brandissant son arme avant de stopper tout aussi net son geste. « Putain, Jude ! » Le soulagement l’envahit en une fraction de seconde. Ce n’est pas un Lazarus, ce n’est pas un inconnu. Pourtant, une fois l’adrénaline et la surprise passées, l’appréhension s’immisce en elle. Elle lui avait promis de revenir… « Je… Tu m’as fait peur. » Décidément, pour l’instant, elle n’a de cesse de subir des frayeurs inutiles. Entre lui et Billie… Elle a cru se rapprocher de la mort à chaque fois. « Tu me suis ? » Elle fronce les sourcils, interloquée. Quelles étaient les chances qu’ils se croisent par ici ? Infimes. En même temps, elle ne peut pas vraiment lui en vouloir.  

Son esprit est un champs de batailles essayant de comprendre ce qu'il fallait oublier de ce qu'il ne fallait pas. Il y avait les yeux d'Indy, curieux, prêts à tout, prêts à n'importe quoi. Les yeux de la fillette l'interrogeaient sur une femme mais, maligne, prudente, l'enfant ne prononçait jamais son nom à haute voix. Cette femme, demandaient les prunelles sombres, cette femme, est-ce qu'elle existe encore? Et Jude portait en lui l'ombre de Neve comme un foulard qu'il s'accrocherait au cou, refuserait de quitter mais que le vent, soufflant encore et encore, menaçait de faire s'envoler.
La nuit, il sortait le médaillon parfois, l'observait, le retournant dans sa main encore et encore. Indiana l'avait surpris mais une fois juste, suite à cela les yeux sombres ne posèrent plus de question : ils avaient leur réponse.
Oui, Neve existait encore, chose que la petite fille appréciait car elle donnait un peu de son amitié sauvageonne à l'adulte lorsque Neve venait.
Cela faisait néanmoins un moment que Neve n'était pas venu et Indiana voyait une tristesse maladroite sur le visage de son père désormais. Elle savait ce que cela faisait, des gens qui vous manquent, elle ne pouvait pas en parler avec lui cependant car ce serait dire à Jude à haute voix que non, il n'était pas son père.
Tant pis pour les mensonges, parfois ceux-ci étaient bien plus gentils avec vous que la vie elle-même...

Jude avait accepté une mission, pas le genre facile, pas le genre captivant non plus : quelqu'un était venu le trouver, lors d'une exploration à deux, il avait perdu l'ami avec lui, souhaitait le retrouver mais n'avait pas la force d'y aller lui-même. Cela sous entendait un sort assez funeste pour l'ami, chose dont Jude se contrefichait totalement, du moment qu'il était payé en échange.
Il parcourait donc les rues, suivant les derniers déplacements notés par son “client”. Il avait fait le point la veille au soir avec Indiana, histoire d'entraîner la fillette à lire une carte. Il semblerait qu'Indy ait de meilleurs yeux que lui, soit dit en passant. Peut-être que Jude vieillissait...
Et puis, un peu avant un embranchement, l'homme crut voir une ombre. Dans la poche de son pantalon, le médaillon pesait le poids d'un coeur battant. Il ne s'en séparait jamais, ne voulait pas s'en séparer...
Etait-ce vraiment Neve qu'il venait de voir passer? La voix rauque, l'homme l'appela mais déjà, l'ombre avait disparu.
Envoyant sa propre quête au diable, Jude commença à suivre la femme, espérant plus que tout au monde ne pas l'avoir halluciné. Elle lui manquait, on pouvait faire ça quand es gens vous manquent, non?

Après un long jeu de chat et de souris, alors qu'il poussait la porte d'un ancien bureau de poste, la femme l'attaqua, le reconnu. De fait, elle ne l'attaqua donc que presque, qu'à moitié, se retint juste avant.
Et sous la poitrine haletante d'une respiration brusque, Jude devinait le coeur battant de Neve...
”Je t'ai appelé.”, lui même se trouvait essoufflé dans sa crainte de perdre la jeune femme. ”Je t'ai appelé mais t'as pas entendu...”
Il s'approcha, demandant tacitement à Neve l'autorisation de l'enlacer, puis secoua la tête. ”Non, j'suis ici parce qu'un abruti a perdu son ami et j'dois certainement lui trouver la preuve qu'il est mort. Je t'ai croisé par hasard et...à partir de là, oui. Je t'ai suivi.”
Sans s'époumoner à hurler son nom encore et encore, cela il ne l'avait fait qu'une seule fois, d'une voix presque étranglée. Faire du bruit à l'extérieur, une erreur, même au nom de l'amour.
Surtout au nom de l'amour.
”Bon Dieu, Neve, tu me manques...”

Neve se sent peut-être un peu coupable, pourtant c’est rarement le cas. Peut-être sait-elle en quelque sorte attachée à Jude. En réalité, au fil des années, elle a l’impression d’avoir oublié ce que c’est que de se sentir proche de quelqu’un. Elle n’arrive plus à mettre des mots sur ses relations avec les autres. Tout ce dont elle a conscience, c’est qu’elle apprécie cet homme. C’est certain que dit comme ça, ça n’a l’air de rien, mais ça représente beaucoup pour Neve. Elle se sent émotionnellement déconnectée depuis la perte d’Harry, qu’elle aimait plus qu’elle ne l’imaginait, suivie de celle d’Owen, dont l’amitié l’aidait à maintenir la tête hors de l’eau. Après leur décès, elle s’est simplement refermée sur elle-même, ne souhaitant plus nouer aucun lien avec quiconque. Elle ne sait plus de quelle façon est-elle supposée agir avec le reste du monde. Elle n’est jamais elle-même avec personne, elle ne sait d’ailleurs plus à quand remonte exactement la fois où elle s’est sentie exister pleinement. Parfois, elle a l’impression de n’être qu’une ombre déambulant sur cette terre qui ne tourne définitivement plus rond. Mais, aujourd’hui elle ressent cette pointe de culpabilité. Elle ne voulait pas que Jude s’inquiète, pas du tout, c’est simplement qu’elle devait penser à elle avant tout. Sa situation au sein de la secte est pour le moins tendue. Elle doit se montrer, paraître, irréprochable, calculer le moindre de ses faits et gestes. Alors, souvent, elle en oublie tout le reste l’espace d’un instant.

Elle lui a manqué. Elle esquisse un sourire tendre à cette idée. Elle ne sait pas si c’est elle qui lui a vraiment manqué ou cette femme qu’il imagine avoir besoin à ses côtés, cette mère qu’il attend pour Indiana. Mais, quelque part, elle est touchée. « Excuse-moi. » Elle lui avait promis. Elle ne doit peut-être plus. Elle est incapable pour l’instant de maintenir ses promesses. Doucement, elle fond dans les bras de Jude, l'enlaçant avec douceur avant de s’écarter d’un pas. « Je recherche aussi quelqu’un. Un fidèle qui s’est enfui. » Auquel cas, elle ne serait probablement pas dehors mais surement au sein du vieil aéroport à attendre sagement elle ne sait trop quoi. « Lazare ne me lâche plus les basques depuis la dernière fois. » Elle sent qu’elle est plus ou moins mise à l’épreuve. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cela arrive. Lazare est du genre à tester ses fidèles, surtout ceux qui lui sont proches. Et, elle, elle fait partie de ses fidèles les plus précieux alors forcément… Peut-être qu’il sent qu’elle lui échappe. « Pas que lui d’ailleurs, disons que j’ai attiré les soupçons plus que prévu. » Elle songe immédiatement à Gabriel. Elle ne sait pas encore exactement quoi penser de lui. Elle ne peut pas s’y fier. Peut-être qu’il est de son côté, peut-être qu’il attend de sauter sur la moindre occasion lui permettant de regagner la confiance de Lazare. Rien n’est certain. En tout cas, elle se sent plus épiée que jamais. « J’ai été envoyée en mission, je n’ai pas eu l’occasion de te prévenir. J’espère qu’Indiana et toi allez bien. » C’est sincère, même si elle a conscience qu’ils se débrouillent très bien à deux. Ils n’ont pas vraiment besoin d’elle, c’est probablement juste l’esprit torturé de Jude qui ressent ce besoin. Elle n’en sait trop rien.

Il avait peu de pouvoir, Jude, au final pas même celui de la serrer convenablement dans ses bras. Elle était une femme, elle était une ombre,et les deux se confondaient. Parce qu'elle n'était pas SA femme. Il la savait appartenir à un autre, un autre que même son esprit malade acceptait de ne pas pouvoir tuer pour ainsi le remplacer. Jude était fou, peut-être, cependant son instinct de survie existait bel et bien, l'avertissant de ce qui était possible ou non, de ce qui était crédible ou non.
Il a peur pour Neve, il a mal pour Neve, désire l'aider, la protéger. Au fond, cela n'obéit pas à une quelconque logique, quelque chose chez la jeune femme lui rappelait peut-être juste sa vie d'avant, réelle? Quelque chose perdue dans des ténèbres qu'il oubliait lui-même, quelque chose de véridique, qui avait existé.
Qu'importe.
Il y a de la douleur dans leurs retrouvailles, dans les mots de la brune, dans sa manière à lui de sourire malgré tout. Il y a de la douleur, tous deux le savent, et un prix à payer derrière. Pas pour l'espoir, ce qu'ils ont est finalement trop fragile pour cela,juste pour...pour quelque chose que Jude ne saurait nommer. Ni rêve, ni envie.
Ni espoir...

”Tu me manques, tu lui manques aussi.”, c'est tout ce que Jude parvient à répondre. Il a la voix un peu rauque, ne l'élève pas, comme un murmure. Non, il ne va pas bien, voilà ce qui se cache derrière ces mots. Parce qu'il pense à elle, Neve, parce qu'elle n'est pas avec lui.
Parce qu'il ne peut affronter seul une secte entière pour sauver la jeune femme. Parce qu'il doit protéger Indiana aussi, et cela le terrifie. Il ne peut être à la fois auprès de Neve comme auprès d'Indiana, le sait tout autant que la femme lui faisant face le sait, elle aussi.
”Tu as tes propres plans, n'est-ce pas?” Jude ne parle pas d'aujourd'hui, de la mission assignée à la jeune femme avec le fuyard. Il lui parle d'elle, simplement. Parce qu'elle ne s'est jamais jetée à ses pieds pour demander des choses déraisonnables, parce qu'il reconnait en elle, instinctivement ou non, quelque chose de froid et de calculer que Jude possède aussi. A sa manière.
Et qui pourtant n'empêche les émotions...
Il aime sa fille, il aime également la femme qu'il a choisi. Un sentiment étrange là encore, car il l'a choisi avec ce qui se rapproche le plus pour lui d'un libre arbitre, cette femme sans enfant qu'l ne sait pas avoir rencontré avant.
Il y a de nouveau un silence, Jude acceptant qu'elle choisisse de répondre à sa question comme de se taire. Et puis, parce que de toutes manières, son coeur est déjà brisé à sa façon, il demande encore : ”Combien de temps a-t-on, maintenant?”
Assez pour l'embrasser, assez pour un début de rêve avant que le cauchemar ne vienne?

Neve sourit péniblement, pas parce qu’elle n’est pas touchée par les mots de Jude, mais simplement parce que ces derniers lui remémorent sa condition. Autrement dit : captive. Sans oublier un dernier aspect, le fait qu’elle n’a surement pas dû manquer à quelqu’un depuis des lustres parce qu’elle n’a tout bonnement plus personne à qui… Manquer. Alors oui, les paroles de Jude lui réchauffent le cœur tout autant qu’elles le lui écorchent. Elle a perdu tant de monde, tant de choses, jusqu’à se perdre elle-même, jusqu’à s’oublier au profit d’un masque et d’un océan de faux-semblants. Parfois, elle ne sait plus réellement comment agir, réagir. Comme à cet instant par exemple, elle ne sait pas pourquoi diable elle prend ces quelques mots trop à cœur, pourquoi ils éveillent tant d’émotions contradictoires en elle. Elle ne répond pas. Elle a bien conscience que le Carrière souffre peut-être plus qu’elle, qu’il évite sa question initiale. Comment vas-tu ? Pas bien, l’évidence se lit dans ses yeux. Et, elle en est la responsable, elle en a conscience. Il ne mérite pas qu’elle lui fasse convoiter monts et merveilles, elle ne l’a jamais fait intentionnellement, se faisant violence pour ne pas se lancer dans des promesses vaines. Mais le fait est qu’il n’y a pas besoin de mots pour blesser. Elle agit de façon égoïste, en pensant à elle avant tout, ayant volontairement entraîné Jude dans sa mascarade et ses plans d’évasion. Lui, il cherche une mère pour Indiana, une femme à ses côtés, quelqu’un pour combler un vide indéfini. Dans le fond, ils se complètent plutôt bien dans leur égoïsme.  

Jude est plus clairvoyant qu’elle ne l’imaginait. Doit-elle se montrer sincère ? Elle hésite. Oui, elle a des plans, de nombreux plans. Un plan A, un plan B, même un plan C. Des plans visant à se tirer la tête hors de l’eau. Jude est un pion. Enfin, c’est ce qu’il était initialement. Maintenant, c’est un peu flou. Elle n’est plus certaine d’avoir envie de le mêler à tout cela, à Lazare et le paquet de problèmes qui la poursuit sans relâche. Il y a Indiana aussi à prendre en compte. Surement qu’elle aurait dû éviter d’entrer dans leur existence et de s’y immiscer par la force. Alors, là, tout de suite, elle n’est plus certaine que Jude fasse partie de son plan initial car elle ne souhaite pas l’entraîner à sa perte. Lui qui semble déjà être une bombe à retardement. Elle ne veut pas qu’il explose à cause d’elle.
Il finit par changer de sujet, interprétant probablement son silence. Peut-être aurait-elle dû éclaircir les choses. Elle n’en sait rien. « J'ai quelques heures devant moi, peut-être moins. » Il faut qu’elle rentre avant la nuit tombée cette fois-ci. Aucune erreur n’est permise. Elle doit conserver les apparences. « Écoute… » Elle pince les lèvres, pas certaine des paroles qui sont sur le point de s’extirper de sa bouche. « Ce n’est pas parce que tu ne fais pas partie de mes plans actuels que je t’oublie. C’est valable aussi pour Indiana. » Parce qu’il est désormais ce qui se rapproche le plus d’un être proche à ses yeux, bien que leur relation est pour le moins tordue. Un jour, il faudra qu’elle lui avoue la vérité, leur passif. « Tout est compliqué pour l’instant et je ne peux pas me permettre d’accorder du temps à autre chose qu’à la secte. » Elle doit attendre le bon moment pour se tirer. Ce n’est clairement pas maintenant. « Il est préférable qu’Indiana et toi n’ayez aucune connexion avec moi. » Parce que si Lazare apprend ses projets d’évasion, s’il remonte à n’importe qui, comme à Jude ou Indiana, il prendra des mesures drastiques. « Comme d’habitude, je n’ai rien à promettre, simplement une heure à t’accorder avant de reprendre mes recherches vaines et de rentrer. Je ne sais pas de quoi sera faite la suite, ni quand nous nous reverrons. » Pour une fois dans sa vie, elle se montre honnête et elle avoue qu’elle se sent libérée. Pourtant, elle a plutôt l’habitude de jouer sur deux tableaux, mais là, précisément, elle était sur le point d’imploser à force de mentir.

Il sait ce que c'est, d'être perdu, le coeur au bord des lèvres comme cela alors quand ses yeux se posent sur Neve à nouveau, Jude n'y porte aucun jugement. Les souffrances, restent, s'émeuvent parfois, mordent plus fort, changent et nous changent aussi. Il a peur pour elle, un peu, sait qu'il n'a aucun pouvoir, surtout pas celui de la protéger.
Ni elle, ni Indiana car il n'est qu'un homme, car il est capable d'erreurs.
Car le monde, ce putain de monde est cruel, voilà tout.
Il n'y a pas à pleurer, il n'y a pas à se plaindre, pas si cela ne peut aider.
Et cela n'aide pas...
Il ne peut pas entendre le coeur de la jeune femme, juste l'imaginer. Alors il l'imagine, là, dans sa tête, et ce coeur bat comme un oiseau blessé.
Jude lève la main, la pose sur la joue de Neve. Un geste doux et intime, et il lui semble comprendre un peu de ce que la jeune femme tente de lui dire.
Qu'il n'est pas un pion, ni lui, ni Indiana. Alors cela est plus compliqué, car Neve ne veut pas les sacrifier...
En silence, Jude hoche la tête un peu. Une heure, dit-elle, la femme qu'il aime, et une heure c'est tellement court... Pas le temps pour la colère, le chagrin.
Cette fois-ci, c'est de Neve tout entier dont Jude se saisit. Il la serre contre elle et l'embrasse une fois, deux fois, trois fois, chaque baiser plus fort que l'autre avant lui, plus tragique aussi à sa façon et ça, Jude n'a pas la force de le cacher.
Parce qu'il n'est qu'un homme.
Neve avait tué de lui l'optimisme factice qu'il s'efforçait d'avoir avant, seul avec Indiana. Désormais, il voit sous ses yeux les conséquences directes de ce qu'ils peuvent fair eou non, désormais il se construit lui, perd en coeur, gagne en tristesse.

”Je ne sais pas non plus”, murmure-t-il, sa main caressant avec douceur les mèches de la jeune femme. 'Parfois, je me dis que si j'étais un enfoiré, les choses seraient plus simples.” Et Jude ne peut pas s'empêche de sourire un peu, juste un peu. ”J'aurai juste à te kidnapper et à me barrer.. Sauf que si j'étais comme ça, ça voudrait dire aussi que t'as aucune valeur pour moi. Tu en as, tu en auras tout le temps même si tout ce qui me reste, ce sont des souvenirs.”
Il ne peut pas savoir qu'il n'en a aucun, des souvenirs, il ,ne peut pas. C'est trop dur...
Alors il l'embrasse encore, vorace, au milieu du danger et les minutes leur filent entre les doigts, déjà lorsqu'il ne veut que la toucher encore et encore. Pas l'aimer puisque aimer Neve, Jude le fait déjà....

L’étreinte de Jude est réconfortante, passionnée, presque désespérée aussi. Neve lui répond avec ferveur, enserrant ses bras frêles autour de sa taille. On dirait presque un adieu, la sensation est particulière. Elle déteste les au revoir, peu importe qu’ils soient définitifs ou non. D’habitude, elle évite ces derniers, elle prend ses jambes à son cou, mais cette fois-ci est différente. Ils scellent leurs lèvres à plusieurs reprises, se délectant de l’un et de l’autre. Ils en oublient surement qu’ils sont des proies faciles ici, mais peu importe. Finalement, ils rompent leurs baisers, sans pour autant se séparer de l’un et de l’autre, conservant leur proximité. Elle le vrille un instant de ses prunelles émeraude. Elle aimerait bien faire un petit tour dans l’esprit de Jude à ce moment précis. A quoi peut-il bien songer ? Elle a bien conscience que ses propos précédents ne sont pas vraiment ce à quoi il s’attendait. Mais, elle ne pouvait plus continuer de lui mentir. La vérité n’est pas plaisante certes, mais elle vaut toujours mieux qu’un tissu de mensonges.

Les paroles de Jude sont dotées d’une saveur étrange, pourtant Neve esquisse un léger sourire face à ces dernières. Peu à peu, elle commence à comprendre les raisonnements parfois étranges et compliqués du Carrière. D’une certaine manière, cet aveu signifie beaucoup. Il n’a pas l’intention de lui faire du mal, ni de la forcer à faire quoique ce soit. Elle a de la valeur pour lui, elle n’est pas qu’un simple objet, un joujou. Il lui laisse le choix, ne la brime pas. Il s’agit d’une preuve d’affection considérable aux yeux de la jeune femme qui ne rêve que de liberté depuis déjà tant d’années. Jude n’est pas parfait, tout comme elle d’ailleurs, mais il est bien mieux que certaines personnes de son entourage proche actuel. Oh, bien sûr, il n’est guère blanc comme neige, loin de là, mais avec elle, il se comporte différemment. Peut-être qu’elle a su éveiller quelque chose en lui, elle n’en sait trop rien. Pour autant, elle préfère éviter de se monter la tête trop rapidement, de se donner de faux-espoirs, Neve reste elle-même, autrement dit une terrible et éternelle fataliste. Peut-être pourra-t-elle changer elle aussi un jour ou l’autre. Rien n’est moins sûr la concernant. Depuis sa rencontre avec Lazare, elle a perdu de son éclat, elle ne rayonne plus comme avant. Cependant, elle n’est pas brisée, elle ne le permettra jamais.
« Les souvenirs comptent énormément. » Surtout pour Jude dont la mémoire fait défaut. Peut-être qu’il l’oubliera en réalité. « Assez pour que j’essaye qu’on s’en crée des nouveaux, que ce soit dans un avenir proche ou lointain. » Elle sourit, pourtant une certaine tristesse se discerne dans le regard de Neve. Elle ne promet toujours rien, si ce n’est de faire son possible pour s’en sortir, pour qu’ils se recroisent tôt ou tard. Si ça se trouve il l’aura déjà chassée de son esprit… Peut-être qu’ils finiront par se retrouver pour mieux se déchirer, mais au moins auront-ils essayés. « Mais, je ne veux surtout pas que tu prennes la décision de m’attendre ou un truc du genre. Il faut que tu continues ton existence. » Finalement, elle se dresse sur la pointe des pieds, déposant un chaste baiser sur les lèvres de son amant. « Merci pour… cet aveu. » Bien qu’il semble plutôt étrange Neve est touchée par le respect et la liberté qu’il lui accorde. Il pourrait l’enlever ici et maintenant, c’est vrai, mais il tient trop à elle pour avoir recours à cette solution plus que médiocre. C’est quelque chose qui signifie beaucoup pour elle. Elle le serre un peu plus contre elle, toujours plus, posant sa joue contre son torse, sondant les battements de son cœur.  

Il pense à un jardin, aux murs blancs d'une maison aussi. Peut-être ne sont-ils pas blancs vraiment,? Les souvenirs savent toujours comment mentir... Il y a des tâches rouges étranges contre les murs qu'il imagine et c'est ce qui lui fait comprendre qu'il s'agit là d'un souvenir, d'un vieux souvenir.
Un souvenir d'avant.
(il en a?)
Avant les Rôdeurs, car ce rouge qu'il vopit est trop beau, trop profond pour être celui d'un sang putride, de matières grises quelconques, de morts ou de massacre. C'est un rouge de fleurs et oui, oui voilà, contre le mur blanc qu'il voit, contre le mur blanc dont il se rappelle, d'un beau rouge sont les fleurs, d'un beau rouge sont les roses...

”Je continuerai mon existence, Neve. Elle sera beaucoup de choses, faire grandir ma fille, la protéger et puis t'attendre aussi quoi que tu en dises.” Les mots sont comme un grognement étrange depuis le fond de sa gorge. Il y a de la douleur, il y a le fantôme d'un baiser aussi, celui-ci restera sur ses lèvres jusqu'au bout, peu importe ce que cela signifie. Avec force, Jude tient Neve contre lui, avec Force, il porte la main de la jeune femme à ses lèvres, l'y embrasse encore et encore, c'est une promesse.
Attendre et espérer, un livre se terminait ainsi mais Jude ne peut se souvenir lequel. Il pense au jardin, cela lui suffit.
Qui donc peut encore avoir un jardin dans une époque pareille pourtant? Ce n'est pas une promesse, juste un souvenir.
Encore une fois, la jeune femme est contre lui. Il la serre fort, sait qu'elle peut entendre son coeur. Il bat et il se brise, les deux à la fois, et pourtant Jude ne peut se résoudre à faire quelque chose de mal.

”Peut-être qu'un jour, on repensera à tout cela en souriant, peut-être qu'on aura trouvé la paix, toi, moi... qu'on se sentira ridicule d'avoir été aussi triste un jour.”
Il n'y a pas de temps pour la tristesse, quelque chose que Jude répète à chaque larmes d'Indiana. L'enfant en a beaucoup, ses souffrances la dévorent encore même maintenant mais elle écoute, ne pleure plus à visage découvert.

”C'est triste, d'aimer quelqu'un...” Et ne devrait-il pas le savoir déjà? Car il y a eu la mère d'Indiana, la mère de sa fille et Jude y pense un peu, son esprit malade cherche, perdu. ”Ou alors d'aimer quelqu'un à nouveau, seulement.” Après la perte et le deuil, après les souvenirs.
(Il n'en a pas).
(Il n'est pas Jude).
(Il aime Neve cependant, cela est vrai)

Du bout des lèvres, l'homme embrasse la tempe de la jeune femme, et puis son front, ses paupières, pas ses lèvres. Et c'est là le seul baptême que Jude peut lui offrir, lui qui n'est pas Lazare mais porte du sang sur les mains également.
En silence, il regarde Neve, il y a un feu dans ses yeux à lui, mais il ne l'embrasse toujours pas, attend. A Neve de décider, de l'autoriser à ce dernier geste ou bien de s'en aller peut-être. Le feu brûle, le brûle, une douleur, il a mal. Mal d'elle, de ne pouvoir l'embrasser comme l'on dévore quelque chose mais ce n'est pas ainsi que Neve doit être aimé. Jude sait peut de choses à part cela.
Cela il le sait, il en est sûr.
Ce n'est pas ainsi qu'elle doit être aimé.

Au moins Jude possède-t-il une existence bien à lui, c’est ce que Neve se répète mentalement afin de se donner du courage, afin de résister à l’envie de renoncer à ses bonnes résolutions. Il n’est pas seul. Indiana est avec lui, Indiana qu’il considère comme sa propre fille malgré les circonstances l’ayant amené à prendre cette dernière sous son aile. Il va continuer à survivre, parce qu’il le doit pour Indy, parce qu’il tient à la vie aussi. Peut-être trouvera-t-il encore une femme, celle qui est faite pour lui, celle qui restera enfin à ses côtés. C’est quelque chose que Neve ne peut pas lui promettre. Pas seulement parce qu’elle appartient à Lazare, mais parce qu’elle tient trop à sa liberté désormais, si elle arrive à s’échapper des griffes du gourou, elle n’a pas encore la moins idée de ce qu’elle compte faire. Peut-être partir, réapprendre à vivre, savourer la solitude. Elle n’en sait rien, ce qu’elle sait, c’est que les promesses, ce n’est pas vraiment son truc. Jude sera bien mieux sans elle dans les pattes. Après tout, elle n’est - à la base - venue vers lui uniquement dans l’espoir de le manipuler à sa guise, d’en faire son sauveur. Ce n’est pas trop sain comme relation. Elle veut être sa propre sauveuse. Lui, il cherchait simplement une remplaçante à sa défunte “épouse”. Encore quelque chose qui est loin d’être sain. Ils doivent s’éloigner. Parce qu’elle se doit d’éviter de les mettre en danger, sa fille et lui, tout comme elle se doit de mettre au placard toutes ses relations malsaines ou du moins, ses relations basées sur un mensonge. Peut-être qu’après ils se retrouveront, qui sait ?

Pour l’instant, elle se sent en sécurité dans les bras de Jude, elle se délecte de ce moment éphémère. Plus il la serre contre elle, plus elle se laisse submerger par cette sensation illusoire de tranquillité. « J’espère que tu as raison. » Elle ne ment pas. Elle souhaite pouvoir rire un jour de cette tristesse, pouvoir repenser à cet instant en se disant qu’il appartient désormais à un passé révolu. Mais, c’est un peu trop beau pour être vrai, sacrément trop beau même. « Aimer c’est souffrir. » Qu’elle rétorque sur un ton à peine audible, la voix un peu brisée. Elle ne sait plus exactement où elle a bien pu entendre cette citation, mais il s’agit là de la stricte vérité. La plupart des ceux qu’elle a pu aimer sont morts. Ses amis, sa famille, ses amants, presque tous. Ils devraient tous devenir imperméable à l’amour, surtout maintenant, surtout dans ce monde.

Neve se laisse bercer encore un moment par l’affection de Jude, par sa tendresse. Il l’embrasse, ci et là, la couvrant de légers baisers. Elle doit lutter pour ne guère se laisser attendrir, tout comme elle doit lutter pour ne pas s’abandonner à ces gages d’affection. Ils se jaugent un moment, se perdent dans le regard de l’un et de l’autre. Elle sait qu’elle doit tourner les talons avant de flancher. Pour autant, elle ne peut résister, elle scelle une dernière fois leurs lèvres dans un baiser passionné, ses mains agrippant la nuque du Carrière, le plaquant contre elle. Elle commence à perdre le contrôle, brûlante de désir, elle s’en rend compte. Finalement, elle pose ses paumes sur la poitrine de Jude, le repoussant légèrement, avec douceur. « Je vais y aller, c’est mieux. » Elle n’attend pas de réponse, elle se détourne avant de changer d’idée, fonçant vers la porte. « J’espère que tu trouveras quelqu’un qui pourra t’apporter ce que tu recherches, Jude. » Et, sur ces quelques mots, elle s’éclipse, la gorge nouée, le cœur en vrac.