Shopping spree | Dean & Holly

Virevoltant, gambadant, les bras tendus de chaque côté pour caresser chaque tissu du revers de la main, je progresse ainsi entre les étalages depuis un bon quart d’heure. Je dois avoir l’air complètement débile, mais outre le corps qui me suit paresseusement, il n’y a personne pour juger mon comportement enfantin. Et franchement, si Jean-Marie me passe le moindre commentaire, je serai insultée. Après tout ce que nous avons traversé, j’aurais bien du mal à l’endurer. Heureusement pour moi, il se tient à carreau pour l’instant. Il se contente de m’emboiter le pas en râlant de temps à autre. On pourrait presque croire qu’il me répond. Il est simplement parfait, Jean-Marie. Et le pire, c’est qu’on s’est rencontrés complètement par hasard, alors que j’entrais dans cette boutique à l’insigne décrépite pour faire de simples courses. Un coup de bol, le destin, appelez ça comme vous voulez, mais j’en suis heureuse. Contrairement à la plupart des garçons de l’ancien monde, il ne râle pas quand je m’attarde trop longtemps devant un présentoir. Le mec idéal si on ne prend pas en considération son stade de décomposition assez avancé.

« Hmm... Tu crois que ça lui plairait? Ce n’est pas exactement Cendrillon, mais la robe est bleue. » Après quelques secondes à farfouiller parmi les cintres, je finis par en sortir un pour le présenter à mon nouvel ami. Le bout de tissus qui y est accroché retombe mollement, affaissé par la poussière. Il faudra que je la nettoie et que j’effectue quelques retouches, mais je crois que ça pourrait le faire. Et puis, qu’est-ce qu’un peu de travail contre le sourire d’une enfant? Satisfaite, je laisse mon sac à dos retomber le long de mon bras. « Du calme, j'ai presque terminé. » Je grommelle à l’intention de Jean-Marie qui grogne à quelques mètres. Je maintiens une main sur Leah par réflexe, tandis que l’autre s’affaire à ranger ma trouvaille. Une fois mon bien en sureté, je replace le sac sur mes épaules d’un mouvement désinvolte, puis je me remets à marcher, cette fois un peu plus lentement. J’ai une pensée pour Indiana. Elle n’a pas pu venir dans ma classe depuis un moment, alors j’ignore ce qu’il lui manque, si son père a su trouver des vêtements à sa taille. Dans le doute, je préfère m’attarder encore un peu pour trouver quelque chose à lui ramener. Si elle n’en a pas besoin, je suis certaine de trouver preneur chez les plus jeunes Olympiens de toute façon.

Je suis toujours à la recherche de vêtements, parcourant tranquillement les rayons comme si la fin du monde n’était jamais arrivée, lorsqu’une voix m’interpelle. J’étais tellement concentrée que je n’avais perçu aucun signe de sa présence. Pourtant, il est juste en face de moi, à quelques mètres à peine. Je suis bien entourée. De l’autre côté de l’étalage il y a l’étranger, puis Jean-Marie qui se traine toujours à ma suite. Décidemment, la journée s’annonce bien. Un large sourire s’étire sur mes lèvres, en réponse au sien. « Jean-Marie? » Je demande, d’humeur légère. Je remarque son geste, sa main qui se pose près de son arme, mais je ne relève pas. S’il veut me planter au milieu des allées, ainsi soit-il. Je ne lui en voudrai pas de faire preuve de méfiance, surtout dans un monde comme celui-ci. « Il n’est pas très bavard, mais au moins il me laisse tout mon temps pour magasiner sans râler. L’homme idéal, quoi. » Évidemment, je ne peux être certaine de mon affirmation vu son état de décomposition. Le cadavre ambulant pourrait tout aussi bien appartenir à une femme. Après lui avoir jeté un bref regard, je me retourne vers l’homme, prenant appui sur le rayon pour approcher un peu mon visage du siens. J’en profite pour le détailler un peu plus en profondeur. Il a une bonne carrure, ne semble pas trop maigre. Ça veut dire qu’il mange bien, qu’il survit bien. Il n’a pas l’air mauvais non plus, vu les traits presque enfantins de son visage. Il me semble être une bonne personne, mais je sais par expérience que je ne peux pas me fier à ça. Les psychopathes sont souvent les meilleurs acteurs. Cependant, je sais aussi que s’il avait voulu me tuer, il aurait pu le faire. L’occasion s’est présentée à plusieurs reprises et pourtant, il ne l’a pas encore saisie. Cette simple information suffit à me prodiguer un sentiment de sécurité. Je reste détendue, ne ressentant même pas le besoin d’attraper ma hache chérie.

« Je peux te dire un secret? » Je demande, battant pratiquement des cils. Ce n’est pas une manière de le séduire, loin de là. Je ne fais que m’amuser. Le rire est la seule chose que je tente de tirer de mes rencontres, qu’elles soient mortes ou vives. C’est que les spectacles d’humour et les sitcoms marrantes se sont éteintes au même moment où les morts se sont mis à se relever. De nos jours, il n’y a plus grand moyen pour se distraire, alors j’essaie de saisir chaque occasion qui s’offre à moi. Sinon, je deviendrais complètement folle et une enseignante maboule pour éduquer la prochaine génération de survivants, ce n’est pas l’idéal. « Tu auras compris que la violence ne résout rien lorsqu'un moustique se sera posé sur tes couilles. » Ma phrase, presque murmurée, est suivie d’un hochement de tête énergique. C’est que je parle par expérience personnelle. S’il y a bien une chose que j’ai appris en rejoignant Olympia, c’est que la violence n’est pas plus distrayante qu’une plaisanterie, aussi nulle soit-elle. C’est pour cette raison que, plutôt que de massacrer chaque rôdeur que je croise, je m’amuse un peu avec eux avant de les tuer proprement. Comme Jean-Marie qui s’approche lentement de moi. Il pourrait presque poser ses doigts décharnés sur mon épaule. « Je suis désolée mon vieux, mais ce n’est pas poli d’interrompre les conversations. » Je lâche avant de me retourner vers lui pour lui planter ma hache dans le crâne d’un coup précis.