woman + holly

novembre 2018 + Adossé contre un tronc d’arbre, Nino guettait de loin l’entrée d’Olympia, dans l’espoir de voir passer le petit museau de sa soeur. Avec les tensions actuelles, les Weaver ne pouvaient malheureusement pas se rencontrer autant qu’ils le souhaitaient ou même simplement organiser leurs petites rencontres. Une absence pesante qui le rongeait quelque peu, lui qui en retrouvant sa petite soeur, pensait pouvoir la tenir plus souvent dans ses bras. Pas défaitiste ou négatif pour autant, l’éclaireur continuait de voir le bon côté des choses, conscient d’avoir déjà beaucoup de chance de pouvoir lui reparler après autant d’année. Parfois trop impatient pour attendre le prochain rendez-vous dans la forêt, Nino se rendait aux abords de la cité et attendait d’éventuellement apercevoir Lenny au loin. Malheureusement pour lui, sa cadette occupait un poste plutôt interne et ne sortait que très peu de la ville, si bien qu’il ne la voyait que très rarement.

Au bout d’une heure d’attente, Nino jeta finalement l’éponge et reprit la route vers ses activités d’éclaireur. Même si cette zone ne méritait pas forcément beaucoup d'intérêt, il était toujours bien de venir observer de temps en temps les changement notoires qui pouvaient s’y opérer. Une tâche qu’il prenait très à coeur, tout autant que lors de ses premières sorties. Même s’il se souvenait parfaitement de ses premiers jours à la mine, Nino devait avouer que ces derniers commençaient sérieusement à dater et que beaucoup de chemin avait été traversé depuis. Hors les retrouvailles avec sa soeur, ces dernières années avaient été riches en rencontres, bonnes ou mauvaises et si la nostalgie le saisissait de temps à autre, il se retrouvait finalement souvent trop occupé pour y penser.

Pourtant, quand il s’y attendait le moins, le passé resurgissait parfois de nul part, comme à cet instant précis où son regard croisa celui d’une rousse familière. Surpris de croiser quelqu’un, l’éclaireur attrapa dans un premier temps son arme, avant de finalement la baisser un peu secoué. Pendant un court instant, l’éclaireur resta parfaitement immobile, incapable de savoir s’il divaguait complètement ou non. Puis comme la rousse ne disparaissait pas, il accepta cette réalité et décocha enfin un sourire sincère. « Holly ?! Je pensais pas te revoir dans le coin ! » Naturellement, il s’avança vers elle, avec toute la bienveillance du monde. Si leur amitié et leur amourette datait, elle n’en restait pas moins une personne relativement importante de son ancienne vie et il ne pouvait être qu’heureux de la retrouver vivante.

novembre 2018 + Après avoir passé près de deux semaines à Olympia, je commence à comprendre comment cette communauté fonctionne et comment elle a pu tenir aussi longtemps. Malgré que je ne sois pas là depuis très longtemps, je commence à leur faire confiance, principalement à cause de Rachel. Si elle est avec eux depuis autant de temps qu'elle le dit, c'est qu'ils ne doivent pas être si mal, car la connaissant, elle serait partie rapidement si elle ne s'était pas sentie à l'aise. Malgré qu'elle ait été maladivement timide avant l'épidémie, la gamine a su se tailler un fort caractère au fil des épreuves qui ont déjà été beaucoup trop nombreuses pour son jeune âge. C'est une vraie battante en qui je voue une confiance aveugle et vice-versa. Si elle a cru bon de me ramener ici, c'est pour une bonne raison. Alors je reste pour elle, bien que les sorties à l'extérieur restent nombreuses. Il y a quelque chose dans l'aspect de la ville qui ne me revient pas. Je ne sais pas si c'est l'impression d'étouffer que j'ai en quasi-permanence à cause des murs qui nous entourent ou si c'est le fait que la plupart des habitants ont pu garder un mode de vie paisible qui ne me revient pas. Peu importe, l'air frais me manque. J'ai besoin de moments de solitude ou je peux simplement me promener et errer comme bon me semble. Cette après-midi en fait parti. J'ai quitté l'enceinte aux petites heures du matin sans aucun bagage à part Leah, ma fidèle hache. J'ai essayé de me familiariser avec les alentours, mais mes pieds ont fini par me ramener instinctivement vers la forêt, là où j'ai revu la gamine pour la première fois. J'y suis restée quelques heures, contemplant la nature et le ciel, revivant des moments douloureux du passé. J'ai eu la chance de croiser deux rôdeurs, juste assez pour me défouler. C'est peu, mais vu la densité de la faune dans cette partie du Texas, c'est un véritable coup de bol d'en avoir croisé autant. Mais c'était il y a un moment. Ça doit faire une bonne heure que je n'ai rien croisé à part des arbres et je commence à m'ennuyer. Je reviens donc vers la ville, me guidant avec le soleil. Ce n'est pas une méthode précise, si bien que le chemin du retour prend le double de celui de l'allée. Malgré mes embûches, je finis par reconnaître l'endroit où je me trouve. Je reprends ma route, certaine d'arriver dans quelques minutes à peine, lorsqu'une voix attire mon attention. Je me retourne et mon regard croise celui d'un homme qui semble me reconnaître. Mais à moi, il ne me dit rien. Je m'approche un peu, méfiante. Je resserre instinctivement ma main sur le manche de ma hache, puis j'effectue un autre pas en sa direction. Je fronce un peu les sourcils en le détaillant, la tête légèrement penchée sur le côté. Les traits de son visage me sont familiers, mais je reste incertaine. « Nino? » Une question plutôt qu'une salutation. J'ignore si c'est bien lui, mais si c'est le cas, il a bien changé. La dernière fois que je l'ai vu, il venait tout juste de franchir la vingtaine. Et Nino habitait au Colorado. Qu'est-ce qu'il se venu foutre au Texas? « T'en as fait du chemin. Je crois que c'est moi qui devrait être surprise. » Je m'approche encore un peu, ne sachant pas comment me comporter en sa présence. Les choses ont changé avec le temps et s'il a déjà été mon ami, puis mon copain temporairement, il est maintenant un complet étranger. S'il y a bien une chose que j'ai appris depuis le début de l'épidémie, c'est que les gens changent complètement, rarement pour le mieux. Il ne faut faire confiance à personne si on veut s'en sortir.

novembre 2018 + La surprise plus que partagée, les deux anciens amis s’approchaient avec prudence, juste assez proche pour observer les changements notoires. Si dans le fond elle ressemblait toujours un peu à la jeune fille qu’il avait connu autrefois, Holly ressemblait désormais totalement à une femme. Les années s’étaient écoulées aussi vite pour lui, que pour elle et même si elle ne perdait rien de son charme avec l’âge, il peinait à retrouver ce qu’il voyait chez elle avant. Anciens amis, anciens un peu plus d’ailleurs, ils s’étaient comme beaucoup de jeunes de leur âge perdus de vue, avant que la fin du monde ne se déclenche. La retrouver semblait totalement improbable, surtout après autant de temps et dans un lien aussi simple que ce dernier. Alors qu’il exprimait sa surprise de la croiser par surprise au beau milieu du Texas, il devait avouer que sur le papier, c’était lui le plus perdu des deux. « Oui, tu as raison. » La route entre Aspen et le Texas n’avait pas été de tout repos et sans Lenny, il ne serait jamais venu se perdre dans ces terres arides. A choisir, il serait resté dans ses montagnes, avec son snowboard et son meilleur ami, à profiter de la poudreuse jusqu’au bout. Une vie de rêve abandonnée pour un tout autre chemin qu’il ne regrettait pas pour autant. Même si cela avait pris plus de temps que prévu, il avait finalement pu revoir sa petite soeur, un bonheur sans nom qui lui donnait un regain d’énergie.

Si l’idée de revoir la montagne ne le quittait pas pour autant, Nino savait que ça place était pour l’heure ici et croiser une vieille connaissance confirmait encore plus cela. « J’ai atterri au Texas en cherchant ma petite soeur. » Si son sourire en disait long sur la fin heureuse qu’avait connu ses recherches, l’éclaireur ne s’étala pas pour autant sur les faits, conscient que certains vivaient désormais parfaitement seuls. Maintenant que le pourquoi du comment de sa présence au Texas était expliqué, la conversation pouvait de nouveau se concentrer sur leurs retrouvailles et plus précisément sur ce qu’ils étaient devenus après tout ce temps. « Je pensais pas te revoir… Ca fait si longtemps. » Encore un peu sous le choc, le brun n’arrivait pas à choisir une question pour ouvrir le bal, conscient qu’il faudrait sûrement des heures pour en apprendre réellement plus.

« Du coup, tu vis dans le coin ? » Si c’était le cas, le temps ne manquera pas forcément et avec un peu de chance, ils parviendront à s’offrir un moment tranquille pour raconter leurs périples mutuels, comme le feraient deux vieux amis. Seulement, à l’inverse de l’ancien monde, celui-ci demandait bien plus de méfiance et de prudence, même avec les anciennes connaissances. « Moi je vis à la mine. » S’exposer ne le dérangeait pas, c’était pour montrer l’exemple et surtout rassurer l’autre sur ses intentions. Nino ne voyait pas la rousse comme une ennemie, et même si elle avait sûrement beaucoup changé elle restait quelqu’un de son passé.

novembre 2018 + J’hésite à lui faire confiance. Avant, ça me serait venu naturellement. Je serais allée le serrer dans mes bras, puis je lui aurais parlé comme dans le bon vieux temps. J’aurais pris de ses nouvelles, je lui aurais dit ce qui m’amène dans le coin. Sauf que la raison n’est pas forcément agréable et je n’ai pas envie d’en parler. Lui aussi a peut-être traversé de grandes épreuves. Il peut avoir complètement changé et si ça se trouve, il se prépare peut-être à l’attaque, misant sur notre relation passée pour me dépouiller de mes maigres vivres. Peut-être. Je n’ai aucune raison d’être certaine, alors je m’approche doucement, méfiante. Je m’arrête après avoir posé une première question, dans l’attente d’une réponse. J’aviserai au cours de la discussion. Mais pour l’instant, il semble honnête. Il va même encore plus loin. J’ai un vague souvenir de sa sœur, mais je n’arrive pas à me rappeler de son nom, ni de son physique. Faut dire que je ne l’ai pas vue souvent. La plupart de mes voyages à Aspen, je les passais cloîtrée avec mon père, profitant de nos rares moments sans qu’il soit préoccupé par le boulot, ou sur les pentes avec Nino. Mais ça n’a pas d’importance. Je refais un pas vers lui, attentive aux mouvements de son visage. Il semble sincère, un peu comme avant. Il n’a pas l’air complètement brisé, ni détruit comme la plupart des gens que j’ai rencontré. Mais il est peut-être seulement bon comédien.

Sauf qu’un acteur ne révélerait pas sa position, encore moins s’il s’agissait de la mine. Je ne sais rien sur eux, à part que leur leader s’appelle Anita et qu’ils sont les plus isolés du coin. Ils sont aussi moins ouverts aux présences étrangères. À part pour le fait qu’ils résident sous une montagne, j’ai du mal à comprendre ce qui a poussé Nino à se joindre à eux. « Je suis à Olympia. Une… vieille amie y était et je l’ai trouvée par hasard. » J’hésite un peu à lui parler de Rachel. Aborder le sujet d’Arden est toujours difficile pour moi et malgré notre proximité d’avant, je ne me vois pas me confier à lui dans ce contexte. Pas maintenant. « Est-ce que t’as fini par retrouver ta sœur? Et je suis bête, mais comment elle s’appelle déjà? Ça remonte à tellement longtemps… » Pratiquement une décennie. Je redoute un peu la réponse, mais je ne peux pas m’empêcher de poser la question tout de même. Je souhaite de tout cœur qu’il n’ait pas fait tout ce chemin pour rien.

novembre 2018 + La méfiance de la rousse ne le surprenait pas vraiment, pour dire vrai elle était sûrement moins inconsciente que lui. Même s’ils se connaissaient d’avant, ils ne pouvaient pas omettre l’idée qu’après toutes ces années, ils avaient pu mal tourner. Néanmoins, l’éclaireur s’attardait rarement sur le négatif et préférait espérer qu’un peu de la Holly qu’il connaissait perdurait d’exister. Face à sa bienveillance habituelle, la plus âgée accepta finalement de se détendre un peu et ainsi échanger comme le feraient de vieilles connaissances. D’après son explication rapide, elle s’était retrouvée à Olympia grâce à une amie à elle, déjà présente. Une histoire assez logique qui mettait au moins en avant l’idée qu’elle n’était pas seule dans ce monde en ruine. « Oh je vois ? » Malgré une mauvaise entente entre leurs groupes respectifs, Nino se réjouissait pour elle d’avoir trouvé un lieu aussi confortable pour sa vie post-apocalyptique, qui comme pour tout le monde n’avait dû être une partie de plaisir.

Quand cette dernière s’interessa un peu plus en détail du sort de Lenny, l’éclaireur ne manqua pas de sourire avant de réaliser qu’elles se connaissaient peut-être déjà. « Oui, bah tu dois la connaître ? Lenny, elle vit à Olympia aussi. » Pour lui, impossible que sa petite soeur ne marque pas les esprits avec son sourire lumineux et sa bonne humeur permanente, seulement c’était une vision un peu biaisé qu’il possédait et au fond, peut-être que la brune se montrait bien différente entre les murs de sa communauté. Même s’il l’avait retrouvé, il ignorait encore beaucoup de chose sur elle et même si cela pouvait prendre un temps, il comptait bien le prendre pour reconstruire une véritable relation avec cette dernière.

Néanmoins, avant de tenter de rattraper le temps perdu avec sa soeur, Nino préférait se contenter d’apprécier le moment présent. En effet, retrouver une ancienne connaissance n’arrivait pas tous les jours, encore moins pour celui qui venait du Colorado, et plus précisément d’une station de ski perchée dans les rocheuses. C’était durant les vacances d’hiver qu’il avait rencontré la rousse et même si cela datait quelque peu, il se souvenait sans peine des bons moments passés ensemble. Avec un peu de chance, ils parviendraient peut-être à en passer de nouveaux, à condition bien sûr d’avoir réellement envie de se reparler. « Ca fait longtemps que tu es ici ? » Si Nino avait posé ses valises depuis déjà plusieurs années à la mine, il savait que certains arrivaient seulement dans le coin et peinait encore à comprendre les différentes relations entre les groupes ou même les subtilités propres à la zone. Des lacunes qu’il accepterait volontier de combler si l’autre le souhaitait, sans pour autant se montrer insistant. Si Holly ne souhaitait pas lui reparler, l’éclaireur acceptera sans broncher pas du genre à aller contre le gré des autres.

novembre 2018 + Entendre son nom m’arrache un éclat de rire. Lenny. Celle qui m’a collée sans raison dès mon arrivée, la fille un peu trop sympathique aux instincts protecteurs encore plus forts que les miens. Elle m’a maternée lorsqu’elle a vu que je n’allais pas bien. Elle n’a pas demandé la permission, elle l’a seulement fait. Elle ne s’est pas sentie concernée non plus par l’écart d’âge. Ça lui paraissait naturel. Elle est gentille, Lenny. Un cœur d’enfant, une âme pure. Comme Nino, en fait. J’aurais du avoir des soupçons plus tôt. J’en aurais sûrement eu si elle m’avait révélée son nom de famille. Quoi que… Vu la distance et le temps écoulé, je crois qu’au final, la possibilité n’aurait probablement même pas effleuré mon esprit. Mais, maintenant que la révélation me frappe, je ne peux que rire d’une telle coïncidence. « Heureusement, j’ai pas été trop dure avec elle. »

Les premiers jours, j’étais une véritable épave. Je ne parlais à personne. Je restais cloîtrée chez moi. Je ne prenais même pas la peine de manger. À quoi bon? Mais Lenny, elle était là. Je lui ai souvent dit de foutre le camp, sans force pour le hurler. Je lui ai dit de me laisser tranquille, de me ficher la paix. Mais elle s’est accrochée et au final, j’ai fini par me faire à l’idée que je ne pouvais refuser ses petits soins. Je me suis montrée gentille. C’est un progrès et bon même, vu le peu de temps que je suis en ville. « Non. Trois semaines? Quatre? Ou peut-être cinq, je suis plus certaine? » Je commence à perdre la notion du temps. J’ai arrêté de tenir le compte depuis un bail.

À vrai dire, lorsque je suis arrivée dans la ville, je n’avais aucune idée de l’année à laquelle nous étions rendus. Les gentils citoyens me l’ont rappelé et depuis, j’essaie de m’en souvenir. De retenir la date pour m’aider à prétendre que tout est normal. Mais à force de vivre dans la nature, j’ai perdu l’habitude. C’est difficile de m’y remettre, alors non, je ne sais pas avec certitude depuis combien de temps je suis à Olympia. Un peu mal-à-l’aise, je frotte la pointe de mes bottes dans la terre sous mes pieds, traçant des formes abstraites. Je lève les yeux au ciel, j’observe les nuages. C’est une belle journée aujourd’hui. « Comment tu vas? Tu t’en sors pas si mal? » Je finis par demander, réellement inquiète. Il a retrouvé sa sœur, mais c’est tout ce que je sais. Il doit en avoir bavé pour se rendre jusqu’à la mine. Il doit avoir perdu des gens en chemin. C’est notre cas à tous. J’espère seulement qu’il a conservé sa belle énergie. Que le Nino que je connaissais n’est pas aussi perdu que la Holly d’avant.

novembre 2018 + Face à la réaction de la rousse, Nino comprit rapidement que cette dernière connaissait effectivement sa cadette. Pour lui, personne pouvait ne pas apprécier sa soeur ou du moins ne pas la trouver adorable. Un avis peu objectif qui se basait principalement sur les souvenirs de sa petite soeur de dix-huit-ans qui partait avec des rêves pleins la tête à l’université. Depuis, la brune avait sûrement bien grandi et bien changé, mais ça il préférait le garder dans un coin de sa tête, persuadé qu’elle n’avait pas pu devenir une mauvaise personne depuis. « On peut pas être dur avec Lenny, elle est adorable. » Rien qu’en prononçant le prénom de la petite, un sourire chaleureux et nostalgique se dessina sur son visage, traduisant ainsi au passage le manque qu’il ressentait. S’il le pouvait, Nino l’invitera à la mine pour dormir, manger ou toutes activités qu’un frère et une soeur seraient censées faire, seulement avec ces histoires de clans tout cela était impossible et pour se voir, ils devaient faire autrement.

Néanmoins, il ne pouvait pas se plaindre de sa situation surtout devant la rousse dont il ne connaissait pas encore le périple. Si cela ne faisait que quelques mois qu’elle se trouvait à Olympia, cela voulait dire que la route avant cela avait été longue et sûrement semée d'embûches. Pas du genre à pointer là où ça fait mal, le brun se contentait de se concentrer sur le présent. « Je vois, c’est encore récent, tu dois avoir encore un peu de mal à t’habituer. » S’habituer à vivre dans une communauté n’était jamais chose facile et encore moins après une longue période dans la nature. Ceux qui arrivaient seulement maintenant étaient souvent plus bourrus et moins bavards que ceux d’autres fois, mais cela ne voulait pas pour autant dire qu’ils n’étaient pas fait pour vivre en groupe. Chacun prenait le temps qu’il devait pour s’y mettre et d’après les souvenirs qu’il possédait de son ancienne amie, il ne doutait pas un seul instant qu’elle trouvera rapidement sa place là-bas.

Comme dans des retrouvailles tout à fait normales, Holly le questionnait sur ce qu’il devenait, visiblement rassurée parce qu’elle voyait. Une attention que le brun appréciait, surtout après autant d’années sans la croiser. « Ca va ? Avec Joey on a trouvé la mine et depuis on y vit ? J’ai retrouvé ma soeur il y a encore peu de temps, alors je pense que je ne suis pas à plaindre. Et toi ? »  La rousse n’était pas obligée de raconter sa vie si elle ne le souhaitait pas, ce n’était pas Nino qui allait lui en tenir rigueur. Peu insistant, il se contentait la plupart du temps de ce que les gens souhaitaient lui offrir, tout en se montrant patient et à l’écoute.

novembre 2018 + Lenny, c’est un véritable amour. Elle est gentille, bienveillante. Le monde ne mérite pas quelqu’un comme elle et pourtant, elle est là. Elle est restée fidèle à elle-même malgré toute la merde qui se déroulait autour, toutes les atrocités dont elle a probablement été témoin. Certaines personnes pourraient la croire faible, mais pas moi. Les gens comme elle et Rachel, ceux qui arrivent à surmonter toutes les épreuves sans que leur cerveau ne se mette à déconner, je les admire. Je les envie peut-être un peu, au fond. Parce que plus jeune, j’étais identique. Je ne me laissais jamais abattre et je gardais le sourire en toute situation. Mais ça, c’était bien avant. « Peut-être même trop adorable. Mais bon, je serais probablement morte de faim sans elle. » Si elle n’était pas venue me rendre visite de temps à autre en menaçant de ne pas me laisser tranquille avant que j’aie avalé ne serait-ce qu’une bouchée de ce qu’elle me ramenait, je n’aurais pas donné cher de ma peau. Sans Lenny, Ela et tous les gamins de l’école, je ne me serais probablement pas accrochée. « L’intégration était pas si mal. Disons qu’on m’a un peu forcée à sortir de ma coquille. » Les premiers jours étaient pénibles et ça m’a pris un bon deux semaines avant d’arrêter d’avoir des flash d’Arden dès que je sortais dans les rues et que je croisais un enfant, mais je m’y suis fait. Je me suis bottée le cul et maintenant, je ne m’en sors pas trop mal. Il y a des journées où je n’arrive pas à enseigner et je passe le plus clair de mon temps avec Rachel, mais ça va. Je m’en sors. Je demande à Nino si c’est son cas et je suis heureuse que la réponse soit positive. Il a retrouvé sa famille, il a un ami avec lui et un endroit sécuritaire où dormir. Je n’aurais pas pu souhaiter mieux pour lui, à part, peut-être, d’être restée dans son coin. Je me souviens lorsque nous étions jeunes et qu’il insistait toujours pour retourner skier. Au bout de quelques descentes, j’avais seulement envie d’un bon chocolat chaud autour d’un feu, mais lui voulait toujours remonter. Il était infatigable et assez agréable à regarder. Beaucoup plus adroit que moi, en tout cas. « C’est mieux. Je commence à m’en remettre et je crois que pour une fois, je peux espérer quelque chose de mieux. » Je préfère ne pas m’étaler sur mon passé, sur le chemin que j’ai du parcourir pour en arriver ici. Ces choses horribles, j’essaie de les oublier bien que ça me paraisse parfois impossible. Je me réveille encore en hurlant au milieu de la nuit, ce qui n’a pas toujours été pratique lorsque j’étais seule. Il m’arrive de péter un câble au milieu des rues et de devoir aller m’enfermer chez moi pour la journée, mais ça va. Je gère comme je peux. « Je peux transmettre un message à ta sœur si tu veux? On se voit moins souvent, mais il lui arrive encore de passer prendre des nouvelles. »

novembre 2018 + L’idée que Lenny puisse avoir sauvé la vie de son ancienne amie sans même le savoir lui faisait étrangement plaisir, comme si quelque part ça le rassurait sur la personne qu’elle avait pu devenir. Si à ses yeux, sa petite soeur restait la même, l’éclaireur savait que les années de survie ne pouvait pas l’avoir parfaitement épargné et que quelque part, certains maux se cachaient encore. En attendant, il continuait de rester optimiste, conscient que cela ne servait à rien d’imaginer le pire. Si Holly peinait à sortir de sa coquille, elle était sûrement bien entourée pour le faire et même s’il ne connaissait pas vraiment ce groupe, il savait qu’elles se trouvaient entre de bonnes mains. « Je pense qu’Olympia est un bon groupe pour toi. » Moins fermé que la mine, plus calme que la carrière et moins autoritaires que les Rhodes, ce groupe permettra sans aucun doute à la rousse de se redécouvrir et surtout de renouer avec la vie en communauté.

Sans même qu’elle ne rentre dans les détails de son long parcour, Nino comprenait que son ancienne amie avait pas connu que des bons moments et qu’un peu de repos ne pourrait pas lui faire de mal. Si elle voulait un nouveau départ, elle sera sûrement s’entourer des bonnes personnes et ainsi laisser ses soucis derrières elle. « Je suis certain que ça sera mieux alors. » Comme le disait sa mère ; quand on veut, on peut, et si Holly voulait aller mieux, il suffisait de faire en sorte que ce soit le cas. Une vision parfois idyllique et utopique de la vie qui se frottait à la dure réalité, mais qui lui permettait de continuer d’avancer. L’espoir pouvait soulever des montagnes, Nino le savait et pour une raison étrange, cela ne le dérangeait pas de le faire pour les autres. Remonter le moral des troupes lui convenait parfaitement, lui qui préférait voir les gens sourires que pleurer. Dévoué à sa communauté, comme à ses proches, l’éclaireur donnait souvent de sa personne et si la rousse avait un jour besoin de lui, il sera sans aucun doute là pour l’aider.

Une bienveillance qu’elle lui rendait plutôt bien, puisqu’avant même qu’il n’en ait l’idée, elle lui proposa de transmettre un message à sa soeur. Une idée brillante qui lui évitait d’attendre trop longtemps autour de la cité, sans finir par alerter les gardes. « Oh oui, j’avoue ça serait sympa ? » Pressé de revoir sa soeur, Nino réfléchissait à un message rapide qu’il pourrait livrer à la rousse, sans pour autant donner trop de détail si cette dernière venait à vouloir créer des embrouilles. Même s’il espérait pouvoir faire confiance à cette amie retrouver, Nino savait qu’il ne la connaissait plus vraiment et que depuis le temps, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts. « Tu pourrais lui dire que demain je serais à la maison ? Elle comprendra. Et dis lui qu’elle me manque aussi ? » Un manque énorme qui lui pesait un chaque jour un peu plus, et ce malgré ses proches à la mine qu’il considérait comme une véritable famille.

novembre 2018 + Avec ma rencontre fortuite avec Nino, je n’ai plus aucune idée de ce que je faisais dans les bois. Pas que ça ait une importance quelconque et si j’ai oublié c’est que ça ne devait pas être si utile, au final. Je m’attarde donc un peu plus sur les lieux, plus longtemps que je ne me serais permise avec n’importe qui d’autre, convaincue que je ne suis attendue nulle part de toute façon. Je me surprends même à sourire et à être heureuse de l’avoir croisé de manière hasardeuse. Je n’aurais jamais cru le revoir et pour être honnête, je n’avais pas repensé à lui depuis des années. Je l’avais complètement oublié, relayé aux vieux souvenirs du passé. « Je le crois aussi. Mais la mine… Franchement j’ai du mal à voir ce que tu leur trouves. » Ce n’est pas un reproche, loin de là. Seulement, j’ai plus de facilité à imaginer Nino au sommet d’une montagne qu’en son creux et vu les différents entre les clans de la région, j’ai un peu de mal à trouver une raison valable pour qu’il reste parmi eux. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que je lui propose de transmettre un message à Lenny. C’est la moindre des choses de lui offrir ce petit coup de pouce. Et je ne le fais pas que pour lui. Je ne suis peut-être pas meilleure amie avec sa petite sœur, mais elle m’a rendu grand service. Je lui dois bien ça. « Je lui dirai, même si elle doit d’en douter pour la seconde partie. » Du temps où nous étions amis, Nino était toujours là pour ses proches. Un vrai boute-en-train, plein d’énergie et toujours positif. Le genre de personne qu’on ne peut détester peu importe à quel point on essaie. Il va de soi que sa petite sœur devait l’adorer. De ce que je peux imaginer, ça devait être une famille tissée serrée, complètement opposée à la mienne. Pour preuve, il a tout de même parcouru des kilomètres pour essayer de la retrouver, sans même savoir si elle était encore en vie. Alors, si la plus jeune ignore que son frère s’ennuie d’elle, je risque de la secouer moi-même pour qu’elle le réalise. Ils ont de la chance de s’avoir tous les deux. J’espère qu’ils le réalisent et qu’ils profitent de chaque instant qui leur est accordé, aussi court soit-il. « Je suis heureuse que tu sois bien. Tu dois être une des rares personnes à le mériter. » À moins d’avoir complètement changé, de t’être transformé en monstre comme la majorité des humains encore en vie. J’espère sincèrement que ce ne soit pas le cas.

novembre 2018 + Comme beaucoup de survivants, Holly peinait à voir ou comprendre ce que la mine pouvait réellement offrir à ses habitants. Un questionnements que l’éclaireur ne blâmait absolument pas, conscient du capital peu vendeur des lieux et surtout des rumeurs qui pouvaient circuler dans la région. Pour dire vrai, même s’ils étaient heureux de trouver un groupe avec Joey à l’époque, Nino se souvenait sans la moindre difficulté des premiers mois difficiles qu’ils y avaient passé. En effet, même si le fait de vivre en communauté leur redonnait le sourire, les deux montagnards s’étaient longtemps sentis enfermés dans la mine. L'adaptation avait pris du temps et sans les autres habitants des lieux, ils seraient sûrement partis en quelques mois seulement. Aujourd’hui, malgré un manque certain des grands espaces et des hauteurs, Nino savait apprécier la mine et plus particulièrement ceux qui la faisait vivre. « C’est un peu comme une deuxième famille pour moi. » Après toutes ces années passées dans ce groupe, l’éclaireur se voyait mal tout plaquer pour un autre, même si l’idée de retourner auprès de sa petite soeur lui avait effectivement chatouillé l’esprit. Seulement, quitter les siens lui paraissait invraisemblable, surtout durant cette période un peu difficile que traversait la mine.

En attendant, il devait composer comme il pouvait avec la mine, sa soeur, ses missions et les tensions entre les différents groupes, ce qui en plus de le préoccuper, l’usait un peu plus chaque jour. Heureusement pour lui, son attente avait fini par payer et même s’il partait sans avoir vu sa cadette, il savait qu’elle recevrait son message. Même si ce n’était pas grand chose, il se sentait quelque peu redevables envers la rousse, sans réellement savoir ce qu’il pouvait lui apporter pour la remercier. Faute de trouver une idée dans l’immédiat, il opta pour un sourire sincère. « Merci. » Si elle avait un jour besoin de lui, Nino répondra sans aucun doute présent, non seulement soucieux du bien-être des autres, mais surtout conscient qu’elle lui rendait un beau service en jouant les pigeons voyageurs. D’ailleurs, même s’ils avaient été autrefois amis, rien n’obligeait l’Olympienne à agir de la sorte, ce qui quelque part, le rassurait sur la personne qu’elle avait pu devenir après l’épidémie. « J’ai dû faire des mauvaises choses aussi tu sais, je le mérite sûrement pas plus que d’autres. » Personne n’était parfait, et après ces retrouvailles rapides, Nino était persuadé que la rousse méritait tout autant que lui à trouver un nouvel équilibre et pourquoi pas un peu de bonheur. Un nouveau départ ne pouvait pas faire de mal, d’autant plus si elle avait retrouvé une amie avec qui recommencer à zéro.

Même s’il aimerait échanger plus longuement avec Holly, l’éclaireur avait encore pas mal de route avant de retrouver son dortoir. A l’occasion, il repassera dans le coin, histoire de peut-être poursuivre cette conversation à la lumière du soleil. En attendant, il devait reprendre la route, et ainsi retourner vers les siens qui comptaient sur lui. « Bon, je devrais y aller avant que la nuit tombe. J’espère que tout va bien se passer pour toi à Olympia, j’en doute pas d’ailleurs. » Optimiste dans l’âme, Nino ne se faisait aucun soucis pour son ancienne amie, certain qu’elle finira pas s’intégrer totalement à son nouveau lieu de vie, comme il l’avait lui-même fait bien des années auparavant. « Si jamais tu as besoin, tu peux toujours venir vers la mine. Je suis éclaireur, je sors souvent. » Nino tenait à lui rendre la pareille, que ce soit demain ou dans des années.

novembre 2018 + Le monde est petit, encore plus maintenant que la majorité de ses habitants ont été dévorés, apparemment. S’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’était de recroiser Nino dans de telles circonstances, surtout aussi loin de sa montagne. Certes, il avait été une partie importante de ma vie. Lors des voyages familiaux durant lesquels mon père et ma belle-mère en profitaient pour se retrouver en amoureux plus qu’autre chose, il me tenait compagnie. Il m’a fait découvrir la station et je suis immédiatement tombée sous le charme de son optimisme perpétuel et de son humour infatigable. Nino, c’était un véritable rayon de soleil, toujours là pour ses proches. Un peu comme Lenny, au fond. Je l’ai beaucoup apprécié et malgré une courte histoire qui n’a pas fonctionné, il n’a jamais baissé dans mon estime. Mais aujourd’hui, je ne sais plus qui il est. Une décennie presque entière s’est écoulée depuis la fin du monde. Il pourrait avoir complètement changé. Malgré qu’il semble sincère, il pourrait être entrain de me baratiner. Mis à part le temps, rien ne pourra me le dire. Alors je reste légèrement sur mes gardes, me contentant de lui proposer de livrer un message à sa sœur. D’ici là, j’aurai le temps d’encaisser l’information et de me renseigner de mon côté. Vérifier si quelqu’un dans le coin connait quelque chose sur lui et si je peux lui refaire confiance autant qu’avant. Ça viendra. « Merci. Je prends note. » Si des gens peuvent me confirmer ses dires, je n’hésiterai pas. L’entraide est essentielle si nous voulons nous en sortir et un allié de plus ne me ferait pas de tort, surtout vu le peu de gens que je connais à Olympia. Mais ça aussi, ça viendra. Je finirai bien par m’intégrer. Un jour, peut-être que j’aurai la chance de retrouver une famille, comme le miner a pu le faire. « Nino? » Je m’arrête un peu avant de partir, me tournant à nouveau vers le brun. « Peu importe ce que t’as fait, ça ne doit pas être si mal que ça. » Pendant un instant, la Holly du passé refait surface. Nino ne pourrait pas être devenu un monstre. Je veux y croire plus que tout. Si c’est le cas, c’est que le monde va encore moins bien que je ne le croyais. Mon regard s’assombrit à cette perspective, puis je m’engouffre dans la forêt sans me retourner.