long time no see | abel

Fin août

Allongée sur son futon, la tête dans ce qui lui servait d’oreiller, Idyl dormait à moitié en sortant de sa sieste. En commençant en tant que garde, elle n’aurait jamais penser que cette fonction était aussi fatigante. La pression, la fatigue physique, et surtout la fatigue psychologique commençait à la ruiner et elle en était allée jusqu’à commencer à faire des siestes systématiquement après chaque matinée d’astreinte.
En poussant un faible grognement, agacée par la chaleur d’un rayon de soleil qui filtrait à travers les volets rudimentaires de la cabane, elle se décala simplement de quelques centimètres sur le côté. Elle était bien, et n’avait pas envie de partir. Pourquoi le ferait-elle, de toute façon ?

Terrible réalisation, frisson dans le dos, et ses yeux s’écarquillèrent. Fuck. Fuck. FUCK. Elle se releva brusquement, se mettant sur ses jambes, attrapant son pantalon soigneusement plié sur sa table de chevet de fortune. Elle l’enfila aussi promptement qu’un pompier, avant de sauter dans ses rangers, de les lacer machinalement, et de se précipiter vers la porte de sortie en regardant sa montre. Dans moins d’une minute, elle était en retard. Elle se lança dans un sprint désespéré, afin d’être à l’heure pour ce rendez-vous qu’elle ne voulait pas manquer. Qu’elle ne pouvait pas manquer, en fait. Abel lui avait fait l’honneur de lui accorder cet entretien, elle espérait pouvoir obtenir un poste plus intéressant. Et, pour ce faire, elle ne pouvait pas arriver en retard, surtout vu le connard impatient qu’était le bonhomme. Elle enchaînait les plus grandes enjambées que lui permettaient sa taille, alors que les pseudo-rues défilaient et qu’elle arrivait vers la demeure familiale. Elle perdit un instant à regarder sa montre ; c’était l’heure. Elle rejoint le porche avec quelques secondes de retard, et ne tarda pas à s’immobiliser en s’appuyant sur un des pilliers et en tenant ses côtes. Elle croisa alors le regard du garde en faction, qui la regardait un sourire aux lèvres. Elle haussa les sourcils, baissa les yeux. Rangers, pantalon de treillis, son t-shirt licorne “I’m special”. Le type gloussa, probablement à cause de la tête qu’elle venait de tirer en réalisant qu’elle avait garder le haut qui lui servait de pyjama.

Son palpitant s’affolait. Elle regardait à droite, à gauche. Abel ne saurait tarder, il lui fallait une solution. Eureka, même son idée sentait la poudre. Elle ordonna donc, d’une voix plus forte que ce qu’elle aurait voulu à cause de l’éphémère panique qui l’avait envahie  : “File ton t-shirt”
Le type réagit, et essayait de se retenir de rire, au moment où le bruit de la poignée se fit entendre. L’envie de céder à son envie fut immédiatement balayée, alors qu’Idyl lui faisait les gros yeux et lui adressait une moue qu’on pourrait qualifier de tragique, ou de résignée. Sa posture changea en même temps, pour se transformer instinctivement en un repos militaire plus ou moins formel ; les pieds légèrement écartés, les bras dans le dos, le torse bombé mettant en valeur son magnifique imprimé délavé.

Le visage jusque là inexpressif d’Idyl montra une éphèmere pointe d’inquiétude alors qu’Abel lui annonçait la triste de vérité. Elle était en retard. Elle le suivit en terminant de récupérer de sa folle course, sentant au fur et à mesure qu’elle avançait et prenait des grandes inspirations que son palpitant se calmait.
Elle ne se fit donc pas prier pour s’asseoir quand Abel l’invita, si on pouvait parler d’invitation. Malgré toute sa bonne volonté de faire bonne impression, elle se laissa légèrement glisser sur la chaise, adoptant une position plus détendue que celle qu’elle aurait dû avoir face au pacha. Dans un premier temps, elle se tut, dévisageant son interlocuteur sans ciller. Elle essayait de résumer ce qu’elle avait envie de lui ; et en était tellement absorbée qu’elle en oubliait son magnifique t-shirt rose et la gêne qui allait avec.

La question de son interlocuteur la fit revenir à la réalité, et après avoir légèrement secouer la tête pour se remettre dans le bain, elle prit une inspiration et se lança : “Discuter changement de poste” elle se tut un instant, mais reprit très vite pour se justifier : “Je sais que je devrais pas t’importuner avec ça, et même si t'as pas que ça à foutre, j’pense que t’es le mieux placé pour le faire” en réalité, elle avait peur de l’influence que Wyatt pourrait avoir sur ce genre de décision ; elle pensait qu’il allait essayer de la garder pour deux raisons. Elle était une garde décente, et il ne l’aimait pas. Alors qu’Abel, ils avaient vécu une aventure ensemble. Elle continua donc son exposé, d’un ton sérieux : “On a pas élevé les cochons ensemble, certes. Mais on a traversé un sacré merdier, annonça-t-elle en ne mentionnant pas le fait qu’elle lui avait sauvé la vie, puisque c’était réciproque et que la dette avait déjà été épongée. Tu sais donc que je vaux mieux qu’être un… pot de fleur de garde” elle se tut, un instant, réalisant que son choix de mot n’était pas forcément le plus judicieux. Peut-être qu’elle psychotait, peut-être pas, mais il lui semblait que le regard d’Abel s’était endurci à cette annonce prétentieuse. Alors elle marqua un arrêt plus long, croisant son regard et le soutenant.

Si elle ne pensait pas avoir peur, elle ne réalisait pas encore tout à fait que son ventre crispé trahissait une pointe de crainte ou d’appréhension. Ses muscles étaient  tendus et prêts à se contracter pour encaisser un potentiel coup, alors même qu’elle était hors de portée de l’homme pour l’instant. à croire que leur précédente rencontre lui avait laissé une sorte de traumatisme, un instinct qui risquait de lui être utile dans ses interactions avec le bonhomme. Elle prit une inspiration, se calmant complètement, pour se rendre prête à encaisser la réponse d’Abel sans se démonter.

En l’espace de quelques secondes, le visage d’Idyl changea d’expression plusieurs fois. D’abord, elle était prête à encaisser une potentielle riposte de son chef, elle était impassible. Puis, vint la question ; et elle afficha une expression entre le confus et l’interloqué. Puis, elle haussa les épaules en guise de réponse, et afficha un désarroi face à l’étrange intéressant de son interlocuteur. Elle devait commencer à serrer les fesses, c’est ça ?

Elle se reprit et secoua la tête alors qu’Abel reprenait son discours. Elle afficha alors une mine outrée, mais attendit quand même que l’autre se taise pour répondre. Elle attaqua directement, en annonçant : “J’suis pas demeurée, mon avis tu t’en branles, et j’vais pas répondre à une question rhétorique” ayant lâché ça d’une foulée, elle fut obligée de temporiser un peu le temps de prendre une respiration avant de reprendre un peu moins rapidement : “J’fais ma part, je joue mon rôle. Et c’est pour ça que j’viens te voir toi. Si j’demande à un de mes supérieurs de bouger, ils vont pas vouloir. Parce qu’ils m’aiment pas. Et parce que je fais bien mon job” elle haussa les épaules ; elle était en train de se chauffer toute seule.

Elle secoua la tête, leva les mains avant de rajouter en reprenant un discours beaucoup plus rapide et enervé : “Mais j’en peux plus. Ma place c’est ici, j’en doute pas ; t’es le seul connard que j’ai accepté de suivre depuis des années” en d’autres termes, elle lui faisait confiance, mais ça risquait de lui brûler la gorge de le dire aussi directement “Mais ma place c’est dehors, et j’suis prête à tout pour te le prouver. J’dois te faire un CV ? J’dois te laisser me tabasser ? J’dois passer sous le bureau ?” elle agita ses mains et ses bras, leva son menton, chercha encore ses mots puis fini par se calmer et d’annoncer simplement : “Whatever, just let’s fucking do it” elle reprit son souffle, réalisant qu’elle était effectivement à bout de nerf pour s’être laissée emportée comme ça devant celui qui était son chef. Ce qui était très loin d’être une bonne chose.

Elle réajusta sa position sur son siège, posa ses mains sur ses cuisses, et déglutit en essayant de décrypter le visage d’Abel. Elle était dans la merde ; restait à espérer que celui qui lui faisait face était de bonne humeur, aujourd’hui. Ce qui, Idyl le savait, était peu probable. Très malheureusement pour elle. Il ne lui restait effectivement plus qu’à serrer les fesses, et se préparer à encaisser.  

Idyl déglutit, hésita à lui rétorquer qu’elle était résiliente. M’enfin, le bonhomme avait quand même tabassé quelqu’un à mort, et elle jugea bon de fermer son clapet. Elle ne lâcha pas son regard, cependant, mais le regarda avec l’intensité d’un gamin rebelle en train de se faire engueuler. Elle réalisait que si à la base, elle était dans une situation carrément délicate, là elle s’était définitivement jetée dans un guêpier dont elle aura du mal à s’extraire. Son interlocuteur était sur l’offensive, et, alors qu’il lui posait cette première question, elle se contenta de répondre non frénétiquement de la tête, alors qu’il ne manquait pas de continuer son discours. Il fallait qu’elle encaisse, et, en même temps, réfléchisse à ce qu’elle allait lui rétorquer.

C’était pas gagné. Alors que ce remake low-cost du discours de la flagellation était terminé, et que sa majesté venait de la remettre à sa place, elle ouvrit la bouche une première fois pour parler. Mais, réfléchissant avant de parler, elle décida de se taire. Elle se donna deux secondes de réflexion de plus, les plus stressantes de sa vie. Mais elle avait écouté Rhodes. Elle allait arrêter de dire de la merde et de s’y mettre dedans. Elle reprit donc la parole, d’un ton plus ferme : “J’suis désolée, j’me suis emportée. Je veux pas te monnayer, je veux pas te faire un quelconque chantage. J’en ai pas les moyens, pas le besoin. Je veux juste être plus utile… Plus libre, aussi ?” elle se tut un instant, soutenant son regard en déglutissant. Puis, elle reprit une respiration et reprit : “Je sais monter, maintenant. Je vais pas dire que j’ai fais mes preuves, j’en ai pas eu l’occasion. Mais toi, tu sais ce que je vaux.  Et maintenant, tu sais que j’ai fais mon travail, au mieux de mes capacités” elle se tait encore une fois, juste un instant, avant de hausser les épaules et de glisser en guise de conclusion : “Le ranch, c’est tout ce que j’ai. T’es le seul que j’ai accepté le suivre. T’es le seul que j’accepterais de suivre. Laisse moi t'être plus utile, s'il te plaît” elle n'avait clairement pas l'habitude de faire dans la politesse. Mais là, elle voulait montrer qu'elle était de bonne foi. Et c'était carrément le cas.

En se taisant, elle adopta une position neutre. Son visage était figé, inexpressif, alors qu’elle dévisageait l’autre. Pour une fois, elle avait une boule au ventre. Elle espérait vraiment qu’Abel se montre raisonnable, et qu’il l’arrache des griffes de la garde ; parce que ça allait la rendre cinglée si ça continuait.  
 

Idyl se crispa, et ses lèvres affichèrent une moue agacée quand l’autre montra qu’il était d’humeur à jouer au con ; et pas qu’un peu. Quel connard, décidément. Elle se disait peut-être qu’elle pouvait encore rattraper le cas. C’était soit ça, soit la Bérézina, de toute façon. Elle haussa ensuite les épaules. Oui, c’est sûr. Elle aurait dû commencer simplement. Essayer de minimiser le temps de discussion. Mais non, elle a fucked up, comme d’habitude. M’enfin, il était temps d’essayer de finaliser cette récupération de pots cassés. Mais, encore une fois, elle eut une moue désapprobatrice quand il minimisa leur aventure commune. Ce n’était pas grande chose, certes. Mais il a apprit l’essentiel sur elle, comme elle a appris l’essentiel sur lui ; la trempe. Les deux en avaient une d’acier, et c’était, pour Idyl, le plus important. Elle n’était pas du genre à abandonner. Pourtant, à cet instant, une colère lui monta à la tête ; une pulsion, soudaine et fugace envie de tout laisser tomber et de se casser.

Mais non. Elle avait prit une décision, elle avait fait un choix et elle allait l’assumer. Elle écouta la suite de ce qu’il avait à dire, forçant son visage à redevenir neutre. Elle ravalait sa fierté, plutôt difficilement, pour ne pas étouffer cet étincelle d’espoir qu’il restait. Elle répondit directement : “Qu’importe. Ce dont tu as besoin. Chasseur, éclaireur, raider” elle se tut un instant, ouvrit la bouche, se ravisa. Mais non, c’était trop important. En croisant son regard, elle commença à argumenter : “Wooding… Il va pas être très objectif ; il m’aime pas, a fait de moi son bouc émissaire. Ce mec a les chevilles aussi enflées que son cul” la petite remarque homophobe, potentiellement celle de trop. Elle aurait peut-être du s’arrêter à la phrase d’avant ; mais, elle commençait à beaucoup lui en vouloir. Mais, si la remarque avait la forme d’une plaisanterie, le ton qu’elle avait employé était vraiment sérieux et illustrait sa lassitude.

Elle croisa ses bras, réajustant sa posture sur son siège, attendant potentiellement le jugement de son interlocuteur. C’était très mal barré, m’enfin. Dans l’attente de ce dernier, elle commença à nouveau à se monter la tête. Un simple espoir de changement de poste lui suffirait. Mais si Abel restait aussi fermé, très bien. Elle allait baisser la tête, obéir ; mais elle savait pertinemment qu’elle n’allait pas tenir une année de plus. Alors, elle allait commencer à penser à un plan B. B comme brûler. B comme… banane ? Parce qu’Idyl fucking Hawkins venait de faire des concessions et de ravaler sa fierté. Et si ce mec lui pissait dessus à ce point, si elle avait fait autant de concession pour rien, si elle avait abandonné sa sieste pour rien, elle n’avait plus aucune raison de le respecter.

Idyl ne sursauta pas au coup de poing, se contentant de baisser les yeux pour suivre le mouvement, puis les replanter dans ses prunelles. Le regard qu’elle lui lançait laissait paraître une pointe de mépris, face à cette frustration mal géré. Elle avait envie de le provoquer, mais, encore une fois elle se retenait de le faire. Elle avait une chance, une opportunité. Elle n’allait pas le manquer pour exprimer un trait d’humour douteux, surtout par rapport à la situation dans laquelle ils étaient. Elle ne put s’empêcher de s’agacer à son tour, alors que l’autre avait mal interprété ses paroles ; rien de franchement étonnant. Idyl ferait bien d’apprendre à s’exprimer correctement, un de ses jours. Elle leva les mains, haussa les épaules et secoua la tête en annonçant : “J’ai jamais dis qu’il était incompétent, et j’le respecte parce qu’il sait ce qu’il fait” elle prit une inspiration, voulu continuer, mais préféra se taire. Elle ferma la bouche, le dévisageant. Elle allait lui dire que s’il était incompétent, elle serait plus là depuis un moment ; un fait peut-être véridique, mais dans tous les cas, qui aurait très mal appuyé son dossier. Elle détendit un peu, le temps de réfléchir à des potentielles bourdes qui ne seraient pas parvenu aux oreilles de Rhodes. Elle leva les yeux au ciel un instant, puis, les baissa à nouveau vers son interlocuteur.

Elle haussa une nouvelle fois les épaules, prit une inspiration ; hésita. Mais il allait probablement s’entretenir avec son chef. Et ce dernier l’avait peut-être vraiment mis au courant. Alors autant jouer la carte de la sincérité avec les événements qui risquaient de lui retomber dessus. Elle poussa un soupir, et lâcha finalement : “J’ai failli péter un plomb, y’a un ou deux mois. ça fait un moment que j’en ai marre de mon poste ; et j’arrêtais pas d’être affectée avec le même type, qui était… très, très lourd avec moi. J’l’ai calmé, au bout du canon de mon flingue. Wyatt a géré le problème, ensuite. Mais, voilà… ” mais elle ne rajouta pas la suite, soit qu’il ne lui en aurait peut-être pas parlé. Elle n’en avait aucune idée, à vrai dire. Ce qui était sûr, encore une fois, c’est qu’il pourrait le faire sous peu. Elle ne précisa pas non plus bien évidemment que si le mec avait fait un pas de travers, elle lui aurait brûlé le cerveau, alors qu'elle en était convaincue. Elle déglutit, alors que son regard ne lâchait pas celui d’Abel. Elle restait silencieuse ; elle n’avait pas besoin de se justifier, il pouvait en tirer ses conclusions lui-même. Elle était au bord du breakdown, c’était un fait. Libre à lui de croire qu’elle était faible, mais il devait savoir que ce n’était pas le cas. Elle avait un mental presque à tout épreuve, mais aucun mental n’était à l’abri d’une longue et pénible décrépitude de l’exposition à long terme à un cadre redondant et pénible. Cet incident avait fait réaliser à Idyl qu’il était urgent qu’elle change d’air ; parce qu’elle ne risquait de plus tenir.