intrigue générale (07/02) + reese

La maladie. Encore. C’est une longue histoire d’amour entre Rory et cette dernière. Bien sûr, elle l’a cherché, du moins elle n’est pas du genre à la craindre alors forcément, elle a proposé son aide à l’infirmerie. S’efforçant de faire de son mieux, s’efforçant de changer les idées des mourants, et maintenant, c’est elle la patiente. Ça ne change pas grand-chose au final, elle est mourante depuis son enfance, surtout depuis que le monde est littéralement parti en vrille. Elle n’en a pas peur de cette dernière, parce qu’elle la côtoie déjà au quotidien. Elle tousse férocement, à s’en décoller les poumons, ça gorge est en feu. Elle repose sans ménagement la tête sur son oreiller, fatiguée, lasse, délestée de toute force. Elle a froid, elle frissonne. La fièvre est de retour, déjà. Elle a cette sensation que son corps n’est qu’un amas de douleur et d’éreintement. Elle soupire, lève la main, fébrile, afin d’attirer l’attention d’Elanor ou d’Iris, cependant bien trop occupées ailleurs. Elle meurt de soif, elle arrive à peine à articuler un mot. Elle renonce, quitte à mourir de quelque chose, ça peut bien être de déshydratation.
La porte s’ouvre et se referme avec fracas. Elle tressaille, alertée par le bruit. Elle ne distingue pas immédiatement la silhouette de son frère. Reese. Elle ne sait même pas s’il a, à un moment ou un autre, été mis au courant ou non de son bénévolat à l’infirmerie. À vrai dire, elle lui a caché, elle y a veillé. Puis, elle a été rattrapée par la grippe dans le courant de la nuit. Parce que putain de karma bien sûr. Rien n’épargne les Wheeler après tout, ce serait trop beau, trop facile, ils n’ont déjà pas vécu assez de tragédies comme ça, il faut que ça continue. Elle est en colère, Rory. Parce qu’elle ne veut pas faire subir ça à son frère, elle n’en veut pas de son inquiétude et de ses tourments, elle veut juste qu’il revive, ni plus ni moins. Il arrive finalement à sa hauteur, d’un pas pressé et elle lui sourit, dans la mesure du possible du moins, un sourire triste, un sourire vide. « Masque. » souffle-t-elle sur un ton à peine audible tout en indiquant du doigt les fameux masques à l’entrée de l’infirmerie. La dernière chose qu’elle souhaite, c’est de le contaminer.

Reese n'est plus qu'un triste reflet de la personne qu'il était avant. Une pale copie. Un double, tellement déprimant qu'il mériterait d'être enfermé, car à sa vue, la majorité des Olympiens ont juste envie de se tirer une balle entre les deux yeux. Il se donne du mal, pourtant, pour rallumer la flamme qui l'animait autrefois. Il a l'impression de passer son temps à lutter pour qu'elle ne s'éteigne pas, mais dès que les choses semblent aller un peu mieux, une bourrasque le renvoie au point de départ. S'il y a un dieu, il déteste les Wheeler ou en tout cas, il éprouve un plaisir tout particulier à les voir souffrir. S’il y a un dieu, Reese lui dirait bien d’aller se faire f*utre et d’arrêter de les faire chier. Merde.
Il n'aime pas partir en raid, il n'aime pas être loin de Rory, mais Reese est bien forcé d'admettre qu'au moins quand il est en mission hors d'Olympia, son esprit n'est pas trop parasité par ses douloureux souvenirs d'Izzie. Tout dans la ville lui rappelle la jeune femme. La place, les maisons, la bibliothèque, au moins dehors, il peut faire comme s'il ne l'avait connu. Parfois, c'est plus simple comme ça. « Reese ! C'est Rory, elle est à l'infirmerie ! » Perdu dans ses pensées, le jeune homme n’a pas vu le frère de Mina arriver et il lui faut une seconde pour comprendre ce qu’il vient de lui dire. « Oh. » Est tout ce qui arrive à traverser ses lèvres. Il est fatigué de sa journée en dehors d’Olympia, mais l’adrénaline lui fourni toute l’énergie dont il a besoin. Il laisse tomber son sac à dos sur le sol et il court en direction de l’infirmerie. Putain, j’aurais dû m’assurer qu’elle allait bien ce matin avant de partir. Mais putain.
Si Reese est une vision déprimante, alors il n’y a pas de mot pour décrire Rory. Là, allongé dans un lit de l’infirmerie, on aurait presque du mal à croire qu’elle est bel et bien en vie. « Masque. » Murmure-t-elle dans un souffle. Reese a juste envie de la prendre dans ses bras, mais il obéit. Ça ne l’aiderait pas s’il tombait malade lui aussi. « Pourquoi tu m’as rien dit ? » Demande-t-il après avoir tiré un tabouret près du lit de sa sœur.

Pas une once de contrariété déchiffrable dans l’expression de Reese. Il n’est donc pas en colère, bien sûr que non. Plutôt abattu. C’est le mot. Elle s’en veut de l’inquiéter de la sorte, la dernière chose dont elle ait envie c’est bien d’être un poids supplémentaire pour lui. Il est blême, les épaules lâches. Malgré la maladie qui semble vouloir lui faire la peau, elle est presque certaine d’avoir l’air plus vivante que lui. C’est dire. Ils ont traversé tellement d’épreuves lors de ces sept dernières années, beaucoup trop. Personne ne peut s’imaginer, personne ne les connait réellement, ils ne savent pas qu’ils sont hantés, non. Pour eux, ils sont juste un drôle de duo bravant l’apocalypse à coup de chance. La vie leur en veut, elle les défie encore et encore. Elle aimerait avoir le droit à un peu de repos, de tranquillité. Malheureusement, plus personne n’y a droit désormais, à moins d’avoir trouvé grâce aux yeux de ce prétendu Dieu.
« Tu es parti tôt ce matin. » En réalité, elle est fiévreuse depuis hier soir, elle s’évertuait seulement à le nier, puis, elle s’est écroulée, ses jambes ont cédé et c’est tout ce dont elle se souvient. Elle s’est réveillée il y a seulement quelques heures, perdue et désorientée, depuis elle lutte contre la fièvre. « De l’eau… » elle a la gorge sèche, elle meurt de faim et elle ne sait même pas si Iris ou Elanor ont songé à son insuline. « Je… J’veux pas que tu t’inquiètes. » Elle peut dire n’importe quoi, elle sait cependant que ses mots n’auront aucun effet sur Reese, il est programmé pour s’inquiéter à son sujet, il excelle dans ce domaine. Elle se demande s’il sait, s’il sait que la maladie a emporté quelques personnes avec elle. D’un côté elle espère que non et d’un autre, elle aimerait savoir si elle fait partie de ceux pour qui on a encore de l’espoir ou des autres. Elle sait pour la zone de triage.

C'est un comble vraiment. Rory a toujours aimé bouger, partir à l'aventure, Reese lui est un pantouflard, un rat de bibliothèque. Et la voilà clouée au lit, pendant que lui est forcé de participer aux raids pour le foutu ranch. Sûrement tous les deux en danger de mort. Clairement, leur vie n'est qu'une mauvaise blague. Une plaisanterie débile qui se terminera bientôt, Reese espère. Oh, il n'est pas plus suicidaire, mais s'il pouvait mettre la vie en pause quelques temps, ça serait appréciable. « De l’eau… » Demande Rory avec une petite voix fatiguée. Reese s’exécute. Il attrape la bouteille d’eau sur la table de nuit de Rory et en verse un peu dans un verre. Il lui tend, incertain. Il ne sait pas si elle arrivera à boire toute seule. « Je m’inquiète pas. » Ment-il, mais il ne convint personne. « Je veux dire. Si. Évidemment. Tout le temps. Mais Rory, je m’inquiéterais toujours pour toi. Je m’inquiéterais pour toi, même si t’étais une bodybuildeuse et que ton sang était fait d’antibiotiques surpuissants. » Il sourit en imaginant Rory avec soixante kilos de muscle en plus. Son corps n’aurait plus rien de chétif ça c’est sûr. « Iris s’occupe bien de toi ? » Il demande. Reese tourne la tête pour chercher l’infirmière du regard, mais elle n’est pas là. « Parce que sinon elle va m’entendre ! » Plaisante-t-il, parfaitement au courant qu’il ne fait pas peur à qui que ce soir et certainement pas à Monroe. S’il ne peut pas soigner Rory, il peut au moins lui remonter le moral, non ?

Elle esquisse une grimace tandis qu’elle tente non sans difficultés de se relever, prenant appui sur ses coudes, sans aucune once de grâce – de toute façon c’est le cadet de ses soucis. Son dos l’a fait souffrir, elle n’est plus qu’un tas de courbatures douloureuses. Elle ferme les yeux, boit quelques gorgées et profite de ces quelques secondes où sa gorge ne s’obstine pas à brûler tel un feu ardent. Les joies de la maladie, y’a que ça de vrai. « À force de t’inquiéter tu risques de finir ridés avant l’âge, ce sera pas du joli ! » L’humour Wheeler, en toutes circonstances. C’est leur façon à eux de dédramatiser, ça peut sembler incongru, peu adapté à la situation, mais ça fonctionne, c’est le principal. Rory s’imagine un instant avec cinquante kilos de muscles en plus, l’horreur, elle préfère encore ressembler à un squelette. « T’imagines, je pourrais même te faire flipper avec ma force et mes muscles spectaculaires. » Le rêve. Enfin, le jour où elle aura le dessus sur Reese n’est pas encore arrivé, avec ses deux têtes supplémentaires, il la bat largement, bien qu’il n’aura jamais sa rapidité ni même sa souplesse. Faut bien compenser par quelque chose. « Iris est parfaite, même qu’elle me masse les pieds. » En fait, elle ne se souvient de rien, que dalle, alors elle ne sait même pas si c’est bien Iris qui s’est occupé de son cas ou non. Mais bon, peu importe, elle a confiance, même en Elanor et sa mauvaise manie à se sous-estimer. « Mais tu peux quand même lui passer un savon, peut-être que j’obtiendrai quelques traitements de faveurs supplémentaires grâce à toi. » Elle sourit, faiblement, mais tout de même, ça reste un sourire. Peut-être qu’elle va crever, terrassée par la grippe, alors autant plaisanter et rire de la situation.

Dans ses cauchemars, Rory a exactement cette tête là. Les joues creusées, le regard aussi fatigué que la mort. Reese a le regard plongé dans le siens, à l'affut du moindre signe, du moindre message caché. Mais au bout d'un moment, ça devient trop insupportable et Reese doit laisser tomber son regard ailleurs. N'importe où. Si un génie apparaissait maintenant, il échangerait volontiers sa place avec elle. Malheureusement, les génies ne courent pas les rues dernièrement... La bonne nouvelle c'est qu'elle peut toujours faire des blagues. Certain disent que quand l’appétit va, tout va. Pour les Wheeler, c'est plutôt si l'humour de maternelle va, tout va. Si, si, je vous assure. Et donc même si c'est dur, Reese rigole en imaginant Rory en train de lui mettre une raclée. « J'ai hâte ! Tu pourras partir en raid à ma place en plus. » Qui sait, si les morts peuvent se relever, Rory pourrait bien se mettre au culturisme ! Et pour les raids, Reese peut bien rêver. « J'irais la voir. Pas moyen de me débarrasser de ces yeux de chien battu, autant qu'ils servent à quelque chose ! » L'humour, toujours l'humour. Ça ne guérit pas miraculeusement Rory, mais au moins elle sourit. C'est déjà ça !

La vie est drôle, ironique. Elle a le don de se jouer de vous, sans que vous en ayez conscience, puis un jour, sans crier gare, il est temps de ramasser les pots cassés, de se prendre les conséquences en pleine face, d’assumer, si on le peut. À force de braver les dangers, ou plutôt de se rire du danger, il fallait bien que ça lui retombe sur le coin de la figure à un moment ou un autre. Elle aurait dû s’y attendre en réalité. Elle prend des risques inconsidérés, tout le temps, sur un coup de tête. Elle improvise, toujours, quitte à mettre sa vie en péril. En l’occurrence, elle a trop joué. C’est le moment d’assumer, de se battre.
La fatigue l’assaille, elle a le souffle lent, court, la sensation de suffoquer, de manquer d’air. Elle tente de jouer la comédie du mieux qu'elle peut, mais elle est mauvaise actrice, alors elle sait que sa douleur ne passera pas inaperçue, surtout pas face à Reese, il la connait par cœur, sur le bout des doigts. Il sait quand elle fait semblant. « T’as raison, si ton regard de chiot peut s’avérer utile, autant l’utiliser à bon escient, surtout s’il s’agit d’améliorer mon petit confort personnel. » L’humour est présent, mais il sonne faux, forcément. Sa voix se fendille, est à peine audible. Elle est si épuisée. Elle passe une main sur son front, le simple geste lui arrache une grimace. Elle a des courbatures partout, son corps n’est qu’un amas de sensations douloureuses. « Je crois que la fièvre remonte, je suis fatiguée. Je vais piquer un somme le temps que ça rentre dans l’ordre, ou que ça se calme. » Elle ne veut pas l’effrayer, autant qu’il se tire vite fait avant qu’elle ne délire complètement. Et puis, il ne devrait même pas être là, présent à ses côtés. « Et puis, mieux vu que tu t’en ailles. L’endroit est un véritable nid à microbes. » L’idée qu’il puisse tomber malade lui est inenvisageable. Elle ne veut pas se sentir responsable du mauvais état de santé de son frère, le fardeau serait trop lourd à porter.

Rory plaisante, sourit, mais c'est comme si le fantôme d'une époque révolue plainait sur le frère et la sœur Wheeler. Ils ont beau luter, rien n'est comme avant. C'est injuste, douloureux, mais c'est une évidence. Bien vite la réalité les rattrape et Rory a besoin de se reposer. Reese passe une main dans les cheveux humides de sueur de sa jumelle. Elle est déjà à moitié endormie et il ne comprend pas exactement ce qu'elle est en train de dire. Elle ferme les yeux et Reese la regarde quelques instants. Il a du mal à se dire que quand tout ça sera terminé, elle quittera Olympia. S'il était plus stupide qu'il ne l'est, il souhaiterait qu'elle ne guérisse jamais, mais Reese n'est pas égoïste comme ça. « je serais toujours là, si tu as besoin. » Il sent les larmes monter dans ses yeux alors comme l'éclair, il quitte l'infirmerie sans rien dire et il rentre chez lui. Quand il passe la porte, il remarque son sac à dos, surement ramener par le frère de Mina. Il l'entend, parler avec sa sœur dans la cuisine, mais il ne les rejoint pas. Pas tout de suite.

Fin