01/11/16 (II) the less I know the better — Billie & Archer

Monk est un vieux chien. À moitié endormi, il ouvre un œil pas très impressionné en direction d’Archer qui s’accroupit à côté de lui. « Allez assit. » Ordonne l’adolescent la voix tremblante. Il sent la crise de panique monter en lui, mais il met tout en œuvre pour y échapper. Pas question de craquer devant Billie qui en sait déjà trop. Et surtout pas maintenant alors que la Carrière et Olympia ont besoin de lui, du moins un peu. Depuis deux ans, Archer essaye de se persuader qu’il ne regrette pas. Que Boris le méritait. Mais il doit bien admettre que cette nuit le hante encore et qu'elle le hantera probablement toute sa vie, quoi qu'il fasse. La plupart du temps, il n’y pense pas. Ce n’est pas comme s’il pouvait se permettre de passer ses journées à ruminer à propos d’une tragédie à laquelle il ne peut rien changer. Oui, il a tué Boris. Oui, c’était lui. Oui, ça risque de le rendre fou. Mais maintenant, il doit mettre ce souvenir dans une boite, cette boite dans un coffre, le cadenasser, l’enterrer bien profondément dans son esprit et puis jeter la clef loin, très loin. Il est rare que le coffre refasse surface de toutes façons, mais malgré ses efforts, c’est un souvenir qui finit toujours par remonter. Le plus souvent en rêve. Il se réveille alors en sueur, comme s’il était malade. Plusieurs fois, il a cru avoir été infecté par un rôdeur, mais non. Tout allait bien, du moins physiquement. Alors en parler en vrai, dans la vraie vie, avec quelqu’un qui n’est ni son père, ni Arianna, lui semble surréaliste. Comme un de ses songes. Sauf que cette fois, il ne se réveillera pas. En grognant doucement, Monk finit par obéir, léchant au passage la joue de son maître.

« Ton père t’as trouvé tout de suite après ? » Il prend une grande inspiration, évitant bien évidemment le regard trop insistant de Billie. Encore une fois Archer est tiraillé. Il y a quelques années, il aurait tout raconté à Billie. Tout dans les moindres détails. Malgré leur différence d'âge, il avait vraiment eu l'impression qu'il pouvait compter sur elle et lui faire confiance. Elle ne le voyait pas comme un gamin, elle le prenait au sérieux. Il se trompait. Aujourd'hui, il est incapable de s'imaginer comment elle peut le voir. Ils se sont tellement éloignés qu'il ne reconnaît pas la personne qui se tient à côté lui. Il suppose simplement que c'est pareil pour elle. Ça le rend un peu triste. Ou plutôt nostalgique. La vie était bien plus simple il y a deux ans. « Hum... » Il commence avec une éloquence particulièrement impressionnante. Il hésite encore. Il a envie de lui dire. Il a l'impression que Billie a retrouvé le coffre qu'il avait caché et maintenant, il a du mal à tout garder à l'intérieur de lui. Tous ces secrets sont en train de lui faire perdre la tête et maintenant qu'Arianna a vendu la mèche... Est-ce que c'est bien de sa faute s'il se confit à une vieille amie ? « Il avait ses mains sur Arianna. » Souffle-t-il de façon presque imperceptible. Il ne répond pas vraiment à Billie, mais c'est mieux que rien. « Elle essayait de l'empêcher, mais tu connais Arianna, aucune force dans les bras... » Un petit sourire se dessine sur les lèvres d'Archer quand il songe à tous les bras de fer qu'il a gagné contre sa sœur. À se demander pourquoi elle s'embête encore à lui proposer de jouer. Billie est encore en train d'écouter, mais les mots n'arrivent plus à sortir. Archer repense à cette nuit et tout ce qui lui revient, c'est tout ce sang qu'il avait sur les mains. La crise de panique refait surface, ses mains tremblent et il est obligé de se forcer à respirer s'il ne veut pas manquer d'air. Il se relève et le monde tourne autour de lui.

Il ne peut pas se laisser aller comme ça. Il est Archer Diggs putain de merde et dans la Carrière, c’est un nom qui veut dire quelque chose. Il est le fils du roi, il n’a pas de droit d’être faible. « Hey hey, ça va aller. Calme-toi, respire. » Tente Billie en s’approchant. Il l’écoute. Il prend une grande inspiration et sa respiration se calme. Il enlève la vieille casquette posée sur sa tête et recoiffe ses cheveux d’une main distraite. Il en ressort encore plus mal coiffé qu’avant, mais peu importe, le geste a le mérite de le calme un peu plus. Il remet la casquette à l’envers sur sa tignasse blonde. Petit à petit, il reprend des couleurs. La crise passe au bout d’un moment, mais pourtant, Archer n’aurait rien contre quelques minutes de solitude. Ce n’est pas sa première crise d’angoisse, mais d’habitude, personne n’est là pour le voir. Billie, fidèle au poste, à le regard rivé sur lui. « Tout va bien Archer. Ton secret sera bien gardé. » Il lève les yeux vers elle. Ce n’est pas vraiment qu’il ne la croit pas. C’est juste que… Il ne sait même pas. Il aimerait simplement que sa vie soit différente. Il aimerait que ses sœurs soient là avec lui. Pour la première fois depuis des années, il repense à ses copains d’école. Où sont-ils à présent ? Morts probablement. Ils n’avaient que onze ans au début de l’épidémie, les enfants et les adolescents se font rare de nos jours. C’est un miracle qu’Archer soit encore en vie. Un miracle du nom d’Aaren Diggs.

« Il faut que tu me raconte toute l'histoire Archer. Tu m’entends ? » Son cœur se serre. Évidemment. L’espace d’une seconde, Archer a oublié qu’elle n’était pas là par simple altruisme ou pour lui dire au revoir avant son départ. Billie veut lui tirer les vers du nez et quand Billie veut quelque chose, en général, elle y arrive. « Il n’y a pas grand-chose à savoir. » Il est presque étonné par le calme dans sa voix. À l’entendre, on ne peut pas se douter qu’il vient de faire une crise d’angoisse. Enfin si, car l’espièglerie qui s’y trouve d’habitude n’a pas encore fait son grand retour. « Boris collait souvent Ari. Un jour, il l’a coincé dans une alcôve. Je suis passée par là et voilà… Je vois pas tellement ce que je peux dire de plus. » Archer lui-même ne se souvient pas bien de toute façon, c’est surtout ça. Sa sœur lui a dit d’attendre, ça, il s’en souvient, alors c’est ce qu’il a fait. Leur père est arrivé et… Il ne sait plus. Il est allé se coucher ? Ari pleurait à côté. « Papa pensait qu’Anita me mettrait à mort. Si elle l’apprenait. C’est pour ça qu’il a porté le chapeau. Pour me protéger. » Rien que d’y penser, le poing d’Archer se serre. Ça aurait été pour lui la plus grande injustice. Comment peut-on punir quelqu’un qui vous a débarrassé d’une nuisance plus qu’indésirable ? Il ne mérite peut-être pas une médaille, un trophée et un panier garni pour service rendu à la Mine, mais quand même, Boris n’a pas été une grande perte. Du moins, Archer essaye de s’en convaincre. Tout de même, ça le tracasse. Anita a-t-elle encore une emprise sur lui ? A-t-elle les moyens de le punir ? Que se passerait-il si elle apprenait qu’elle avait banni Aaren pour rien ? Après tout, la Carrière est encore officiellement sous le joug de la Mine. D’une voix morne, il demande. « Tu vas lui dire ? À Anita ? » C’est comme si sa vie en dépendait et quelque part, c’est un peu vrai.

Le soulagement que ressent Archer est probablement sans précédent. Ça reste entre nous. Quatre petits mots qui rouvrent les poumons de l’adolescent et redonnent au monde des couleurs. L’air rentre comme une bourrasque de vent dans son torse et il reprend un peu de sa stature. Billie pose une main sur son épaule. Il lève les yeux vers elle avec un sourire timide. Son père lui dirait de ne pas lui faire confiance, mais c’est Billie. Archer n’était qu’un gosse quand il l’a rencontré, il a l’impression qu’il lui a toujours fait confiance et que malgré ces deux années qui ont passé, rien n’a vraiment changé. Qu’elle a toujours été là. Ses souvenirs avant l’épidémie sont presque inexistants, ceux de l’époque où il vivait sur les routes sont sombres et informes – Archer préfèrent ne pas y penser. C’est comme si sa vie avait commencé à la Mine. Pourtant, l’époque où il pouvait passer les portes de la forteresse souterraine semble aussi ancienne que celle où il jouait à la console avec ses sœurs sur le canapé du salon. Peut-être que le temps n’est vraiment qu’une illusion ? « Je ne pense pas qu’Ari voudra trop en parler… » Il réfléchit un instant « Enfin sobre… » Il essaye de rire, sans trop de succès. Ari n’est pas le genre de fille qui parle. Enfin si, mais qui parle pour ne rien dire. Elle n’a jamais été fan des discussions sérieuses, des confessions sincères. Mais bon, si Billie a du temps a perdre elle peut toujours tenter sa chance.
C’est Magnus et Monk (en train de se battre pour un os rongé) qui brisent l’atmosphère étrange qui règne sur le chenil et qui ramènent Archer à la réalité. Et la réalité, c’est qu’Olympia est attaquée et qu’ils ont besoin de lui. Enfin de ses chiens. « On devrait y aller Billie. Mon père doit m’attendre. » Il ajoute ensuite avec une certaine amertume « Et Anita a… Certainement besoin de tes services. » Il siffle et les bêtes lèvent toutes la tête. Magnus comme un chien de berger regroupant ses moutons trotte fièrement autour de la meute et Archer prend la direction de la Carrière. Il espère que son père saura se faire obéir des chiens, il sait bien qu’ils ne sont tous pas prêt. Certain d’entre eux ne reviendront peut-être pas, mais mieux vaut ne pas y penser.
Il aimerait bien rester plus longtemps à parler avec Billie, ou pas. Il n’est pas certain. Malgré les vérités qui viennent d’éclater au grand jour, il sait que sa relation avec Billie n’est pas revenue à la normale. Il l’a trahie. Elle fait partie du camp ennemi à présent. Il n’y a que les mineurs pour penser que la carrière leur appartient. Dans le bidonville, les choses sont différentes et Archer a grandi. Avec une sourire, cette fois plus franc, il dit cependant « Merci. » De m’avoir écouté, de garder le secret, de ne pas me détester complètement. Pendant les quelques minutes de marche qui séparent le chenil à la Carrière, il vaudrait ajouter quelque chose. Il vient de révéler son plus grand secret, putain. Il s’attendait à quelque chose de plus… Il ne sait même pas. Il ne sait pas si Billie reviendra lui parler. Il sait que lui ne le fera pas. C’est un peu triste quand il y pense. Mais comme il a appris à ne plus admirer Anita Jones, il apprendra a ne plus faire confiance à Billie Trager. À ne plus la considérer comme une amie.