red gold | alex

1er août, début d'après-midi  

Poussant la porte de la cabane qui servait d’infirmerie, Idyl entra dans la pièce le visage fermé. Elle n’était clairement pas ravie d’être là, surtout qu’elle venait de terminer son tour de garde, mais elle n’avait pas vraiment le choix. Son sang était précieux, ses globules rouges étant potentiellement sa contribution la plus utilie au Ranch ; il apportait une sécurité nécessaire dans un monde où certains ne connaissaient pas forcément leur groupe sanguin et où il était devenu difficile de le découvrir.
Idyl n’avait pas de doute sur la question, déjà, parce qu’elle n’est pas du genre à oublier ce genre de détail qui pourrait lui sauver la vie, et ensuite, parce que c’est écrit sur son dogtag. Elle n’avait jamais réalisé à quel point elle était devenue utile avant de se pointer à sa visite médicale en arrivant au ranch. Le premier réflexe d’une des infirmières présentes à ce moment là a été de vérifier son dogtag, et, ce jour là, Idyl avait eut presque l’impression d’être le saint-graal. Ils ne devaient pas être beaucoup au ranch à être de groupe sanguin O négatif ; donneur universel ; une poignée, au mieux. Alors que deux de ces précieuses vaches à lait avaient contracté le sida influenzien, contaminant au passage d’autres gens par le biais d’une transfusion de leur sang. Qu’est-ce qu’ils devaient se sentir baisés. Et quels abrutis à se laisser injecter des conneries dans le sang.

En attendant, elle était là. La salle d’attente était assez peuplée ; elle soupira. à quoi bon mettre lui imposer des rendez-vous ? Elle haussa les épaules et se dirigea vers la dernière chaise de libre pour s’y poser, ne prêtant que vaguement attention aux gens. Elle avait vraiment l’impression d’être une vache à lait, au final. Parce qu'elle y gagnait rien, même pas de la gratitude. Après, elle avait l'habitude d'être exploitée, donc...
Son dernier don datait d’il y a cinq semaines, et ça allait être son quatrième cette année. Elle n’avait jamais donné son sang, avant tout ça ; elle ne savait donc pas que ça sentait un peu la poudre pour elle. En occurrence, elle se disait qu’ils devaient avoir du mal à le stocker aussi bien qu’avant ; sauf peut-être à Olympia ; et que du coup, s’ils le demandaient, c’est qu’ils en avaient besoin de manière urgente. D’autant que ce n’est que le matin même qu’on lui annonçait qu’elle devait se pointer là. Un type avait dû être blessé, et il était visiblement trop utile pour que le laisse pisser le sang à mort.

Une fois assise, elle tiqua, arquant un sourcil, regardant celle qui se tenait à sa gauche. Alex. Elle poussa un soupir, alors qu’elle commentait : “Génial, j’pouvais pas rêver mieux” elle lui lança un regard faussement blasé, avant de rajouter : “Tu t’es faites un petit bobo, ma grande ?” elle força un sourire, alorrs qu’elle posa ses coudes sur ses cuisses en courbant le dos, déjà fatiguée d’attendre.

Au milieu du mois de juin, Alexandra a fait une très mauvaise rencontre. Alors qu'elle mangeait son déjeuner en compagnie d'un dénommé Pete, un puma est venu interrompre le repas. Affamé, il avait senti l'odeur de la viande séchée qui composait les sandwich des deux cavaliers. Alexandra avait eu l'intention de lui lancer son casse croute pour l'occuper pendant qu'ils prendraient le large, mais son camarade a eu la brillante idée de hurler en imitant une chauve-souris avec sa veste. Malheureusement, il agaça plus le félin qu'il ne lui faisait peur. Ce dernier a bondit sur l'inconscient, mais avant qu'il puisse l'atteindre, Alex s'est interposé. Dans le combat contre le puma, la jeune femme a été blessée. Elle a eu beaucoup de griffures, sur le visage, le ventre, les bras et les jambes et des morsures dont une très profonde sur l'épaule. L'éclaireuse a eu beaucoup de chance car le carnivore aurait pu mordre plus prêt de la gorge s'il en avait eu l'occasion. S'il aurait réussi son coup, elle serait morte à l'heure qu'il est. Or, Alex ne s'était pas laissé faire. Elle n'avait nulle intention de mourir ce jour-là. Elle s'était battue de toutes ses forces, assénant des coups de poings et des coups de couteau jusqu'à ce que la bête se soit vidé de son sang. Ensuite, les événements étaient légèrement floue dans la tête de la brune. Elle se souvenait juste de sa rencontre avec l'infirmière de la carrière. Pete avait eu la brillante idée de l'amener dans ce groupe plutôt qu'au ranch parce que c'était plus prêt d'après lui. Cependant, vu le temps qu'ils avaient perdu à se justifier auprès des gardes, c'était pareil que d'aller jusqu'à la Crimson Valley. Néanmoins, elle devait bien l'admettre que les premiers soins apportés là-bas lui avait permis d'éviter des infections et de perdre tout son sang.

Un mois et demi plus tard, la plupart des blessures avaient cicatrisé. On ne voyait pratiquement plus rien, même la morsure à l'épaule droite s'était très bien soignée. Toutefois, le personnel soignant du ranch souhaitait voir une dernière fois l'éclaireuse pour être entièrement sûre qu'elle était guérie et également vérifier qu'elle n'avait pas contracté des maladies entre temps comme le virus Lazarus. Ils lui avaient donné rendez-vous l'après-midi du premier jour d'août. Il faisait terriblement chaud dans la cabane. Le fait qu'il n'y avait pas de climatisation dans cette "salle d'attente" et qu'elle soit pleine n'arrangeaient pas cette impression d'étouffer. Avant l'apocalypse, Alexandra n'allait pratiquement jamais chez le médecin, étant rarement malade. Cependant, tout était exactement comme dans ses souvenirs. L'attente interminable dans une petite pièce étouffante. Les enfants qui braillaient parce qu'ils en avaient marre. Les vieux qui toussaient sans mettre la main devant la bouche. Et enfin, les voisins qui ne tenaient pas en place et qui donnaient des coups sans jamais s'excuser.

Pour ne rien arranger à la situation, voilà qu'Idyl Hawkins se pointait. Alexandra jeta un rapide coup d'oeil dans la pièce et remarqua qu'il n'y avait qu'une place de libre. Cette dernière se trouvait à sa droite. « Et merde... » Maugréa-t-elle en tentant de ne pas se faire remarquer par la garde en baissant la tête. Malheureusement, l'ancienne militaire se rendit compte de sa présence et comme à son habitude, elle lui adressa la parole de la façon la plus désagréable qu'il soit. Elle souleva son tee-shirt pour montrer un pansement souillait de sang en bas du dos. « Une mauvaise rencontre sur la route. Et toi ? Tu es là pourquoi ? » Tentative veine de paraître calme, on sentait dans sa voix qu'elle attendait depuis longtemps et qu'elle commençait sérieusement à s'impatienter.

Une mauvaise rencontre ? Idyl était sceptique. Ce devait être le type qui a rencontré Alex qui avait dû avoir une mauvaise rencontre, d’où le fait qu’il ne manqua pas de tenter de l’éventrer. En la voyant soulever son t-shirt face à ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à une assemblée, soit les trois pauvres gugus qui attendaient leur tour, elle siffla. Elle commenta simplement, ignorant volontairement la question dans un premier temps : “Ces abdos ma grande, quelle belle gosse tu fais !” Idyl capta alors le regard d’un des patients, qui ne tarda pas à passer de la garde à l’éclaireuse, avant de lui faire un clin d’oeil. L’ancienne pilote se pencha alors vers la femme, pour lui annoncer en chuchotant : “J’crois que t’as une touche. Tu me remercieras plus tard” avant de se remettre droite sur sa chaise, et de faire une série de geste ridiculement indiscret en direction du type, espérant lui faire croire qu’il avait ses chances avec la grande brune, concluant par un pouce levé, un hochement de tête et un clin d’oeil. Le type se contenta de sourire pour l’instant, d’abord à Idyl, puis à l’éclaireuse.

Elle se laissa alors un peu glisser sur sa chaise, croisa ses jambes en posant lourdement le talon de ses rangers sur le plancher en le faisant craquer. Elle poussa un soupir, et daigna finalement répondre à l’interrogation de la miss au balais dans le cul : “Je viens parce qu’un imbécile a besoin de moi” elle releva son menton d’un geste vif, dans le but de donner un effet dramatique à son intervention, avant de rajouter : “Et je suis une déesse généreuse” dans une référence cinématographique des plus stylées. Pas vraiment, en fait, et elle doutait que l’autre allait voir ce genre de film. Même elle avait oublié pourquoi elle était allée le voir. En y repensant, c’était avec son escadre, et elle n’avait pas vraiment eu le choix puisque l’activité avait été obligatoire et était destinée à souder les liens entre elle et son unité. C’était le bon vieux temps. Elle poussa un soupir, roula des yeux pour qu’ils s’arrêtent finalement sur son interlocutrice, alors qu’un infirmier venait chercher le client suivant ; qui était à la gauche d’Alex. Idyl ne put s’empêcher de sourire alors que le type visiblement intéressé par l’ancienne escort se leva pour venir s’asseoir à ses côtés. Elle était bien entourée maintenant, et le type n'allait pas manquer de tenter un rapprochement. L'ancienne militaire avait hâte de voir ça.

Alexandra est sortie la veille pour faire un petit repérage pour un groupe de raiders. Elle pensait au départ que le lieu était désert jusqu'à ce qu'un fou furieux est sorti de nulle part et lui planta un couteau tout rouillé dans la peau. Elle avait eu juste le réflexe de s'écarter à ce moment-là avant la crosse de son glock sur le crâne du dément. Il s'est enfin l'instant d'après et elle est retourné au ranch pour se faire soigner. Heureusement, la blessure ne s'était pas infecté et le couteau n'avait touché aucun organe vital. Alex s'en sortait bien dans son malheur. Du moins jusqu'à aujourd'hui où en faisant un faux mouvement, elle avait ré-ouvert sa blessure. On lui avait pourtant dit de rester tranquille, mais elle en avait fait qu'à sa tête. Elle devait faire quelque chose sinon elle risquait de devenir folle. Au final, elle était là à attendre qu'on s'occupe d'elle et en plus avec Idyl à côté d'elle. De quoi la rendre encore plus de mauvaise humeur. Surtout quand la garde se mit à siffler et fit une remarque sur ses abdominaux. Une remarque qui pourrait s'y méprendre à un compliment. S'en suivi tout un manège entre Idyl et le pauvre bougre. Exaspérée, l'éclaireuse regarda le plafond en soupirant. Puis elle lança un regard en coin à la jeune femme à côté d'elle et lui répondit : « Je ne savais pas que tu étais Cupidon. Où sont ton arc et tes flèches avec les pointes en forme de coeur ? Et ta couche-culotte ? » Après s'être mis à son aise, Hakwins daigna finalement réponse à Wright. L'ancienne escorte girl comprit que l'autre femme faisait une reprise d'un film, seulement, elle ne l'avait jamais vu. En fait, elle n'était pas beaucoup allé au cinéma avant l'épidémie. Elle allait plus au théâtre avec ses clients. De ce fait, elle lui répliqua : « Tu nous fais quoi là ? Une crise cardiaque ? » Elle marqua une courte pause et ajouta d'un ton énigmatique : « Donc c'est toi notre généreuse donneuse de sang. Ca veut dire que la dernière fois, c'était ton sang qu'on m'a injecté dans les veines ? Tout s'explique alors... »

Puis la porte s'ouvrit dans ce qui servait de cabinet. Un patient s'en alla et l'infirmier prit en charge le patient suivant. Alex se leva de sa chaise et fonça vers ce pauvre homme. « Vous en avez encore pour longtemps ?! » Siffla-t-elle entre ses dents. « Désolée Alex, mais on a eu des soucis... » Elle le coupa aussitôt dans ses excuses. « Donne-moi de quoi m'occuper de ma plaie dans ce cas. » Elle se fichait pas mal de savoir les problèmes qu'ils avaient. Elle pouvait très bien se mettre un peu d'alcool et un nouveau pansement. « Je regrette, mais je ne peux pas. Il faut que tu attendes. » Puis avant qu'elle n'a le temps de dire autre chose, il s'enferma à nouveau dans la pièce. La grande brune retourna à sa place tout en maugréant. « Si tu as une idée pas trop merdique pour faire passer le temps, je suis preneuse. » Dit-elle à l'attention de la garde.

Idyl pouffa à la réponse de l’autre. Elle était égale à elle même, c’était déjà ça. Elle ouvrit la bouche, mais, se tut ; déçue du manque de créativité de la réponse qu’elle allait formuler. Elle prit un instant de réflexion, avant de changer d’avis ; elle passa de la blague à la provocation, en décidant de répondre : “Je ne savais pas que t’étais capable de faire de l’humour. Où est passé ton balais dans le cul ?” lui demanda-t-elle avec une façon de parler qu’elle aurait utilisé pour parler à un enfant de cinq ans.

La pilote arqua ensuite un sourcil en lançant un regard interrogatif à son interlocutrice. Qu’est-ce qu’elle racontait ? Elle secoua la tête en signe d’incompréhension, et, alors que l’autre continuait de débiter ses paroles, la porte s’ouvrit et elle se tut net. En voyant la réaction d’Alex, Idyl ne put s’empêcher de porter la paume de sa main à son visage. Quelle connasse, putain. Elle la dévisagea tout le long de son intervention, avant de finalement pousser un soupir et de lui répondre :  “Essaie de saigner plus fort, si tu t’évanouis tu vas passer plus vite” elle détourna la tête, porta son regard sur la porte maintenant fermée, puis se retourna à nouveau vers l’éclaireuse pour continuer : “Enfin, non, mauvaise idée ; parce que c’est probablement mon sang qu’on va te refiler, comme je suis là. Et j’ai pas envie d’en verser pour des pimbêches comme toi” elle roula des yeux, avant d’aligner sa tête avec son dos pour la laisser tomber contre le mur, en fermant ses paupières pour mieux profiter de la réponse de sa collègue, ne comptant pas réagir à une quelconque remarque de cette dernière.

Elle poussa un soupir, avant de rouvrir les yeux pour fixer le plafond, et décida de mettre les choses au clair : “Si tu connais pas ton groupe sanguin, y’a des chances que ce soit mon sang qui coule dans tes veines. M’enfin, j’en sais foutrement rien. La dernière fois que j’ai dû en donner c’était y’a deux mois, il a p’t’être périmé, j’sais pas. Je suis pas spécialiste du don de sang, j’ai juste le malheur d’être donneuse universelle” soit encore une fois du groupe O négatif.  Elle venait de monopoliser la parole dans un petit discours, mais elle avait parlé assez vite, légèrement agacée. Elle se tut, fermant à moitié sa bouche alors qu’elle continuait sa contemplation du plafond, mille fois plus intéressante que le reste de la pièce. D’autant qu’une magnifique licorne du mal était en train de tisser sa toile entre deux poutres. Elle avait toujours préféré les arachnides aux vipères de toute façon, pensa-t-elle en esquissant un sourire alors qu’elle n’écoutait que d’une oreillle distraite ce qu’avait l’autre à lui répondre.

Voilà un jour à marquer d'une croix sur le calendrier ! Alexandra Wrigth a réussi à faire rire Idyl Hawkins. L'éclaireuse n'en revenait pas et c'était un rire franc, pas un ou d'un seul coup elle redevenait toute sérieuse pour montrer de l'exaspération. En plus, elle venait de réveiller un des autres patients qui piquaient du nez. C'était si soudain qu'il faillit tomber de sa chaise. Alexandra l'observa du coin de l'oeil. C'était un homme d'une cinquantaine d'année. Il avait le teint blafard et de la sueur qui lui coulait sur le front en passant par ses tempes pour atterrir dans sa barbe. Certainement avait-il chopper une bonne saloperie quelque part. Dehors ou dans le campement, aujourd'hui, vu leur hygiène de vie, ce n'était pas surprenant que quelqu'un tombait malade. Rapidement, Alex reporta son attention sur Idyl. Elle remarqua que la garde venait d'ouvrir la bouche avant de se rétracter. Par contre cette attitude n'annonçait rien de bon. L'ancienne escorte girl se prépara donc au pire. Mais finit par se détendre lorsque l'autre femme lui posa sa question. C'était typiquement du Hawkins tout crachait et Alex lui répondit en haussant les épaules. « J'ai dû oublier de le remettre à sa place après l'avoir utilisé pour nettoyer ma caravane. » Elle jouait son jeu, après tout qu'est-ce qu'elle risquait ? Les quelques cavaliers présents dans la salle d'attente les regardaient d'un air perplexe. Ils devaient se demander comment c'était possible que deux énergumènes comme Alexandra et Idyl soient au ranch. Qui avait bien pu accepter qu'elles rejoignent les cavaliers ? Et c'était quoi leur utilité parmi eux ? L'éclaireuse se posa exactement les mêmes questions en voyant leurs visages malades. Se devait sans doute être des cultivateurs ou des soigneurs animaliers ou encore ceux qui s'occupaient de l'entretien de campement. Bref, des personnes dont elle n'avait pas affaire. Des personnes sans importance qui seront remplacés très vite s'ils venaient à mourir ou à partir.

Après sa petite conversation avec l'infirmier, Alexandra s'installa à nouveau sur sa chaise et répondit à son interlocutrice. « J'aimerais mieux éviter de saigner davantage. J'ai déjà essayé en juin, après ma rencontre avec un puma et je ne suis pas passé plus vite. Un autre avant moi s'est fait mordre et son pote lui a coupé la main. Une vraie boucherie et je crois qu'il est mort au final. » La texane essaya d'ignorer qu'elle venait de se faire traiter de pimbêche pas la petite brune. De toute façon à quoi ça lui servirait de s'énerver contre cette dernière ? A rien à part utiliser son énergie pour rien. Frustrée, Alex posa ses coudes sur ses cuisses et sa tête dans ses mains tout en fixant le petit insecte qui grimpait sur le mur en face d'elle. « Je m'en fiche d'où vient le sang. Tant que ça peut sauver des vies. Mais je crains que le tien a servi à rien. Ils ont dû le donner au gars vu qu'il n'était pas en état pour dire son groupe sanguin. Mais merci pour ta générosité. Je suis sûre que d'autres au ranch doivent cacher qu'ils sont donneur universel pour pas donner leur sang. Après, vu le nombre de contaminé au virus Lazarus, je me méfie un peu du sang des autres. Mais pas si ce sang vient de toi. » Elle était sincère pour une fois. Elle n'avait pas une confiance aveugle envers la garde, mais elle était sûre de deux ou trois petites choses sur cette femme. Première chose que l'éclaireuse était sûre sur son interlocutrice, c'est qu'elle s'agace très facilement. Elle ne restait jamais longtemps sur une même conversation et il ne fallait pas lui poser de question, surtout si elles sont trop personnelles. Ensuite, l'ancienne militaire était quelqu'un de réglo. Elle faisait son job et n'en déviait pas. Pas d'alcool pendant le service et les petits malins finissaient devant papa ours.

Wow. Wow ! C’était ce que se disait Idyl face au flot de parole de son interlocutrice. Elle se demanda si un jour elle allait se taire, et réaliser qu’elle était en train de tenir un monologue là. Elle essaya de lui faire comprendre en ne réagissant à rien de ce qu’elle ne disait, sans lâcher l'arachnide des yeux. Celle-ci était tranquillement en train de tisser sa toile, visiblement pas dérangée par l’activité humaine, alors qu’Idyl commençait à l’être.

Quand elle se tut, elle attendit un instant, avant de pousser un soupir, et de basculer la tête pour faire face à son interlocutrice. Elle leva un peu le menton en affichant une moue toujours aussi perplexe, alors qu’elle annonçait :
“Tu t’en fiches pas du coup. Et j’aimerais bien éviter de me faire saigner sur une base aussi régulière, mais c’est pas comme si j’avais vraiment le choix” elle marqua un arrêt, s’accordant un instant. Déjà, pour se dire que ce qu'elle venait  de dire pouvait sonner étrangement sorti de son contexte. Mais surtout, pour pester contre le fait qu’elle n’avait effectivement pas le choix. Elle détestait ça ; elle se sentait merdique après la prise, elle avait envie de gerber et était souvent frappée d’un mal de tête pénible. Des vies en dépendaient, certes. Mais elle s’en fichait ; ce n’était pas gratifiant pour elle. Elle ne voyait aucun avantage à faire ça; c’était donc une corvée plus qu’autre chose. Elle aurait aimé le caché, maintenant qu’elle y pensait et qu’Alex l’évoquait. Mais, si elle avait découvert son pouvoir, c’est parce que c’était gravé sur son dogtag, au même titre que son grade, son identité, et son numéro de sécurité sociale ; et c’était au final la seule information vraiment utile de ce dernier. Si elle crevait, elle n’en avait rien à foutre qu’on puisse identifier son cadavre.

à ce moment là, elle tiqua pour cette affaire de puma qu’elle avait entendu sans l’entendre en même temps, n’y ayant pas prêté attention en premier lui. En retard, elle réagit en arquant un sourcil, avant de reprendre la parole pour rajouter : “T’es douée pour te mettre dans des sacrés merdiers, quand même. Traîner avec toi, c’est dangereux” en même temps qu’elle parlait, elle se pencha vers l’avant, pour que l’homme assis de l’autre côté d’Alex puisse la voir. En utilisant un langage des signes militarisée et pour l’occasion clairement exagéré, elle commença à lui faire signe de fuir. La réponse de l’homme fut un simplement hochement négatif et un petit clin d’oeil. Elle ne put s’empêcher de sourire, au point d’en dévoiler ses dents, alors qu’elle se ré-adossait à la chaise en croisant les bras tout en tendant l’oreille à la réponse de l’autre.

Alexandra jeta un rapide coup d'oeil à l'autre femme à côté d'elle. Il lui semblait bien que cette dernière avait arrêté de s'intéresser à la conversation. A une autre époque, Alex se serait vexée par un tel comportement. Aujourd'hui, elle s'en fichait. Elle observait la mouche qui se dirigeait dangereusement vers la toile d'licorne du mal. On aurait dit qu'elle narguait l'autre bestiole. Tantôt elle fonçait droit dedans, avant de faire demi-tour, en volant ou en marchant, suivant son envie. Parfois, elle venait importuner les humains qui se trouvaient prisonniers comme elle dans cette pièce. Certains la chassaient du revers de la main, d'autres en bougeant la tête comme des idiots. Ceux qui gesticulaient pour tenter de la tuer étaient les plus chiants selon l'éclaireuse. Le fait de bouger dans une pièce close et chaude provoqua un léger mouvement de l'air chargé de mauvaises odeurs. Les cinq premières minutes, la grande brune ne disait rien. Elle plissait le nez quand elle sentait l'odeur de transpiration, avant de le masquer derrière son foulard. Enfin, elle prenait de grandes bouffées d'air frais à chaque fois que la porte d'entrée s'ouvrait. Malheureusement, d'autres mouches entraient également et d'autres individus venaient embaumer l'air avec leurs puanteurs. Ensuite, le même cinéma recommençait. Les mouches tournoyaient autour des têtes. Des abrutis frappaient l'air en pensant réussir à les tuer. Alors, la texane est sorti de son silence et s'adressa aux nerveux d'une voix froide et posée : « Vous ne voyez donc pas que ce que vous faites c'est totalement inutile. Tout ce que vous risquez de réussir à faire, c'est de nous asphyxié avec votre puanteur. » Après quoi, on ouvrit la porte d'entrée pour "aérer" et le calme tomba parmi les patients. Le nom qu'on donnait aux clients du docteur tombait sous le sens à présent. Le patient avant de pouvoir parler avec son médecin devait patienter dans une pièce et cela même s'il avait pris rendez-vous.

Après cela, Idyl décida enfin à parler. Alex lui répondit d'un simple haussement d'épaule. Elles n'allaient pas s'éterniser sur ça non plus. L'ancienne escorte girl se doutait bien que ce ne devait pas être agréable de se faire saigner. Avant l'épidémie, elle n'avait jamais eu à donner son sang. En faite, elle ne faisait jamais rien si ça ne lui apportait pas un peu d'argent. Mais à cette époque, il n'y avait pas besoin de faire une telle chose, du sang, il y en avait assez. Aujourd'hui, tout était rare, même l'être humain puisqu'on ne pouvait plus considérer les rôdeurs comme tels. Tout comme la générosité, car à présent, chacun pensait à lui avant les autres. C'était difficile à croire mais d'un côté, la garde était généreuse. Elle aurait très bien pu garder pour elle son groupe sanguin, se jeter sa plaque militaire. Or, elle ne l'a pas fait. Peut-être qu'elle ne voulait pas que ça se sache. Peut-être n'avait-elle pas envie de se débarrasser de son dogtag parce qu'elle y tenait. En tout cas, elle venait donner son sang et pour ça, Alex la respecté. « Sur ce coup, c'était la faute de Pete. Il faisait la chauve-souris en croassant pour faire fuir le puma affamé. Je lui ai simplement évité une mort absurde. Un jour, il faudra que tu viennes avec moi. Tu verras alors que je suis très discrète. » Depuis ce jour, elle n'avait plus revu le cartographe. Il faut dire qu'elle avait eu beaucoup de choses à faire depuis ce jour et lui aussi certainement. Mais ce jour-là restera à jamais dans leur mémoire tout comme sa première rencontre avec Idyl. Il est vrai qu'à force d'entendre les mésaventures de l'éclaireuse du ranch, il est difficile à croire qu'elle a été choisi par les Rhodes pour sa capacité à se faufiler entre les rôdeurs. Pendant leur conversation, l'infirmier est réapparut dans la salle d'attente pour récupérer le patient suivant. Il ferma la porte d'entrée avant de disparaître dans le cabinet médical.

Idyl se contenta de glousser à la réponse d’Alex, et lui demanda directement la question qui la tarauda : “T’es défoncée, c’est ça ?” elle commençait sérieusement à penser que l’éclaireuse était partie chercher de quoi expérimenter à la carrière, vu le décalage de son discours et son étrange proposition. La question était honnête, du coup ; c’était ça, ou sa vie était clairement plus intéressante que la sienne. Et ça, c’était pas possible de l’envisager pour l’ancienne pilote, qui dépérissait déjà bien assez au ranch. Elle ajouta donc, sans lui laisser le temps de répondre à sa première question : “C’est de la bonne, du coup ?” honnête question, une nouvelle fois. Elle n’avait jamais vraiment taper dans la drogue ; ne considérant pas que les joints qu’elle fumait avant la mort de sa père faisait partie de cette catégorie. Elle ne s’était jamais trop penchée sur la question, du coup, se contentant de l’alcool et de la clope. Mais si elle continuait comme ça, elle n’allait pas tarder à chercher quelque chose de plus stimulant pour tromper son ennui.  

Parce que dans le ranch en général ou, cette situation bien précise, elle commençait à sérieusement se faire chier. Et entre le fait d’être avec cette lourdingue d’Alex et le fait qu’elle perdait de son précieux temps libre, sa patience était ténue. Elle commença à tapoter de son pied, un tic dont elle avait plus ou moins conscience du fait qu’il trahissait son besoin de nicotine. Elle poussa un soupir, croisa le regard agacé d’un autre patient. Elle lui fit une grimace lui indiquant qu’elle n’en avait rien à foutre de son avis, ce à quoi l’autre sembla encore plus s’indigner.

Elle réalisa ensuite qu’elle n’avait aucune raison de ne s’empêcher de fumer, et alors qu’elle écoutait les potentielles conneries qu’allaient lui débiter sa très chère collègue, elle plongea sa main dans sa poche pour en sortir un paquet métallique. Il lui restait deux de ses précieuses clopes ; elle en tira une, sans en proposer à qui que ce soit, avant de ranger le paquet et de sortir son briquet. Elle entama immédiatement le laborieux procédé d’essayer d’allumer sa cigarette avec le peu de gaz qu’émettait son bibelot. Après quelques secondes d’essais, puis, un long silence, elle releva les yeux en tirant une première bouffée. Elle expira, lentement, avant de regarder ceux qui la dévisager, et de simplement constater :
“Quoi ? Un p'tit cancer des poumons, ça va pas vous faire peur quand même ?” elle les regarda avec condescendance, bien consciente que le cancer n’était probablement pas le problème, mais l’odeur.

Alexandra arrêta de respirer quelques secondes lorsqu'elle entendit les questions d'Idyl. Elle aurait préféré être sourde que plutôt entendre ce genre d'ânerie. Jamais elle ne touchera à la drogue. Enfant, elle avait vu les ravages que ça provoquait sur une personne. Sa mère en avait pris pendant une très longue période de sa vie et à la fin, ça l'aurait tué. Ironie du sort, c'est son dealer qui l'a tué avant en la ruant de coups. Alex avait à peine six ans quand, à travers les fentes du placard, elle a vu sa mère tomber sur le sol. Son visage avait tellement d'ecchymoses, qu'il était méconnaissable. C'était la dernière image qu'Alex avait de sa mère et celle dont elle se souvenait le mieux. Néanmoins, personne ne connaissait cette partie de sa vie. En fait, presque personne ne savait qui était Alexandra avant l'épidémie. Certains avaient émis des hypothèses quant à son métier d'avant, mais aucun n'avait vu juste. Il y a une poignée de personnes encore en vie qui savaient deux ou trois petites choses sur l'éclaireuse et ça parce qu'ils avaient fait partie de sa vie d'avance. En tout cas, pour ce qui est du présent, la jeune femme ne voulait pas se fâcher avec son interlocutrice.

Cette dernière n'était pas au courant de tout et donc Alex préféra lever les yeux au ciel, ou plutôt au plafond vu qu'elle était dans une pièce et soupirer. Ensuite, elle baissa à nouveau son regard sur la petite femme. « Oublie ce que je viens de dire. Mais avoue quand même que tu te fais chier au ranch.» Wright était quasiment sûre que sa camarade en avait assez d'être coincée au domaine. Après tout, c'était une militaire avant. Elle a dû beaucoup bouger avant l'apocalypse. A la Crimson Valley, il ne devait pas y avoir beaucoup d'événements à part les attaques des autres clans de survivants ou des traîtres parmi les cavaliers. Et même si la fin du monde changeait certains traits de caractère, Alex était persuadé que certaines choses ne changeaient pas chez les gens. Elle même n'avait pas tellement changée. C'était toujours la même femme autodidacte, menteuse, solitaire et aux facettes multiples, d'où son surnom de caméléon. Après un court silence où elle fixait à nouveau le mur devant elle, Alex répondit à Idyl sur le sujet des drogues même si elle était certaine que l'autre s'en fichait royalement. « Je ne prends aucune drogue. On a déjà assez de mal à rester en vie aujourd'hui pour prendre une ses merdes. »

Pendant qu'elle parlait, Idyl prit une cigarette et se mit à fumer. Il est vrai qu'aujourd'hui le droit de fumer dans un lieu public était tout à fait autorisé. Il n'y avait plus de règles de ce genre et le fait de voir les autres individus outrés par l'ancienne militaire amusa Alex. Certes, la demoiselle n'aimait pas l'odeur non plus. Elle n'avait qu'à mettre son foulard sur sa bouche et son nez pour ne plus rien sentir. Pour l'instant, la fumée se dirigeait plutôt vers les personnes de l'autre côté de Hawkins. De plus, il y avait une chose de positive à ce que la garde fumait, les mouches ne venaient pas embêter les deux femmes, elles aussi n'aimaient pas du tout l'odeur.

Oublier ce qu’elle venait de dire ? Idyl pouffa, esquissa un sourire en répondant : “Déjà fait, ma poulette” elle ne tarda pas à finalement laisser échapper un ricanement plus qu’un rire alors que l’autre lui annonçait ce qu’elle pensait justement vrai. La réalité était l’inverse ; c’était le monde qui était de la merde, et l’ancienne pilote comprenait parfaitement les gens qui se réfugiaient dans la drogue. Encore une fois, si elle continuait à déprimer comme ça, elle n’allait pas tarder à céder, à se défoncer à l’angelus pour rendre son quotidien plus intéressant. Le seul véritable frein qu’elle avait actuellement, c’était la difficulté qu’elle aurait à s’en procurer à cause de son manque de fond. Elle lui annonça alors, d’un ton étrangement calme, après avoir expiré la fumée de sa cigarette : “C’est parce que t’as tellement peur de mourir que tu te contentes de survivre” elle se tut un instant, chercha à croiser son regard pour lui annoncer : “Mais j’espère pour toi que tu vas réaliser que ça n’a pas de sens, et que tu ferais mieux de profiter de ta vie plutôt que de la rendre misérable en mettant la survie à tout prix” elle prononça le mot survie de manière dédaigneuse, parce qu’au ranch, dans un groupe, il était question de survie, mais d’une survie différente, beaucoup plus lassante et triviale que la véritable survie. Celle du combat de tous les jours pour rester en vie. Quand on était dans un groupe, il ne s’agissait non plus d’une survie individuelle, mais collective, idéalement. Et ça signifiait une organisation et une répartition des tâches. Et ça limitait le risque, et faisait perdre un peu de sa difficulté à la survie. C’était une bonne chose en soit, mais clairement pas pour la pilote.

Elle tourna la tête pour regarder le mur en face d’elle en continuant de fumer sa clope tranquillement. En arrivant au ranch, elle ne pensait qu’à la survie, parce qu’elle n’avait pas le temps pour penser à autre chose. Mais la réalité l’avait rattrapé, et elle avait annoncé ce qu’elle pensait à Alex. Qu’elle en fasse ce qu’elle veut. Mais aujourd’hui, la vie était chiante, fragile, même si moins monotone que dans le monde d’avant. Elle commençait un peu à déprimer, quand la porte de l’infirmerie s’ouvrit à nouveau, et que l’infirmier annonça : “Hawkins, viens vite ; ça commence à presser” elle se leva, regardant blasée sa cigarette, avant d’hausser les épaules et de la refiler de gré ou de force à Alex ; la lâchant sans même faire attention à si elle la tenait avant de suivre le personnel soignant pour aller céder son précieux sang. Il l’installa dans un coin de la pièce, et, mécaniquement, chercha sa veine. Il lui répéta le blabla habituel, avant de lui mettre l’intraveineuse et commencer la prise alors que les consultations ordinaires continuaient.

Sur une simple constatation d'Idyl, les choses allaient dégénérer entre les deux femmes. Alexandra serra les dents en attendant d'avoir l'occasion d'en placer une. Voilà qu'à présent, la garde, habituellement si peu loquace, parlait trop. Et c'était au tour de l'éclaireuse de s'agaçait en tapant du pied. Mais là, elle avait une bonne raison d'être énervée. Une fois de plus, son constat était erroné. Non, Alex ne prenait pas de drogue et non, elle n'a pas peur de mourir. « J'ai plutôt l'impression que tu décris ta vie. » Répliqua-t-elle avec un sourire narquois affichait sur les lèvres. « Tu crois tout savoir parce que tu étais militaire avant l'épidémie, mais tu te trompes lourdement sur mon compte. Je ne survie pas, je vis. Aujourd'hui, je vis vraiment et je n'ai pas besoin de la drogue pour me sentir vivante. Chaque fois que je suis à l'extérieur, je profite de la vie, de la liberté et de pouvoir faire ce que je veux quand je veux. C'est sûr que dans ton cas, coincée au ranch, il n'y a que la drogue qui peut t'apporter un semblant de ce que je vis. » Puis le silence retomba quelques minutes entre elles. Alex fixait toujours le mur, se mordant l'intérieur de la joue, bouillonnante de colère. Elle se calma rapidement après avoir parlé. L'autre femme allait peut-être lui coller un pain pour se défouler. "Qu'elle le fasse !" Pensa-t-elle. La cavalière l'attendait de pied ferme pour lui rendre ses coups. Or, l'infirmier arriva dans la salle d'attente et récupéra l'ancienne militaire pour la saigné. Le manque de sang commençait à se faire sentir et en attendant qu'on vidait Idyl de son précieux liquide carmin, ils pouvaient continuer les consultations.

L'homme est donc revenu dans la salle d'attente pour appeler Alexandra. Il la fit installer sur une chaise et on commença à lui enlever le pansement et les fils cassés. Le médecin nettoya la blessure avec une compresse imbibée de sang tout en discutant avec l'éclaireuse du ranch. Ils commençaient aussi à être en rupture de stock d'alcool. Elle accepta de faire un tour demain dans les endroits qu'elle connaissait pour en récupérer, pourvu qu'elle puisse être loin du ranch. Sur ce, le médecin lui demanda d'aller à un endroit précis pour récupérer du matériel aussi. Il n'en avait pas besoin dans l'immédiat, mais c'était toujours bon à récupérer, au cas où. La conversation se termina et le docteur finit de mettre un nouveau pansement chez la texane. Elle pouvait donc s'en aller.

Alexandra était sur le point de sortir de la pièce, quand elle s'arrêta devant la porte du cabinet et s'adressa d'une voix calme à Idyl. « Tu te souviens de notre soirée poker ? Tu as demandé si on avait vu des morts stupides. Je viens de me souvenir d'un crétin mort par overdose. Il avait encore la seringue plantée dans le bras et autour de lui, c'était un mélange de vomi et de médicaments. Il avait dû être heureux d'avoir trouvé cette réserve de médocs dans le camion. Il en a bien profité l'enfoiré jusqu'à la mort. Quand je suis arrivée près de lui, il roulait dans son vomi, incapable de se relever, pour essayer de m'attraper les chevilles. Je trouve ça plus lamentable que ceux qui se loupent en tirant une balle dans la tête. » Maureen... Ce prénom s'est inscrit dans sa mémoire à chaque fois qu'elle évoquait cette façon de mourir. Une balle dans la tête, le fauteuil, les gouttes de sang tombant de sa main sur sol, la scène lui revenait en mémoire. Alex chassa ce souvenir d'un petit mouvement de sa tête. « Et tu sais quoi ? Les médocs qu'il s'était avalé, j'en avais besoin pour sauver une vie. » Puis, sans attendre de réponse, elle sortit de la pièce et retourna à son camping-car.

Alors que sa prise de sang avançait, elle repensait aux mots d’Alex. Non pas qu’ils l’avaient atteint ; Idyl n’écoutait qu’une seule personne : elle-même. Mais, elle esquissa un sourire face au misérable mais efficace argumentaire de l’autre. Elle avait raison sur un point, la pilote déprimait au ranch ; et elle était libre de faire ce qu’elle voulait par rapport au poste avantageux qu’elle occupait. Quelle garce, décidément. La frustration l’envahit partiellement, et l’espace de cet instant, elle avait envie de se barrer pour reprendre sa vie en solitaire. Mais la fatigue qu’engendrait l’opération eut raison de cette colère, et alors qu’elle se calmait et rouvrait les yeux, elle entendit Alex s’adresser à elle. Elle ne put s’empêcher de pouffer, avant de lui lancer : “Tellement d’émotions, putain. J’vais pleurer je crois. Ah, non, en fait, j’m’en fous” elle reposa sa tête sur le fauteuil, avant de pousser un soupir. Elle avait au moins le mérite d’être honnête.

Les gens n’avaient qu’à faire ce qu’ils voulaient, putain. C’était la fin du monde. Encore une fois, fallait juste en profiter. Et une part d’elle était convaincue qu’elle avait raison ; depuis sept ans, à part Olympia, personne n’essayait de renconstruire quelque chose de véritablement durable. Les gens se complaisaient dans cette putain d’anarchie foireuse et injuste. Ils cherchaient encore des limites, en avaient fixé avec le cas des jackals. Mais au final, les injustices, la cruauté et l’égoïsme continuaient et allaient continuer. Ce monde était pourri, la vie était pourrie. Elle n’allait pas juger des gens qui se démontaient au point de se tuer ; au moins, ils étaient en paix après ça.

L’infirmier se pointa, retira l’aiguille de sa veine, lui appliqua un bandage. Elle ne perdit pas de temps pour se relever, et sans un mot, elle sortit. Pas besoin de la remercier ; encore une fois, c’était pas son choix. Elle s’empressa d’aller vers la sortie, si vite que quand elle poussa la porte, la lumière de l’extérieur l’assaillit au point où, en plus de sa prise de sang récente, elle manqua de se ramasser par terre. Elle se rattrapa in extremis contre un poteau, avant de regarder les alentours, prendre une inspiration, et se diriger vers sa cabane pour aller dormir. Elle avait d’autres plans mais on venait doublement de lui niquer sa journée, alors merde. Elle allait recommencer ce cycle qu’elle aimait tant. Dodo. Tour de garde. Pause. Tour de garde. Dodo.