an iron fist in an iron glove ft. Immy

C’est le bruit de la portière qui retentit d’abord, puis le crissement de la ranger sur les graviers du bitume. Un flingue calé dans le creux de sa paume, Irina balaye du regard le terrain devant elle, attentive au moindre bruit ou à l’ombre d’un cadavre putréfié se détachant du squelette de baraque à l'horizon. Il y a quelques heures de ça, on l’a prévenu qu’une petite bande se terrait dans la vieille station-service à moitié délabrée, à quelques kilomètres du centre commercial. L’appât du gain, doublé par l’excitation d’une nouvelle chasse à l’homme, avait suffit à la convaincre de conduire cette expédition. Trente minutes de route et la victoire au bout du chemin, Irina avait pris le volant, vitre ouverte et sourire aux lèvres, avec l’air assurée de ceux qui sont persuadés d’être tout puissant en leur domaine.  Et en effet, aucun accroc ne vint menacer ce paisible voyage, et rien non plus à l’arrivée. Assurée de sa sécurité, Irina frappe par deux fois avec la crosse de son arme sur la carrosserie usée du tas de ferraille leur faisant office de voiture. Quelques ordres aboyés percent la barrière de ses lèvres, avec ce lourd accent des pays de l’est qu’elle n’est jamais parvenu à effacer. « Sortez. A moins que vous ne préfériez me laisser faire tous le boulot. » Deux hommes et deux femmes émergent de la vieille carrosserie, deux grands costauds identiques, leurs fusils balancés négligemment sur l’épaule et leurs regards cherchant déjà de quoi rassasier leurs vieilles carcasses abîmées par l’âge. L’ukrainienne les appellent couramment les jumeaux, par solution de facilité, mais aussi parce qu’ elle n’a jamais pris la peine de leur demander leurs prénoms. A quoi bon ? L’une des filles est de belle taille, un poignard coincé dans la ceinture. Irina ne la connait pas. Elle est arrivée il y a quelques semaines, et n’a pas encore eu l’occasion de faire ses preuves. Et évidemment, la greluche. Immy. Une petite poupée à peine plus solide qu’un cure-dent. Une garce qu’on lui a imposée aujourd'hui, tout comme on lui imposera demain. Un obstacle négligemment posé en travers de sa route, et dont elle rêve de se débarrasser. Et quelle meilleure occasion qu'aujourd'hui après tout ?

Irina la couve du regard quelques instants, un sourire mesquin parant son visage d’albâtre et qu’elle se plaît à laisser en suspens. Tandis qu’elle s’approche pour glisser une main de fer sur son épaule. « J’espère que tu sais te servir de ça princesse. » Elle lui désigne l’arme en sa possession « Parce-que personne sauvera ton joli cul aujourd’hui. » Et encore moins l’ukrainienne qui relâche lentement sa prise sur son épaule pour prendre la tête de leur petit groupe, ordonnant aux jumeaux de faire le tour du bâtiment à la recherche de la moindre trace du groupe subsistant. Elle allait montrer à cette gamine ce que c’était que d’être un Jackals. Et qu’elle ne méritait pas d’en faire partie.

La route est cabossée comme un dos brisé. D'ailleurs au croisement de deux rues forcément désertes, le pied de Romalenko écrase la pédale, les pneus de la jeep écrasent les restes d'une colonne vertébrale. Immy est silencieuse du point de départ jusqu'à la ligne d'arrivée, quand à l'arrière les têtes de nœuds n'en finissent pas de jacasser. L'un assis à l'avant, l'autre à l'arrière, ils sont deux à se renvoyer les piques plus lourdingues les unes que les autres. Ils s'amusent à décocher à la nouvelle quelques mots, qu'elle leur offre du bout des lèvres. Mais après un temps, après avoir dépassé les brèves salutations, la grande brune les ignore tout sec, et leurs regards comme un seul, vraiment, se posent avec moquerie sur Immy. Elle s'est habituée à cette attitude venant des autres jackals. Elle les comprend un peu. Toute maigre comme elle est, elle fait peur à personne. Mais ils ne savent rien de la lave en fusion qui coule sous sa peau, sous la poussière, sous le sang séché et les ecchymoses. Ils ne savent rien de la rage de vivre, comme un hymne, qui irrigue perpétuellement ses pensées. Enfin, les jackals ne savent vraiment rien en général. Bêtes comme des ânes, la plupart se contente de taper où ça fait mal et de passer à autre chose. Piller, frapper, baiser. Que des verbes du premier groupe. Ceux qui sont les plus faciles à conjuguer. La tempe contre la vitre fendue, Immy se laisse embarquer par le rythme du moteur et de la carcasse métallique. Elle ferme brièvement les yeux, épuisée, avant de ne les rouvrir sur une vision qui lui fait se crisper sa petite mâchoire. La station service se dresse devant eux et la rousse tire le frein. La portière claque. Deux coups la suivent. Et la voix de Romalenko les rejoignent. Ça n'a jamais été dit, jamais été explicitement expliqué, mais la jeune blonde et l’ukrainienne ne peuvent pas se saquer. Ça se sent juste. Et si au début Immy n'avait le droit qu'à une indifférence toutefois plutôt confortable de sa part, quand elle descend de la jeep l’œillade qu'on lui jette a beaucoup plus de substance : mépris et arrogance s'articulent avec limpidité. Et prennent forme dans un sourire malin, puis dans une main qu'on pose sur une épaule meurtrie. Immy frissonne mais certainement pas pour la rousse. « J’espère que tu sais te servir de ça princesse, » se moque-t-on en désignant le grotesque bout de bois que la jeune blonde a toujours à la main. Rougit par l'usure et rongé par le vieux sang, c'est le dernier moyen qu'a trouvé la jeune Reid pour se protéger. Une batte de baseball ou ce qui y ressemble vaguement. Le Colt qu'elle ne réservait de toutes façons que pour les grandes occasions n'est plus en activité depuis plusieurs jours. Il n'a pas quitté l'élastique de ses sous-vêtements néanmoins, et se presse toujours contre sa hanche, bien caché sous le tissu d'un vieux t-shirt et les pans d'une veste sombre. Si elle lui trouve des munitions, il n'y a pas de raisons pour bazarder le vieux M1911. « Parce que personne sauvera ton joli cul aujourd’hui, » la tête de l'opération annonce avec un sourire satisfait, et Immy lève juste les yeux au ciel.  « Compte pas sur moi pour sauver le tien alors, » marmonne la gamine en jetant la batte sur son épaule d'un air désabusé, mais Irina est déjà loin.

Les silhouettes des jumeaux disparaissent chacune à un angle différent avec le flegme qui caractérise les trompe-la-mort. Mais c'est un rôdeur qui réapparaît le premier, et la grande brune n'hésite pas une seconde avant de ne lui exploser le crâne d'un tir simple et singulier. Elle abandonne les ordres de Romalenko pour suivre son instinct -espérait-on vraiment autre chose d'un chacal de toutes manières ?- et s'inscrit dans le même sillon que celui du frère le plus robuste. Immy hésite une seconde. Mais elle n'a pas l'ambition de s'abaisser aux recommandations du tyran de l'Est et la voie ne semble pas outrageusement dangereuse. « Aller. A moins que tu ne comptes nous laisser faire tout le boulot, » lui lance avec un sourire moqueur et insolent la jeune blonde avant de ne s'engouffrer dans le bâtiment aux baies vitrées défoncées. Le bruit des godasses d'Immy sur le verre brisé est atroce. Mais celui qui lui répond quelques instants plus tard l'est encore un peu plus : le vrombissement d'un moteur crasseux, puis celui du caoutchouc qui lèche le bitume. Manquerait plus qu'une bande de marcheurs leur tombent dessus, se dit Immy quand elle jure dans son américain des élites :« Putain, ils sont sérieux ?! ».

Marionnettes éphémères entre ses doigts habiles, les jumeaux se meuvent avec docilité dans la direction indiquée par l’ukrainienne qui observe consciemment les choses se dérouler sous son regard. N’ayant pas le temps de corriger l’insolente blonde qui pénètre déjà dans l’ancienne station-service, ce n’est qu’en contractant puissamment sa mâchoire qu’elle parvint à maîtriser la sombre humeur qui la saisit. Insidieuse, une rage froide trotte dans ses veines. Puissante. Destructrice. Irina sait qu’elle doit parvenir à se contrôler sous peine de compromettre sa mission. Alors elle presse sa paume contre la crosse de son arme à feu - étreinte rassurante de l’objet contre ce cœur toujours bien humain qui s’emballe dans sa poitrine -  et s’avance après Immy dans le bâtiment à moitié ruiné par l’apocalypse qui les a tous surpris il y a près de six ans maintenant. Les éclats de verres crissent, le regard glacial parcourant les vestiges des étagères éclatées au sol, cherchant un indice indiquant une présence humaine en ce lieu sordide. C’est lorsqu’elle s’apprête à ouvrir ; d'un coup de pied retentissant ; la porte des WC que le ronronnement caractéristique de la vieille jeep se mit à retentir. C’est en cœur avec la blonde qu’elle exprime son étonnement mêlé de fureur « Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?! » Les phalanges blanchies par la colère, Irina eut tout juste le temps de se retourner pour voir le véhicule foncer à toute allure sur elle et sur son indésirée compagne. . Un pas sur le côté, une roulade in extremis tandis que sa cheville émet un craquement des plus douteux. C’est un râle de douleur qui accompagne le choc, lorsque la voiture heurte le bâtiment à pleine vitesse.

Les décombres sont plus nombreux, la poussière et le plâtre laissant autour du bâtiment un épais nuage grisâtre qui arrache à l’ukrainienne plusieurs quintes de toux incontrôlable. Oui, elle était bel et bien vivante. Eux par contre, n’allaient pas le rester longtemps. Se redressant avec précaution, ménageant une cheville heurtée par le choc, Irina sort immédiatement son arme, rendue à moitié folle par la douleur et cette colère froide et implacable qui la submerge « Je vais tous vous buter ! Tous autant que vous êtes putain d’enfoirés ! » Deux coups de feux retentissent. Deux balles cueillent les jumeaux effarés au milieu du front, aussi identiques dans la vie que dans la mort. Elle croise le regard d’Immy. La seule qui n’a pas rejoint le véhicule pour tenter de la buter. Mais pour autant, elle ne peut lui faire confiance et la gratifie d’un coup de rangers dans les tibias « Si tu bouges, t’es morte. Et je vais emprunter ton joli bâton. Si t'es sage, je te le rendrai. » Irina lui confisque aussitôt sa batte avant de se diriger vers la brune coincée à l’arrière du véhicule ; désarmée et apparemment tremblante. Une bouffée d'excitation se mêle à la douleur de la cheville, et un rire la berce bientôt de sa douce étreinte «  Tu croyais pouvoir me baiser aussi facilement ? Dépêches toi de sortir, qu'on s'amuse un peu. »

Immy s'enfonce brusquement dans les ruines des toilettes. La jeep leur a bondit dessus. Irina est à terre. Elle s'est fait vachement mal au râle qui s'échappe de ses lèvres tordues par la douleur. Ca aurait fait plaisir à Immy si ça ne la foutait pas également dans la merde. La voiture ébranle tout le bâtiment, fait trembler ses murs déjà franchement pas solides, et le ciel tombe un peu plus sur la tête d'Immy. Elle balaye le plâtre qu'elle a sur les épaules et la tête et les cheveux, essayant de garder la tête froide. C'est qu'une bagnole, se dit Immy. Aucune autre couille ne leur est encore arrivée. Rentrer à pieds, c'est toujours possible. Mais Irina ne l'entend certainement pas de cette oreille... Parce qu'Irina est une rageuse. Une insatisfaite. Faut toujours que les choses aillent dans son sens. Immy lève les yeux au ciel quand elle rage contre les déserteurs ; et se dit qu'au moins, si elle part à leurs trousses, elle aura la paix. Quelques temps. Grave erreur de jugement.

Les coups retentissent. A cette distance, impossible de toucher la cible... Et pourtant. Deux coups partent et la voiture s'emballe, avant de ne se coincer dans un poteau électrique. De ce qu'elle voit, le capot fume, et la silhouette de la brune grelotte à l'arrière. Elle n'ose pas bouger, tétanisée. La blonde, de son côté, ramasse sa batte dans les décombres et la secoue pour virer ne serait-ce que les débris qui se sont coincés entre les clous. Quand l'autre cinglée s'approche vivement et lui assène un coup de pied dans le tibia. Même si sa puissance est moindre, Immy grimace brusquement et est déjà prête à rappliquer quand on lui adresse la parole : « Si tu bouges, t’es morte. Et je vais emprunter ton joli bâton. Si t'es sage, je te le rendrai. » Son visage se fige. Elle est sérieuse cette abrutie ?! Les sourcils de la gamine se froncent, aussi, quand Irina s'avance vers la jeep en boitant. Et alors quoi ? Elle va faire la spectatrice ? Va rester sagement dans son coin tandis qu'on écrase le crâne d'une inconnue avec son arme ? « Oh ! Romalenko ! » gueule avec ses tripes la jeune blonde à qui on a arraché le jouet favori. Et la première fois qu'elle lance ces quatre syllabes, c'est par rage : elle a la ferme intention de récupérer ce qui est à elle, ce qui lui revient de droit, parce que son nom est inscrit dessus, parce qu'elle a dégommé avec ça plus de zombies que tous ses anciens propriétaires réunis... Mais l'appel se répète. Quatre syllabes qui se collent les unes aux autres dans une cohue monstre. « Romalenko ! Putain ! » La petite blonde n'a définitivement plus la tête froide quand son regard passe d'un côté aux deux filles que la mort veut séparer, et de l'autre, la mort tout court qui arrive droit sur elles.

Un groupe de rôdeurs approche à grande vitesse. Ce qui paraît antinomique pour des rôdeurs. Mais ameutés par le ramdam insensible de la collision et les cris barbares d'Irina, et surtout puisqu'ils s'avancent sans qu'Immy ne puisse les faire reculer, ils ont l'air plus rapides qu'Usain Bolt. La blondinette trésaille et sans en attendre plus s'élance vers la jeep à en perdre haleine. Arrivée à la hauteur de la rouquine, elle se hisse contre la portière et arrache le fusil à pompe au cadavre du premier jumeau. « Achève-la, on a pas le temps pour le mélodrame Irina, » fait gravement Immy tandis que l'inquiétude fait se réduire à néant jusqu'à la moindre expression juvénile de ses traits.

Ce ne sont plus que mouvements désordonnés, la volonté désespérée de la brune qui compte bien échapper au destin promis par la rousse armé de la batte empruntée. Elle refuse d'obéir et Irina s’impatiente. Elle se saisit d’une poignée de cheveux, la tirant implacablement en dehors de la voiture, arrachant à sa victime un cri de douleur. « Je t’ai dit de sortir putain. » L’ukrainienne déteste avoir à se répéter, et lorsqu’Immy ne cesse de la rappeler à l’ordre elle doit faire un effort monstrueux pour ne pas s’occuper d’elle avant l’autre pétasse. Balançant le corps de la fille parmi les décombres, Irina ne voit pas le danger qui menace dangereusement ses arrières trop accaparée par la rage contenue dans ses veines et sa volonté d’en finir. Immy continue son petit manège autour d’elles sans qu’elle ne s’en préoccupe outre mesure. Non pas qu’Irina se fiche comme d’une guigne de la blonde, mais c’est tout comme. Pourtant, elle peut percevoir l’inquiétude qui perce dans sa voix tandis qu’elle lui demande d’achever la fille. Et lorsqu’elle se tourne du côté de l’ouverture, ce qu’elle voit la pousse à lâcher quelques jurons dans sa langue natale. Immy est à côté d’elle, un fusil à pompe callé entre ses doigts, et Irina arrive encore à hésiter entre dégommer la brune comme elle avait prévu de le faire, ou fuir ce lieu qui ne lui avait apporté que des complications. « Fait chier. Fait chier. Fait chier. » qu’elle balance à la file, détachant ses doigts de la chevelure poisseuse de la jackals qui n’en sera bientôt plus une. D’un coup sec, elle jette le bout non clouté de la batte dans la tempe de la fille qui s’effondre, marionnette désarticulée. Elle n’aura pas la chance de crever proprement, la rousse se console ainsi alors qu’elle boitille jusque la porte du conducteur de la jeep. Le cadavre d’un des jumeaux occupe encore la place. Elle le détache avant de tirer sur le type pour le balancer à l’extérieur et le remplacer, tournant désespérément les clés pour démarrer le moteur. Un ronronnement mécanique discontinu lui répond. Et avec la fumée qui s’échappe du capot, Irina comprends rapidement que la caisse n’est plus une solution envisageable. Trop rodée par le danger, Irina est loin de céder à la panique. Elle sort de la voiture, attrape le fusil de l'autre jumeau, avant de rejoindre la dernière de ses comparses en vie, lui fourrant la batte cloutée dans sa main libre « Tiens ton jouet. Maintenant, faut qu'on se tire. Et vite. » L'ukrainienne sait pourtant que sa cheville abîmée va la ralentir, et qu'elle est loin d'être un des avantages de la mission. Elle maudit les trois enfoirés qui ont décidé de l'emmener ici pour l'achever. Elle se maudit pour les avoir suivi aveuglément dans cette mission qui n'a jamais eu lieu d'être puisque évidemment il n'y a jamais eu aucun groupe dans ce lieu sinistre - sinon peut-être un ou deux bougres qui n'avaient pas survécu longtemps aux morts qui marchaient maintenant dans leur direction. Quelques instants, elle reste figée avant de se reprendre. Elles doivent bouger, sinon la mort les prendraient vite et sans remord « J'ai vu une voiture dix mètres plus loin sur le côté du bâtiment. Si on arrive à la faire tourner, y'a moyen qu'on s'en tire toutes les deux. Aides moi à marcher. » qu'elle lâche, toujours avec autorité. Pourtant, elle sait que si Immy se barre sans lui filer le coup de main qu'elle veut, Irina est partiellement condamnée à crever au milieu des mordeurs. Et c'était tout simplement hors de question. Elle préférait se mettre une balle que de se faire dévorer vivante. Pourtant, les morts vivants s'approchent, et avec eux la promesse de la mort se fait de plus en plus palpable. « Vite. »

Elle regarde, impuissante, le bout de la batte cogner la tempe de la fille, et le crâne de la fille taper brutalement dans le battant de la portière. Plus tard, Immy se dira que ce qu'elles ont fait là n'était pas bien, et que dans d'autres circonstances, elle aurait sans doute fait autrement. Plus tard, Immy se mentira. Mais là, y'a vraiment pas le temps. Tournée vers le danger, la jeune blonde se retrouve avec cette arme qu'elle n'a jamais manié dans les mains. Elle a vu à la télé, quand elle était beaucoup plus petite, le mouvement qu'esquissaient les bad guys dans les téléfilms avec des engins pareils. Mais c'est trop loin pour faire appel à ces souvenirs. Et c'est que de la théorie. En pratique... En pratique elle troquerait le fusil à pompe contre son colt à n'importe quel moment, peu importe la différente portée des armes. Mais elle a plus de munitions. Elle rattrape la batte, regagne une vague impression de contrôle... Mais à moins d'être dans la marée de morts, Lucille la cloutée ne lui sert à rien. Non, elle a juste ce gros barbare entre les doigts, qu'elle tient en tremblant quand Irina s'éloigne et saute dans la bagnole. Qui ne démarre pas et crache un genre de fumée épaisse qui fait toussoter Immy. Et les jurons fusent. Si jurer ça niquait des rôdeurs, ça ferait longtemps qu'Irina aurait nettoyé la surface du globe.

Mais il n'en est rien, et la mort gagne du terrain. La jeune blonde aimerait autant prouver à sa supérieure qu'elle est capable de tirer quelques coups de feu décisifs, mais même la balle négligemment jetée au sol, ses doigts ripent autour de l'arme. Elle n'a pas l'habitude. De la machine. Ou des hordes. Ou des raids qui finissent aussi mal... Immy se sent petit à petit gagnée par la panique. Ses yeux se plissent. Ils sont combien, ces enfoirés ? Sa respiration s'emballe un peu, le temps de constater que la rousse est tout à coup devenue silencieuse. La gamine lance un regard par dessus son épaule pour croiser l'allégorie du doute. Ou ce qui y ressemble... La jeune femme fixe un point du tableau de bord, et Immy tangue. Elle hésite à l'insulter, à lui filer un coup pour la sortir de la torpeur, et finit par revenir à l'horizon. Peut-être que les morts ne les ont pas vues...

Compte sur ça, la mioche, grogne presque le rôdeur qui surgit de nulle part. C'est le premier, il a pris de l'avance visiblement. Immy galère. Elle essaie de rattraper la batte, tombée par terre. Elle a peut-être roulé sous la bagnole... Non, non, elle voit le manche. Elle essaie de l'attraper sans quitter des yeux le type qui n'a plus qu'un bras. Et finalement tripote nerveusement l'arme, à s'en couper le bout des doigts sur le métal froid. Imprécis, le coup part sans crier gare. C'est pas sorcier les armes à feu, c'est juste impressionnant. La puissance de la déflagration, la force du recul, la précision du tir, en revanche, ce sont des variables obscures pour Immy. Des variables qui lui font serrer les dents et ravaler ses larmes quand la crosse lui rentre dans l'épaule. Elle tire une deuxième fois, ce coup-ci en visant un peu mieux, et se tourne vers Irina. « J'ai vu une voiture dix mètres plus loin sur le côté du bâtiment. Si on arrive à la faire tourner, y'a moyen qu'on s'en tire toutes les deux. Aides moi à marcher. » Aussitôt Immy range ses émotions dans un tiroir qu'elle verrouille à clé, lance l'arme en bandoulière sur son épaule valide, ramasse la batte et vient à la rencontre d'Irina. Il est plus facile de se soumettre à l'autorité de cette grande conne que de devoir faire face à la panique, sur le moment, alors elle ne se plaint qu'à peine du ton qu'emploie l'ukrainienne, sauf quand elle la presse : « Je fais déjà ce que je peux, Romalenko, » fait la blonde entre ses dents.

La rousse affalée sur son épaule, Immy se rend rapidement compte que même si elles n'ont que quelques mètres à faire, il va falloir que quelqu'un couvre leurs fesses. Et ce n'est pas elle, ralentie par la nouvelle estropiée de service de Stonebriar qui allait le faire. La force avec laquelle elle pouvait faire swinguer sa batte était quasiment nulle, avec le poids d'Irina qui l'empêchait de prendre son élan. Et la bandoulière était coincée sous l'aisselle de la rousse. « Tu comptes te sortir les doigts du cul et tirer ou nous laisser nous faire bouffer ? » souligne la blondinette en se posant une seconde à l'angle du bâtiment, histoire de voir ce qui les attendait.