Elle ne parvient pas à calmer le tremblement de ses mains, les battements rapides de son cœur, le flot de ses pensées. Mal à l’aise avec bien des choses, la jeune femme ne sait plus vraiment où elle se rend. Elle ne sait pas comment elle est rentrée au camp. Elle ne sait plus grand-chose, en réalité. Mort, c’est un fait. Elle l’a tué, et le sang qui la recouvre le révèle très bien. Elle l’a tué et elle n’a même pas hésité une seule seconde. C’était soit lui, soit elle. Une hésitation à deux mains qui aurait perdu le plus étrange des individus. Il a longtemps fait partie de sa vie. Braam. Le simple fait qu’il ne devienne plus qu’un souvenir aujourd’hui, elle ne sait pas quoi en penser, ce qu’elle doit en dire. Elle est perdue, et parvient difficilement à calmer ses larmes qui ruissellent sur ses joues. Elle a oublié son couteau là-bas. Il est planté dans sa chair. Là, entre ses deux yeux pour qu’il ne puisse se relever. Elle ne se voyait pas le tuer, une seconde fois. Imaginer que tout ceci est derrière elle est étrange. Elle est parvenue à clore un lourd chapitre, une histoire qui la dépassait depuis plusieurs années. Elle avait sa part de responsabilités dans ce qu’il était devenu. Mais le tenant pour responsable de la mort de leur fille, toute cette histoire ne pouvait plus durer. Il devait payer et, malgré de nombreuses difficultés à en trouver la force, elle a fini par trouver le courage de le tuer. Plus de ce monde, plus de vie. Il ne reste plus qu’elle d’une vie de famille qui semble si lointaine.
Du sang coule sur sa joue, elle est persuadée d’en avoir même pris dans l’œil, ses vêtements en sont recouverts, également. Le premier coup de couteau fut le plus difficile, il ne s’y attendait pas. Combien de fois lui a-t-il soufflé qu’elle n’y arriverait pas ? Qu’elle ne pouvait pas tuer son propre mari ? Trop de fois, probablement. Mais elle a fini par y arriver. Elle a fini par trouver le courage de faire les choses. Et elle l’a poignardé une fois, puis deux. Puis davantage. Dans un hurlement, elle n’a plus été capable de stopper son bras. Ce bras qui lui fait mal, encore maintenant. Combien de coups lui a-t-elle asséné ? Elle ne saurait le dire, elle n’a pas été capable de les compter. Trop nombreux, trop de haines, trop d’acharnement. Elle ne s’est pas reconnue dans ces actes. Et pourtant, il méritait tout ça, n’est-ce pas ?
Ses jambes tremblent, elle ne sait pas comment elle fait pour rester debout. Elle ne comprend pas et en même temps, elle ne se sait pas capable d’affronter tout ça, elle n’est pas non plus certaine d’en avoir envie. Les choses sont trop compliquées, parfois. Elle ne veut pas savoir de quoi il sera question plus tard. Dans l’instant présent, malgré l’évidente apparence faiblarde de son corps, elle réalise qu’il y a un certain acharnement dans ses actions. Un comportement qui lui fait du bien, malgré tout ce qu’elle pourrait en dire. De nombreuses années ont été rythmées par la présence de cet homme. Son comportement à elle s’est écroulé dans une vague qu’elle ne comprenait pas. Dans un développement qui n’était visiblement pas fait pour elle, aussi.
Autour d’elle, elle ne fait attention à rien. Et pourtant, elle est rentrée, elle le sait. Du moins, elle le croit. Son regard est entièrement voilé, elle ne reconnaît rien, elle ne fait pas vraiment attention, aussi. La nuit est tombée ? Non, le soleil se lève doucement, justement. Il est très tôt, ou bien très tard, cela dépendra de celui qui formule ces pensées. Mais personne ne vient la voir pour lui en donner l’écho. Elle continue d’avancer, sans réel but, sur le terrain du ranch. Elle aimerait se coucher mais elle ne sait plus laquelle de ces tentes est la sienne. Elle n’a, par ailleurs, pas non plus envie de chercher. Tout, ici, est bien assez compliqué comme ça. Elle ne sait plus, elle ne sait plus rien et elle n’a pas non plus envie de chercher plus loin. Tout est déjà si compliqué. Le sang de Braam encore sur les mains, elle ne sait plus qui elle est, ce qu’elle va faire, désormais. Il y a cette sensation de liberté qui l’envahit doucement mais il y a aussi cette part qui ne la quitte pas. Celle de la perte…
Le sommeil l'avait quitté bien trop tôt comme cela arrivait parfois et le petit jour naissant l'avait trouvé parfaitement éveillé et nullement disposé à paresser dans le confort de sa chambre. Malgré qu'Abel était logé dans un luxe largement supérieur aux conditions de vie auxquelles avait droit la plupart des riders, il n'était pas rare que l'insomnie toque à la porte ou que les tracas écourtent ses nuits. Parfois, la sensation d'une attaque imminente gardait sa conscience désespérément alerte de longues heures durant tandis que d'autres, c'était les problèmes non réglés de la veille qui contrariaient son humeur, l'amenaient à faire les cents pas ou s'asseoir à son bureau et user son encre à la lueur vacillante d'une bougie jusqu'à ce que ses paupières soient lourdes. Mais bien souvent lorsque son sommeil se montrait capricieux, Abel finissait par s'échapper de la demeure familiale pour s'adonner à d'autres occupations. Point de fugue hors campement, il n'était pas fou, il se contentait d'une visite en dehors des murs où logeait le reste de sa famille. Souvent la même tente, la même femme, mais pas par sentimentalisme : il était un homme d'habitudes. Janissa ne savait pas lui dire non, ou alors elle n'osait pas, à vrai dire il s'en fichait un peu et ne s'intéressait qu'à son propre besoin. L'éclat de peur qu'il avait parfois intercepté dans son regard, il l'avait dédaigné, l'avait mis sur le compte de ce qu'il pouvait bien représenter pour elle, le leader qu'il ne fallait surtout pas contredire au risque de s'en attirer les foudres. Ça ne lui posait pas le moindre souci de conscience d'en abuser. Au final, il ne s'était jamais réellement intéressé à ce qu'elle avait pu être avant, les autres raisons qui pouvaient se terrer derrière le comportement qu'elle adoptait face à lui. Ils parlaient, cela arrivait, mais jamais de ça.
La tente était vide. Le campement baignait dans cette quiétude précédant l'aube où la plupart des âmes pataugent encore dans l'inconscience d'un repos durement mérité, silence brisé parfois par un renâclement équin ou les pas d'un veilleur nocturne. Abel ne s'était pas annoncé, il n'estimait pas en avoir besoin, mais personne ne l'avait accueilli. Il avait attendu, un peu, mais la patience n'était pas son fort. Quelques bruits au dehors l'avaient convaincu de lever les voiles et il était finalement sorti pour apercevoir la silhouette solitaire qui progressait à travers les rangées de tentes. La démarche mécanique et saccadée de l'individu amena instinctivement l'homme à porter sa main sur la crosse du pistolet qui ne quittait que rarement son côté. Puis la raison surpassa l'instinct : un rôdeur ne risquait pas de s'avancer aussi loin à l'intérieur des frontières du clan. Puis la curiosité sur la raison : qui s'aventurerait dehors, de nuit, et seul ? L'évidence quant à l'identité de l'autre personne ne tarda pas à se faire tandis qu'elle continuait d'approcher. « Janissa ? » Couverte de sang, la rouquine. Le sien ? « Il s'est passé quoi là, qu'est-ce que t'as fichu ? » Plus intrigué qu'inquiet, elle n'aurait pas été la première à revenir ici après avoir dû arracher sa vie des griffes d'assaillants qu'ils soient humains ou non. La vie était sauvage au-delà des frontières sécurisées et les massacres gratuits pas si rares que ça. Certains se jetaient même volontairement dans ce genre de batailles dans l'espoir de retrouver cette étincelle qui les faisaient se sentir vivant. Mais elle ?
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Sujet: Re: (Abel) - Reborn Mar 25 Oct - 19:12
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Comment les choses se sont passées ? Elle a encore du mal à s’en souvenir. Le sang lui apparaît mais n’est-ce pas tout ? Il giclait. Dans chaque coin, et elle, elle ne parvenait plus à se contrôler. Et elle continuait, encore. Elle a crié après, ou pendant, elle ne sait même plus. Elle n’a pas vraiment envie d’y réfléchir non plus. Elle ne veut plus savoir parce que c’était bien assez énervant comme ça, de base. Elle a peur, aussi. Peur parce que c’est une histoire qui se termine et qu’elle ne sait pas comment gérer ça, peur parce qu’elle est persuadée qu’elle va perdre pied. Plus de Nima, plus de Braam. C’est un monde différent qui s’ouvre désormais à elle. Un monde qu’elle ne comprend pas et qu’elle n’a, en réalité, pas vraiment envie de comprendre. Elle s’y perd, parce qu’elle ne sait pas vraiment où donner de la tête, parce qu’elle n’a pas non plus envie de réfléchir. Mais c’est comme ça. Elle n’a pas envie parce qu’elle a peur, et elle a peur parce qu’elle n’a plus vécu dans un monde sans Braam depuis trop d’années. Elle avait dix-huit ans, lorsqu’il a mis les pieds dans son monde. Il n’en est plus ressorti. Malgré l’apocalypse et son environnement, dans le fond, elle a toujours su qu’il n’était pas loin, elle a toujours su qu’il était là, quelque part. Sans jamais vouloir le comprendre. Alors elle a peur de ce monde qui lui est inconnu. Alors que pourtant, c’est un monde libre qui lui apparaît. Une liberté qu’elle ne connaît pas. Et les hommes… Finalement, à ses yeux, ils sont tous les mêmes n’est-ce pas ? C’est une peur, aussi.
Le sang qui recouvre son corps est celui de l’homme. Elle sait qu’il ne se relèvera pas. Parce qu’elle a fait en sorte qu’il ne se relève pas. La rage a dicté sa main. La lame est entrée, puis ressortie tellement de fois qu’elle n’a pas été capable de compter. C’était lui ou elle, n’est-ce pas ? Elle est persuadée de pouvoir s’en convaincre. Elle a juste un peu peur de se pencher sur la question parce qu’elle a un peu peur de se tromper sur quelques points. Elle ne sait plus où donner de la tête et en fin de compte, elle ne veut pas savoir. Parce que Janissa, elle a peur d’aujourd’hui, mais elle a peur de demain, aussi. Elle a peur d’hier et des conséquences de ses actes. Son principal problème, en réalité, c’est qu’elle a toujours eu peur. Qu’elle ne sait plus comment ça fonctionne, lorsqu’on n’a pas peur. C’est ce qui l’inquiète le plus. Son corps, son cœur, son âme… Tout lui fait mal. Et le sang sur son corps représente les marques que Braam a laissé. Toutes les marques. Le sang qu’il a fait coulé, les bleus qu’il lui a fait, la douleur qu’il a imposé, aussi. Et il a peur parce que quoi qu’elle en dise, elle ne pourra pas revenir en arrière. Elle a peur parce que quoi qu’elle fasse, sa vie est foutue, qu’il soit là ou non.
Alors ses pas se font tout seul, elle ne fait pas attention, elle ne sait pas où donner de la tête parce qu’elle ne sait pas comment se comporter, maintenant. Un vide s’est glissé en elle. Un autre, finalement. Et elle ne sait pas comment le gérer, celui-là. Il n’y a pas de solution miracle, bien sûr. Et en plus de ça, il n’y en a jamais eu. Elle a peur, aussi, parce que maintenant, qu’est-ce qui lui reste à faire hein ? Qu’est-ce que la vie lui réserve ? « Janissa ? ». Le voile qui couvre son regard se ternit et elle fixe la réalité qui lui fait face. Elle n’est pas à l’aise, bien sûr. Abel lui fait face, elle en oublie son état, elle le fixe et elle attend. Elle attend qu’il ouvre la bouche, qu’il parle. Qu’il lui dise ce qu’il y a, ce qu’il veut. Peut-être quelqu’un de blessé là, quelque part ? Alors elle regarde autour d’elle mais elle a surtout l’air totalement perdue. « Il s'est passé quoi là, qu'est-ce que t'as fichu ? ». Elle prend conscience des choses, difficilement. Et elle se met à rire. Le genre de rire qui glace le sang. Mais ça ne dure que quelques secondes, et alors, elle se met à pleurer, non qu’elle sanglote, les larmes coulent d’elles-mêmes. Mais elle est forte. Et tout ce lourd chapitre est terminé, n’est-ce pas ? « Il est mort. Je l’ai saigné ». Son ton est froid, ses mots sont forts. Mais c’est de ça qu’il est question, n’est-ce pas ?
Sourcils froncés, il la détailla de pied en cap sans faire le moindre geste à son attention, comme s'il attendait que l'étrangeté de la situation s'explique d'elle-même à force de l'observer. Rien, évidemment, sinon que Janissa avait l'air complètement perdue et ne semblait pas trop savoir où est-ce qu'elle avait foutu ses pieds au juste. Puis elle se mit à rire et, à l'entendre, Abel se demanda l'espace d'un instant si elle n'avait pas perdu l'esprit dans la confrontation qui l'avait mise dans un tel état. Puis les larmes prirent la relève et il ne bougea toujours pas, très raide dans son attitude face à cette situation qu'il ne savait trop comment interpréter, encore moins comment gérer. Il n'avait aucune épaule à offrir, aucune parole réconfortante pour elle et pour l'aider à surmonter cette crise. A vrai dire, il n'aimait pas voir ce genre de preuve de faiblesse chez autrui, ça avait le don de l'insupporter. Vinrent ensuite les mots, Il est mort, et le rider laissa la curiosité le piquer devant la voix aussi froide. Qui ça, il ? Forcément, il ne savait rien de sa vie, de son passé, il n'y avait jamais apporté le moindre intérêt puisque ça ne le concernait pas. « De qui tu causes ? Tu t'es attiré des emmerdes ? » Elle en avait surtout créées, s'il fallait en juger son apparence. Abel ne pouvait qu'espérer qu'il n'y avait pas eu esclandre au sein du camp, le reste, il s'en moquait éperdument. Un mort de plus, un de moins... Janissa avait mené sa propre chasse aux démons et à première vue, elle s'en était pas trop mal tirée.
« Reste pas plantée comme ça en plein milieu. Viens. » Sans trop lui demander son avis, Abel décroisa les bras et s'avança vers elle, l'attrapant par l'épaule pour la pousser un peu trop rudement vers l'intérieur de sa propre tente. Le campement émergeait de son sommeil et, vu son accoutrement sanguinolent, la rouquine s'attirait tous les regards ; ça murmurait déjà de bouche à oreille sans même savoir de quoi il retournait – en fait, elle avait eu de la chance de ne pas se faire tirer à vue en revenant à l'intérieur de la zone sécurisée, les gardiens avaient souvent la fâcheuse tendance à se montrer plus porté sur la gâchette à une heure aussi indue du petit matin : quand on attendait personne, toute nouvelle venue était susceptible d'être mal interprétée. Une fois séparés du monde extérieur par la cloison peu épaisse du tissu, Abel la força à s'asseoir sur une chaise de camp. « Humain ou rôdeur ? », questionna-t-il dans la foulée d'une voix brusque, marquant une brève pause avant de reprendre sans lui laisser le temps de répondre : « T'es blessée ? » Toujours pas une percée d'inquiétude à son égard, non, juste le raisonnement logique d'un homme se souciant de l'intrusion éventuelle d'une infectée au sein de son camp. C'était déjà arrivé auparavant, rien d'étonnant à cela : les raiders se blessaient au cours des excursions, on ne pouvait malheureusement pas toujours l'éviter. Du moment qu'on prenait les mesures nécessaires derrière, et qu'on les prenait rapidement, les risques n'avaient pas le temps de se manifester vraiment qu'ils étaient déjà endigués.
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Sujet: Re: (Abel) - Reborn Mer 16 Nov - 17:32
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Il lui faudra sans doute plusieurs jours pour comprendre et pleinement réaliser ce qui vient de se passer. Sans doute est-ce la principale raison à sa manière d’agir et de se tenir, à sa façon d’être aussi maladroite avec tout ça. Et elle est heureuse et pourtant, elle pleure, et elle est triste et pourtant, elle rit. Un parfait exemple d’état second qui ne lui permet pas de comprendre ce qui a bien pu lui arriver. Il faut qu’elle se calme, il faut qu’elle réussisse à reprendre le contrôle sur toutes les choses qui ont pu foutre le bordel. Tout ceci ne peut plus durer, tout ceci est déjà bien assez compliqué pour qu’elle ne s’attarde pas. Mais avec la présence de Abell maintenant, est-ce que ce n’est pas un peu prise de tête, aussi ? Elle ne sait pas, elle ne sait plus, en réalité. Et pire que tout, elle n’a pas non plus envie de comprendre parce que c’est déjà bien assez perturbant comme ça. Elle a peur de demain parce qu’elle a démarré avec les mêmes bases sur bien des choses. Et maintenant, elle se retrouve à faire avec, qu’elle le veuille ou non. Il n’y a pas d’autre choix pour que tout s’arrange. Une nouvelle page de sa vie se tourne et elle doit en profiter. Mais pour ça, il faut qu’elle souffle et qu’elle accepte de supporter tout ce qui a pu lui arriver. Un pas après l’autre, une chose après l’autre, et il n’est pas vraiment possible de faire quelque chose pour aller contre ça.
Bien sûr, il tique au fait qu’elle parle de la mort, et qu’elle évoque le fait qu’elle ait pu tuer quelqu’un. Ce n’est pas vraiment la politique de la maison et la dernière fois qu’ils ont échangé alors qu’elle avait fui (non que cela ait été la dernière fois qu’ils ont parlé mais c’est la dernière fois où ils ont eu un avis assez divergent), elle a plus ou moins cru comprendre qu’il sous estimait pleinement tout ce qu’elle pouvait bien faire. Mais là, couverte de sang, ne peut-il pas mettre en doute les choses qu’il a pu penser ? Elle a tué, elle a du sang sur les mains. Et après avoir tué Braam, toute son existence est susceptible d’être totalement modifiée. Et elle a besoin d’un tel changement, bien sûr. Sans ça, sa vie n’aurait pas pu aller en s’arrangeant et encore maintenant, elle se demande un peu si elle a pris les bonnes décisions. « De qui tu causes ? Tu t'es attiré des emmerdes ? ». Elle grimace. Bien sûr qu’elle parle de son mari, mais ça, il n’en a pas la moindre idée et elle ne risque pas de se formaliser pour aussi peu de chose parce que ça n’aurait pas le moindre intérêt. Elle n’a pourtant attiré aucun ennui, au contraire, elle a fait disparaître la plus grosse problématique de toute son existence. Nima n’est plus là, Braam non plus. Alors aujourd’hui, libérée de toutes les choses qui ont pleinement dégénéré, elle se permet presque de croire que tout va aller mieux. Mais pour ça, il faudra faire un pas après l’autre. Un seul pas. Et pour le moment, elle est bien incapable de lui répondre. Elle essaie, sa bouche s’ouvre à plusieurs reprises. Mais déjà, il la coupe. « Reste pas plantée comme ça en plein milieu. Viens. ». Elle n’a pas besoin de regarder autour d’elle bien longtemps, elle voit bien que bon nombre de personnes sont incapables de faire ce qu’il faut, incapable de faire le nécessaire pour que ça s’arrange. C’est compliqué, du moins. Alors elle accepte de se mettre à l’abri. Ou plutôt, elle se laisse emporter par le mouvement et par sa main sur son épaule, qui l’entraîne, sans doute un peu trop durement mais elle ne fait pas attention. Il la force à s’asseoir et elle, elle se laisse tomber sur une chaise. « Humain ou rôdeur ? ». Elle grimace. Braam était un peu un mélange des deux. Un rôdeur humain. Un humain sans cœur. « Un peu des deux… Juste mon ex mari ». Un ex mari hein ? Qu’elle a foutu en prison et qu’elle a fini par tuer. Quel monde de fou. Mais tout ira mieux, maintenant, elle le sait. Tout ira beaucoup mieux.
« T'es blessée ? ». Elle n’a même pas fait attention. Entre l’euphorie de l’instant et l’adrénaline, elle n’a pas prêté attention à son corps. Surprise, elle se met à tâtonner et grimace au contact de certaines blessures. Il aurait été étonnant que l’autre se laisse faire sans broncher ou sans se battre, bien sûr. Quelques blessures profondes, d’autres qui se limitent à quelques égratignures. « Je suis un peu blessée, on va dire. Seulement un peu ». Elle est médecin, elle se débrouillera, n’est-ce pas ? « Il faudra que je me lave pour vraiment mesurer la chose. Mais… Aucun combat avec un rôdeur, je ne suis pas sur le point de mourir, si là est ta question ». Elle se doute bien que c’est de ça qu’il s’agit. Pourquoi est-ce qu’il se ferait du soucis pour un autre genre de blessure ?
Abel ne connaissait rien de Braam, sinon un nom jeté négligemment à côté de celui de Nima, la fillette décédée. A l'époque, le sujet ne l'avait pas intéressé parce qu'il ne voyait pas en quoi cela pourrait présenter une utilité quelconque d'en savoir plus. Maintenant, il commençait à comprendre qu'il était passé à côté de quelque chose, pas dans le sens où il était avide de potins sur la vie des autres, mais plutôt parce que cela justifiait probablement certains aspects de son comportement.
Lorsque Janissa le mit face aux fait, il ne chercha même pas à nier qu'elle avait visé juste avec sa remarque et se contenta d'un léger hochement du menton. La tension dans ses épaules se relâcha et la détente de son corps, imperceptible à l’œil nu, se trahissait néanmoins pour qui était habitué à sa présence. « Je ne t'aurais pas crue capable de tuer quelqu'un de tes propres mains », énonça-t-il d'une voix somme toute relativement calme, comme si l'énonciation d'un meurtre était une valeur courante, qu'il soit normal d'évoquer un tel geste au détour d'une conversation banale. Cette époque complètement foutue dans laquelle ils vivaient, pour pouvoir discourir homicide sur le même ton employé pour demander le sel au cours d'un repas.
Evidemment qu'il ne la croyait pas capable, il l'avait toujours sous-estimé parce qu'elle était faible face à lui : elle savait comment lui répondre, comment s'affirmer, mais tout s'évanouissait dès lors qu'il posait une main sur elle. Il ne pouvait définitivement pas l'imaginer dans le feu de l'action, lame ensanglantée serrée dans ses fines mains blanches, il ne pouvait vraiment pas mais pourtant l'idée lui plaisait, en témoignait le léger sourire affleurant sur ses lèvres tandis que son regard ne décrochait pas d'elle. « Enfin, j'imagine qu'il l'avait mérité, pour te pousser à une telle extrémité. » Mais il ne lui demanda pas confirmation, elle n'arborait pas l'air de la personne qui regrette son acte, juste de quelqu'un qui prend doucement la mesure de ce qui vient d'être accompli, des circonstances éventuelles que cela pourrait bien avoir. « Parce que t'es vraiment pas le genre de femme que j'enverrai sur le terrain. T'as pas les tripes pour ça » acheva-t-il enfin tandis qu'il s'asseyait à son tour, jetant son dévolu sur le lit de fortune qui bouffait une partie de l'espace restreint de la tente. Il ne le lui reprochait pas, bien sûr, il fallait de tout pour faire un monde – ou ce qu'il en restait, en l'occurrence – alors du moment qu'elle lui était utile au sein de son ranch, il n'avait rien à y redire. En revanche, il est vrai qu'il avait toujours eu très peu de considération pour ceux dont il estimait qu'ils "n'avaient pas les tripes", comme Janissa, ou comme la vision qu'il avait de Janissa mais qui, il se posait la question, n'était somme toute pas tout à fait fidèle à ce que la rouquine était réellement.