Don't act like you care - Jenna

Jenna était revenue. Tout le monde se réjouissait. S’il avait été plus honnête envers lui-même, sans doute aurait-il pu admettre que ça l’avait rassuré mais tel n’était pas le cas. Il observait le visage transformé de sa sœur et il se doutait que jamais sa vie ne serait aussi belle qu’elle n’avait été, et c’était bien paradoxal, depuis le début de l’apocalypse. Abel allait certainement se tourner de nouveau vers elle et l’oublier s’était-il dit à ce moment. Il repensait à cet instant où il avait ressenti un tant soit peu de soulagement et presque le plaisir de la voir. Il se rappelait également sa crainte de se faire évincer de nouveau. Le futur lui avait donné raison. Il se sentait oublié de tous et déprécié. Toute sa vie avait été ainsi. Il avait eu l’espoir d’un changement mais l’univers lui avait ricané à la figure. Réaliser que son existence serait vouée pour toujours à prouver sa valeur le rendait hargneux. Cependant, il ne se plaignait pas car il n’en avait pas l’habitude. Il se contentait de faire avec. C’était devenu une habitude. Cela valait sans doute mieux car il n’était pas certain de pouvoir contrôler le flux de frustration qui le traversait de part en part. Il sentait parfois son corps se raidir et ses poings se serrer quand il repensait au simulacre de famille que sa vie avait été. Quelque chose gondait en lui depuis plusieurs semaines. Cela avait toujours été là mais il n’arrivait plus à faire comme si ça n’existait pas. Il ne parvenait plus à oublier cette colère qui vivait comme un feu ardent en son sein. Il s’électrisait pour rien, toujours en colère, toujours à deux doigts de l’implosion. Si cela avait été possible sans doute qu’il aurait fini par mourir de combustion spontanée.

Et puis…et puis il y avait les jackals. Caden avait toujours considéré que c’était des bouseux sans hygiène qui baisait des morts-vivants mais aujourd’hui les sirènes de la tentation venaient frapper à la cale de son bateau. Il avait entendu et eu une discussion avec Jonas, ou quelque chose comme ça. Il était le bourreau des jackals. Il n’y avait pas besoin d’être clairvoyant pour savoir qu’il n’était pas un homme de cœur. Il résidait en ses traits une dureté et une froideur qui aurait pu faire frémir Caden si ce regard ne lui rappelait pas parfois l’intransigeance de son père. Cet homme était bien différent pourtant de son paternel car il semblait l’apprécier à sa juste valeur. Il voulait le recruter. Il paraissait vouloir lui offrir une situation meilleure que celle qu’il avait jamais eue. Il se sentait estimé et son égo s’en trouvait grandement affecté. Il n’avait pas pensé au fait que tout cela pouvait être un vulgaire piège. Il ne voulait pas se faire trahir encore une fois. Alors, il se mettait à rêver. Une petite voix dans sa tête ne voulait pas trahir sa famille mais une autre lui susurrait qu’il méritait mieux que ces gens ingrats qui ne lui donnaient jamais de l’importance. Il n’avait même pas d’importance pour être utilisé. Il ne fallait même pas la fatigue de la manipulation. Il était en train de marcher dans les plantations aux alentours de la propriété. En temps normal, il aurait été avec les chevaux mais ses pensées de trahison le faisaient culpabiliser. Il ne supportait pas de se trouver dans la même pièce qu’eux. Il aimait chacune de ces bêtes plus que tout. Il avait grandi avec elles. Elles lui avaient tant apporté et il avait eu l’impression de leur rendre en s’en occupant. Toutefois ses pensées de potentielles trahisons remettaient cet équilibre en doute. Il posa ses yeux sur la silhouette qui grandissait dans l’horizon. Il reconnut assez aisément Jenna qui s’avançait vers lui. Elle ne venait pas facilement lui parler et lui en était bien heureux. Il crut évidemment que quelque chose de grave était arrivée. Pourquoi Jenna serait-elle venue autrement ? Il avança pour venir à sa rencontre.

« Que se passe-t-il ? Quelque chose de grave est arrivé ? » s’enquit-il avec son air le plus sérieux possible. Il était brusquement concentré. Il s’attendait toujours à ce qu’on lui annonce la mort de son père. Toutefois, il ne savait pas bien comment il se sentirait. Il espérait qu’il ne se rait pas soulagé que tout soit fini ni contrarié de n’avoir jamais rien pu arranger avec lui. Il ne savait pas et il espérait que Jenna avait autre chose à lui dire.

Ses yeux se font deux fentes perçantes alors qu’il observe sans comprendre ce que Jenna est venue chercher. Et quoi encore ? Ils vont tailler la bavette et prendre le thé aussi ? Il est agacé et il se braque immédiatement parce qu’il est méfiant. Il a toujours été très méfiant. Jenna lui a fait pas mal de crasses avec les années, il avait appris à ne pas lui faire confiance. Pire que tout il avait appris à presque la détester. Il fronçait les sourcils légèrement alors qu’il se demandait ce que sa manipulatrice et fourbe de sœur allait encore inventer pour le tourmenter. Il avait envie de lancer des milliers de piques en même temps. Toutefois, il se contentait de se taire et de se tenir raide. Se retrouver avec Jenna lui semblait simplement oppressant. Il se contenta de lui répondre sobrement.

« Ce n’est pas tellement dans nos habitudes. » répond-il. C’était l’évidence même qu’ils ne discutaient pas sauf pour s’envoyer des fions. Si la situation ne dérivait pas en un affrontement rapidement, peut-être que l’espace-temps serait bouleversé. Ainsi, ils seraient responsables d’une seconde apocalypse zombie si elle arrivait. Bien que mal à l’aise, le vétérinaire ne pouvait pas dire qu’il se trouvait intrigué par Jenna. Sa paranoïa lui demandait tout de même de se méfier car Jenna avait toujours eue de la ressource. « De quoi es-tu donc venu me parler, Jenna ? » Ses yeux ne quittaient pas les siens tentant de déceler la merde qui allait lui tomber dessus. Il pressentait que le sujet n’allait probablement pas lui plaire. D’un autre côté, n’ayant jamais fait aucun effort pour s’en découvrir avec elle, pas étonnant que la situation soit si périlleuse entre eux. Il soupira énervé par cette manière qu’ils avaient de se méfier l’un de l’autre. L’homme se sentait incapable de changer les choses, il avait trop de jalousie et de frustration pour se montrer comme l’adulte qu’il savait être lorsqu’il travaillait. La nervosité le rendait un peu bavard et le silence l’oppressait. Lui qui appréciait cela d’ordinaire, ne pouvait s’empêcher de la presser un peu. « Pas besoin de tourner autour du pot, je sais que ça te fait pas plaisir de me parler. Ne t’en fais pas, c’est relativement réciproque. » Il ne savait pas pourquoi ses mots ressemblaient toujours à du fiel ces derniers temps. Il avait la sensation de ne plus parvenir à donner le change. Son masque se craquelait lentement et sûrement. Nul doute que bientôt on verrait son véritable visage.

Toutefois, lui-même ne savait pas s’il apprécierait ce qu’il verrait. Il se demandait si Jenna le voyait. Si elle percevait ce changement de nature qui montrait petit à petit quel terrible être humain il commençait à devenir. Il n’avait pas grand-chose qui le retenait maintenant. Avec tout ce qui s’était passé, il ne savait pas s’il supporterait un abandon supplémentaire. Ses membres se crispaient involontairement à cette idée. Il n’était que rage intérieurement, il ne se reconnaissait pas dans cette colère et pourtant elle le possédait dans son intégralité.

Spoiler:

Caden écoute à peine Jenna tellement il est obnubilé par son comportement inhabituel. Elle a du caractère, et elle cherche toujours à lui répondre. C’était comme ça depuis toujours qu’il esquivait les conversations sérieuses. Le vétérinaire pensait qu’elle aussi s’accommodait très bien de tout cela. Visiblement, aujourd’hui allait être une belle exception à la règle. Alors, il sent immédiatement venir le coup fourré. Elle a une idée derrière la tête et c’est certain qu’il ne va pas apprécier. Elle veut lui parler de quelque chose. Il espère que ça n’est pas de Ciri car il n’est pas prêt à avoir cette conversation. Il n’a pas l’impression qu’il pourra l’être un jour d’ailleurs. Les affres de la séparation sont encore trop vives. Il n’a jamais été un bon menteur et lorsqu’il entend les doutes de Jenna, il sent littéralement une goutte de sueur lui couler entre les omoplates. Est-il donc si transparent ? Il est toujours surpris de voir que la jeune femme le connait et qu’elle se rend compte lorsqu’il va mal. Cela doit finir par devenir de plus en plus difficile à masquer. Il sent ses mâchoires se crisper.

Alors qu’il garde un silence un peu coupable. Parler serait de toute manière le rendre encore plus coupable. Il sait qu’elle ne va pas lâcher le morceau pour si peu. Il envisage un instant de tenter de la faire sortir de ses gonds pour qu’elle finisse par partir en vrille mais il sent que ça ne va pas marcher. Pire ça le rendrait encore plus coupable. En fait, il n’y aucune bonne solution, il le réalise douloureusement. Malheureusement, il doit bien finir par dire quelque chose. Sa voix n’est pas bien assurée, il aurait voulu que la situation soit plus simple mais la vie n’était jamais ainsi. Il lui jette un regard. Il ne sait pas quoi dire et il commence à paniquer sévèrement. Lui qui culpabilisait déjà bien assez d’avoir écouté un peu les sirènes des ennemis. Il bafouille finalement.

« Pourquoi ça t’intéresse soudainement ? » Il préfère ne pas trop s’engager dans la conversation alors il répond à une remarque par une question. Ce serait peut-être le plus simple. Faire celui qui a des doutes aussi et qui est suspicieux. « Ton attitude aussi est particulièrement inhabituelle. » Le vétérinaire se félicite d’avoir réussi à ne pas répondre directement. En vérité, il a dit à peu près tout ce qui s’approchait du sujet sans parler de son propre comportement. Il finit par répondre un peu sèchement. « Je vois pas trop en quoi mon comportement est intéressant. Cela fait vingt-neuf ans que ça ne t’intéresse pas. Je suis curieux. » Les mots cachaient évidemment des reproches mais rien de bien plus méchant que d’ habitude. Ça ressemblait à du Caden mais également au discours d’un homme qui se sent acculé. Cela sonne comme un homme qui se dit qu’il a fallu qu’il envisage de les trahir pour qu’on finisse enfin par lui accorder de l’attention. Il n’en avait pas l’habitude et pour cette fois, il s’en serait bien passé. Il finit par plonger son regard bleu dans le sien tentant de savoir s’il avait réussi ne serait-ce qu’un peu à la convaincre.

Caden est comme un enfant pris en faute devant Jenna. Il regrette ses pensées coupables et en même temps, elles sont un réconfort. Il entend encore la  voix de JJ qui lui dit qu’il n’est pas estimé à sa juste valeur, qu’il serait mieux utilisé ailleurs, qu’on le sous-estimait. Il entend tous ces mots trompeurs qu’on lui glisse dans les oreilles et comme il est en perpétuelle demande de reconnaissance et d’attention, il y croit. Au fond, peut-être se doute-t-il que c’est trop beau et trop faux pour être la réalité mais ça ne l’empêche pas de continuer à se fourvoyer dans la douce illusion que quelque part quelqu’un l’aimera pour ce qu’il et sera fier de le connaître. Il n’a pas le cœur à rire sarcastiquement de la remarque de Jenna, il n’a pas non plus la force d’être suffisamment agressif pour la dissuader. Il aurait envie de pouvoir tout déballer à quelqu’un car c’est dur de toujours tout porter. Ses épaules ne sont pas devenues plus fortes à mesure qu’il a encaissé les coups. Il est comme une montagne qui s’érode (ndlr : erhodes ) avec les années. Une relation normale ? Il y avait quelque chose de comique dans cette phrase. Il avait envie de penser que c’était la vérité et en même temps comme toujours, il cherchait le piège. Il ne peut pas répondre la vérité, il ne peut pas mentir et il ne peut pas détourner la conversation. Elle est là devant lui, elle est déterminée à le faire cracher le morceau. Elle veut une information, elle veut quelque chose. Caden réfléchit à toute vitesse et se dit qu’il peut bien lâcher des morceaux de vérités pour faire taire ce qui se cache réellement derrière ses attitudes : l’odeur nauséabonde de la traitrise.

« Tu dis ça comme si c’était si facile ? Tu crois qu’on peut réparer notre relation ? Tu crois qu’un jour notre père va venir me voir et me dire qu’il est fier de moi et qu’il m’aime ? Tu crois qu’un jour Abel… » Il allait finir sa phrase mais il s’est arrêté en chemin. Il comptait dire m’aimera plus que toi. Cependant, il a réalisé à l’instant où les mots allaient sortir de sa bouche que ça n’était pas une chose à dire. Il a ressenti toute l’étendue de sa jalousie pour elle ressortir. Le vétérinaire savait depuis bien longtemps à quel point, il pouvait se montrer envieux du bonheur des autres. Le brun n’était pas sans savoir la bile acide qui lui traversait l’estomac quand il les voyait partager ce regard de connivence qu’il avait l’impression de ne jamais mériter. Alors que son visage se tourne vers Jenna pour la regarder dans les yeux, il se rend compte qu’il ne sait pas interpréter son expression. Elle est très probablement une meilleure menteuse mais surtout il ne s’est jamais préoccupé de lui trouver une personnalité. Il l’a catalogué pour en faire la méchante de l’histoire parce que c’est plus simple d’être constant dans ses sentiments négatifs lorsqu’on a trouvé une victime toute désignée qui peut jouer le rôle de la sorcière. « Je pense que tu es bien naïve sur cela Jenna. Je ne pense pas qu’on puisse réparer ces vingt-neuf ans. C’est trop tard, il faudrait un miracle. » Il ne sait pas pourquoi il a détourné le sujet sur leur relation. Ce n’était pas prévu dans son grand plan de manipulation ratée. Au final, c’est sans doute lui qui se fait avoir sur toute la ligne. Dès qu’on lui parle un peu trop sérieusement, il a toujours ce réflexe de se fermer puis brusquement il s’ouvre comme une espèce de chute d’eau qu’on aurait retenue pendant des années. Il y a trop de frustration, trop de colère, trop de tout. Il ne parvient que difficilement à ne pas montrer la nature de ses sentiments qui ont tellement changés, qui sont devenus corrosifs au point qu’ils changent qui il était. Parfois, il se contemple dans le miroir comme s’il était un étranger. Voir Jenna en face de lui en train de s’inquiéter, ça lui rappelle douloureusement Ciri.

Il ne peut pas ne pas associer sa sœur avec la femme qui était sa meilleure amie. Repenser à elle est délétère pour son propre self-control. Pourtant, il ne s’en empêche pas, c’est comme le plaisir coupable d’un enfant qui fait une connerie. Depuis qu’elle n’est plus avec lui, il ressent plus le besoin de s’enfuir et de quitter tout cela. Il est un peu retenu par la présence de Malini encore mais ce fil-là est bien ténu. Il est même inexistant quand il se torture en repensant à ses sourires et à ses taquineries. Il la revoit encore lui sourire, dire son prénom avec une certaine tendresse. Il repense à leurs ébats, et à leur complicité. Il souffre un peu plus chaque fois que cela arrive. A bien y penser, son attitude a sans doute pris un tournant depuis qu’il a l’impression qu’il ne pourra jamais la retrouver. Il ne voit pas bien l’intérêt de rester et de croiser tous les jours un des objets de son tourment. Ses yeux sont un peu dans le vague quand il se reconcentre sur Jenna. Ce qu’il va dire, il sent qu’il pourrait le regretter mais une part de lui a encore envie de croire qu’elle peut être la sœur qu’elle prétend vouloir être. Cela commence par un brin d’honnêteté. Malgré les années qui passent, malgré son défaitisme, il veut croire que les choses pourraient aller mieux. Il veut croire qu’un matin, il va se réveiller et que ses velléités de fuite en avant auront disparus. « Tu veux savoir la vérité Jenna ? Elle me manque. » Il sait qu’il n’a pas besoin de préciser de qui il parle. Il sent son poing se serrer. Ça l’aide à contrôler ses émotions. « C'est ma faute parce que j'ai été con. » Il a du mal à en dire plus, il faudrait réellement qu’il perde son calme pour commencer à débiter ce qui lui traverse l’esprit. Il n’aime pas les phrases longues. Il trouve qu’elles finissent par perdre de leur sens.

Il hausse les épaules acquiesçant silencieusement à l’évidence même. Il se sait trop bête et trop orgueilleux pour parvenir à faire les efforts nécessaires pour une réconciliation. Ils n’ont pas grand-chose en commun à part toutes les saloperies qui ont nimbées leur jeunesse de boue. Caden ne sait rien de Jenna et au fond il ne veut pas en savoir trop. Lorsqu’on connaît « l’ennemi » on finit par s’y attacher et comprendre ses motifs. Le vétérinaire ne peut pas trouver d’excuses à sa sœur car ça serait s’obliger à admettre que lui-même n’a pas été parfait. Admettre qu’elle est un bouc émissaire pour toutes les fois où les autres ne regardaient qu’elles. Elle n’est pas responsable de la situation, pas beaucoup plus que lui, toutefois ils sont responsables de leurs actions.  Parfois, il culpabilise un peu confusément de ne pas avoir été ni un meilleur frère, ni un meilleur fils. Il se dit que d’une certaine manière, il est responsable de ce qui lui arrive même ce qui ne l’est. Egocentrique et mal à l’aise dans sa peau, il s’invente des torts pour s’ériger, comme toujours, en victime. Il sent un rire étouffé franchir sa gorge alors qu’elle dit qu’elle se soucie de lui. C’est purement défensif, il n’est pas à l’aise avec les sentiments positifs qu’il pourrait ressentir pour sa petite sœur. Bien qu’il aurait pu être honnête à cet instant et dire qu’elle lui avait manqué quand elle avait disparu. Cependant, encore trop jeune et trop immature malgré son âge qui ne reculait pas, il avait eu choisi la défense à la sincérité. Les mots de Jenna lui parvinrent au visage comme une claque lancée à pleine vitesse. Il a l’impression que ses os se brisent comme lorsqu’il descend de cheval après une balade hivernale.

Il l’observe blessé, amorphe.  Caden savait que ça n’était pas la meilleure solution de détourner le sujet sur Ciri car c’était quelque chose de suffisamment personnel pour que ça devienne immédiatement gênant. Ses yeux se froncent alors qu’il critique Malini. Elle ne comprend pas leur relation, elle ne comprend pas Malini aussi bien que lui. Comment lui expliquer qu’il perçoit sa détresse et qu’ils se soignent mutuellement. Non, ils ne s’aiment pas et ne s’aimeront probablement jamais mais elle au moins est là. Elle, au moins, lui fait du bien. Les autres ne sont là que pour l’accabler de mille reproches. Il se souvient qu’il doit répondre quelque chose. Il se souvient confusément qu’une conversation regroupe deux partis. Alors, il répond sans agressivité particulière mais sans chaleur non plus. « Cirilla ne se soucie plus de moi. Elle m’en veut et ne me pardonnera sans doute jamais. » Une chaleur l’irradie de toute part alors que des pensées sombres et noires lui reviennent encore. Il veut partir.  Caden voudrait s’enfuir et ça lui rappelle le début de cette conversation, ça lui rappelle sa culpabilité, ça lui rappelle qu’il n’est qu’un traître et un menteur. Il n’a pas envie de tenter de convaincre Jenna que Malini est une bonne personne. Elle n’est ni bonne ni mauvaise, elle est juste perdue avec tout le monde dans ce monde sinistre et merdique. « Je ne suis pas stupide non plus. Tu ne portes peut être pas Malini dans ton cœur mais elle est ce qui me reste. Elle est toujours là pour moi qu’importe à quel point ça peut lui coûter. Tu ne devrais pas juger les gens sans même avoir eu une véritable conversation avec eux. Tu ressembles à notre entêté de frère. » Le brun voudrait pouvoir l’agresser sur une erreur qu’elle a commise ou une attitude étrange qu’elle aurait eue mais il ne trouve rien. Il n’est pas assez observateur et il est trois coincé dans sa propre auto-complaisance qu’il est aveugle au monde. « J’ai sans doute été con mais au final, elle est sans doute mieux sans moi, n’est-ce pas ? » Il sent le fiel se couler à l’intérieur de sa bouche, il ressent l’amertume revenir. Et bientôt c’est l’auto-flagellation qui ressort. « Je n’étais pas assez bien pour elle, tu l’as toujours très bien fait comprendre. » Il ne se souvenait plus s’il avait imaginé qu’elle lui disait ou si elle l’avait signifié d’une manière ou d’une autre mais c’était si évident pour lui que ça n’avait pas véritablement d’importance.

Il l’observe un moment les bras ballants. Sa mâchoire se crispe comme à chaque fois qu’il l’entend viser un peu trop juste. Elle est dure mais elle a toujours été juste. Caden le sait même s’il n’est pas encore prêt à l’entendre et à se faire une raison. Sa sœur bien que plus jeune a sur certains aspects une clairvoyance qui lui fait défaut. On ne peut même pas dire qu’elle ne le connaisse pas. Elle l’observe suffisamment pour savoir quand il est temps d’intervenir. Toutefois, il ne lâchera pas le morceau sur Malini. Ce n’est pas parce qu’elle ne peut pas voir la personne qui se cache derrière la carapace de Malini qu’il n’y a pas du bon en elle. Il grommelle, c’est véritablement difficile pour lui d’avoir cette conversation. Les femmes sont vraiment les meilleurs pour choisir le pire moment pour avoir une conversation sérieuse. On dirait qu’elles font des calendriers spécifiques en même temps que pour compter le jour où elles auront leurs règles. « Tu as ce don pour parler comme si tu savais mieux que tout le monde. » Sauf qu’elle ne sait pas. Elle ne sait pas qu’après tout ce qu’il a fait, il se dit que c’est mieux de la laisser tranquille même si c’est avec cet abruti d’Alex. Il est pas méchant dans le fond, c’était même un type relativement convenable dans la tête de Caden jusqu’à ce qu’il décidé de fréquenter son ex. Il avait pris conscience qu’il l’aimait quand c’était trop tard. D’un côté, il se sentait trop honteux pour avoir le courage de réparer les morceaux, d’un autre trop lâche car il ne savait à quel point il était prêt à accepter le rejet. Quand on s’est fait rejeter toute sa vie dans sa propre famille, on tolère difficilement ceux des autres. « Tu parles comme si tu savais exactement comment je fonctionne et qui je suis. Si tu avais une idée de ce que je pense, je crois pas que tu te permettrais de me répondre ainsi. Sauf que voilà, tu ressens le besoin de faire comme si tu savais mieux que tout le monde. Tu m’apprécies pas spécialement ? Je le comprends, on a rien en commun quasiment. Je pense pas que ça te donne le droit de porter un jugement sur mes choix tout en m’expliquant gentiment que tu penses que je vaux pas grand-chose. Sincèrement, je vois pas comment on peut discuter dans ces conditions de toute manière. C’est ta curiosité qui t’a menée là et le fait que tu penses que parce que tu es ma sœur, tu as une sorte d’obligation. Si je suis une si mauvaise personne que ça, autant me laisser dans mon coin non ? Je comprends juste pas ce que tu attends de cette conversation. » Il a parlé relativement rapidement, presque confusément. Il avait plusieurs idées en même temps, ce n’était pas facile de tout organiser pour faire des phrases qui avaient un peu de sens. Il voulait juste illustrer l’incompréhension dans laquelle il était et faire ressentir à quel point il se contenait de s’énerver encore une fois pour une conversation qui pourrait peut être avec un peu d’efforts se révéler profitable. Au fond du vétérinaire, se cachait encore l’infime d’espoir d’avoir une vraie petite sœur.