« When god decides to look the other way » Dig Down - Muse
Sometimes before the epidemia +
"- Shaaaaannoooon mon canard, regarde cette plaquette de formation en commerce international, ils ont aussi de bons cours en politique !" cria Violet Crowley à travers la pièce à l'attention de Shannon, plongé dans un quelconque bouquin dont Violet n'avait cure.
Deux choses ne plaisaient pas à Shaz dans cette phrase : 1) le surnom... il avait bien largement dépassé l'âge de se faire appeler "mon canard" ou encore "poussin" mais Violet, aussi distinguée et posh soit-elle ne semblait pas de cet avis là 2) le cursus. Il avait beau dire et répéter qu'il ne finirait pas aux Émirats Arabes Unis à négocier du pétrole, là encore ses parents n'étaient pas de cet avis. Dans leur maison design d'Edmonton, qui détonnait avec les alentours de campagne, les Crowley semblaient au-dessus de tout. C'était un fait matériel d'une part, car ils avaient plus d'argent qu'une vie en aurait nécessité et une dure réalité pour Shannon. Le pétrole ce n'était pas son truc, les grands pontes qui négocient tous sourires dehors et qui se plantent des couteaux dans le dos à la moindre occasion non plus. Depuis enfant, il était formaté pour prendre la succession : tu feras le même cursus que Papa, tu reprendras l'entreprise à tes trente ans et tu négocieras comme un chef, Shannon. Tout cela... lui collait la nausée à vrai dire. Il rêvait d'une vie bien plus simple, plus humaine. Il voulait enseigner, aux jeunes, moins jeunes, peu importe. Mais son savoir, il voulait le transmettre. Il voulait partager des choses avec les gens, avoir du contact humain. Dans cette maison, tout était aussi froid que le verre qui constituait toute une façade de la maison : montrant au monde entier la richesse des Crowley. Shannon n'était pas sûr que ses parents se souciaient de lui, il n'était qu'un pion que son père placerait à la tête de la multinationale de manière stratégique. En attendant, Reginald Crowley présentait son fils comme on exposait une voiture en vitrine de concession automobile. Sa plus grande fierté et réussite.
Mon cul ouais. De la chaleur humaine et de la considération c'était tout ce dont rêvait Shaz. Mais ça, ça passait bien au-dessus des têtes des parents Crowley.
Las, il soupire bruyamment, mécontent d'être tiré de ses lectures, et rejoint sa mère :
"- Mais oui, Maman, je regarderai." dit-il en prenant la plaquette de l'énième école prestigieuse, sûrement privée, que sa mère lui tendait.
Il disait toujours ça, il avait bien compris que cela ne servait à rien d'argumenter. Ces plaquettes, finalement, il les rangeait dans une boîte à chaussures dans son dressing. Car Monsieur avait un dressing. Chez les grands, tout est grand voyons.
*
"- Shannon Isaac Francis Walter Ronald CROWLEY, viens donc par ici" tonna la voix du père Crowley. Il était tôt dans la soirée, Reginald Crowley était rentré plus tôt que prévu d'un voyage d'affaire à Dubaï. Et vu le récit inutile et complet de l’identité de Shannon, cela ne présageait rien de bon.
"- Manuela a trouvé cette chôse dans ton dressing..." La chôse que désignait le père Crowley, n'était autre que la boîte à chaussures dans lequel Shaz entreposait les plaquettes de formation que sa mère distribuait plus vite qu'un démarcheur sur une allée commerciale.
"- Veux-tu bien m'expliquer ce que c'est que ce cirque !" Il n'allait pas être déçu du voyage.
"- Eh bien d'une Manuela aurait dû s'en tenir à sa tâche qui est de déposer mon linge sur mon lit et me laisser le ranger comme un grand. Je ne suis pas un assisté, Père. Et de deux tu vois bien que ce sont des magazines Playboy qui m'aident à faire de beaux rêves la nuit et pouvoir m'entraîner à te donner un petit fils rapido pour prendre la tête de la boîte en 2075. " Foutaises. Il jouait avec le feu et il le savait. Il cherchait à énerver son père en le prenant pour l'imbécile qu'il était. L'homme au costard gronda, Shaz avait déjà eu sa petite vengeance personnelle.
"- Shannon... Arrête ça tout de suite."Et puis merde, dire qu'il en avait marre était un euphémisme.
"- Non je m'arrêterai pas, Papa. Cela fait des années que je vous dis à toi et à Maman que je ne veux pas reprendre ton entreprise. Cela ne devrait pas être pas une grande surprise, pour toi qui négocie si bien que tu peux anticiper les positionnements de tes partenaires commerciaux des mois à l'avance.""- Shannon je ne te permets pas. Tu vas aller passer quelques jours à Ottawa chez Tata Marian ça va te remettre les idées en place" Marian... La sœur de son père, 49% des parts de Crowley Petroleum.
"- Non j'irai pas.""-Si tu iras et tu lui feras même un bisou""-Ha non".Shane s'entendait très bien avec sa tante, mais sa tante ne vivait que pour l'entreprise familiale, si son père l'expédiait à Ottawa, ce n'était que pour que Marian ne le convainc de s'associer à l'entreprise. Car Suzie, sa fille, grosso modo du même âge que Shaz, elle était déjà avocate dans l'entreprise et associée en devenir.
Bénis soit sa jupe crayon, ses talons hauts et ses liasses de dossiers.Shane sent la moutarde lui monter au nez et ni une ni deux, il saisit de la boîte à chaussures des mains de son père, sort en faisant voler la porte vitrée et sort un briquet de sa poche (comment l'objet était arrivé là, c'était un mystère, beaucoup de choses qui se retrouvaient en la possession de Shane étaient un mystère). Il se place dans le jardin, bien en vue de son paternel et sans un mot, il pose sa boîte à chaussures, se saisit du premier livret et le crame, puis un autre, puis un autre.
"-Et là, t'as compris ? Je ne prendrai pas ta suite, demande à ton bras droit de le faire, à Suzie, j'm'en tape mais fous moi la paix. J'irai m'inscrire à la fac en master d'enseignement. Rien de ce que tu pourras dire ou faire m'en empêchera". Incrédule, son père le regarde finir son petit manège avant de sortir froidement :
"- Tu fais tes valises ce soir. Je te coupe les vivres à la première heure demain matin. Dès que tu as fini tes bagages, tu te casses. Je t'interdis de revoir ta mère."Victorieux, un sourire narquois aux lèvres, Shaz s'exécute, son père a tellement peu prêté attention à son fils pendant des années qu'il ne s'est même pas rendu compte que ce dernier économisait depuis autant de temps, sur un compte distinct de ceux mis à disposition par ses parents, dans une autre banque. Il n’a même pas connaissance de ce compte. Le soir même, il dort dans un motel.
*
Shannon avait fini par mettre les voiles, il avait fait des kilomètres et des kilomètres et avait jeté son dévolu sur la Nouvelle-Orléans et s'était intégré parmi la communauté française (lui-même parlant français couramment, héritage des Crowley). Il s'était inscrit à la fac et taillait sa voie pour devenir maître d'école. Il ne regrettait en rien ses choix, au diable les Crowley. Il était 19h et après un repas simple, Shannon se dirigeait, à vélo, vers son travail de nuit. En effet, les factures ne se payaient pas toutes seules. Son job était original mais il s'en satisfaisait largement : Shaz tenait un sex shop la nuit. Cela l'arrangeait bien, pas de foule qui se bouscule au portillon pour acheter un vibro à 2h du mat, ça lui laissait largement le temps de faire ses lectures et rédiger ses essais dans le calme avant de plier la boutique et rentrer pioncer dans son petit appartement.
A son arrivée, il remercie sa collègue de jour, lui souhaite une bonne soirée et s'installe au comptoir. Shane déballe ses bouquins et se met à travailler. Pendant des heures on le dérange pas, pendant des heures seules les lumières roses du rayon films pornos lui font prendre conscience du temps qui passe. Parfois, il installe un vibromasseur rose fluo en forme de canard devant lui pour lui tenir compagnie, l'engin est défectueux à vrai dire, il se déclenche parfois et le tire de ses réflexions d'un brrr brrr caractéristique. Shannon l'avait surnommé "Coin coin", dans un élan de forte créativité.
Ce soir ou plutôt cette nuit là, Shane n'est pas tiré de son essai par Coin Coin, mais par une voix grave d'homme :
"- Salut mon mignon... On manque d'imagination pour faire grimper Madame aux rideaux ? Je te conseille..." Tous les mêmes… Mon mignon, mon lapin, joli cœur, il avait eu droit à tous les surnoms et toutes les accroches possibles... Shannon ne l'écoute pas et lève les yeux vers l'homme :
"Laissez-moi deviner, des capotes taille XXL et du poppers ?" Malgré tout, Shannon commençait à avoir un sixième sens sur les désirs nocturnes des personnes s'aventurant dans son antre. L'homme hoche la tête, stupéfait. Shane se tourne vers une vitrine et attrape les quelques instruments de plaisir du type.
"Oh désolé, je me suis trompé de taille" Il fallait bien s'amuser un peu, il était 3h du mat, bientôt la fermeture et Shane n'avait pas vu âme qui vive. Alors, il avait attrapé une boîte XS, juste pour voir les yeux du bonhomme s'écarquiller. Shannon feint de s'empresser de réparer ses erreurs, emballe le tout dans un sachet en papier et réclame le montant des emplettes. Le compte est bon, l’homme s’en va groggy et Shane se marre. Plus que 30 min avant la fermeture et de pouvoir aller se coucher.
Sometimes after the outbreak +
Pendant quelques temps, Shaz avait vécu seul, faisant quelques kilomètres par jour. Il profitait de sa solitude pour reconnaître les plantes. Ainsi, il apprit seul à couvrir ses besoins journaliers. Parfois, il faisait halte dans une ville, troquant ses jouets contre un peu de nourriture plus riche que ce qu'il pouvait se confectionner lui-même. Surtout, il tentait de rester discret, ne cherchait pas l'affrontement.
Une fois, il était tombé sur une cane et ses petits. Shaz avait tenté de les sauver. Après tout, c'était la fin du monde mais ce n'était pas une raison de devenir le pire des connards ; les animaux, pas plus que les hommes ne souhaitaient mourir. Et puis Shaz, il fallait le savoir, avait ses petites lubies et se prenait subitement de passion pour quelque chose. Cette passion ce coup-ci était de sauver les canards.
Pourquoi pas. Les bestiaux étaient tellement mal en point qu'un seul animal survécu. Le caneton était tellement jeune qu'il avait fini par assimiler Shaz à sa mère. Shaz le surnomma Coin Coin Junior. Ouais, l’épidémie n’avait pas fait de miracles quant à l’inventivité de Shannon. C'est ainsi que Coin Coin Junior rejoint le panier avant du vélo de Shannon et devint son compagnon de route. Shaz quant à lui était devenu une vraie mère poule pour l'animal. Souvent on essayait de lui troquer. Un magret de canard c'était assez sexy comme dîner... Plus que des jouets vibrants ou autres cravaches détenus par le jeune homme. Shaz, manu militari, refusait, laissait apparaître ses paires de menottes ridicules mais bien utiles et se parait à dégainer son épée, affichant un masque menaçant. Celui ou celle qui touchait à une plume de son Coin Coin Junior passerait un sale quart d'heure et finirait en rondelles plus fines qu’un saucisson à l’heure de l’apéro (si tant est qu’on en faisait encore).
*
Au détour d'une nuit, sur les chemins de terre du Texas, la vie de Shannon prit un autre tournant. Shannon installait son campement pour la nuit tranquillement. Il lui semblait approcher de San Marcos, c'était sa prochaine étape.
"- Coin Coin, Coin Coin Junior, restez sages, je vais chercher du bois." s'exclame-t-il, laissant les oiseaux dans son panier de vélo, planqué derrière un maigre buisson. Il arrivait à Shannon de parler à son animal de compagnie, le contact humain restant sommaire pour le trentenaire et se résumant à ses passages en ville pour troquer. Coin Coin Junior était devenu une cane,
saleté de garçon manqué qu’il avait pensé au premier œuf pondu. En fait, Shaz s'en plaignait pas, la compagnie de l'animal était agréable et elle lui donnait régulièrement des œufs. Coin Coin Junior ne le comprenait pas, mais souvent Shannon les mangeait en omelette.
Dans sa quête de bois - il ne se faisait pas d'illusion, il n'allait pas en trouver beaucoup - il perçut des bruits. C'était sûrement idiot, mais il s'était dirigé vers l'origine des bruits avec son maigre fagot de bois dans les bras. Si jamais on lui voulait du mal, le canadien était cuit. Il était tombé sur un curé âgé, mal en point le curé, aussi déshydraté que la cane qu'il avait trouvée il y a plusieurs mois déjà.
"- Mon fils... Aide-moi je te prie" murmura l'homme de foi, sa voix à peine audible.
"- Mon père..." Shannon ne savait que dire, son visage exceptionnellement traduit sa désolation, il savait déjà au fond de lui qu'il était trop tard.
"- Aide-moi... " ses mots ne faisaient pas tant de sens, il délirait l'ami.
"- Oui mon père, je vais essayer". Ainsi, Shannon lâche son fagot de bois, s'assoie près du curé et lui tend sa gourde, qui ne quittait jamais sa ceinture.
"- Non mon fils... ce n'est pas d'eau...dont j'ai besoin, plus maintenant..." Effectivement, il agonisait le type. L’homme tire une bouffée d’air à grand peine, tente d’attraper son chapelet et en empoigne la croix faiblement.
"- Mon fils... répète après moi..." Et il se mit, dans une longue litanie, à réciter de manière hachée l'extrême onction.
Shannon tenta de se défausser, il était bien loin d'aider l'homme à atteindre le Paradis. Il incarnait l'un des sept péchés capitaux quand on y pensait. Shane dit au curé qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il faisait, il paniquait en réalité. L'homme s'en fichait, il le pardonnait de son ignorance. Shannon se reprit et s’exécuta, respectueux de la dernière volonté du curé. Ce dernier voulait partir en paix. Et c'est ce qu'il fit, à peine la prière ultime terminée, l'homme demanda à Shannon d'abréger ses souffrances. Shannon l'étouffa comme il put et l'homme s'éteint, replongeant l'espace dans un calme imperturbable.
Malgré la fatigue Shannon eut une idée. San Marcos, sa prochaine étape, il pourrait bien y passer plus d'une journée. Au-delà de ça, même s'il savait se défendre, la ville représentait un danger pour un homme seul, gringalet et peu crédible (car il était bien au courant que de se trimballer avec une cane et un vibromasseur ne lui conférait pas vraiment un caractère menaçant). Il dévêtit le curé de sa soutane et prit son chapelet. Qui ferait du mal à un prêtre ? Il couvrit le corps de l'homme d'un vieux rideau qui lui servait parfois de tente. Shaz planqua la soutane dans ses autres déguisements.
Blasphème. Il entreprit de dresser un feu pour être bien sûr que le corps du bonhomme parte en poussière et qu'il ne revienne pas à la vie. Il fournit au bûcher quelques substances facilement inflammables qu'il n'arrivait pas à troquer. Il s'arrangea pour que la tête brûle en premier, détruisant de fait le cerveau de l'homme. Il ne s'attarda guère, repris son vélo et fila en direction approximative de San Marcos, bien décidé à mettre le plus de distance entre le corps qui brûlait et lui.
Quelques heures avant le lever du soleil, rincé par les kilomètres engloutis et la nuit éprouvante, Shannon marque un arrêt et s'endort bien vite, Coin Coin Junior pelotonné sur son torse.
*
Shannon arriva à Olympia Town quelques jours plus tard. Il était arrivé par hasard dans ce quartier, habillé de la soutane dérobée quelques nuits plus tôt. Il se présenta au pied de la tour de guet et attendit qu'on lui fasse signe d'entrer. Sa tenue ne trompait pas, quelques personnes l'accueillirent.
"- Bonjour mon père. Vous avez l'air exténué... " Effectivement, il avait encore en tête son petit feu de joie/barbecue de prêtre et qui le réveillait la nuit. Shane se racla la gorge, gêné :
"- Je suis désolé, je ne suis pas vraiment prêtre" Il marqua une pause, hésitant entre l'envie de dire la vérité ou de mentir. Il ne connaissait pas ces gens, qui savait ce qu'ils faisaient aux étrangers.
"- Mon compagnon de route, prêtre émérite quant à lui, nous a quitté il y a quelques nuits."Ce n’était pas faux, mais la route fût, pour le moins qu’on puisse dire, courte. Sous les regards méfiants, Shannon se justifia, la honte pinçant son cœur et le visage impassible :
"- Il devait parachever ma formation, mes enfants, cela est trop tard". Mes aïeux, Shane… Il ne transformait qu'un peu la vérité en fait. La méfiance quitta les visages qui accueillaient Shannon.
"- Cela ne fait rien..." le porte parole du comité d'accueil hésita, ne sachant pas comment désigner Shannon, qui ne s'était pas présenté.
"- Shannon. Shannon Crowley." précisa-t-il.
Le porte parole du comité d'accueil, un recruteur visiblement, sembla réfléchir avant de parler :
"- Vous sentez vous tout de même la responsabilité de tenir notre église, Shannon ?"Les mots passèrent les lèvres de Shannon sans qu'il ne s'en rendit compte :
"- Bien sûr"Formidable Shannon, dans quoi t'es-tu embarqué ? et il se baffa mentalement d’avoir sorti cette énormité.
"- Hum..." Le recruteur sembla dubitatif et prit la peine d'expliquer à Shannon à quelle sauce il allait être bouffé à l'avenir si celui-ci souhaitait rester à Olympia (sous entendu, si le camp souhaitait qu'il y reste).
" - Ne vous méprenez pas, cela ne va pas être si facile. D'abord, je vais devoir vous demander de me laisser vous fouiller avant d'aller plus loin sur le camp. On est jamais trop prudent. Si jamais vous êtes du genre curé armé, vos armes vous seront confisquées, question de précaution. Nous n'autorisons pas les armes à feu ici, Shannon, vous en possédez ?""- Aucune, vous pourrez vérifier évidemment mais je n'ai que mon épée. Je vais tout de suite vous la confier. Vous pourrez me palper pour vérifier que je ne trimballe pas d'autre arme." Joignant les gestes à la parole, Shannon se laisse mettre en joue par les gardiens de la paix, soulève un pan de soutane d'une main, l'autre maintenue en l'air en signe de reddition. Il déboucle la ceinture maintenant le fourreau de son épée sur ses maigres hanches et le tend soigneusement au recruteur.
"- Quoi qu'il arrive, prenez en soin." ajouta-t-il. Malgré toute la rancœur que pouvait héberger Shannon contre ses parents et leur mode de vie, il tenait réellement à cet objet, plus qu'il n'aurait bien voulu l'admettre par ailleurs. S'en suivit une fouille au corps qui fût aussi vaine qu'annoncée par Shannon. Il n'avait jamais terriblement porté sur les armes à vrai dire.
"- Merci. Nous allons examiner votre barda si vous voulez bien." Question de pure rhétorique, le recruteur n'en avait pas grand chose à faire de l'avis de Shane sur la question, des gardiens de la paix fouillaient déjà son caddie-remorque. Shane s'abstint de réponse.
Il ne fallut guère de temps pour que les camarades tombent sur le stock fort peu catholique du blond.
"- Vous êtes bien curieux comme prêtre vous." pouffa le recruteur, partagé entre la méfiance et la moquerie qu'inspirait le ridicule de la situation. Le recruteur se reprit bien vite.
"- Chez ami, pensez-vous que deux prêtres auraient fait long feu en essayant de piller un supermarché avec pour seules armes une épée et un crucifix ? Nous n'étions que des hommes, nous avons choisi la facilité devant nos convictions : un sex-shop se présentait sur notre route, non gardé. Nous en avons profité avant de nous confesser et implorer le pardon du Seigneur. Nous survivions ainsi, en troquant ces objets contre un peu de nourriture. Les omelettes d’œufs de cane, ça va un moment même si nous nous satisfaisons d'une vie simple." Finalement, Shannon tenait peut-être plus de son père qu'il ne le pensait. Il jouait facilement de ce rôle qui lui tombait dessus.
"- Mouais... Admettons, mais vous conviendrez que c'est quelque peu original." commenta le recruteur.
"- Il faut bien s'adapter. Continuez-vous à vivre exactement comme avant que le fléau ne s'abatte sur le monde ?" répliqua Shannon, d'un calme... olympien. C'était le camp qui vivait le plus comme avant l'apocalypse, malgré tout et malgré les convictions de chacun, tout n'était pas comme avant à Olympia Town.
[...]
La conversation se poursuivit longuement, le recruteur essayant de percer tous les secrets du canadien vagabond. Finalement, le recruteur sembla accorder à Shannon le bénéfice du doute.
"- Nous dirons à notre maire s'entretenir avec vous, c'est la prochaine étape." le regard du recruteur en disait plus long que ses mots : il n'était pas le seul à devoir être convaincu des bonnes intentions de Shane, le leader du camp devait l'être aussi. Il était certain que cela s'annonçait comme une tâche plus ardue.
"- Néanmoins, je vais devoir vous demander de vous impliquer bien plus dans la vie du camp. Vous savez, les bonnes paroles ne rapportent pas grand chose ces temps-ci..."Trouve quelque chose Shane qui puisse te rendre utile..."- Si cela peut servir, je sais reconnaître quelques plantes médicinales et/ou comestibles, nous avons dû survivre seuls voyez vous."Le recruteur hocha la tête, visiblement satisfait de cet élément de pure vérité qui sortait de la bouche du blond.
"- Intéressant. Si notre leader vous juge apte à rester, vous commencerez une période d'essai d'un mois et de ce que je constate, demain, à la première heure, vous suivrez nos cultivateurs et ils vous enseigneront les rudiments du métier. Si jamais vous vous en sortez, peut-être, je dis bien peut-être, qu'on vous laissera officier dans notre église. Vous êtes un drôle de gars Shannon, mais vous ne semblez pas si dangereux que ça, pas forcément le plus utile des hommes pour ne rien vous cacher. Il vous appartient de nous prouver que vous pouvez apporter quelque chose à Olympia Town et que vous êtes véritablement bien intentionné."Le recruteur darda de son regard le canard rose fluo qui trônait fièrement dans le panier du vélo mais ne dit rien de plus. Ce curé était bien bizarre, mais finalement, le virus en avait déstabilisé plus d'un, un homme de foi restait un homme et la foi ne protégeait pas vraiment de la peur de la mort. Elle l'apaisait simplement. Le discours du recruteur avait quelque peu ébranlé la confiance du canadien. Il commençait même à stresser à l'idée de devoir convaincre le leader du clan. En attendant son entretien, Shane fut privé de ses biens (il avait tenté de récupérer Coin Coin Junior mais on lui fit comprendre qu'il ne fallait pas non plus qu'il pousse sa chance de trop) et surveillé de près par des gardiens de la paix. Quand le maire fut disponible, il répéta son histoire, sans se trahir et l'assura de ses bonnes intentions. L'idée que le jeune homme sache reconnaître des plantes médicinales et comestibles sembla bien plus séduire le leader que ses capacités d'orateur. L'entretien fut long et le leader fut difficile à convaincre mais à son issue, on lui présenta un "parrain" dont le rôle semblait plus tenir du surveillant. On lui proposa également un logement partagé avec d'autres habitants. Le lendemain, au lever du soleil, Shane fut conduit au champ pour commencer sa période d'essai, son parrain sur les talons. Il n'en était pas sûr, mais il aurait juré qu'un des gardiens de la paix se trouvait dans un coin de champ, épiant discrètement ses faits et gestes.
*
Shannon s'était finalement bien fait à cette vie : tenir l'église, écouter les habitants d'Olympia Town, les conseiller... Mais aussi cultiver les légumes et participer à fournir la nourriture du camp. Il n'aurait pas cru avoir la main verte mais il ne s'en sortait pas si mal, surtout quand il s'agissait d'arracher les mauvaises herbes et de repiquer les plantes médicinales qu'il connaissait. Cela avait été progressif, il avait passé quelques mois comme simple cultivateur et n'avait pas le droit d'officier à l'église. Puis, on l'avait testé sur cet exercice, de manière très encadrée par le leader olympien, chaque sermon était relu par ses soins avant que Shane puisse l'énoncer en l'église. Son parrain était aussi devenu un ami. Progressivement, les contrôles de ses sermons se firent plus rares et Shaz gagna en liberté. Ainsi, il cultivait en semaine et tenait l'église le week-end, de plus en plus comme il l'entendait. Avec le temps et le fait qu'il fasse ses preuves, on avait compris que Shannon savait des choses et qu'il pouvait être un peu plus utile sur le camp. On lui avait confié l'éducation des pré-adolescents. Une jeune femme s'occupant des plus petits. Son planning était assez serré : après l'école, il rejoignait les cultivateurs pour leur prêter main forte et le samedi soir et le dimanche, il officiait à l'église. Cela rythmait assez bien la vie du blond, il faisait ce qui lui plaisait et au-delà, sur un malentendu, il veillait au bien de la société olympienne. Shaz avait toujours ses petites originalités, quelques-uns avaient eu vent du pillage du sex shop et en profitaient : quelques heures après la messe du samedi soir, certains toquaient à la porte arrière de l'église et se glissaient dans la sacristie pour troquer leurs trouvailles contre les jouets de Shannon. Ma foi, il fallait bien qu'il survive lui aussi. Surtout, il arrivait ainsi à obtenir quelques livres qu'il chérissait tant. D'autres parfois le trouvaient, aux heures les plus tardives en train de balayer son parvis d'église travesti en soubrette en chantant joyeusement dans une langue qui leur paraissait inconnue. Shannon s'était pour ainsi dire détendu en arrivant ici, il n'avait plus tant à se soucier de sa survie, tant qu'il restait dans les clous, celle-ci était quasiment assurée. Néanmoins, il ne se séparait guère de son épée, discrètement dissimulée sous sa soutane. Il portait son déguisement de soubrette car il avait appris à ne rien gaspiller et il préférait salir cette tenue qui n'avait trouvé preneur plutôt que les quelques vêtements civils qu'il possédait et qu'il gardait pour ses activités diurnes lorsqu'il n'était pas en service.
Il avait un rituel assez original autour de ses sermons. Au début, il essayait d’improviser, avec plus ou moins de succès. On avait mis ça sur le compte de sa formation de prêtre incomplète. C’était le cas de le dire. Depuis, il avait lu la Bible et les autres ouvrages que l’église renfermait, avait pris des notes, comme au bon vieux temps. Il s’était même fait des fiches classées par thème : « foi », « espoir », « courage », « vie », « mort »… Mais toujours, il écrivait ses sermons en présence de Coin Coin. Il avait dessiné une croix catho entre les deux yeux du vibromasseur depuis. Il aimait lui réciter ses paroles, comme un entraînement ou pour trouver des mots plus appropriés. Aussi farfelue soit-elle cette méthode marchait bien. Il reprenait souvent ses discours avec une idée nouvelle et des mots plus justes.
Prend ça dans les dents le Grand Manitou. Surtout, il continuait à s’évader pour chercher des baies et grâce aux œufs de Coin Coin, il en faisait des cookies qui attendaient ses ouailles chaque dimanche à la sortie de l’Église. Il avait aussi transformé la quête : il avait mis en place une collecte de mots anonymes. A la fin de son sermon, Shannon demandait à ce que les quelques personnes présentes tire au sort un nom dans l’ancien panier de quête et prennent le temps d’écrire un mot bienveillant à cette personne désignée par le sort (ou le Grand Manitou, on ne sait pas trop encore). Cela fait, Shaz leur demandait de déposer ce mot dans un pot identifié au nom de la personne que le hasard leur avait désignée ce jour-là. Shannon veillait au grain et avant de rendre son pot, le samedi soir suivant, à chaque personne, il lisait les messages afin que personne ne se serve de ce moyen pour faire du mal. Il aimait croire que chacune de ses ouailles avait en elle un peu de bonté pour réchauffer le cœur des autres. Il fédérait la communauté dans un sens, sans vraiment trop le savoir. Il essayait surtout d’aider ces gens qui comptaient pour lui beaucoup plus qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Shannon avait trouvé sa famille, y apportait peut-être du bien, sûrement du moins bien quand il avait ses moments de faiblesse, mais au moins il s’y sentait bien. Il espérait simplement que le jour où on découvrirait qu’il n’avait jamais commencé le séminaire pour être prêtre son châtiment serait doux et qu’il pourrait rester ici à veiller sur ces gens.