Destructive habits | Jenna&Jonas

Seconde rencontre, toujours aussi chamboulé qu’à la première. Les souvenirs que sa chair ravive sont teintés de plaisir et de nostalgie. J’y pensais fréquemment, me remémorant le bon vieux temps où je pouvais expérimenter comme bon me semblait dans mes quartiers, mais de la revoir face à moi c’est... quelque chose. Surtout que cette fois, c’est elle qui s’est rendue à moi. De son plein gré, elle est venue me rencontrer. J’étais entrain de boutonner le haut de ma chemise lorsque j’ai aperçu son visage sévère, dur. Elle est entrée en furie, dérangeant la tranquillité de ce dimanche matin. La journée préférée de Micah, celle dédiée à la prière. Elle compte les jours, les notes dans un journal. Je la laisse faire, n’osant jamais lui rappeler qu’elle a forcément mêlé ses dates à un moment où un à un autre. Je n’ose pas lui dire que l’espoir dominical qu’elle attend avec impatience chaque semaine est probablement basé sur des chimères. Elle est bien trop fragile, pas comme Jenna. La première est une princesse, peau de porcelaine et chevelure dorée, l’autre est une reine, mystérieuse, imprenable. La première m’appartient déjà, la seconde me laisser encore fantasmer du jour où je l’attraperai. Peut-être plus tôt que je ne l’aurais cru vu sa visite inattendue.

« Jenna. » Je la salue d’un sourire un peu trop chaleureux pour l'air presque furieux qu'elle affiche. D’une main, j’attache le dernier bouton de ma chemise, la laissant remonter jusqu’au ras du coup. C’est comme ça que Micah préfère. Elle dit que ça me donne un air plus propre, presque paternel. Moi, je me trouve un air presque prétentieux ainsi vêtu, comme si j’étais au-dessus de l’apocalypse, au-dessus de toutes les horreurs qui marquent le quotidien de l’humanité. Mais je lui fais confiance. « Je ne croyais pas te revoir aussi rapidement. J’avoue que je suis agréablement surpris de ta présence. » Si sa première visite avait été intéressante, celle-ci se montrait encore plus prometteuse. Que la cadette des Rhodes revienne me voir laissait présager toutes sortes de choses. Et elle était seule, à mon entière disposition, ce qui était assez encourageant pour la suite des choses. « Qu’est-ce qui t’amène ici? » Je demande en m’approchant de quelques pas. Je m’arrête subitement à un mètre d’elle, haussant un sourcil. « Ah, mais j’en oublie mes bonnes manières. Un peu de thé? De rhum? » Je reste immobile, impassible malgré l’enthousiasme noté dans mes dernières questions. J’attends la suite des choses. Micah, qui doit m’attendre auprès du prêtre qu’elle a repéré dès son arrivée à la carrière, a complètement déserté mes pensées. Celles-ci sont complètement orientées vers la brune, mélange de doux souvenirs et d’espérances.

- angry is just sad's bodyguard -

Jenna aimerait bien savoir ce qu’elle fait, mais en réalité, c’est un mystère. Elle n’agit que sous le coup de l’impulsion ces derniers temps. Elle a le sentiment d’être constamment en rogne, toujours en colère. D’ailleurs, ce n’est pas qu’une simple impression, elle l’est vraiment. Pourtant, en deux mois, elle s’imaginait avoir eu le temps de décanter. Mais en vérité, elle n’arrête pas de ressasser encore et encore. La rupture - définitive il semblerait cette fois - avec Aaren Diggs lui reste en travers de la gorge. La façon dont il s’est imaginé qu’elle se cherchait des excuses, qu’elle lui mentait, alors qu’elle tentait vainement de faire des efforts qu’il n’a manifestement jamais mérité. Elle s’en veut d’avoir pris sur elle alors que par sa faute - et celle de Yates - le Ranch s’est pris un sale coup et de plein fouet. Malgré tout, elle s’est entêtée à digérer la chose, à vouloir bien faire, s’imaginant qu’il y avait forcément un moyen ou un autre de préserver leur relation et surtout leur fille. Sauf que les bonnes résolutions de Jenna Rhodes lui sont revenues en pleine face. C’est sacrément douloureux, surtout pour son ego. Depuis, elle en a terminé. Elle ne mord plus sur sa chique. Elle ne veut plus rien avoir affaire avec Diggs. Elle n’a aucunement l’attention d’organiser des rencontres afin qu’il puisse partager des moments avec Lou. Tant pis pour lui, c’est le prix à payer après leur désastreuse dernière entrevue. Oui, elle le punit, elle en a parfaitement conscience. Elle sait aussi que c’est mesquin de sa part et que ce n’est pas bien vis-à-vis de Louise, mais elle est trop jeune pour comprendre de toute manière. Peut-être qu’elle en payera les frais plus tard mais peu importe. Diggs a choisi son Royaume, grand bien lui fasse !

Sans frapper, elle pénètre dans la demeure du dernier homme avec lequel elle s’imaginait se retrouver à nouveau en tête-à-tête. Jonas Armistead. A la base, ce n’était pas prévu, bien sûr, elle n’est pas suicidaire - c’était le cas jusqu’à maintenant du moins. Non, supposément dans le coin pour troquer, elle n’avait pas l'intention de faire un détour par Rocbruyère. Mais, de fil en aiguille, elle a fini par ne plus supporter l’ambiance étouffante du marché, ni même certaines œillades inquisitrices. La Carrière ou plutôt le Royaume désormais, ravive des souvenirs qui lui noue les tripes, dont elle ne souhaite pas se remémorer - jamais.  Comme toujours depuis quelques temps, elle est en colère et elle ne sait pas très bien ce qu’elle fait. Elle ne sait trop comment ni pourquoi mais ici, au Royaume, seul Jonas lui apparaît comme le type parfait pour… Se défouler ? Auprès duquel râler ? Aucune idée, mais il lui apparaît très clairement puisqu’elle se retrouve chez lui.
Dans l’encadrement de la porte, elle se tient droite, fière comme toujours, la mine teintée par un voile de courroux. Elle observe l’homme, un sourire éclatant animant ses lèvres, tandis qu’en un mouvement rapide il attache le dernier bouton de sa chemise. À le voir ainsi, on pourrait presque s’imaginer que JJ est un homme tout ce qu’il y a de plus normal, bien qu’il se dégage de lui quelque chose de dangereux que personne ne peut nier, surtout pas elle. « Moi non plus à vrai dire. » Elle ne s’imaginait pas du tout le revoir d’ailleurs, pas volontairement en tout cas. Il s’approche d’un pas, réduisant la distance les séparant - la distance sécuritaire qu’il ne faut normalement jamais rompre avec le bourreau de Stonebriar. La question du Carrière est légitime et elle prend soudainement conscience qu’elle n’a aucune réponse concrète à lui fournir. Sacrément troublant. Et, ce qui est encore plus troublant, c’est la courtoisie de son interlocuteur. Si, elle n’avait guère passé un mois entre les mains de JJ, elle aurait presque pu penser qu’il essayait de se racheter une conduite. Sauf qu’en réalité, il joue extrêmement bien la comédie, il ne fait juste que s’adapter maintenant que le mall n’est plus. « Du rhum, pourquoi pas. » Comme si elle n’avait pas déjà l’esprit assez embrouillé comme ça, mais tant pis. Au moins, elle évite pour l’instant la question du pourquoi du comment de sa présence ici. « Tu sais, tu n’es pas obligé de jouer la comédie avec moi, celle du type bien sous tous rapports qui essaye de se racheter en se comportant comme un parfait gentleman. Je trouve cela plutôt perturbant si tu veux mon avis. On sait très bien tous les deux que t’as envie d’étriper la moitié des survivants du Royaume. » C’est qu’il doit prendre sur lui, l’ancien maître des tortures. Parfois - plus souvent qu’elle ne le devrait à vrai dire -, elle en vient à se demander qui pouvait bien être Jonas Armistead avant la fin des temps. « Je trouve cela vraiment pompant que tout le monde s’efforce à prétendre être autre chose qu’il ne l’est vraiment. Enfin, toi, t’es plutôt obligé. » Autant dire qu’il aurait été viré du Royaume ou abattu depuis longtemps s’il se comportait ici comme à Stonebriar. La réflexion de Jenna est, avouons-le, volontairement dirigée vers Aaren Diggs qui se prend pour le roi du monde et s’imagine qu’il a toujours raison, qu’il prend toujours les meilleurs décisions. Elle est mal placée pour juger, et alors ?  

egotrip

Spoiler:

À l’instant où ses pas foulent le sol de l’habitation, je comprends que la raison de sa venue n’est pas politique. Sa rage arrive à percer toute la contenance qu’elle se donne, charge l’air d’une odeur âcre. Je souris, un rictus à peine perceptible à la commissure de mes lèvres. Je suis encore loin du point où le cou du lièvre craque dans la gueule du loup, mais j’en approche. Je l’espère. Ce jour-là sera une telle victoire, un tel festin qu’il m’arrive d’en rêver. De douces mélodies qui bercent mes nuits, dans lesquelles se mêlent cris du passé et d’un futur incertain. Le jour où je l’aurai enfin sera pour moi une célébration. Je lui rendrai hommage comme jamais, me délecterai de chaque seconde en sa compagnie. Mais avant d’en arriver là, je dois être patient. Heureusement, ça a toujours été l’une de mes plus grandes qualités. Je n’en serais pas là autrement.

Le charme se rompt et je reviens à l’instant présent. Une réalité bien fade en comparaison aux chimères qui hantent mon esprit. Je m’éloigne de la brune, me dirige vers mon cabinet pour m’emparer d’une bouteille de rhum. La meilleure, ni plus ni moins. C’est celle que je réserve aux occasions spéciales et aux invités d’honneur. J’estime que Jenna fait partie de la seconde catégorie. « Je ne joue pas. Du moins, pas autant que tu le crois. J’ai beau avoir envie d’étriper la moitié des gens ici, ça ne veut pas dire que je le ferai. » Je verse le liquide ambré dans deux verres en cristal, reliques d’un ancien temps. C’était dans ces récipients précis que je trinquais avant de me mettre au boulot. Ces verres, Jenna les a vus tous les jours pendant une certaine partie de sa vie.

Lorsque je retourne auprès d’elle, je guette sa réaction sans me dissimuler. Une étincelle brille dans mes prunelles, curieux de savoir ce qu’elle en fera. Je lui tends sa consommation d’une main tandis que l’autre fait remuer le liquide dans mon propre verre. « Les temps changent, mais pas les gens. Ça me plait autant qu’à toi, mais l’humanité a toujours été hypocrite. Si tu veux mon avis, on est bien mieux seul. » J’ai entendu les rumeurs, évidemment. Dans un monde sans magazines, télévision et réseaux sociaux, les survivants n’ont d’autre choix que de se tourner vers le colportage pour se distraire et oublier à quel point leurs propres existences sont pitoyables. J’ai du mal à croire que même après tout ça, l’humain soit resté aussi superficiel. Il n’y a qu’à voir les relations entre les clans de la région. Si je m’en tiens à Marisa, j’ai l’impression que certains dirigeants laissent leur vie personnelle dicter leur conduite politique. Les alliances changent rapidement, encore plus souvent que les amours d’adolescents se font et se défont. Si nous voulons un jour retrouver un semblant de société, il faudra changer les choses. C’est à peine si nos leaders actuels nous empêchent de nous entretuer.