Two former miners walk into a bar... [Billie]

Ce n’était pas ce à quoi elle s’attendait. Même Jack restait collé à ses pieds. D’une part on sentait une certaine agitation dans l’esprit des occupants et de l’autre, un calme serein. Casey avançait dans la carrière, détaillant chaque visage et n’en reconnaissant aucun. En soi, il n’y avait rien d’étonnant au vu de ses relations avec les carrières ou plutôt non-relations. Un visage qui lui semblait familier la fixait avant de détourner le regard et s’éloigner pour se noyer dans la foule. La carrière avait bien changé et surtout avait évolué. Ça ressemblait plus à une communauté qu’à un taudis et ça inquiétait la blonde. Plus d’un an s’était écoulé depuis son départ mais de là à imaginer la carrière prospérer autant… Elle s’arrêta à un croisement et son regard se porta en direction de la mine. Même si elle ne pouvait la voir de là où elle était, son corps ne demandait qu’à rejoindre cet endroit familier. Néanmoins, elle se voyait mal venir toquer à la porte de la mine et sortir un « hello coucou c’est moi que voilà » tout sourire et rentrer pioncer comme si de rien n’était. Cas’ serra les dents et se dirigea vers un autre endroit familier : le caveau. Il valait mieux prendre des nouvelles de la situation avant de se jeter droit dans la gueule de la mine. Même si elle n’arrivait pas à mettre précisément le doigt dessus, quelque chose avait changé. Et honnêtement, une partie d’elle ne se sentait pas prête à faire face à Anita.
Arrivée au caveau, les regards d’un groupe de carrières qu’elle connaissait se braquèrent sur elle. Passant de visage agressif à un rire partagé, ils reprirent leur conversation alors qu’elle se dirigeait vers le bar. A l’exception du groupe de gueux, son tour d’horizon ne put lui permettre de reconnaitre qui que ce soit. Encore une fois. Crispée comme si elle s’était jetée dans l’antarctique, Casey alla s’asseoir au bar. Hélas, le barman non plus ne faisait pas partie de ses connaissances. A croire qu’elle s’était trompée de ville. Certes, la durée de vie était beaucoup plus courte depuis 8 ans mais de là, à n’apercevoir aucune tête familière. Enfin presque, elle se détourna du groupe pour commander un verre. Les minutes passèrent pendant qu’elle portait son attention sur les conversations aux alentours. Des conversations qui ne faisaient qu’accentuer son mal-être. On parlait de la mine, de rumeurs de voisinage sans intérêt, on parlait de Lazare, on parlait d’Aaren – lui, hélas était toujours dans le coin. Son regard fixé sur le verre posé devant elle, une main se posa sur son épaule. La voix qui suivit ce geste la fit pousser un soupir d’exaspération.
Qu’est-ce que tu fous là ?
Casey n’avait pas besoin de se retourner pour savoir que cette voix appartenait à un connard du groupe. Le rire gras qu’il avait émis à son entrée ne laissait aucun doute sur la question. Elle serra les dents, retenant son agressivité qui ne demandait qu’à ressortir. Depuis qu’elle avait franchi la frontière imaginaire de la carrière, ses mauvaises habitudes ne demandaient qu’à ressortir. Refusant cette transformation, elle se contenta de se débarrasser de la main sur son épaule d’un geste désinvolte et de répondre le plus calmement possible :

"Je veux juste boire mon verre en paix."

Malgré ses efforts, la main se reposa sur son épaule. Jack passa en position assise et fixa l’homme.

"Tu devrais retourner avec tes merdeux de petits copains de la mine, voire même aller crever au fond de la mine comme les autres."

Pendant que les dernières paroles de l’homme alcoolisé faisaient rire son groupe plus loin, elles firent tiquer Casey. Un moment, elle se figea, partagée entre réponse d’ordre physique et toutes les questions qui se bousculaient dans son esprit.

"Laisse moi tranquille."

Dit-elle en grognant, faisant écho à celui de Jack. Ce dernier s’arrêta subitement pour faire place à un jappement de plaisir avant qu’il ne s’éloigne de Casey. Si même le chien l’abandonnait… Se retournant pour voir où se diriger Jack, elle fit face à l’autre gueux qui prenait toute la place dans son champ de vision.

"Je ne veux pas d’ennui, juste boire mon verre."

Alors qu’elle parlait, il lui sembla entendre une voix familière mais elle ne put vérifier, bien trop accaparée par le regard alcoolisé que lui lançait l'autre con de la carrière.

Billie se réveillait chaque matin avec l'impression d'encore dormir. Comme si se réveiller dans un lit douillet, bien au chaud, le souffle d'Aaghen qui vient lui chatouiller la peau, ne pouvait être autre chose qu'un rêve. Olympia n'en n'était pourtant pas un et Billie pouvait désormais s'avouer chanceuse. Elle avait survécu à pas mal de choses (pour ne pas dire à tout) et pouvait maintenant se reposer, respirer, prendre le temps de vivre. Elle ne regrettait pas la Mine. Pas vraiment. Peut-être parce qu'elle en avait fait le deuil avant même la fin. Partie alors qu'elle y vivait encore, la Mine ça n'était plus chez elle depuis longtemps. Parfois, elle regardait en arrière avec nostalgie, se souvenant que les couloirs sombres l'avait aussi un peu forgé. Elle n'en serait pas là aujourd'hui sans la Mine, Anita et tous les habitants d'Hamilton plus largement. Elle avait grandit. Et elle était passé à autre chose. Pourtant, elle continuait de se demander ce que devenait ses anciens camarades. Elle n'avait pas revu Nino, ni Portia. Encore moins Almaze. Il y avait ceux qu'elle regrettait. Et les autres. Qui regrettait Billie ? Probablement personne. On lui avait bien vite collé l'étiquette de collabo, elle qui passait son temps à Olympia. Si la Mine avait fini par éclater et se faire prendre par les filets de Diggs, ça ne pouvait être que la faute de Billie Trager. Si cette idée l'avait fait bouillir de l'intérieur un temps, elle avait fini par la balayer d'un revers de main. Elle n'a de compte à rendre à personne.

Voir Billie Trager se promener au cœur de la Carrière ça n'a rien d'exceptionnel. Rien de fou. Elle passe presque inaperçu. Elle s'en vient échanger quelques produits, saluer de vagues connaissances, pas vraiment des amis. Et boire un coup. Passer le temps. Elle n'a encore aucun titre, aucune occupation officielle en ville. Les journées sont plus ou moins longues. Alors elle vient à la Carrière faire quelques échanges, rendre service à ceux qui n'ont pas le temps de se déplacer jusqu'au marché. Elle se rend utile comme elle le peut, attendant patiemment qu'on lui accorde un rôle au sein de la ville. Et pour patienter, quoi de mieux que le Caveau ? Elle est sûre d'y être toujours plus ou moins bien reçue. Billie paie ses dettes en temps et en heure. Et surtout, on sait qu'elle est dans les bons papiers de Peyton Yates et par extension sans doute dans ceux d'Aaren Diggs. On la laisse donc s'asseoir seule dans son coin et on ne l'emmerde pas. De temps en temps elle sourit à une connaissance, se laisse offrir un verre et discute quelques minutes avec vous. Aujourd'hui, elle ne restera pas seule. A peine entrée dans le Caveau, qu'un chien bien trop familier lui saute dessus, tout content qu'il est de retrouver une odeur familière. Sourcils froncés, la jeune femme se baisse à hauteur du cabot, le gratifiant de caresses. ”Hey Jack!” Rencontre improbable après tout ce temps. Et pourtant difficile de douter qu'il soit arrivé jusqu'ici par hasard et tout seul. Elle lève les yeux pour rencontrer le visage d'un énième fantôme. Elle lâche un rire étouffé, incrédule. A croire que l'univers n'a pas fini de lui renvoyer son passé à la figure. ”Un an loin d'ici et t'es devenu reine de yoga ?” Elle avait connu Casey bien moins patiente et s'étonnait de ne pas voir l'homme le nez en sang. Ou les mains entre les cuisses à la recherche de ses couilles. ”Va retrouver tes copains Hockley et fais pas chier.” A côté d'elle Jack, lance un aboiement franc comme pour appuyer la brune.

Quel lâcheur celui la… Jack parti, ça ne fit que donner du courage au gugusse-gras en face d’elle. Son haleine se fit encore plus présente au nez de Casey. Si ça continuait, ils allaient bientôt pouvoir se rouler une galoche et sûrement qu’elle lui vomirait dessus. Une défense comme une autre. Raide comme un piquet et les sourcils froncés, la blonde entendit un rire avant de voir apparaitre une silhouette dans son champ de vision restreint. Alors que son regard bloquait sur ce visage à la fois si familier et si étranger qui se présentait à elle, tout son corps se détendit. On était encore loin de la reine du yoga dont parlait Billie. Putain c’était Billie. Elle en croyait toujours pas ses yeux. Un léger sourire apparu sur son visage devant sa remarque. Effectivement, elle s’était assagie même si gugusse-gras remettait ses bonnes résolutions en doute. Ce dernier fut convaincu par la brune – et Jack le lâcheur pour retourner à sa table en grognant quelques paroles. Depuis quand Billie était plus persuasive que Casey ? Sûrement que les choses avaient changé ici notamment le rôle de l’autre femme.

"Je suis contente de te voir."

C’était spontané, franc et sans aucun sarcasme. Casey elle-même ne reconnaissait pas le ton de sa voix quand ces paroles sortirent de cette bouche tout en sourire. Elle posa une main sur son épaule dans un élan d’affection à sa mesure. N’exagérons rien, même si la brune illuminait sa journée, ce n’était pas au point d’embrassades enjouées. Reine du yoga peut être mais pas bisounours.

"T’imagines pas à quel point ça fait du bien de voir une tête familière… et appréciée."

Ça pique la langue mais elle ne pouvait pas le nier. Billie et elle, ça remontait à loin et même si leur relation n’avait jamais été très proche, elle appréciait clairement la miners. La preuve, elle ne l’avait jamais frappé – pas qu’elle ne se souvienne en tout cas.

"Je t’avoue que je n’ai pas osé venir directement à la mine. Le chemin a été long jusqu’ici et j’avais besoin de me poser avant de faire face aux complications..."

Clairement, des complications, elle allait en avoir. Revenir à la mine après plus d’un an d’absence et se justifier n’allait pas être une partie de plaisir. Sans parler qu’elle n’avait aucune certitude d’y retrouver sa place.

"Et toi comment tu vas ? Assis toi. Les choses semblent avoir changer ici et toi aussi."

En effet, Billie semblait moins sombre qu’avant. A croire que toutes les deux avaient changé pendant cette année. Surtout que la dernière fois qu’elle avait vu son interlocutrice, elle était dans une phase noire. Casey n’avait jamais su comment Billie en était arrivée à broyer autant du noir, bien trop occupée à gérer ses propres merdes. Néanmoins, elle se rappelle que voir la femme aussi mal l’avait perturbé. Comme si l’ouragan avait balayé le peu de positivisme qui restait en Billie. Dans un soupir, elle balaya ses souvenirs et se contenta d’apprécier ce changement chez cette vieille connaissance.

"T’es notamment beaucoup plus dissuasive qu’avant."

Elle fit un mouvement de tête amusé en direction de gugusse-gras que la brune avait réussi à virer plus tôt.

"Toutefois, je constate que les relations Carrières-Miners ne se sont pas améliorées. Dommage que ça n’ait toujours pas changé."

Dit-elle avec de l’amertume dans la voix. Et de ça, elle n’allait pas se plaindre. Depuis l’épisode de la grippe, son regard sur les carrières avait fondamentalement changé. Elle les voyait plus comme des voisins insupportables dont il fallait se méfier et dont on ne pouvait pas se débarrasser. Des morpions en somme. Et si elle disait que c’était dommage, c’était dans le sens dommage qu’on ne s’en soit toujours pas débarrassé.

Revoir Casey c'est comme se prendre une grande gifle. Billie est secouée, a encore du mal à y croire alors que la blonde exprime tout haut ses sentiments, pose une main sur l'épaule de la brune. Comme si leur amitié avait profondément évolué depuis tout ce temps. Comme si elles avaient su rester proches malgré l'éloignement et tous les changements. Perturbée, Billie parvient malgré tout à esquisser un sourire sincère. Au fond, les deux jeunes femmes partageaient bel et bien quelque chose. Une drôle d'amitié, une relation en dents de scie. Des hauts et des bas. La vie. Le départ de Casey avait laissé des marques, un vide au sein de la Mine. Et Billie avait souffert de cet énième départ. Elle s'était cru maudite jusqu'à ce que la roue tourne un peu. Aujourd'hui elle avait remonté la pente, paraissait moins maussade, moins agressive. Le soleil brillait de nouveau. «  Contente de te voir en vie. » Elle a tendance à imaginer le pire. Ceux qui partent sont mieux morts. C'est moins difficile à gérer pour elle. Billie s'efforce de tourner la page. Mensonges. Elle ne dort plus vraiment, perturbée par tous ces proches parti sans laisser un mot, pas le moindre indice. Elle ne peut pas s'empêcher d'y penser. Et si elle espère qu'ils ont réussi à se faire une vie ailleurs, une part d'elle préfère les croire mort. Pourquoi ne reviennent-ils pas vers elle sinon ?

Son sourire sincère prend des teintes de tristesse, le souvenir de ce qu'était la Mine lui revenant en tête. Cette époque lui semble bien loin tout à coup et elle en vient à regretter ses disputes avec Anita, les piques lancées par Casey. Même les interminables débats qui ne menaient à rien lui manquerait presque. Et puis ça la frappe. Un coup dans l'estomac qui lui noue la gorge, l'empêche de respirer. Casey ne sait rien. Fraîchement débarquée de nulle part, la blonde n'avait aucune idée de la situation ici. Tout avait changé en trop peu de temps. Billie avait encore du mal à s'ajuster. Et voilà qu'elle allait devoir tout expliquer à cette vielle amie à peine retrouvée. Silencieuse, Billie n'ose plus soutenir le regard de Casey, à la recherche des bons mots, de la bonne manière d'expliquer toute cette merde. Elle prend place à côté de la blonde, Jack se frottant à ses jambes sans qu'elle ne réponde à ses demandes de caresses. Elle écoute Casey, le cœur au bord de la nausée. « Tout a changé, ouais... » Tout. Elle n'a aucune idée de comment expliquer ça. Par où commencer ? Soupirant, elle se passe une main dans les cheveux avant de commander deux whisky au barman. Elles allaient en avoir besoin. « Casey, je ne sais pas comment dire ça alors... » Nouveau long et lourd soupire. Elle a l'impression de porter le poids du monde sur ses épaules. « Il n'y a plus de Mine. » qu'elle lâche, le regard planté dans celui de Casey. « Enfin, elle n'est plus à nous. » Tout avait changé et Casey allait devoir digérer tout ça. Elle n'osait pas imaginer ce qu'il se passait dans la tête de la blonde en cet instant. « Diggs s'en est emparé. » Elle n'en dit pas plus, prenant son verre et le portant à ses lèvres, goûtant à peine le liquide ambré. Il y a encore beaucoup à dire sur cette histoire mais elle sait que Casey doit déjà digérer le peu qu'elle lui a dit. Le reste peut encore attendre.

Elle le sent avant de l’entendre, quelque chose dans l’air. Un subtil changement. L’air autour s’alourdit et le visage de Billie change de configuration. Au début, elle pensait que c’était peut être un sentiment de joie non partagée. Peut être que Casey était la seule à être vraiment ravie de cette rencontre mais vu la tension, le silence, le visage de son interlocutrice, c’est autre chose. Elle pourrait lui annoncer une deuxième apocalypse que cette ambiance s’y prêterait parfaitement. Les premières phrases de la brune ne font que confirmer ce qu’elle sent. Pour que Billie hésite à parler franchement c’est qu’il y a quelque chose de grave. Les traits de Casey suivent le mouvement de sa voisine et se durcissent. Un vague souvenir lui remonte en elle : celui où elle accusait l’autre femme de faire d’Olympia son nouveau pied-à-terre. Une petite voix en elle la persuadait que c’était cette annonce qui allait sortir mais non. Le choc est là, la percutant de plein fouet. Plus de mine ? La brune se reprend et l’achève en lui disant que c’est Ren qui a pris le pouvoir total. Elle aurait préféré que la mine explose, qu’elle soit rasée plutôt qu’entre les mains de cet enfoiré.

"Mais…"

Il y a bien un « mais » mais lequel ? C’est insensé. Les miners avaient toujours tenu le coup face aux carrières même pendant la grippe alors que la situation était désespérée. Des alliances avaient été faite pour protéger l’équilibre relatif de la région mais putain ?

"C’est pas possible, tu te fous de moi?!"

Dit-elle dans un soupir avant de finir cul sec son verre. Sa main chercha instinctivement une bouteille sur le comptoir, bouteille qui n’existait pas. Il allait falloir plus d’un verre pour lui faire passer la pilule.

"Me dis pas qu’Anita a laissé faire ça ?"

Son ton était monté mais elle se contrôla aussi tôt. Vu leur entourage – et cette nouvelle situation, il valait mieux se calmer avant de s’attirer les foudres des occupants du caveau. Même si elle ne dirait pas non à une bagarre là tout de suite. Au point de regretter d’avoir laissé passer l’opportunité avec gugusse-gras.

"Que sont devenus les Miners ? Me dis pas que tu vis dans ce taudis maintenant ?"

Les questions et l’incompréhension envahissaient sa tête. Elle voulait ajouter qu’elle n’était pas partie assez longtemps pour que les choses tournent comme ça mais elle se reprit au dernier moment : c’était faux.

"On ne peut pas laisser faire ça. On doit faire quelque chose."

Tuer Riggs ? Une bonne idée. Elle devait en savoir plus sur la situation pour envisager un plan. Avec l’esprit stratégique d’Anita, il ne serait pas difficile de concevoir quelque chose pour permettre à la mine de retrouver son indépendance. Il resterait plus qu’à trouver quelques bras et c’était réglé. Cette idée soulagea le cœur de Casey, lui redonna de l’espoir. Elle ne pouvait pas abandonner sa maison, du moins pas de cette façon.

"Rien n’est perdu. Je suis bien décidée à retrouver mon lit. Anita doit bien avoir un plan."

Un ton de légèreté qui contrastait avec la culpabilité qui pesait en elle. Casey se devait de garder espoir sinon pourquoi être revenue ?

Porteuse de mauvaises nouvelles, corbeau noir qui annonce le pire, Billie voit les traits de Casey changer, son regard se muer en une douce incompréhension. Et la brune n'a aucun espoir à lui apporter, pas de nouvelles réjouissantes qui pourraient adoucir la peine de la blonde. Au contraire. Elle n'a pas fini son tour de mauvaises nouvelles. Elle aimerait se foutre d'elle, afficher un grand sourire narquois en lui lançant un je t'ai bien eu ! Mais Billie ne peut pas. Ca n'a rien d'une plaisanterie de mauvais goût. Alors elle se contente de secouer doucement la tête, prenant une courte gorgée de son verre, se concentrant quelques secondes sur le liquide qui lui brûle la gorge. Bientôt, c'est le nom d'Anita Jones qui vient ranimer une petite flamme chez Billie. La brûlure n'a pas fini de guérir et Casey n'en n'est qu'au début. Encore une fois, Billie n'a aucune idée de comment annoncer ça. Elle a pourtant l'habitude d'apporter de mauvaises nouvelles. Elle se souvient de tous les morts, tous ces cadavres qui s'empilent derrière elle, sur la route. Elle se souvient des larmes, des cris. Des coups aussi, parfois. Elle est douée pour encaisser Billie. Elle serre les dents, arrête de respirer quelques secondes, prête à encaisser. Encore. « Anita n'était pas là. » Elle se déteste presque immédiatement de donner un semblant d'espoir à Casey. Si le départ de la blonde avait durement frappé les Miners, il avait encore plus affecté Anita. « Casey, je suis désolée. » qu'elle dit, faiblement, las. Elle soupire en se passant une main dans les cheveux, son regard rencontrant finalement celui de la blonde. « Anita est morte. Elle a été tué. » Doit-elle tout lui dire ? Est-ce qu'il est si important pour Casey de savoir toute l'histoire ? Ils n'avaient toujours pas retrouvé le coupable et il n'y avait même pas de véritable enquête en cours. Il n'y avait que Nino et Portia pour s'en soucier et les soupçons d'un bon nombre de Miners se portaient tout simplement vers Billie. Parce qu'elle avait tourné la page de la Mine bien avant eux. Parce que ses relations avec Anita Jones s'étaient dégradées. Elle faisait un coupable parfait, c'était vrai.

Son regard reste sur Casey et elle sait que la blonde n'écoute plus vraiment ce qu'elle lui dit, perdue dans le monde de ses pensées. Mais Billie se doit de continuer, de lui donner le peu de réponses qu'elle possède. « La plupart sont ici au Royaume. Certains sont partis de leur côté, j'pense qu'ils ont quitté le Texas. Et Olympia en a accepté quelques uns... dont moi. » qu'elle lâche finalement. Elle voit le regard de Casey changer, ses expressions aussi. Elle pourrait se lever d'un bond et tout casser. Elle pourrait lancer une bagarre en moins d'une seconde. Soupirant à nouveau, Billie appelle le barman d'un signe de main, lui chuchotant de ramener la bouteille. Et elle le paie avec tout ce qu'elle a sur elle : deux couteaux précédemment gagnés à une partie de poker juteuse. Elle sert rapidement Casey, espérant que cela suffirait à calmer ses nerfs. « C'est mieux comme ça. » qu'elle murmure, attrapant son verre d'une main, le liquide ambré tournoyant au fond. « La Mine avait trop changé. On se dirigeait droit dans le mur. » Mais ça, Anita n'avait pas voulu l'entendre à l'époque. Et Casey n'avait probablement pas envie de l'entendre non plus.

Bien sûr qu’elle n’était pas là. Ce lâche d’Aaren n’aurait jamais tenté de prendre la mine alors que la leader était dans le coin. Casey gardait ce semblant d’espoir où on pouvait inverser la situation, reprendre la mine. Il suffisait juste de réunir les personnes nécessaires, de trouver Anita, de monter une stratégie et c’était dans la poche. Certes, il y aurait un peu de sang versé mais c’était bien mérité avec tout ce qui s’était passé. La blonde haussa les épaules lorsque Billie lui donna des excuses. Ce qui était fait était fait… Mais son optimiste craquela lorsqu’elle sentit la suite arriver. Elle se refusait à interpréter les traits de Billie, la modulation de sa voix, tous ces indices… Pourtant, elle ne pouvait pas empêcher l’annonce de franchir les lèvres de la jeune femme. Le choc fut tel qu’elle s’arrêta de respirer. Tout se figea autour d’elle ou c’est elle qui se figea. Son cerveau essayait de digérer l’information, de la comprendre et de se l’approprier mais impossible. Comment croire un instant que cette personne qui avait partagé sa vie pendant 1 an et demi n’existait plus ? Comment croire qu’elle n’aurait jamais l’occasion de revenir sur ses décisions et de s’expliquer à nouveau avec Anita ? Une fois qu’elle comprit que ce n’était pas une blague, que cette phrase était bien finie, Casey se détourna de Billie pour fixer le bar. Elle aurait voulu crier, nier, utiliser toute la volonté du monde pour faire en sorte que ce soit faux. Ses poings se serrèrent à s’en faire blanchir la peau et les larmes coulèrent en silence. De nombreuses scènes lui revinrent en mémoire et surtout la dernière fois qu’elles s’étaient vues. Au final, ce n’était plus que des regrets qui lui restaient. Elle n’aurait jamais dû partir… Tout ça ne serait pas arrivé. La mine… Anita…
Elle entendait les paroles de Billie sans trop les comprendre. La suite n’avait plus vraiment d’importance après cette annonce. Toutefois, une chose rentra tout de même dans son esprit fracturé, il y avait encore des miners et ils étaient éparpillés un peu partout.

"Qui ? Comment ?"

Dit-elle les dents serrées tout en séchant ses yeux avant de se retourner vers Billie. Elle était partagée entre la tristesse et l’envie de meurtre. Son regard se porta sur les hommes de tout à l’heure qui étaient attablés plus loin. Elle n’avait envie que d’une chose, foncer dedans et les cogner jusqu’à la mort. Néanmoins, elle ne devait pas, elle ne pouvait pas laisser cours à cette pulsion. Pas pour l’instant en tout cas. Quelqu’un ici méritait sa colère et ce n’était sûrement pas eux.

"Peut être que tu as raison…"

Peut être pas. Casey n’avait pas été là pour constater les changements de la mine. Pour elle, il y aurait toujours eu un moyen de changer la donne.

"Mais ce ne justifie en rien la situation actuelle ni la mort d’Anita !"

Son ton était monté et elle prit une grande inspiration pour se contrôler. Elle remarqua la bouteille qui était apparue devant elle sans qu’elle ne sache dire à quel moment. Elle se servit un verre qu’elle avala cul sec, non sans regret. La violence de l’alcool dont elle n’avait plus l’habitude, lui tapa directement sur la tête. C’était pas plus mal. Au moins, sa colère se calmait pendant qu’elle se focalisait à ne pas tomber de sa chaise et écraser Jack en dessous.  

"Je suis heureuse que tu t’en sois sortie indemne. Je comprends que tu sois allée à Olympia même si ça me ravie pas. Au moins tu vas bien. "

On se raccrochait à ce que l’on pouvait. Casey réessuya une larme qui coulait toute seule sans permission et continua.

"Quelle est la position d’Olympia sur cette prise de pouvoir ? Et des autres ? Dis-moi qu’il y a un moyen d’arranger les choses…"

Elle ne peut tout simplement pas imaginer ce que doit ressentir Casey en ce moment. Si son esprit essaie, un instant, de s'imaginer la bataille qui fait rage dans la tête de l'ancienne miner, Billie se résout bien vite à arrêter de divaguer. Elle soupire, las, un brin anxieuse quant à la suite de cette conversation. Elle ne peut qu'assister à la tristesse de Casey, la laisser s'exprimer, impuissante. La blonde a besoin d'un moment et si elles avaient été seules, peut-être que Billie l'aurait laissé. Mais au milieu du Caveau, mieux valait rester proches. Billie se doutait que très vite ces sentiments de tristesse passeraient et que la colère prendrait le dessus. Faire un scandale au milieu du bar alors que les temps sont troublés n'était vraiment pas une idée qui plaisait à Billie. Si elle pouvait empêcher une bagarre d'éclater, elle considérerait ça comme une petite victoire. Pour l'heure, elle se sentait d'avantage comme un messager de la mort. Une position qu'elle détestait. Voir Casey dans cet état lui serrait le cœur. Elle ne s'attendait pas à ces questions si soudaines. Elle s'attendait à une réaction plus violente. Peut-être à des questions sur la façon dont Anita avait été tué. Si ils avaient trouvé le coupable. Finalement, c'était peut-être mieux ainsi. Billie n'avait aucune réponse à apporter. « Nino et Portia sont aussi à Olympia. Almaze est ici, au Royaume. La plupart de mon équipe de raiders est parti vers le Nord. » Les autres elle ne savait pas trop et elle n'y pensait pas. C'était plus simple d'aller de l'avant comme ça.

Réalisant finalement qu'elle avait passé tout ce temps à dévisager Casey, Billie concentre son regard sur son verre qu'elle fini enfin, le reposant avec douceur sur le comptoir. Cette conversation est loin d'être terminée mais la brune est déjà épuisée. Elle sait que Casey ne laissera pas tomber. La blonde cherchera des explications, ira fouiller ici et là. Elle a le don pour fourrer son nez où elle ne devrait pas. Et ça pourrait très bien mal finir. « Parce que tu peux justifier tout ce qu'il s'est passé ces dernières années ? » Elle aurait peut-être dû tenir sa langue, se mordre la joue et simplement acquiescer. Mais ça avait été plus fort qu'elle. Il avait fallu qu'elle l'ouvre, qu'elle soit en désaccord. Elle soupire en se passant une main dans les cheveux. La dernière chose qu'elle souhaite en cet instant c'est de se disputer avec Casey. Or, de toute évidence, elles se dirigent droit vers une bonne vielle engueulade. Billie ne peut pas mentir. Elle n'en n'a pas envie. De toute façon, tôt ou tard, Casey apprendrait la vérité. « Olympia a sa part de responsabilité dans la prise de la Mine. » qu'elle fini par lâcher en se resserrant un verre qu'elle sirote immédiatement. « J'crois qu'Abel est pas mal remonté. Lui et Anita étaient en bon termes à la fin. » Plus ou moins. Ca n'a plus franchement d'importance. « Qu'est-ce que tu veux arranger Casey ? Je sais que ça doit être dur pour toi de revenir et de découvrir qu'il n'y a plus rien mais c'est comme ça. Il n'y a rien à arranger. C'est fini. » Et c'est très bien comme ça. La Mine n'avait plus de raison d'être et si Casey avait été là, elle l'aurait constaté par elle-même.