The things that no one else sees - Lucan

Avril 2017 - Il était parfois difficile de reconnaitre qu'on n'était pas à la hauteur d'une tâche. Surtout lorsqu'on ne la pensait pas insurmontable. Ce n'était pourtant pas inhumain que de construire quelque chose, mais Josephine, elle n'avait jamais appris à fabriquer. Construire tout du moi. Si ses mains étaient habiles pour faire entendre des mélodies un instrument dans celle-ci. Elle s'était débattu avec un simple marteau, des clous et des planches. Têtue, elle s'était cru capable de faire des choses inconnues. Songeant à abandonner avant même de vouloir réclamer de l'aide.

C'était difficile, pour elle, de se tourner vers les autres, c'était comme accepter ses limites, et elle trouvait que les siennes étaient déjà assez contraignantes, pour avoir à en rajouter. Un triste rappel qu'elle n'aimait pas entendre mais qui pourtant ne faisait que raisonner dans son esprit.

Tu n'y arriveras jamais seule.

Des grognements d'agacement même à force de l'entendre revenir cette pensée, s'étaient fait entendre.

Tu dois demander de l'aide à quelqu'un.

Une journée c'était tout ce qui avait fallu pour que la jeune femme accepte sa défaite. Une journée qui lui avait valu beaucoup de douleur inutile, si elle était parvenue en premier lieu à ravaler son reste de fierté qui ne lui causait généralement rien d'agréable. Le soir venue, ils les avaient vues ses mains abimées, l'homme aux yeux sombres. Celui qui parlait peu mais qui pourtant savait observer les choses bien mieux qu'elle en serait jamais capable. Il avait simplement porté son regard sur ses mains à elle. Si elle avait voulu les cacher, elle avait fini par céder. Lui qui n'avait pas dit un mot, elle lui avait donné une réponse. Lui demandant de l'aide pour enfin construire un vrai toit pour se réfugier.

C'était ainsi qu'elle s'était retrouvé debout avant même que le soleil se lève. Assise au côté de ce qui devait être sa future maison. L'air matinal était encore marqué par une certaines fraicheur, si bien qu'elle avait mis une veste à capuche pour s'en protéger. Assise au sol, elle contemplait le ciel qui commençait à sortir de l'obscurité. Le soleil décidant enfin de sortir de son lit, et d'inonder le ciel de couleur sans pareil.

Les jambes ramené contre son buste, et ses bras enroulés autour, on aurait pu passer à côté d'elle sans la remarquer, tant elle semblait minuscule. Insignifiante, aurait été ce qu'elle aurait pu penser si elle avait été dans un mauvais jour. Mais ce n'était pas de ceux-là.

Dans l'attente, elle regarda ses mains, dont l'ongle de son pouce avait été noircis par le contacter du marteau. Parfois elle trouvait étrange, cette incapacité qu'elle avait à ne pas faire attention à elle. Plus attentive pour les autres, et même les animaux, qu'elle ne pouvait l'être avec elle-même. Comme si son inconscient cherchait à se venger de pêcher passé qu'elle aurait pu avoir.

Perdu dans ses pensées, et dans la contemplation de ses doigts abimés, elle resta silencieuse, elle attendait. Josephine était de ceux qui était d'une patience sans failles, qui détonnait parfois avec son jeune âge. Mais c'était une qualité qu'elle avait acquise avec l'art de la musique. Elle attendait simplement.

Jusqu'à ce que deux pieds entrent dans son champ de visible, qu'un corps lui fasse face et la domine sans grande difficulté. Lui faisant lever la tête encore encapuchonnée

"Bonjour"  Laissa-t-elle échappé d'une voix encore marquée par une certaine fatigue. Prenant appuie sur ses bras pour se redresser. "J'ai eu du mal à dormir, on peut commencer plus tard, il est encore un peu sombre. "

Avril 2017 -Sans un mot, Lucan lui tendit la tasse de mauvais café qu'il avait préparé. S'il ne parlait pas beaucoup en général, avec Joe cela se révélait encore pire... Parfois, il n'avait rien à dire, parfois, il ne savait simplement pas comment dire. Ce que Lucan savait faire, c'était lire. Les corps, les regards, les livres aussi bien sûr, les livres surtout...
Il haussa les épaules, la lumière n'était pas grande mais belle, l'homme en verrait assez. Pour lui, sombre c'était les forêts du Maine en plein hiver, c'était les arbres resserrés tout autour de vous. Non, ici il ne faisait pas sombre à son goût.
Passant devant Joséphine, Lucan commença à assembler tous les matériaux qu'il avait pu réunir (du bois surtout) pour dresser les mures et fondations d'une cabane.
Il ne demanda pas à la jeune femme de travailler à ses côtés, la laissant libre de vaquer à ses propres occupations. Bientôt, la journée avança. Il faisait chaud, obligeant Lucan à se défaire de son t-shirt, s'essuyer un peu le visage avec également.
Il releva la tête, Joséphine n'était pas loin. Pour la première fois de la journée, l'Indien se fendit de quelques mots. Il n'avait même pas desserré les dents à l'heure du déjeuner quand la jeune femme lui avait proposé de faire une pause. Maintenant si, il parlait, avant envie de parler.

”Joe?”, comme tout le monde au ranch, Lucan usait du diminutif de la brune. ”Tu aurais un peu d'eau pour moi?”
Derrière lui, même si rien n'était fini, se devinait malgré tout ce qui serait désormais l'abri de la jeune femme. Quelques jours de plus allaient être nécessaire à l'homme pour terminer, seul, il ne pouvait avancer aussi rapidement qu'il le souhaitait.
Il vint s'assseoir sur ce qui faisait office de marche, visage rouge de sueur, torse aussi. Dans sa main, le t shirt sale et inutile. Il n'avait pas encore fini pour aujourd'hui mais rêvait déjà de plonger dans l'eau de la rivière, aussi fraîche soit-elle.
A la jeune femme qui s'avançait vers lui, Lucan accepta de parler encore un peu.

”Ce sera petit mais plus pratique qu'une tente. Plus protecteur aussi, en cas d'orage...”
Le dernier mot lui glissa des lèvres, doux, un peu mélancolique. Chacun ici portait des phobies étranges. On pouvait survivre, ne pas avoir peur des Rôdeurs ou de la mort, on pouvait se terrifier d'autre chose aussi, y reporter toute une tristesse, toute une peur bien trop grande. Grande comme un univers, oui...

"Tu connaîtrais pas un Indien qui fait des massages, sinon? J'en aurai besoin ce soir pour mes courbatures"

Avril 2017 - Un timide sourire se décine sur les lèvres de la jeune femme lorsque ses yeux se posent sur la tasse qu'il lui tendait. Tirant un peu sur les manches de sa veste, trop grande pour elle, afin de pouvoir la saisir délicatement. Elle profita quelques instants de la chaleur que la tasse pouvait offrir à ses mains endolories et attaquées par la fraicheur de la journée. Sans un mot, il s'attela à la tâche.
Lentement, elle porte la tasse à sa bouche et pose simplement ses lèvres. Laissant des mots mourir dans sa gorge, Lucan se contenta simplement de s'atteler à la tâche, sans un mot, passant devant elle.
Il n'avait rien à dire, alors il était inutile de parler. Elle s'était faite à ce train singulier de caractère de l'homme. Puis lorsque le soleil fut plus haut dans le ciel, elle prit la direction des écuries, pour faire son tour habituel, les entretient quotidien qu'elle avait à faire. Et revint de sa démarche maladroite à Lucan quand elle eut fini.

Alors les heures passèrent tout simplement. Parfois elle regardait ce qu'il faisait, attentive, curieuse même de savoir ce qu'elle avait pu rater la veille, parfois elle détournait le regard, le vague à l'âme. Lorsqu'elle pensait qu'elle n'était pas capable de le faire seule. Puis la voix de l'homme raisonna, la tirant de l'endroit étrange de son esprit dans lequel elle était en train de se perdre. "Oui, bien sûr."  Dit-elle en fouillant dans son sac pour en sortir une gourde en fer marqué par quelques chocs. Se redressant, elle fit quelques pas vers lui, tendant l'eau qui avait demandé.

Presque prise au dépourvu lorsqu'il parle des orages. Ne pouvant cacher une certaine gêne dans son regard. Elle aurait aimé qu'il ne l'ait pas remarqué. S'il y avait bien des choses qu'elle pouvait supporter, l'orage, était sa bête noire. Peur enfantine qui avait perduré avec les âges, qu'elle n'avait jamais su comprendre ni surmonter. Avec l'orage venaient la peur et les larmes, c'était plus fort qu'elle. Josephine, elle se contenta de secouer affirmativement la tête. Il avait raison.

Et pourtant bien vite, il vient balayer la gêne qui était en train de prendre possession de son corps, ne pouvant retenir un faible rire d'amusement à sa remarque.
"Je connais un Indien qui fait des massages oui. Mais je ne suis pas certaine qu'il soit capable de s'occuper de son propre dos. ." Il l'aidait avec sa jambe, après tout.
"Mais je veux bien essayer, s'il veut bien de l'aide d'une petite boiteuse incapable d'user d'un marteau sans se taper les doigts." Ajouta-t-elle toujours un sourire amusé sur les lèvres. Josephine, elle avait pris l'habitude d'user de ce mot, boiteuse, pour parler d'elle. Un moyen de donner moins d'impact à ce terme si quelqu'un voulait en user pour se moquer d'elle. Lui enlevant ainsi le pouvoir néfaste qu'il aurait pu avoir dans la bouche d'un autre.

Il était étrange, de voir la facilité qu'elle avait à sourire en sa présence. Lui dont elle avait subi la présence lorsqu'elle était arrivée. Imposé simplement par des ordres. Elle avait su voir quelque chose qui avait fait écho en elle. Bien qu'à les voir, ils n'avaient rien de similaire.
"Oh." Ponctua-t-elle une pensée qui lui revint à l'esprit. Fouillant à nouveau dans son sac, elle en sortait en sortie une pomme. "Mange." On aurait pu croire qu'elle l'avait gardé pour elle. Mais elle s'était dit qu'il en avait bien plus besoin. C'était un geste de remerciement.

Puis elle prit la marche à son rythme, lent et chancelant. Avec ses jambes il aurait vite fait de la rattraper, et de la dépasser. Prenant la direction de la cabane de l'homme, les mains dans les poches.

Avril 2017 - Un instant, Lucan songea lui demander si elle comptait lui taper sur le dos avec un marteau, puis décida que non, qu'il avait assez fait de blagues (une) pour la journée. Tout à l'heure peut-être, si l'homme n'était pas trop fatigué. Habitué à rire avec lui même (on ne juge pas), Lucan dépensait beaucoup plus d'énergie pour rire avec les autres.
Il bu avidement à la gourde en fer blanc, bien que le soleil ait chauffé l'eau. C'était le problème de ce genre d'objet, ça et le goût métallique aussi...
Ah, finalement Joe semblait tenir à ce que Lucan mange la pomme. Elle lui en avait déjà proposé une à l'heure du déjeuner, occupé avec des planches, l'homme avait refusé. Enfin pas refusé verbalement mais...grogné quoi. Parce qu'elle commençait à le connaître, la jeune femme savait interpréter ce que disait ou ne disait pas, l'autre homme.
Cette fois ci, l'Indien croqua dans le fruit, incapable de dire si celui-ci avait du goût ou non. Manger n'était pas une chose déplaisante, même s'il fallait se contenter de peu.
Dans son exil du monde, avant l'apocalypse, Lucan acceptait de se priver de tout en se disant que tout cela n'était que temporaire, que quoi qu'il fasse, il pourrait toujours reprendre la route le jour où il en aurait assez, revenir à la civilisation.
Aux bruits, à la surconsommation, aux restaurants.
Bon dieu ce que les restaurants de sushi lui manquaient...
Parce qu'au final, l'Indien s'était trompé, que la civilisation avait disparu plus ou moins, que manger maintenant, c'était comme dans les bois, c'était survivre, le plaisir ne venait qu'après.
D'un côté, son exil l'avait préparé à cela, de l'autre, il portait des frustrations désormais impossibles à enlever.
Les sushis....

Prenant son temps, il suivit Joe jusqu'à sa propre cabane à lui. La brune n'avait pas peur d'y entrer et lui-même se sentait désormais assez épuisé pour ne risquer aucun geste ambigu. Il referma la porte derrière lui, soupira et alla s'allonger à plat ventre sur le lit toujours impeccablement fait (aussi impeccable qu'un lit post apocalyptique, tout du moins).

”N'hésite pas à masser fort, je ne suis pas douillet et...il doit y en avoir besoin.” Se contenta de dire Lucan avant de laisser tomber sa tête sur l'oreiller. Ce n'était pas qu'il n'était pas loin de s'endormir mais...mais oui, il n'était pas loin de s'endormir.
”Et si je ronfle, ignore moi, c'est juste que je réfléchis fort...”

Avril 2017 - Elle laissa le silence reprendre sa place entre eux, le temps du trajet. Elle prenait simplement le temps dont elle avait besoin pour arriver devant la porte de la modeste cabane de l'homme. Ça ne dura que quelques minutes. Certains n'avait pas la patience de la laisser marcher à son rythme. Ils se sentaient même obligés de la tenir par le bras pour "l'aider". Mais Josephine n'avait pas besoin d'aide pour se déplaçait, sauf lorsqu'elle le demandait, et détestait qu'on agisse avec elle comme si elle avait besoin d'aide. Lucan était de ceux qui avait toujours respecté ce peu de fierté qu'elle pouvait avoir, et c'était certainement l'une des raisons qui avaient fait disparaitre le malaise qu'elle avait pu ressentir en sa présence lors de leurs rencontres.

Ouvrant la porte, qui se referma aussi rapidement derrière eux, elle le laissa se lassa prendre place dans son lit. Et romprit le silence. La jeune femme se débarrassa de sa veste qu'elle posa sur l'une des chaises que l'homme possédait. Puis s'approchant à son tour du lit de l'homme lorsqu'il fut installé. Rigolant sur ses remarques. Même si elle l'avait voulu, elle avait parfaitement conscience qu'elle serait probablement l'une des dernières personnes qui auraient la capacité ou même la force de faire du mal à l'homme. Son regard s'égara quelques instants sur la peau de son dos. Même allongée ainsi, elle voyait à quel point elle pouvait être minuscule en comparaison.

Il était massif. Si bien qu'il prenait la quasi-totalité de son lit. Josephine fronça quelques instants le regard. Posant ses mains sur le dos de l'homme, elle avait presque l'impression d'avoir des mains d'enfant. Elle ne pouvait pas l'aider debout. Elle usa de ses appuies pour sur hisser sur le lit, sur l'homme. C'était probablement la première fois qu'elle le dominait, bien qu'il ait pu bien aisément la faire tomber simplement d'un mouvement.

"Je pense que même si je le voulais, je serais incapable de te faire du mal. " Murmura-t-elle sans réellement savoir par où commencer. Sur ses mots, elle releva les cheveux de l'homme pour en dégager la nuque.
La jeune femme laissa ses mains glisser sur ses épaules. Appuyant avec les pouces pour essayer de dénouer les tensions qu'il pouvait bien ressentir. Lentement, elle se laissa prendre au jeu, comme si elle avait toujours aidé les dos dans le besoin. Soutenir cette position pendant plusieurs minutes, lança une certaine gêne dans sa cuisse, qui la poussa à bouger légèrement sa jambe. Ce n'était pas douleur, mais pas agréable pour autant. Josephine essayait de se persuader qu'il n'en était rien. Elle avait connu pire.
Essayant de reproduire les gestes qu'il faisait pour sa jambe. Elle restait attentive aux réactions de l'homme sur les pressions de ses doigts. Laissant ses mains descendre dans son dos, tout en appuyant sur les zones qui semblaient avoir souffert des efforts de Lucan. "J'y vais assez fort ? Ou tu as l'impression de te faire malaxer par un chaton ? " Elle rigolait évidemment, donnait de toutes ses forces pour faire au mieux. Mais Josephine voyait toute l'étrangeté de cette scène. Elle et ses allures de femme-enfant. Remontant ses mains, elle fit pression sur ses trapèzes pour finalement remontrer légèrement son geste sur sa nuque.

Avril 2017 -”Toujours des gestes descendants, accompagne le sang vers le coeur”, se contenta de répondre Lucan. Il avait appris à masser ainsi, non pas avec son ancien colocataire qui voulait en faire un métier, mais en étudiant les transes et rituels chamaniques. Il sentait les quelques points douloureux dans son dos, regrettant presque que la jeune femme n'appuie pas assez fort, mais resta silencieux.
Un instant, il se surprit à rêvasser bien que Lucan fut incapable de dire de quoi. Il savait juste que le rêve était là, au coin de ses yeux, peut-être partirait-il et peut-être pas. Un peu songeur, il chercha à se concentrer...mais se concentrer sur quoi? Il avait envie d'oublie, de se laisser aller. La voix de Josephine lui parvenait encore, légèrement étouffée. Elle posait des questions, cela voulait dire qu'elle attendait des réponses...
Lucan détestait les questions, surtout quand cela impliquait pour lui de prendre la parole en retour. Il préférait ses silences, il préférait ne parler que lorsque cela était important.

D'une certaine façon, la solitude de l'homme, son mutisme, tout cela s'était aggravé depuis le départ d'Adam, et rien ne l'avait soigné, les années ne faisant que de jeter de l'huile sur le feu.
Parfois, il se demandait : détestait-il réellement les autres, que voulait-il en ce cas, que cherchait-il? Survivre, mais là encore survivre valait-il réellement le coup au milieu d'un environnement qui ne lui plaisait pas?
Ironiquement, Josephine avait eu droit à la solitude, elle, à une mise au ban que l'homme aurait apprécié. Avoir un rôle, mais en même temps ne pas être là, ne pas supporter les autres au besoin. Aujourd'hui, la jeune femme s'acclimatait au ranch, s'intégrait. Lucan, lui, toujours pas...
On lui faisait confiance pour les raids, plus d'une fois l'Indien avait su également se rendre utile, comme toute personne du ranch en général. Les sacrifices faits, ceux que l'on refusait...

”Tu dormiras encore dans ta tente ce soir, mais demain au plus tard tu aras ta maison”, finit-il par dire en rompant le silence. Il avait les yeux vagues, un peu. Sombres toujours bien sûr, mais vagues, comme pour espérer retrouver ce bout de rêve qu'il avait eu il y a quelques secondes à peine. Sur son dos, les mains de Joe s'étaient faites plus douces encore, la douceur n'était pourtant pas pour lui.

”Je reprendrai peut-être en début de soirée, là il fait trop chaud pour le moment.”
Il attendit que la brune se dégage un peu, aille sur la chaise, repose sa jambe, et se redressa alors, attrapant une vague chemise propre pour l'enfiler

”Tes mains ont du bien patauger dans ma sueur, en fait...”

Avril 2017 - Elle n'eut que le silence comme réponse, et n'insista pas. Il était coutume que cela se passe ainsi avec Lucan, il avait sa bulle, une espèce de mur qu'il avait bâti autour de lui pour garder les autres à distance. C'était une chose qu'elle avait très vite perçue, car elle avait fait de même il y a des années.

Alors même si parfois, elle parlait et ne recevait pas de réponse, la jeune femme ne le prenait jamais mal, ou personnellement. Parfaitement consciente qu'il était ainsi. Et elle respectait ce train de caractère, sans pour autant embrasser le silence à chaque fois qu'elle était en sa compagnie. Se contentant simplement d'essayer d'apaiser son dos, sans savoir si elle y parvenait.

Après plusieurs minutes, il finit par parler. Et Josephine, le souffle court vint ralentir ses gestes. Devenant plus lent, moins profond.

"ma maison..." Un murmure. Mélange de songe et de tristesse dans la voix. Une pensée plus qu'une parole pour l'homme dont elle ne fit qu'effleurer des doigts. Il n'avait fallu que d'une phrase pour briser en éclat toute l'énergie qu'elle avait en elle.

Il continue à parler, elle l'entend sans l'écouter. Son regard se perd sur l'une des planches en bois qui faisait tenir l'habitation de Lucan debout. La jeune femme n'avait pas vu les choses comme ça. Un abri, oui. Mais il y avait bien longtemps qu'elle avait abandonné cette pensée, cette d'avoir un chez soi. On vivait, survivait, cohabitait avec les autres, mais il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas ressenti la chaleur d'avoir un foyer. C'était un vieux souvenir, de ceux auxquelles on ne voulait songer simplement pour ne pas se faire du mal.

Il bouge légèrement, assez pour qu'elle décide de quitter son perchoir et retrouver le sol. Et toujours dans ses pensées elle alla quelques instants s'assoir sur la chaise où elle avait déposé sa veste quelques instants auparavant. Il parle encore, et pourtant elle est toujours bloquée sur cette image. Sa maison. "Home is where the heart is... and my heart is...* " anywhere you are** Elle l'entend l'écho d'un souvenir, la voix de son père chantonner cette vieille chanson du king, Elvis. Celle qui tapissait sa mémoire lorsqu'il partait loin. Celle qui lui rappelait que la maison n'était qu'une idée pas une place. Mais cette idée, ce n'était pas désormais qu'un fantasme ?
Un souffle vint traverser ses lèvres, qu'elle effleure presque du bout des doigts, aux prises de souvenir qu'elle pensait perdu depuis longtemps. Le trouble légèrement visible dans le regard. Quelques instants elle se demanda, si elle était capable de sentir ses lieux comme étant chez elle. Elle s'était fait une place au sein du camp et pourtant, elle continuait de se sentir profondément seule. Si ce n'est les discussions qu'elle pouvait avoir avec Sancho. Josephine n'avait plus personne de son passé, comme beaucoup de monde elle était désormais une orpheline dont le nom aurait tout simplement disparu et sombré dans l'oubli si elle avait été malchanceuse. D'un geste nerveux de la main, elle balaya - ou du moins essaya - son égarement.
"Euh... oui d'accord... Tu sais, J'ai passé plus d'un an dans une tente, une nuit de plus ou de moins ce n'est pas dramatique." Un sourire s'esquisse mais fini par s'évanouir. Elle marqua une pause, donnant une légère tape sur sa jambe comme pour atterrir des songes dans lesquelles elle s'était perdu quelques instants. Redressant légèrement le dos et la tête et tourna la tête vers Lucan. "Ne t'en fait pas. Elles ont connues bien pire. De toute manière, j'avais prévu d'aller à la rivière un peu plus tard." C'était peut-être la seule habitude qu'elle avait qu'elle considérait comme un luxe. Pouvoir se rafraichir dès qu'elle avait fini sa journée, simplement pour se retrouver avec elle-même. "Il n'y a jamais grand monde à l'heure du repas... "

Avril 2017 -Parfois, on préférait le réconfort d'un repas plutôt qu'une perte de temps à la rivière, que cela soit entre deux tours de gardes, un raid épuisant ou un travail quelconque. Un sacrifice parmi tant d'autres pour ce qui était de la vie à la dure...
Gérer son temps n'était pas plus compliqué qu'avant, cela se faisait juste de manière différente, presque un peu trop parfois. Encore maintenant, des années après l'apocalypse, de vieilles réminiscences de l'ancien monde revenait et on y arrivait plus. On y arrivait juste plus...
La chanson d'Elvis n'était pas inconnue à l'Indien, même si le King ne faisait pas partie du répertoire de sa famille. Pendant son enfance, Lucan avait été bercé par son père s'essayant à la voix de crooner de Sinatra, ou bien sa mère sifflotant un air de Joan Baez.
Il se rendait compte aujourd'hui que ces musiques lui manquaient, se souvenait-il encore des mélodies, des paroles?
Et une petite voix coupable cherchait à le faire taire en même temps : pourquoi se souvenir de ça, les berceuses et comptines crees ou ojibwes n'ont-elle pas plus d'importances?
Pourquoi se rappeler des musiques de l'Homme Blanc?
Et, tandis qu'il fuyait ces questions existentielles, Lucan se rendit compte qu'il n'avait pas répondu à Josephine.
La rivière, le repas...

Alors, comme d'habitude, l'homme se contenta d'acquiescer, yeux noirs, coeur noir, âme au loin. Lui-même ne cherchait pas à savoir quand il préférait aller à la rivière, ni même pourquoi. Il faisait selon les exigences, les impératifs et depuis le nombre d'années passées au ranch, cela devenait comme un mécanisme pour lui.
L'eau froide n'était cependant pas un luxe ou un confort, pas même après une journée de travail. On leur avait enlevé trop de choses dans tout ce qu'était la civilisation. Ils se reniaient eux-même, à ne pouvoir s'offrir une dignité quelconque, oui, ils se reniaient...

”Il va falloir que j'y aille de suite, je crois... Je ne sais pas si j'aurai le temps après”

Les tâches pouvaient parfois s'accumuler sans que l'on ne s'en rende compte, aider les autres pouvait parfois être considéré comme une perte de temps.
La cabane de Josephine serait bientôt terminée cependant, Lucan s'était posé une date à ne pas dépasser.
Il regarda la jeun femme à nouveau, cherchant ce qu'il pouvait dire, penchant la tête un peu, comme dans une réflexion étrange et profonde.

”Je voulais dire quelque chose je crois, mais en fait je vais éternuer.”

De fait, Lucan tourna juste assez la tête sur le côté pour éternuer, le corps secoué tout entier dans un frisson bien qu'il se soit réprimé assez pour ne pas être bruyant. Finalement, peut-être était-il réellement allergique aux discussions?

Avril 2017 -

"A tes souhaits" Un murmure, un souffle. C'était une chose qu'elle n'arrivait pas à oublier, les mots qu'on disait lorsque quelqu'un éternuait. Bien qu'ils n'aient ni sens, avant comme aujourd'hui. Le souhait c'était pour les enfants, ceux qui vivaient dans les contes où la magie faisait rage, ceux qui avaient l'imagination digne d'inventer une histoire. Mais ses enfants l'ont; ils avaient tous disparut. On ne pouvait plus souhaiter qu'en chose, la richesse, la beauté, ce n'était que des réminiscences d'un autre monde. Et pourtant, elle les avait gardés, ses mots d'avants, cette politesse qui faisait d'elle, simplement la personne qu'elle était. Perdue entre deux âges, entre deux ères.
Comme tous, ils avaient changé, non pas pour ce qu'ils étaient destinés à devenir, mais pour ce qu'ils avaient à être. Parfois, l'idée était étrange, et elle en esquissa un sourire triste, fixant quelques instants devant elle. Les années avaient passé et pourtant, elle la sentait, cette tristesse toujours aussi présente, toujours aussi vive. Incapable d'oublier et pourtant, elle n'avait pas d'autres choix que de le faire. Josephine, pourtant, ne cherchait pas à se raccrocher à l'ancien, elle vivait, respirait, simplement pour le présent. L'avenir était une question de chance, rien de plus. Mais pourtant, elle avait toujours cette inlassable sensation que son esprit regardait derrière elle, dès qu'elle s'oubliait quelques instants. Une espèce de piqure de rappel.

Elle se redresse, se remet sur ses pieds. Les mots qu'elle aurait dits, se laissent mourir dans son esprit. Il se bloque dans sa gorge et simplement laisse place à un long soupiré, qu'elle accompagna d'un étirement de ses bras. Les yeux clos, inspirant quelques instants en s'étalant de son maigre long. Et doucement ils retombent ses bras, ils s'ouvrent à nouveau ses yeux. Croise le regard sombre de l'homme. Il aurait dû lui faire peur, mais ce n'était plus le cas. Incapable de mettre les doigts sur la raison de ce changement. Quelque chose dans l'obscurité qui ne faisait qu'écho à de la tristesse, ça, Josephine arrivait à le voir, mais rien de plus. Elle ne voulait pas en savoir plus, ou plutôt elle n'avait pas besoin de le savoir.

Il y avait toujours eu une beauté dans la mélancolie. Tout le monde n'était pas capable de le voir, mais la jeune femme elle le voyait ainsi. C'était ce qui l'avait mené à tant apprécier la musique, guider ses mains sur le violon qu'elle se refusait d'abandonner. Et c'était pour cela que l'appréhension qu'elle pouvait sentir naitre en son coeur lorsqu'elle était avec Lucan avait fini par se dissiper.

"Je ne vais pas te retenir plus longtemps. " Dit-elle en faisant un pas vers lui. Elle était bien assez reconnaissante comme cela, et ne cherchait en rien à ce qu'il change la totalité de sa journée juste pour elle. Mais elle ne put retenir son geste, posant candidement sa main sur le torse de l'homme. Elle le fixe quelques instants. Dans le silence elle le remercie. et aussi simplement, elle se détache et fait un pas vers la porte. Remettant sa veste, derrière laquelle elle se cachait. Elle s'arrêta avant de poser la main sur la poignée. Elle tourne la tête vers lui, semblant chercher des mots qu'elle ne trouvait pas. Puis fronça le regard en secouant la tête quelques secondes comme pour s'en empêcher. L'esquisse d'un sourire gênée, elle ouvre la porte.