« Tell me your story
please tell me everything »
”On tombe malade à vouloir rester là où n'est pas notre place....”Le professeur s'enorgueillissait d'un héritage indien, pourtant il le regardait avec ses yeux d'homme blanc et son visage d'homme blanc peu-importe qu'il soit buriné ou non. Il portait à la chemise une de ces breloques stupides faites de perles et de plumes juste bonne à amuser les touriste. Une touche “couleur locale”...
Le coin des lèvres de Lucan se plissa un peu. Il commençait à avoir mal aux jambes de devoir les ramener sous lui ainsi pour espérer tenir dans le fauteuil mais il ne pouvait pas non plus faire comme dans les amphis de l'université : se lever, partir.
Avant que ça ne devienne trop insupportable.
Le professeur voulait parler de cela d'ailleurs. De la “manie Longshadows” de ne jamais assister aux cours en entier. C'était faux, parfois Lucan y arrivait...
L'autre continuait de parler, fier de...fier de quoi, d'être un guide dans les ténèbres, de ramener un étudiant dans le droit chemin? De lui faire comprendre qu'il n'était qu'un sauvage ?
C'était ça qu'il sous-entendait à Lucan, les yeux dans les yeux. Que peut-être l'héritage amérindien de Lucan était un peu trop prononcé pour qu'il puisse s'adapter à la vie ici? Même si bien sûr ils étaient dans un endroit civilisé, que personne n'irait insulter la mère du jeune homme parce qu'elle était Cree.
Lucan écouta encore un peu, les perles de la breloque faisaient du bruit quand l'homme bougeait. Il essaya de déplier un genou, le fauteuil craqua pour annoncer son mécontentement. Ah....
Il y avait aussi cet autre problème, celui concernant sa mère effectivement.
Parce que c'était son père, le Cree, pas elle. Il ne corrigea pas le professeur, celui-ci continuait de parler, essayant de l'amadouer en lui prêtant une âme romantique qui rêvait de grands espaces. Et puis enfin, il sorti cette phrase comme un proverbe, un putain de proverbe de vieux sage, calumet sur les genoux. Mon cul....
”On tombe malade à vouloir rester là où n'est pas notre place....”Non, Lucan ne tombait malade parce qu'il était un sang-mêlé au milieu de faces de lune, il se pétait juste les articulations à devoir rester assis trop longtemps dans des amphithéâtres parfois surpeuplés avec des bancs tout sauf faits pour sa stature.
Merde quoi...
Et le seul prof amérindien (plus ou moins) de ce lieu voulait en profiter pour le virer.
Il ne claqua pas la porte en partant, il garda juste son silence avec lui. Retourna en cours. Avança. Tant pis pour la douleur physique, apparemment certains diplômes se payaient dans le sang. Parfois, il s'attachait assez à une fille pour qu'elle le masse, mais s'attacher, c'était compliqué alors... Alors le plus souvent, son connard de colocataire s'en chargeait.
Il voulait être kiné.
Le jour de la remise, Lucan était parmi les meilleurs de sa promotion. Sa manière à lui de dire “merde”, encore une fois. Le prof était là évidemment, tout fier, comme s'il était la seule cause de la réussite de l'étudiant. Il voulu lui serrer la main, après la cérémonie mais Lucan se contenta de regarder la paume ouverte avant de se détourner. Ses genoux approuvèrent après tout ce qu'ils avaient vécu, insultant la sûrement très vieille maman du prof en langage genoux. Lucan les laissa faire...
***
”Non mon chérie, je ne suis pas déçue. Ca correspond bien à notre famille, même, de ne plus pouvoir se parler que par téléphones-satellites... Tu as bien reçu mon colis avec les chaussettes sinon? Allez, on t'embrasse fort.”La cabane avec ses rondins de bois, dehors, juste la neige et le vent. Le Maine, ses hivers et ses forêts et Lucan aimait cela car chacune de ces deux choses était grande, bien plus grande que lui. Ici, le jeune homme était petit....
Le monde extérieur tentait encore de l'atteindre sous forme de touristes égarés lors de randonnées. C'était son rôle de les retrouver, de les ramener quand la forêt ne les dévorait pas. On en perdait, des corps par ici, cela arrivait....
Il n'avait pas la radio, les nouvelles lui parvenaient au compte-goutte comme il était courant dans les régions isolées. Son monde se résumait à l'identité confuse de personnes qu'il devait rechercher pour mériter son semblant de paye. Pour Lucan, ça lui suffisait...
Un jour, on lui demanda de retrouver une femme s'étant enfuie de chez elle Elle habitait la ville à deux heures de route, son mari avait lancé l'alerte, craignant qu'elle ne cherche à en finir. Lorsqu'on retrouva son véhicule en bordure d'un des chemins de la forêt, on appela Lucan.
Il neigeait dru, l’obscurité s'apprêtait à s'abattre sur les lieux. Les bottes du jeune homme marchaient sans bruit sur le sol gelé. Lorsqu'il la trouva, il ne trouva qu'un cadavre entre deux souches d'arbres. Lucan savait qu'il devait au moins retourner le corps, s'approcha.
S'arrêta.
Un loup famélique le regardait, la mort lui tenaillant l'estomac. Un loup famélique qui pourtant ne chercha pas clamer le corps de la morte... Lucan s'arrêta, chercha les yeux de la bête pour comprendre mais l'animal disparut avant.
Ce fut alors qu'
elle bougea, et Lucan repensa aux contes de son enfance, à un coeur de glace, une faim insatiable.
WīhtikōwIl retourna à sa cabane, prit quelques affaires et disparut encore, ce n'était que la deuxième fois dans sa vie.
***
Il avait entendu dire que la poussière du Texas brûlait les poumons. Non, ce qui les brûlait, c'”tait les cendres de ton père, de ta mère... Ils avaient choisi de s'éteindre ensemble, en paix, priant leur fils unique de brûler les corps dès que possible. Avant cela, ce fut sa mère qui lui conseilla de descendre jusque dans les Etats du Sud:
”Il fait très chaud là bas, alors ce ne sera pas grave si je ne suis plus là pour te tricoter des chaussettes.”Bien sûr que si c'était grave.
Putain....
Lucan marchait côte à côte avec le cheval, ils en profitèrent pour sympathiser un peu. Le canasson avait un peu plus de discussion que l'homme qui le montait, ou qui plutôt gisait avachi en travers de celui-ci. Fallait le comprendre : une balle dans le corps, un début d'infection, ça aidait pas pour les concours équestres. Lucan l'avait trouvé à terre, le cheval un peu plus loin, prêt à crever comme ça. D'un simple coup d'oeil, il constata que l'inconnu avait une pointure de pieds plus petite que la sienne : inutile de le tuer pour ses bottes. Tant pis...A la place, le jeune homme le soigna comme il put, faisant tomber la fièvre, retirant la balle avec plus ou moins de talent pour ne pas que le sang n'emporte des résidus de métal....
L'une des pires cicatrices au monde sur le corps de l'homme d'ailleurs.
Adam, il s'appelait Adam...
Parfois Adam perdait ses forces, s'évanouissait. Il trouva assez d'énergie cependant pour guider Lucan jusqu'au ranch.
Lucan et ses pieds nus, c'était possible ça en 2012, de voyager pieds-nus?
Quand les morts revenaient à la vie, oui....
Est-ce qu'on lui proposa de rester, est-ce que Lucan le décida seul? Aucune importance... Il est un Rider à présent, n'en éprouve ni honte ni fierté. Parfois, il repense encore aux grandes forêts du Maine mais le Texas est grand lui-aussi, assez grand pour que Lucan s'y sente tout petit....