Doomed day | Erin & Caleb

On part bientôt. On part bientôt et je laisse mes enfants derrière, complètement seuls. Bien que toutes mes actions soient posées en fonction d’eux, j’ai toujours l’impression d’être un père horrible. J’ai laissé Cheryl tomber entre les griffes du bourreau, à un point où je crains de ne plus jamais retrouver ma petite fille, celle qui m’aidait à entretenir nos vignes. Félix est encore tout jeune, mais de plus en plus conscient. Il mesure l’intensité du danger, puis il se prépare à toute éventualité. Lorsque je pars en mission, il ne pleure plus. À six ans, il comprend déjà la mort. Il sait à quel point le monde est dur, car il a vu et vécu des choses horribles, qu’un enfant de son âge ne devrait jamais connaître. Je croyais que la secte le mettrait à l’abri de ces atrocités, mais j’ai échoué encore une fois. Il ne se passe pas une minute sans que j’y pense. Ça m’obsède. Il va falloir que j’agisse, que je nous tire de là avant qu’il ne soit définitivement trop tard pour le plus jeune. Le seul problème, c’est qu’il me faut un plan. Je dois pouvoir les sortir tous les deux sans pour autant mettre leur vie en danger. Mais vu la sécurité des lieux, ma proximité avec Lazare et la fidélité aberrante de ses fidèles, les chances sont minces. C’est décourageant. Si Henry avait été là, il aurait pu m’aider. J’ignore s’il aurait compris, mais j’aurais pu au moins demander, lui en parler. Il m’aurait peut-être rassuré. Sauf qu’il n’est pas là. Il n’y a personne, vraiment, pour m’aider et la carcasse d’avion dans laquelle je me trouve ne fait qu’accentuer ma solitude. Ici, j’ai pratiquement l’impression d’être cloitré dans un immense tombeau métallique. J’y suis par choix, attendant je ne sais quoi. Qu’un miracle se produise, que l’expédition soit annulée, peut-être. Surement. Ce serait probablement la meilleure chose qui pourrait m’arriver depuis un moment. Le voyage en tant que tel ne me semble pas trop risqué. C’est ce qui nous attend là-bas, les nouveaux rôdeurs dont on ne sait pratiquement rien à part que nous sommes supposément immunisés. Il prétend que le vaccin nous a sauvé, mais s’il a lui-même provoqué la naissance de ces choses, en quoi est-il notre sauveur? Ça ne fait aucun sens. C’est comme s’il conduisait un bus jusqu’au bord d’un précipice pour freiner à la dernière minute. Lazare n’a rien d’un héro et si ça se trouve je risque ma peau, la sécurité de mes enfants, pour absolument rien.

Épuisé par mes propres pensées, je finis par pousser un long soupir. Détournant mon visage du hublot, je retourne me promener dans les allées, à la recherche de ce sac à dos que j’ai caché il y a un moment. Il s’agissait de la première étape de mon évasion, préparée il y a des lustres. J’y avais entassé quelques vivres, une couverture thermale, un pistolet, un couteau et, surtout, une copie du Petit Prince. J’avais prévu l’amener pour la raconter à Félix lors de notre première soirée de liberté, mais aujourd’hui, j’ai envie de changer mes plans. Je veux récupérer le bouquin pour lui lire ce conte qui a bercé mon enfance ce soir, juste avant de partir. Je veux qu’il conserve un dernier bon souvenir s’il m’arrive quoi que ce soit.