anselm fran
« you gotta keep them separated »
«
J’avoue, c’est bas. » Ils sont trois, derrière le propriétaire qu’on a larronné, à bigler sur le méfait. Si l’immobilité d’Anselm devant son deux-roues estropié les a attirés comme des badauds en mal d’aventure, c’est bien sa mine patibulaire fendue par une perplexité tragi-comique qui, elle, les a fait rester. À présent ils se bidonnent dans le dos du germain, non sans se relayer une compassion à trois cents un peu lourde et non moins justifiée, tant le sabotage est aussi puéril qu’efficace. «
Maigre indice », siffle-t-il en réponse, suggérant la profusion de suspects qui pourraient s’adonner à pareille bouffonnade. «
Y a pas à chier, c’t’une experte », rétorque un autre, mâchant entre deux syllabes sa vieille chique, «
'r'gardez-moi ça comme c’est propre. Pas un boulon d’traviole. » Le troisième louche sur son camarade d’infortune en grimaçant lors même que, tout en lenteur, von Brandt fait volte-face, l'oreille tendue, la suspicion alertée. «
Tu m’étonnes. Sacrée mécano… » Ça opine du chef. «
Clair. Des doigt d’fée la blondie. » Et au compère, jusqu’ici silencieux même si exorbité à force de jeter ses vaines œillades, de renâcler : «
Putain mais t’es con comme une pioche. » Là de son interrogatoire roublard — quoi que pas tant, au regard de la molle sapience triturée à droite comme à gauche — l’allemand dépasse d’un pied ferme les acolytes ; il sait exactement où aller.
«
Tu devineras jamais, Swanson », annonce-t-il tout de go en pénétrant la caravane. Son phonème vigoureux camoufle (sans trop se fouler non plus) l’agacement qui le berce et, si l’on doutait encore de son exaspération, le sans-gêne manifeste de ses manières est là pour lever incertitude et flottement. Le voici d’ailleurs qui s’empare d’une chaise, la retourne puis la repose bruyamment, avant de s’y assoir, bras croisés sur le dossier. Son index désigne Fran. «
Le vieux George en pince pour toi. » Quelle vaine ; si l’on omet l’allure râblée, les chicots noirauds et les paumes constamment moites de leur confrère. Laissant à la jeune-femme le soin de s’en gausser, il entremêle cette fois ses mains, scrutant en parallèle le désossement auquel elle s’adonne. «
Mais si, je t’assure. D’ailleurs, il a beau être à moitié aveugle, il te filoche comme un obsessif. » Soulignant la bonne nouvelle d’un sourire torve, il tend ensuite sa dextre comme pour réclamer un dû, ou, plus précisément, l’objet du larcin. «
La récréation est terminée. Rends-moi cette foutue roue… » Faut-il qu’il ait de la patience. Sa gueule, revenue à son état naturel, c’est-à-dire grognonne, trésaille au niveau des lippes comme pour y réprimer un tic nerveux. «
T’en as aucune utilité en plus. T’en ferais quoi ? un volant ? » Il regrette presque aussitôt ses mots. L’ingéniosité qui crépite dans ces doigts pourrait bien métamorphoser la trouvaille en girouette, si elle le voulait. «
Non, oublie… », la décourage-t-il, signant à la négative.