Hairdresser | Zelda & Jonas

Debout derrière la brune, parfaitement silencieux, je me demande comment je me suis retrouvé là. C’est étrange, presque irréel. Ce n’est pas le genre de tâche à laquelle je m’adonne habituellement. Pourtant, je suis appliqué et concentré, presque aussi minutieux que si je traçais une forme abstraite sur sa chair du bout de mon scalpel. Je maintiens fermement sa tête, non pas pour lui trancher la gorge, mais pour tresser ses cheveux. Je crois que de base, elle cherchait quelqu’un d’autre. En tout cas, il y a eu un gros malentendu, autant de mon côté que du siens, à en voir les nerfs tendus dans son cou. Pourtant, elle se laisse faire, sous les regards perplexes des autres ivrognes rassemblés au caveau. Ceux qui me connaissent doivent se poser des questions, voir me trouver idiot. Mais je me rappelle qu’à notre époque, sembler con est la meilleure façon de passer inaperçu. Je les ignore donc assez facilement, bougeant mes doigts de façon méthodique, tressant mèche après mèche pour en arriver à un résultat acceptable.

« Ça va comme ça? Ça ne tire pas trop? » Je me surprends à demander en arrivant au milieu de la première natte. Contrairement à ce que les gens pourraient croire, je suis assez expérimenté pour ce genre de choses. Lorsqu’elle était plus jeune, Micah peinait à prendre soin d’elle-même et je me retrouvais pris, forcé de lui venir en aide. Je nouais sa chevelure blonde quelques fois semaine, sans quoi elle se retrouvait emmêlée et je devais subir les plaintes répétitives de l’enfant quant à son inconfort. Avec le temps, j’ai fini par m’y faire et, bien que l’infirmière s’occupe désormais seule de sa coiffure, les gestes me reviennent naturellement. Comme la bicyclette, mais encore moins amusant. Heureusement qu’un peu d’alcool coule dans mes veines, sinon je me serais fait la malle il y a belle lurette, abandonnant l’autre carrière avec ses cheveux à moitié coiffés.

Voilà. Une première est terminée. Je m’attaque à l’autre, le visage toujours aussi stoïque. Pour briser l’ennui, je finis par reprendre la parole d’un ton plat. « Comment tu t’appelles, déjà? » Je crois qu’elle me l’a mentionné ou du moins, je l’ai déjà entendu quelque part. Son prénom me laisse comme un arrière-goût amer, rebutant, sur le bout de la langue. Normalement, je n’oublie pas un visage. Pourtant, celui-ci est si insignifiant qu’il a pu se faufiler dans les dédalles de ma mémoire. Elle m’a échappée, alors que je reconnais à peu près tous les gens à la carrière. Il le faut pour rester préparé. Il n’y a rien de plus important pour un chasseur que de connaître son terrain de jeu sur le bout des doigts.

À cet instant précis, alors que mes doigts parcourent la chevelure démêlée de cette jeune inconnue, je souhaiterais plus que tout avoir accès a un canif, un rasoir ou n'importe quelle autre lame. S'il n'y avait aucun témoin dans la pièce, ce serait une véritable fête. Je m'amuserais a tailler sa peau, d'infimes symboles sur sa chair. Je prendrais soin d'épargner les veines plus importantes, qu'elle se vide lentement de son sang. C'est bête, j'ai du mal à me souvenir a quelle vitesse la peau d'un individu décolore. Mais, plutôt que de céder à mes pulsions, je noue la seconde natte d'un geste vif, désireux d'en terminer rapidement. " Barker. " Je répète, mémorisant chaque lettre de son patronyme. Zelda. Un prénom complètement débile. Ma mère était accro aux narcotiques et même elle a eu la décence de m'offrir un nom normal. C'est la seule chose qu'elle ait bien fait dans sa vie.

J'hoche la tête, aussi désireux de mettre ce moment étrange derrière moi. Je veux lui dire qu'elle n'a rien a m'offrir qui pourrait m'intéresser, mais je n'ai pas le temps de prendre la parole qu'elle semble me proposer un savon. Je ne suis pas certain d'avoir bien compris et pendant un instant, je crains qu'elle s'en soit prise à mon hygiène corporelle, alors que je veille habituellement a rester aussi propre qu'avant l'épidémie. Être soigné a toujours été une priorité. Ce n'est pas parce que les morts se sont relevés que ceux encore envie doivent sentir comme eux. Et, si j'avais eu le malheur de sortir en dégageant une odeur désagréable, Micah m'aurait averti. J'ai l'impression d'être en plein cauchemar, jusqu'à ce que la jeune fille s'explique. Elle a des barres en trop, c'est tout. " Si tu as des odeurs fruités ou sucrées tu les fileras a Micah. Si tu ne la connais pas, tu pourras la trouver a l'infirmerie, elle y passe la moitié de son temps. " Elle me fait penser a moi à l'époque où j'avais mon laboratoire malgré que nos occupations soient opposées. " En attendant... " Je jette un coup d'oeil autour de moi, déçu de la faible qualité de la clientèle d'aujourd'hui. Les quelques survivants éparpillés dans le caveau sont soit complètement idiots, soit a moitié bourrés. Personne avec qui piquer une conversation moindrement intéressante. Je me retourne donc vers la brune maintenant soigneusement coiffée. " Si tu n'as rien de mieux a faire, c'est ma tournée. Le serveur me doit une faveur. " Je tends la main pour illustrer mes paroles et en quelques secondes, je me retrouve avec un verre de whisky chaud entre les doigts. Le genre d'alcool pour lequel il faut troquer énormément. Si Barker n'en veut pas, elle n'aura qu'a se contenter de l'absinthe bancale au goût terrible qu'ils servent ici.