« it's kind of a funny story, actually »
(octobre 2010, Klamath Falls, Oregon) Assis sur la moquette beige, coincés entre les quatre murs couverts de crépit jauni du
dorm que d'eux d'entre eux partagent, les quatre étudiants attendent que l'orage passe. Les heures s'écoulent avec une lenteur remarquable, la nuit s'éternise, la télévision qui tourne en boucle reproduit sur leurs visages des ondes lumineuses. Ils n'ont pas daigné dire un mot depuis de très longues minutes quand la bouche couverte de gloss de Valentine s'ouvre. L'impression que rien n'est réel les frappe tous.
« C'était ton tour, Zelda. Tu viens d'où, déjà ? » La voix hésite, les mots flottent. L'Université est barricadée depuis ce matin. Mais ce n'est pas ça qui les a plongé dans cet état de léthargie, c'est plutôt les nouvelles qui ont été diffusées toute la journée. Zelda se risque à jeter un œil à l'écran, où les mêmes images il semble, se répètent depuis une éternité : des monstres au regard vide qui se jettent au cou de gens paniqués. La confusion, l'agitation... La curiosité. Il y a un petit garçon, dans le reportage, qui s'approche d'une des silhouettes en lambeaux. La brune détourne les yeux.
« De Boring, c'est à côté de Portland. » Ils restent silencieux, acquiescent sans parler. Personne n'écoute vraiment personne, mais discuter constitue l'une des seules distractions à leur portée.
« J'ai dix-huit ans, j'suis en prépa sciences et tech... » La jeune fille grimace, tourne la tête vers ses comparses.
« J'sais pas quoi dire, j'ai pas genre la vie la plus intéressante du monde quoi... » « T'as réussi à contacter tes parents ? Parce que moi y'a pas moyen, tout est - » « Saturé. Puis les miens, ils sont divorcés, et mon père est à Vancouver en ce moment... Il m'appelait déjà pas avant, alors maintenant... » L'étudiante ramène ses genoux contre sa poitrine et soupire tandis qu'une petite moue désabusée s'imprime comme à l'encre indélébile sur son visage.
« J'ai pas essayé de l'appeler. On s'est pas parlé depuis trois mois, ça sert à quoi ? Mais ma mère... Le réseau est saturé, c'est tout. Mais ça va s'tasser, dans deux semaines personne se souviendra de ça, j'suis sûre. » Elle n'en est pas sûre, en fait : mais le dire aide à faire passer la peur. Les trois autres hochent la tête, encore. Le silence s'installe à nouveau, s'étire, laisse une impression de vide dans la pièce. On n'entend que les pas du garde qui longe le couloir. Jusqu'à ce qu'un bruit ne glace le sang de toute l'assemblée. Zelda, Valentine, Terrence, se reculent brusquement. La blonde couvre sa bouche, estomaquée. Une sorte de gémissement lui échappe. Elle est sur le point de pleurer avant même qu'on ne puisse adresser le problème : Gavin vient d'éternuer.
« T'es malade ?! » Le mec se recule à son tour, plus pour eux que pour lui. Le changement d'ambiance a été abrupte et il n'est plus sûr de ce dont les autres sont capables, tout à coup.
« C'est qu'un rhume, relax ! » il balance d'un air faussement nonchalant, dans son champ de vision une prom queen en pleurs et un gros nerd affolé. Mais le pire c'est pas eux, c'est la brune devant lui, la soudaine épiphanie dans son regard.
« Salle de bain, tout de suite. Si tu crois qu'on va te laisser nous filer la peste en nous éternuant dessus, tu te trompes mon gars. » (juin 2013, bordure du désert du Nevada) « On a une dizaine de trucs morts et cinq autres qui ressemblent à des morts, mais on est pas sûrs à cent pour cent. C'est des randonneurs, ils font un peu pitié. Over. » Les cinq pélots en cercle n'attendent pas longtemps avant que la tour de contrôle ne leur réponde. Ils scrutent les alentours, à l'affût du moindre mouvement, mais les premières perturbations sont bien loin devant.
« Une idée d'où ils descendent ? » commence Marcus, sa voix crépitante légèrement agacée.
« Genre t'es mort, et en plus tu vas te perdre dans le trou du cul du monde... Mais quelle vie de merde. Bref. Amusez-vous bien, faites gaffe, tout ça. Over. » Zelda jette un regard en arrière vers les garçons, ricane tandis qu'elle presse la touche pour répondre aux interrogations du collègue.
« On sait pas trop, avec les gars on pense qu'ils viennent du même endroit, un bâtiment qui a brûlé à une quinzaine de kilomètres mais on peut pas vérifier, c'est hors de portée. Préviens l'équipe de Gav pour le changement. Over and out. » Elle range le talkie-walkie dans la poche de sa ceinture et se tourne vers son équipe. Quel culot de les appeler ainsi, quel culot de faire semblant de les diriger.
Quelle classe. Elle est peut-être la plus expérimentée du lot, mais ça lui fait toujours bizarre, de donner des ordres. Heureusement pour elle, tout le monde sait ce qu'il doit faire.
« Bon. J'propose qu'on les prenne en épi, genre un à gauche, un à droite... Deux appâts, deux cogneurs- » commence la jeune femme en passant distraitement en revue ses outils.
« C'est mort j'fais pas l'appât ! C'était déjà moi la dernière fois, et la fois d'avant alors ça va bien cinq minutes mais moi j'veux cogner cette fois-ci, » l'interrompt sèchement le mec drôle mais quand même un peu chiant. Tout le monde lève les yeux au ciel, Zelda soupire lourdement.
« Mec tu fais chier, » la fille se moque avant de reprendre.
« J'te remplace, mais si tu me laisses en galère tu passes ramasseur avec l'équipe des tapettes, compris ? Bambi, ça va aller, le sauvetage ? T'as des bonnes jambes ? » Elle désigne la nouvelle recrue, un grand brun aux tâches de rousseurs et aux longs cils. Il hoche la tête, comme incapable de lui répondre. Elle s'ose à lui sourire, au risque de s'exposer aux railleries des trois autres enfoirés. Ils n'ont que le temps d'ouvrir leurs grandes bouches que la brune met déjà terme à la discussion.
« Nan, nan, vos gueules les mouettes, on s'met en poste et plus vite que ça. » Elle feint l'assurance de son mentor, et même si les garçons voient bien qu'elle n'a pas ça dans le sang, ils la suivent sans broncher. C'est temporaire, de toutes façons, le temps qu'Owen revienne en poste. S'il revient en poste. C'est l'information qu'elle se garde de leur partager.
« Et Jason j't'ai à l’œil. » elle lance sans se retourner à l'intention du cogneur occasionnel, avant de ne relever le col de sa veste. Tandis que leurs silhouettes prennent de la distance entre elles, Zelda vérifie sa tenue, confiante que tout le monde fait de même. Que sa nuque, ses poignets, ses chevilles sont bien couverts. Elle s'arrête une demie seconde et remonte les longues chaussettes qui font le lien entre les bords de son Levi's et le haut de ses bottines en cuir. Points stratégiques, comme chacun le sait. C'est Owen qui les lui a appris au début de l'épidémie, quand ils n'étaient encore qu'une poignée de chiens errants. Ça semble tellement loin, maintenant, les débuts. En partie parce qu'on s'y habitue. Zelda finit par jeter un regard à son homologue masculin, et signe le départ de l'opération. S'ensuit ce qu'il s'ensuit tous les jours ou presque depuis trois ans.
(février 2015, Salt Lake City, Utah) « On va fricoter avec les polygames ? » Le panneau Welcome to Salt Lake City se dresse devant eux, encore étrangement debout. La plupart des panneaux qu'ils ont rencontrés sur leur périple étaient déjà pliés, abîmés, tagués. Pas Salt Lake City.
« Encore une fois, c'est des mormons, pas des polygames. » Un grand sourire étire les zygomatiques de Zelda.
« Roh, ça va Gav, tu vas pas nous chier une pendule, c'est pratiquement la même chose, » elle balance en s'arrêtant à hauteur du panneau quand les troupes continuent d'avancer. Gavin, par habitude, reste à ses côtés, les yeux levés vers le ciel qui s'obscurcit petit à petit. Un long soupir lui échappe quand il interprète les intentions de la brune.
« Vraiment... » L'homme se pince l’arête du nez tandis que l'autre énergumène agite sa bombe de peinture, sortie d'une des dix-huit poches de son sac de rando :
MORMONS CAN EAT MY ASS. Elle part d'un rire très gamin avant de ne s'étouffer misérablement, les émanations de peinture la prenant par surprise.
« Bouffonne, va, » il fait en se moquant, sa main qui tapote entre les omoplates du lutin d'un mètre soixante-trois qui crache ses poumons. Il attend quelques minutes, que la toux lui passe,
« Ça va, remise de tes émotions ? On a encore une dizaine de kilomètres à faire avant d'arriver à la base donc garde tes forces, grosse débile. » Zelda hoche la tête et son gros sac à dos suit le mouvement. Gav se demande comment elle arrive à le trimbaler sans se plier en deux sous son poids, toute chétive qu'elle est, sans savoir que son bagage (aux dimensions hors normes, notons bien) est le dernier de ses soucis, les ampoules sous ses pieds étant bien moins supportables.
« Dix kilomètres ? Encore ? Mais ça faisait déjà dix kilomètres toute à l'heure... » la moue boudeuse, elle regarde devant et derrière elle les dizaines de voyageurs qui avancent sans broncher et les quelques voitures qui les distancent d'une sacrée trotte. Si elle avait eu plus de chances à pierre-feuille-ciseau, elle serait dans l'une d'elle à se faire balader à travers l'Utah plutôt qu'à supporter Gavin.
« Pourquoi on bouge tout le temps, hein ? On peut pas se construire une petite cabane dans la forêt et vivre de patates et d'eau fraîche ? » La main dans son dos remonte le long de la colonne vertébrale, se saisit doucement mais fermement de la nuque de la jeune femme et la pousse dans le droit chemin comme l'on s'amuse à le croire.
« Parce que tu te ferais chier, » répond le croque-mort.
« Nan, en fait, tu me ferais chier, » souffle-t-il après quelques secondes de réflexion, l'air tout fier. Ils récupèrent finalement une place dans le convoi qui marche en direction du Temple, avec l'espoir qu'aucun mormon vengeur n'y prie encore. Au premier groupe de rôdeur qu'ils croisent, chacun pose prudemment la main sur son arme - mais aucun mort ne leur prête beaucoup d'attention. Le souffle coupé, à la fois pour ne pas se faire remarquer, et pour ne pas respirer l'odeur fétide qui les embaume, ils avancent lentement mais sûrement vers le prochain point de repli. Ils auraient pu s'installer à mille autres endroits sur la route, ou même rester à Groom Lake et y bâtir une vie digne d'être vécue, mais aucun n'y sentait avoir sa place. (Pas qu'ils aient eu beaucoup de pouvoir décisionnel en cette matière, cela dit : Owen était le seul cerveau de l'opération.) Zelda, malgré les caprices et les plaintes, était heureuse de changer d'air. Pas d'aliens, pas de secrets d'état : elle avait été très déçue du manque de trouvailles dans le désert du Nevada.
(août 2017, quelque part dans la campagne, Arizona) « Putain il est lourd cet enfoiré... » A bout de bras, elle soulève le corps du macchabée sous le regard amusé de Gavin, plus qu'habitué à la tâche ingrate depuis qu'il a intégré le groupe des pillards.
« Va falloir faire des pompes, t'as autant de force dans les bras qu'un amputé. » Sept ans qu'ils se connaissent, et rien n'a vraiment changé depuis le premier jour. L'un d'eux lance toujours une pique, et l'autre y répond en roulant des yeux - tout en luttant contre l'envie d'éclater de rire. Souvent, ils n'y parviennent pas, trop pris dans leur jeu pour se prendre au sérieux.
« Oh ta g- » Un bruit sourd.
« Putain Gav, c'est de ta faute ! » La bouche ouverte, elle tend les mains vers le corps tombé à ses pieds, à quelques centimètres de la baignoire dans laquelle elle était censée le jeter. Impossible de savoir si la frustration est surjouée.
« Laisse faire le bonhomme et va chercher le bidon, » il soupire au bout d'une trentaine de secondes à regarder le visage faussement énervé, attendant sûrement que sa surface ne se craquelle et que la bonne humeur de Zelda ne réapparaisse. Quand le nuage passe, car il passe toujours, il chuchote à la brune qui passe si près de lui dans l'encadrement de la porte :
« J'l'ai laissé dans la cuisine. Ça va, tu maîtrises, la cuisine ? Tu m'ramènes un sandwich aussi ? » Un regard noir, et pourtant.
« J'te taperais bien mais tu peux pas te permettre de perdre davantage de neurones. » Il n'a pas le temps de répliquer qu'elle dévale déjà insouciamment les escaliers, rate presque la dernière marche, dérape dans le couloir, s'élance vers la cuisine dans l'idée de revenir aux côtés de son acolyte avant qu'il ne puisse se moquer une énième fois de sa lenteur... Elle va tellement vite, Zelda, qu'elle pousse un cri quand elle croise le regard d'une silhouette dans l'entrée.
« M-Marcus ? » Elle met la main devant sa bouche, de peur qu'un autre cri ne s'en échappe, ou parce qu'elle ne veut pas qu'on voit qu'elle ne saurait pas sortir un autre mot si l'envie lui prenait. L'éclaireur est couvert de sang quand il tangue sur ses pieds, incapable de rester droit dans ses bottes, comme une marionnette à qui on a coupé les fils. C'est ce qu'on lui a fait, plus ou moins métaphoriquement.
« Il se passe quoi ici... ? » Gavin vient de descendre, et il découvre la scène sans comprendre tandis qu'il s'essuie les mains dans un vieux chiffon.
« C'est Owen, c'est fini. Il est mort. » Il a ce regard triste, désespéré, vide. Prêt à tomber à genoux. Zelda se précipite pour le rattraper.
« Non, non, comment ça c'est fini ? Il lui restait du temps, il lui restait plein de temps ! » Sa voix oscille entre le gémissement et le chuchotement, et son cœur s'emballe. Le regard qui n'arrive pas à s'accrocher à celui de Marcus tombe sur l'étendue poisseuse, et se remplit de larmes. Quelque chose en elle se fracture.
« Mais non... » Il y a cette petite plainte, comme une douleur qui meurt dans sa gorge. Gavin passe une main sur son visage et soupire un peu trop bruyamment pour le contexte.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » L'éclaireur se redresse à peine, à bout de forces. Il a cet air de celui qui est sur le point de mourir - de celui qui sait qu'il n'en réchappera pas. Gavin a déjà la main sur la crosse de son arme avant qu'il ne daigne émettre le moindre son.
« Il est mort, c'est tout. » Sa voix, grelottante comme le reste de son corps, semble désolée, l'est encore plus lorsque son regard angoissé tombe sur la main menaçante.
« Et après il s'est relevé... » Le courant d'air qui fait claquer les poumons de Zelda lui parait aussi douloureux que sa première inspiration sur Terre.
« On est quatre à avoir été mordus. » C'est la première fois qu'il parle et que Zelda comprend distinctement, mais ça n'aide pas. Les respirations de la brune s'accélèrent, comme si tout à coup une fuite dans sa cage thoracique faisait partir tout l'oxygène. Elle se recule, bascule, tombe. La violence de la chute ne fait qu'encourager la détresse. Elle a l'impression qu'elle ne respirera plus jamais. Owen disparu, l'un de ses meilleurs amis mordu. Elle ne sait pas qui sont les trois autres, préférerait ne pas imaginer, mais dans sa tête les visages défilent. Lui donnent le tournis. Heureusement qu'elle est à terre, elle n'pourrait pas supporter de tomber plus bas. Elle n'entend pas la suite de l'échange, ni le coup de feu qui part comme un traître. Elle ne sent pas les bras de Gavin l'étreindre, ou la soulever du sol. Elle ne se souvient pratiquement de rien quand elle se réveille dans son sac de couchage, sans lui.
(mars 2018, une cinquantaine de kilomètres d'Austin, Texas) Ils sont moins, maintenant. Divisés par la perte d'Owen. Divisés par tout ce qu'il s'est passé après : les bagarres, les accusations, les tentatives de prise de pouvoir. Par ancienneté, la place de leader devait revenir à Gavin ou à Zelda, les anciens élèves d'Owen, et aucun d'entre eux n'en avait voulu.
« J'aurais pas pu. Mais toi tu aurais pu. » Il y a un peu de sérieux dans la discussion, mais Gavin le balaie tout de suite d'un geste de la main.
« Moi, à la tête du groupe ? Tu rêves, j'aurais dû faire le gars sérieux et qui sait tout le temps ce qu'il fait... » La brune, allongée dans la tente, vient se mettre sur le ventre dans un bruissement de tissus synthétiques. Son regard plonge dans celui de Gavin. Pour toutes les fois où elle l'a regardé dans les yeux, elle sait comment interpréter la lueur qui y brille. Elle ne dit rien, fronce juste les sourcils, et attend qu'il ne vide son sac.
« J'avais pas envie d'être responsable, si quelque chose t- nous arrivait. » Les sourcils se haussent, cette fois, et Zelda hoche la tête. Elle non plus, elle n'aurait pas supporté être responsable de la survie des autres. Elle avait déjà assez de mal à assumer lorsqu'elle était responsable de la mort de quelqu'un d'autre.
« Tu regrettes des trucs, d'avant ? » La question semble sortie de nulle part, et elle prend même un peu de cours la jeune femme.
« Avant avant ? » Ils ont vécu tellement de choses tous les deux, qu'un avant lui semble un peu trop loin.
« Ouais, si tu veux. » Elle finit par sourire doucement, se laisse gagner par la nostalgie d'une époque si lointaine qu'elle lui semble irréelle.
« La télé, Pizza Hut et... » La famille qu'elle a laissé derrière ne lui manque pas : un père absent, une mère débordée, des demis frères et sœurs avec qui elle n'a jamais réussi à avoir une conversation de plus de cinq mille signes. Une maison vide, un jardin sans plantes dans lequel on avait planté une balançoire quand elle était déjà trop grande pour s'asseoir dessus. Une dette étudiante qui promettait déjà d'être exorbitante.
« Wikipédia. Bordel ce que Wikipédia me manque. » Elle rit sans se rendre compte de la gravité (ou de la tristesse) de son existence.
« Aller, faut qu'on dorme. Grosse journée demain. » La brune tapote l'épaule de son collègue, un peu trop amicale à son goût - un peu trop distante pour la proximité à laquelle il s'est habitué malgré lui.
« Bonne nuit. » Il serre les dents, l'impression d'avoir laissé quelque chose lui glisser entre les doigts ; elle se retourne. Le lendemain, l'opération se déroule comme prévu à peu de choses près. Une bombe artisanale éclate une trentaine de rôdeurs dans un centre commercial. Le sol se dérobe sous leurs pieds dans un vacarme tout de même redouté, mais contrôlé. Et là, alors ils n'avaient plus qu'à se laver les mains et rentrer chez eux, là, après le plus gros du sale boulot, le plan est parti en couilles.
(novembre 2018, Hamilton's Quarry, Texas) Elle prend racines à la Carrière après huit ans passés dans un verre d'eau. Elle empile dans sa tente tous les trucs qu'elle a pendant des années rêvé de pouvoir trimbaler dans son sac à dos... Elle côtoie les gens qu'elle n'aurait qu'observé de loin de peur de se mettre en danger. Elle les côtoie de tellement près, maintenant, qu'elle en a appris leurs noms :
« Oh eh duconne, j'descends en ville demain, tu veux un truc ? » la jeune femme balance après avoir toqué à la planche en bois qui fait office de porte. Il n'y a qu'un grognement incompréhensible pour lui répondre.
« Reçu cinq sur cinq. Toujours un plaisir de causer avec toi, » s'amuse la brune en enfouissant ses mains grises dans la poche de son vêtement. Elle part slalomer entre les habitations et les îlots de vie de Plovers, le regard voguant aux occupations de ses voisins. Elle fait même signe à certains, amusée qu'en quelques mois on la reconnaisse déjà. Il faut dire, elle a une dégaine particulière, avec sa salopette de travail trop grande pour elle et sa ceinture à outils pleine à craquer, et sans doute une manière d'être encore plus singulière car certains l'ignorent royalement quand elle leur fait les
finger guns comme le plus cool des cool dads de la région. Elle arrive à l'endroit où Plovers s'arrête et où les carcasses de voitures commencent : Zelda prend une grande inspiration, un grand sourire sur son visage froissé par les plis de son oreiller. La vie semble si simple à la Carrière : elle fait ce qu'elle veut, où elle veut, quand elle veut. Disparaît des semaines entières, revient bricoler quelques babioles à échanger au marché... Elle a cherché Gavin, quelques temps. Elle le cherche encore, sans s'en rendre compte, quand la foule l'entoure. L'arrière de sa tête, les longues mèches brunes qui commencent à boucler, sa nuque, le col de sa chemise qu'il n'sait jamais bien plier... Elle n'a pas perdu espoir, c'est juste qu'elle ne se fatigue plus. La vie est plus simple à la Carrière, et elle est plus simple encore quand on ne court pas après ses fantômes.
« T'as l'air de bonne humeur aujourd'hui, y'a quoi ? » Une voix un peu lointaine lui demande. Zel se tourne vers sa source les yeux plissés, incapable d'en discerner les traits.
« Occupe-toi de tes oignons dipshit, » son sourire n'a pas disparu.
« J'sens juste qu'aujourd'hui va être une bonne journée, » déclare la bricoleuse en resserrant les pressions à l'arrière de sa casquette ; puis, elle étire ses bras devant le soleil qui se lève, inspire calmement et profite du moment. L'air est doux, doux pour le Texas, et malgré le campement qui s'éveille, tout est calme. Le pépiement des oiseaux n'est pas encore tout à fait recouvert par les bruits de vie des coins environnants. Les rayons caressent distraitement les joues un peu pâlottes mais étirées de la jeune femme... Au même moment, une explosion retentit.
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Et ceux d'avant étaient trop rouges 
( système de croyances débiles : je kiffe ) 
!
