(XXIII) everything will be alright + abel

Silas lui manquait. Cela faisait des années que le gamin ne quittait plus le ranch, en dehors de quelques rares exceptions, et ce mois passé sans la présence familière de l’enfant entre les murs de la baraque familiale ou dans les alentours du campement avec son clébard en guise d’éternel compagnon lui avait paru terriblement long. Même si Olympia n’était pas si loin du Ranch, Abel ne pouvait pas se permettre d’y passer trop souvent ; il avait des obligations, des assiettes cassées à recoller après ces derniers mois de dérive et un trop grand absentéisme de sa part en ses propres terres n’aurait fait qu’encourager ceux qui voulaient le voir tomber – lui soufflait sa paranoïa à l’oreille.
Et même quand il passait, ce n’était pas pareil. Ils n’étaient pas chez eux. Et le gosse était malade. Abel ne pouvait pas, l’espace de quelques heures, prétendre que tout allait bien et l’emmener dehors pour poursuivre son apprentissage de la chasse ni l’engueuler parce que Gaïa avait encore fait une connerie sous la négligence de son jeune maître. Il ne pouvait pas prétendre ne pas remarquer que toutes ses craintes s’avéraient fondées et que le vaccin n’avait pas l’effet escompté sur l’organisme de Silas. Ce dernier, toutefois, faisait montre d’une force d’esprit à toute épreuve, loin de se laisser abattre par la nouvelle alors qu’il savait pertinemment qu’il n’avait cette fois pas simplement attrapé un mauvais rhume dont les semaines allaient le guérir. Alors avec lui, le cavalier s’appliquait soigneusement à ravaler jusqu’aux dernières traces de son inquiétude afin de lui refléter ce même optimisme, cette même énergie, et de savourer au maximum le peu de temps qu’il pouvait se permettre de passer avec lui.

C’est quand l’attention de l’enfant se détourna de lui qu’Abel accorda son intérêt à la personne qui venait de rentrer dans l’infirmerie. Sans dire un mot, se contentant simplement de visser son regard clair à la nouvelle venue, il resta en retrait de la brève conversation qui s’établit instantanément entre son fils et Peyton et ne se leva pour la suivre que lorsqu’elle l’apostropha, abandonnant Silas après lui avoir ébouriffé la tignasse d’une main. Machinalement, l’expression de son visage se remodela dès lors que les deux quittèrent la pièce, l’air bienveillant déserta ses traits au profit de quelque chose de plus austère, certainement moins chaleureux et beaucoup plus proche du masque qu’il réservait à la plupart. S’ajoutaient à ça la fatigue constante de ces derniers temps, et la mine d’ores et déjà rallongée par les mauvaises nouvelles qu’il pressentait d’avance et qui, effectivement, ne tardèrent pas avant d'arriver. « C’est bien ce que je craignais. » Le dépit discernable au fond de la voix, pas dirigé contre elle non mais plutôt à l’encontre de la fatalité qui semblait avoir décidé de s’acharner sur lui, sur eux. Au fond de lui, l’angoisse sourde de ne jamais voir le gamin se rétablir complètement referma un peu plus ses serres noires autour de sa poitrine. Il avait désespérément besoin d’un petit morceau d’espoir auquel s’accrocher concernant son fils. Celui qui, des deux, pouvait encore conserver le droit à la survie. « Tu as une idée ? Je t’ai déjà dit que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour lui, peu importe ce que ça implique. C’est toujours d’actualité. Mais, il ne peut pas rester éternellement ici. » Pas plus qu’il ne pouvait rentrer définitivement au ranch alors qu’il avait clairement besoin d’être suivi de près. Les effets du vaccin étaient si peu efficaces, que le leader des cavaliers n’était certainement pas prêt de prendre ce risque là. « Il n’a pas besoin d’être sous supervision constante, non ? » Après tout, il n’était pas mourant ou handicapé… non, il nourrissait juste en son organisme un virus dont on ignorait encore les effets finaux et qui était susceptible de prendre le dessus à n’importe quel moment.
Un soupir lui échappa, tandis qu’il s’adossait contre le mur, bras croisés contre sa poitrine. Dire qu’il y avait eu des gens pour croire à ce ramassis de merde concernant le virus Lazarus. Dire que ces connards les avaient utilisés comme cobayes sans le moindre état d’âme en lançant une contamination hasardeuse à travers leur alimentation. A l’époque, Abel ne s’en était soucié que de loin, avait accepté que ses cavaliers aillent enquêter par principe, en l’honneur d’un résidu d’espoir que Lazare et ses sbires ne soient pas qu’un mirage. A présent, après l'épisode de Stonebriar et après le virus invité sous son toit, il donnerait cher pour leur mettre la main au col et s’occuper de leur faire ravaler leurs conneries une par une, le plus douloureusement possible. « Vous avez déjà des pistes pour repenser la formule du vaccin ? » Il se garda bien d’aborder Elie, mais le prénom de la bambine était dans sa bouche, et l’ironie voulait qu’Abel soit tout à fait prêt à mettre au pilori un gamin si cela pouvait sauver le sien à la place.

Spoiler:

L’idée d’une garde alternée de l’enfant réveillait en lui sa paranoïa, jamais bien loin de son état d’esprit quand il s’agissait de s’entretenir à propos d’un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur – Silas, en l’occurrence. Deux semaines… Tant de choses pouvaient arriver, durant ce laps de temps. Laisser le mioche durant aussi longtemps pendant la période de test lui avait déjà été une épreuve extrêmement difficile, alors réitérer le geste aussi régulièrement était loin de lui plaire. Il avait besoin de la présence de son fils à ses côtés, ou du moins de savoir que ce dernier n’était jamais bien loin. Il avait besoin d’être sûr que si quoi que ce soit lui arrivait, il pourrait être à ses côtés en un rien du temps. Sauf qu’aucun de ces désirs n’entraient en compte si la survie de l’enfant était en jeu. Et malgré les nombreux différends qui l’avaient opposé à Peyton, il faisait encore suffisamment confiance en cette dernière pour croire qu’elle ne lui proposerait pas ça s’il existait une autre alternative moins contraignante. Pour lui comme pour elle, d’ailleurs…  Il se doutait bien que devoir prendre en charge la progéniture Rhodes n’était pas forcément vécu comme une partie de plaisir pour Peyton. « Très bien, il acquiesça à contrecœur, la réticence au bord des lèvres. Mais je veux être prévenu dans l’instant au moindre problème, à la plus petite anormalité. » Formulé différemment, cela pouvait sonner comme quelque chose dans ce genre : si mon fils doit mourir, je veux être à ses côtés. Mais il ne prononcerait pas ces mots, jamais, se refusant à leur éventualité. Pas après tout ce qu’il avait fallu traverser après Isaac. Au moins Silas avait-il l’air à l’aise ici, s’il en croyait les dires de son interlocutrice et ce qu’il avait pu saisir de leur bref échange tout à l’heure.

Peut-être. Il n’y avait guère plus que ces deux mots auxquels se raccrocher, deux mots et la science qu’Olympia était encore capable de produire même après tout ce temps et avec un personnel tout aussi réduit que le matériel à disposition. Peut-être, cela ouvrait beaucoup de porte. Cela pouvait être le début d’une solution ou la fin d’un espoir. C’étaient toutes ses craintes et ses rêves réunis dans une poignée de syllabes. Mais, dans l’immédiat, c’était tout ce qu’il demandait. « Le Kansas, ce n’est pas exactement la porte d’à côté, Abel lui fit remarquer, soulignant par là-même une évidence qu’elle n’ignorait certainement pas. De quel labo on parle, ici ? Il n’y a rien plus proche qui puisse te donner ce dont tu as besoin ? » Sa réticence était pleinement justifiée face à la distance à parcourir, mais il s’était engagé à n’importe quoi et ne reviendrait pas sur ses propos. Si elle se décidait à monter cette expédition et requérir son aide, il n’aurait d’autre choix que de s’y plier. « A pied, ça représente plusieurs semaines de voyage, au bas mot et en ligne droite. » C’est-à-dire, ce que personne ne pouvait faire à moins de traverser nombre de villes infestées sans redouter le moindre incident. Et on ne parlait même pas, ici, des autres groupes de survivants plus ou moins vindicatifs, des problèmes propres à la météo, des vivres qu’ils devraient trouver sur le trajet et de tout un tas d’autres incidents susceptibles de ralentir un trajet. « En voiture, il faudra prévoir le carburant, les éventuelles pannes, et la convoitise que ça suscitera forcément au passage des raiders. Plus rapide, mais beaucoup plus dangereux. » Alors, le jeu en valait-il la chandelle ? Pas si sûr…  « Tu es certaine que l’endroit n’a pas déjà été pillé ? » C’était sûrement ça, le pire. Monter toute une expédition sur pied, arriver à bon port sans problème pour n’y rien trouver, et repartir les mains vides et le poison de l’échec dans toutes les caboches.

Abel avait exposé ses réticences, c’était désormais au tour de Peyton de jouer ses cartes. Elle aurait pu, bien sûr, simplement se contenter de réaffirmer la dette qu’il avait contractée à son égard et qui le liait à elle bon gré mal gré, mais c’était ici typiquement quelque chose qu’il aurait fait, lui. L’olympienne, en revanche, avait de quoi le faire réfléchir, effacer quelque peu la moue dubitative qu’il affichait sur ses traits. Silencieux tout du long, le cavalier se contenta d’écouter, buvant toutes les informations tandis que son regard la sondait sans relâche, comme s’il cherchait à déterminer un potentiel recel d’informations de la part de son interlocutrice. Finalement, il opina du chef tandis qu’elle lui proposait les notes de son éclaireur, abdiquant sans rajouter un mot face à une argumentation tenant la route. Se séparer de quelques-uns de ses raiders pour une durée indéterminée et à l’issue de laquelle il n’aurait rien de tangible à gagner ne le mettait pas en joie mais, Silas ? S’il y avait une chance, la plus infime, que cela soit susceptible d’apporter au garçon ce dont il avait besoin pour survivre…

« Je sais. » Il ne commenta pas davantage, l’esprit préoccupé déjà par une poignée de calculs quant à l’organisation qu’il allait lui falloir repenser. Et puis, il la savait sincère, n’avait rien besoin de plus dans l’immédiat. Juste la certitude qu’elle ne cherchait pas à l’entourlouper pour enrôler les hommes qu’il lui prêterait dans une quête toute autre que celle concernant l’avenir de ton fils. « Combien d’hommes tu veux ? Et disponibles pour quand ? » Conscient des tensions qui existaient entre les deux clans, conscient qu’il ne pouvait pas simplement détacher les raiders qu’il avait de disponibles sans être d’abord sûr qu’ils n’étaient pas de ceux qui allaient jouer les fauteurs de troubles. En fonction de sa réponse, il lui faudrait donc probablement réassigner certains de ses hommes, peut-être même annuler certains projets – au moins de manière temporaire, afin que le manque d’effectif ne devienne pas un handicap pour les missions qu’il projetait sur les mois à venir. Sans compter les imprévus, qu’il fallait toujours prendre en compte dans l’équation. Oh, certes, il se doutait bien qu’elle n’allait pas lui demander de lui dépêcher une armée mais quand bien même… ce n’était pas exactement quelque chose qu’il pouvait prendre à la légère. « Je veux participer à la mise en place de l’expédition, il ajouta de but en blanc, bras croisés et l’air très sûr de lui. J’ai plus d’expérience que toi là-dedans. » Et de toute évidence un culot monstre pour lui affirmer ça dans le blanc des yeux, alors qu’il n’avait certainement pas le droit d’exiger quoi que ce soit compte tenu de la position dans laquelle il se trouvait vis-à-vis de Peyton. Pour autant, se comporter comme tel ne semblait pas le déranger le moins du monde. « Et je refuse d’envoyer mes hommes quelques part sans la moindre idée de ce qui y est prévu. » Sauf que si elle lui riait au nez, il pourrait bien tempêter tout ce qu’il pouvait qu’il serait bien obligé de plier les genoux à la fin. Il le savait. Elle le savait. Et même s’il semblait vouloir prétendre l’inverse, il n’en restait pas moins que les deux leaders n’étaient pas sur un pied d’égalité dans cette histoire.