for better tomorrows (jennallie)

Non elle n'avait pas mûri sa décision d'aller rendre visite à Jenna Rhodes sur ses terres. Elle en avait brièvement touché deux mots à Anita, prétextant qu'il serait bon de resserrer les liens, qu'une petite mission de diplomatie ne ferait pas de mal. Et puis Billie était la mieux placée pour y aller, elle qui a des antécédents avec la famille. Ce serait dommage qu'Abel Rhodes oublient leur arrangement alors bien sûr la leader de la Mine a accepté. Sous conditions. Et voilà Billie qui s'en va accompagnée de Benny. Elle grogne en entrant dans la jeep côté passager, bras croisés dans une position fermée, les yeux rivés sur le ciel d'où le soleil pointait timidement le bout de ses rayons. Tout était encore calme à la Mine et à la Carrière. Simplement équipé de ses armes habituels, ses couteaux et son Beretta, rien de plus, rien pour l'encombrer. Elle n'est pas là pour une mission d'assassinat quelconque, ni pour tirer dans un tas de morts. Elle n'a pas réfléchi en quittant la sécurité de la Mine, en s'aventurant sur cette route qu'elle connaît par cœur. Elle a besoin de grand air, de se retrouver. Et peut-être de s'égarer aussi. Benny n'essaie pas de lui faire la conversation, bien conscient qu'elle comptait être seule dans sa petite escapade et qu'il est un obstacle. Il conduit, s'engage sur cette route qu'elle connaît par cœur. Cette fois, le véhicule cahote tranquillement, bien loin du rythme effréné qu'elle avait pris lorsque Jenna souffrait de contractions incontrôlable, son petit bien décidé à découvrir le monde. Aujourd'hui, elle a tout son temps, pas d'impératifs, personne qui l'attends. Elle n'est même pas sûre de vouloir aller jusqu'au bout. Peut-être qu'au détour d'une route, quelque chose attirait son regard, qu'elle se détournerait pour finalement rentrer, retourner à son point de départ. Peut-être qu'elle laisserait Benny aller jusqu'au bout, mener la ridicule mission à son bien. Mais au fond, Billie a envie d'arriver à destination, de voir le ranch se profiler à l'horizon, approcher du camp et de ses tours de guet. Plus qu'une envie, presque un besoin. Depuis son expérience de semi-mort suite à sa brillante idée d'être vaccinée par des fanatiques, elle ressent le besoin pressant de retrouver son passé, de boucler la boucle. Elle doit faire taire ses vieux démons, mettre tout à plat, oublier les rancœurs et effacer le passé. A supposer que ce soit possible, chose à laquelle elle ne croit clairement pas. Le passé c'est ce qu'il la façonne, fait qu'elle avance encore sur ses deux jambes. Le passé c'est ce qui la conduit jusqu'au ranch aujourd'hui. Elle doit savoir comment se porte Jenna et son petit, concentre toutes ses pensées sur ces deux êtres et sur cette drôle de journée qui a conduit à la naissance du mini Rhodes. Elle a bien essayé d'oublier, de reléguer ça dans un coin de sa tête, consciente du parasite que ça représente. Consciente qu'elle pourrait risquer sa vie à trop y penser, à trop se perdre. Et puis, finalement, la route l'a appelé. Elle a accepté, s'est équipé et est partie. Tout simplement. Sans se poser plus de questions.

Impossible d'approcher en toute discrétion. Arrêté par des gardes, Benny et Billie descendent docilement de leur véhicule, accepte d'être fouillé avant de passer les portes du domaine. Elle siffle entre ses dents, déteste Abel et sa foutue paranoïa qui l'oblige à laisser ses armes derrière elle. Non pas qu'elle s'attend à une quelconque attaque de la part des Riders. Quoique. On ne sait jamais. Mais la vérité c'est que de nos jours, se balader sans armes n'est pas très conseillé. Et Billie, plus que n'importe qui, déteste ça. Devant ses yeux, la large demeure des Rhodes se profilent et dans sa tête défile de vieux souvenirs. Des bons et des mauvais. Le dernier étant un étrange mélange. A nouveau stoppé, elle n'a même pas le temps de poser un pied sur la première marche du perron. Voilà qu'on les fouille encore. La paranoïa ne connaît pas de limites. Elle grogne, agacée par cette mauvaise plaisanterie. « Jenna est là ? » Qu'elle demande à l'homme qui lui fait face. Abel ne l'intéresse pas. Il n'est qu'un prétexte et si elle peut éviter de voir sa tronche ce sera tout aussi bien. L'autre hausse des épaules et on les conduit finalement à l'intérieur. Ls oreilles de Billie perçoivent du mouvement dans les escaliers et des gazouillements. Ce n'est pas Abel qui descend les rejoindre. Pas encore.

Benny n'est pas particulièrement enjoué à l'idée que Billie soit venu pour parler chiffons. Il suffit de le regarder pour comprendre : les bras croisés, le visage fermé. Il garde le silence, certain qu'Abel descend les rejoindre et qu'il pourra enfin parler business. Raté ! C'est le doux visage de Jenna qui apparaît, les bras encombrés de sa petite fille, tout sourire. Une petite fille. La ressemblance est indéniable et voir ce petit être humain réchauffe le cœur de Billie. Elle avait voulu venir s'assurer que tout allait bien pour Jenna et son petit. C'était le cas. Elle pouvait repartir le cœur léger. Et Benny aussi puisqu'Abel n'était pas là. Son co-équipier du jour jura dans sa barbe, visiblement agacé d'avoir fait ce trajet pour rien. Il est loin le temps où un simple SMS permettait de déterminer si on se bougeait les fesses ou non. « Non, non aucun problème. T'en fais pas. » Que le chef du ranch ne soit pas là ça l'arrange. Au moins, elle pourra profiter d'un moment de paix avec Jenna. Au moins elle n'aura pas à subir la mauvaise humeur d'Abel. Benny fini par perdre patience. « Je rentre alors. Tu fais quoi Trager ? » Le regard rivésur le bébé dont les grands yeux l'observent en retour, elle laisse les secondes s'écouler, comme si le temps n'était finalement rien. Comme si elle avait tout le temps du monde devant elle, que personne n'attendait rien de sa personne. Elle ferme les yeux, soupirant, sentant la crispation de Benny s'accentuer. « Je me débrouillerais pour rentrer. » L'autre ne perd pas de temps, quitte déjà la pièce, bien décidé à ne pas perdre une minute de plus. « Enfin, si tu es d'accord pour que je reste un peu, pour parler. » Parler. Ça n'est plus vraiment son fort depuis quelques années. A croire que l'apocalypse lui a fait perdre cette faculté toute simple. Elle a l'air gauche, ne sait jamais trop quoi dire, les banalités étant devenues encore plus ridicules qu'avant, comme déplacées. Elle restait bêtement là, debout dans l'entrée, le regard vissé sur cette nouvelle vie qui gigote entre les bras de sa mère. « Je voulais m'assurer que tout allait bien pour toi. Enfin, pour vous. » Tentative ridicule d'installer un semblant de conversation, de rétablir une confiance depuis longtemps perdu. Rien ne lui donne le droit de débarquer ici en prétextant vouloir des nouvelles, voir de ses yeux le petit miracle de Jenna. Rien, sauf peut-être le fait que c'est aussi un peu grâce à elle que Jenna a pu accoucher en sécurité au ranch. « Elle te ressemble. » Le constat lui vient du fond du cœur, avec une voix attendrie par ces grands yeux malicieux qui l'observent. Billie décide, en une fraction de secondes, de s'attarder. Elle peut bien prendre un peu de temps pour rendre visite à... à qui au juste ? Plus amie, pas vraiment ennemie, pas des étrangères non plus. Elle ne sait pas comment qualifier sa relation avec Jenna tant celle-ci est passée par toutes les étapes possibles. Il y a eu autant de hauts et que de bas, autant de silences que de cris. Autant de confiance que de trahison. Peut-être sont-elles finalement arrivées au bout du tableau ? Fin de la course. Il est temps de tourner la page, d'écrire une nouvelle histoire.

C'est étrange et presque inconcevable de se retrouver à discuter tranquillement à l'intérieur de la maison des Rhodes. Dans leurs jeunes années, on ne peut pas franchement dire que Billie ait été la bienvenue ici. Le plus souvent, elle évitait de trop traîner dans le coin afin de ne pas créer de nouveaux conflits entre les deux familles. L'amitié qui existait entre elle et Jenna faisait assez jaser sans que les deux jeunes filles n'en rajoute une couche. Et si les aînées, leurs grands-parents et parents avaient disparus, il n'en demeurait pas moins étrange d'être debout dans le hall en compagnie de Jenna. Leur belle amitié s'était largement ternie, transformée en une animosité à la limite de la haine. Tout ça à cause d'un acte isolé, d'une erreur malheureuse, de quelques mots mal placés. Peut-être aussi à cause de l'influence malfaisante d'une tiers personne qui avait tout intérêt à garder Billie loin de Jenna. Ce temps est désormais révolu et les deux jeunes femmes font chacune un pas l'une vers l'autre, allant finalement dans la même direction. Il n'y avait plus grand intérêt à se mener une guerre d'adolescentes quand les relations humaines étaient devenues aussi compliquées. Aucun intérêt non plus à perdre les quelques rares amis qu'on avait un jour eu. Elles avaient grandi, évolué même. Il était grand temps de ranger au placard les vielles rancœurs d'hier. Temps d'avancer, de regarder droit devant.

Suivant Jenna jusque dans la cuisine, elle se surprend à encore connaître les recoins de la maison, se souvient de certains vieux meubles et des photos de famille qui y traînent. Envahie par un sentiment de nostalgie plus qu'agréable, Billie inspire profondément, se sentant finalement presque chez elle dans une maison qui lui a toujours semblait inhospitalière. C'est peut-être dû à la présence de Jenna, souriante, accueillante, mais aussi à la petite qu'elle porte dans ses bras et qui semble apprécier la présence de Billie. Un petit rire lui échappe tandis que l'image de Gollum s'insinue dans son esprit. « Je t'assure, elle n'a rien d'un Gollum ! Au contraire, elle est adorable. » Jenna étant une belle femme, ça n'a rien de bien étonnant. Même sans connaître l'identité du père, secret de polichinelle bien gardé, on ne peut pas nier la beauté de l'enfant. Si même Caden ignore l'identité du père, Billie n'a aucune chance. Il est peu probable que Jenna s'ouvre à elle sur ce secret, leur nouvelle relation balbutiant en ce moment même. Elle ne pose aucune question, bien consciente que sa place n'est pas là. Elle n'a d'ailleurs aucun avis à avoir sur le sujet. Quoiqu'un peu curieuse, Billie ne pressera pas Jenna à tout lui raconter si elle n'en n'a pas envie. Elle s'est suffisamment imposée pour aujourd'hui. Et quand Jenna lui propose de prendre la petite dans ses bras, Billie a soudainement plutôt envie de fuir, de retourner sous terre. Pas le temps de protester ou de reculer, le bébé est déjà entre ses mains et elle doit en prendre soin. Son regard tombe sur son visage et Billie ne peut pas s'empêcher de sourire. « C'est... étrange ! » Elle n'arrive pas à se souvenir de la dernière fois qu'elle a porté un bébé, comme si cela ne s'était finalement jamais produit. « Mais c'est formidable. » qu'elle s'empresse d'ajouter, soucieuse de ne pas vexer Jenna. « Comment est-ce qu'elle s'appelle ? » Détail pas si insignifiant finalement. Elle ne va pas l'appeler bébé éternellement, encore mois petit miracle. Quoique ça sonne plutôt bien dans la tête de Billie. Cet enfant, comme tous ceux nés dans ce chaos, sont de vrais petits miraculés, de précieuses vies à protéger à tout prix.

Tenir dans ses bras ce petit être fragile, c'est une grande bouffée d'oxygène pour Billie. Une forme de renaissance inattendue. Un espoir qui fait à nouveau battre son cœur quand elle croyait ne plus en avoir. Si elle devait être honnête, ça fait bien longtemps que la route de Billie n'a pas croisé celle d'un enfant. C'était bien avant l'apocalypse et la levée des morts. Ses fréquentations d'avant la fin du monde se résumait à ses parents et ses compagnons d'infortune dans les Marines. Autant dire que les enfants étaient une denrée rare. Elle n'avait jamais osé s'imaginer maman, cette image ayant été trop longtemps associée à celle de Noah. Des enfants, elle en avait sans doute voulu à un moment joyeux de sa vie. Un moment trop vite passé, effacé. Un moment trop douloureux qu'elle refoule loin au fond de sa tête. Finalement, l'idée d'avoir un jour une famille à elle lui était passé et elle s'était concentrée sur son job. Sauver des vies c'est tout ce qu'elle savait faire. Bien loin de donner la vie, Billie préfère offrir cette chance à d'autres. Voir Jenna accomplir ce petit miracle, c'est pour elle une source de joie suffisante. Jenna ferait une parfaite mère, elle l'avait toujours su. Peut-être parce que sa propre mère n'avait jamais été là pour la petite Jenna. « Ouais, c'est pas vraiment la priorité de Jones. C'est sûrement mieux comme ça. » La Mine n'est pas un endroit convenable pour grandir. L'évolution y est limité et aujourd'hui plus que jamais Billie en ressentait les limites. Mais tout ça ne regardait pas Jenna et Billie refusait de laisser ses sombres pensées peser sur ce moment de quiétude. Les deux jeunes femmes échangent un bref regard complice, réminiscence du passé, souvenirs douloureux mêlés à quelques sonorités riantes. Elle approuve d'un sourire avant de s'adresser directement à la petite fille. « Bonjour Lou, moi c'est Billie. » Tata Billie si les circonstances changent un jour. Si l'eau se décide enfin à quitter le dessous du pont, à rejoindre l'océan. L'eau qui traînait sous le pont qui lié Jenna et sa mère avait dû finalement s'écouler. Difficile à dire pour Billie qui se souvenait de Louise Rhodes comme d'une femme infecte. Une des nombreuses raisons qui conduisaient Jenna jusqu'à la maison des Trager.

Le silence s'installant finalement entre elles, à peine perturbées par les gazouillements de Lou, chacune des jeunes femmes se concentrent sur autre chose, finalement pas si prêtes à faire des pas l'une vers l'autre. Pourtant, la petite Lou agirait presque comme un médiateur naturel. Et finalement, alors que Billie se surprends à gagatiser gentiment avec la petite, le silence est rompu, la pierre lancée. Elle retient sa respiration quelques secondes avant d'exhaler bruyamment. Cette confession, Billie l'avait attendu durant de longues années. Elle s'était imaginée mille scénarios sur ce jour et sur ce qui avait pu suivre. Aujourd'hui, elle ne sait pas si elle en a sincèrement voulu à Jenna. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'éprouve plus la moindre haine envers la jeune maman. Regard à nouveau posé sur son amie, elle attend la suite, écoute avec attention les mots qu'elle avait cru ne jamais entendre. Alors c'était ça la vérité ? C'était ce mensonge que Cirilla avait donné à Jenna ? C'était avec ça qu'elle l'avait nourrie durant toutes ces années jusqu'à ce qu'enfin le destin frappe et fasse justice. Cirilla n'était plus et pourtant elle avait réussi son coup, continuant depuis l'au-delà à se mettre entre deux amies. Deux sœurs. « J'ai perdu connaissance suite à son coup. » Elle aurait pu mourir. Peut-être aurait-elle dû mourir ce jour là. La voix est dure, presque froide. Pourtant, il y pointe quelques notes de tristesse, une blessure jamais tout à fait remise. « Elle n'avait pas tout à fait tord. Avec tous les rôdeurs autour, j'aurais pu tout aussi bien finir bel et bien morte. » Ou presque. A demi-morte. Une énième chair en putréfaction se baladant sur terre. « Et vous aussi. J'étais dangereuse à l'époque Jenna... » Sous-entendu qu'elle ne l'était plus, qu'elle se contrôlait. Une demi vérité. Elle hausse les épaules, soulagée d'entendre ces mots, se rendant enfin compte que tout ça n'avait plus la moindre importance. Elle n'éprouve aucune colère, aucune rancœur envers Jenna qui croyait bien faire. Elle s'en était remis à l'avis de celle qu'elle prenait pour son amie à l'époque. Quoi de plus légitime ? Billie était bel et bien borderline lors des faits. Imprévisible, elle était un danger vivant pour Jenna. « T'as fait ce qu'il fallait pour survivre. » Comme tout le monde. Elle est finalement capable de voir au-delà des événements, de regarder Jenna dans les yeux sans éprouver une quelconque déception. « Écoute, je n'ai pas envie de continuer à te détester ou à ne plus te parler. On a perdu assez de temps non ? » Et tout ça pourquoi ? Pour qui ? Leur séparation n'a bénéficié à personne d'autre qu'à Cirilla. Un énième fantôme. « Il faut qu'on aille de l'avant. » Même si cette part d'histoire est une blessure qui fera toujours partie d'elle, un élément clé qui l'a mené jusqu'ici. Elle se rapproche de Jenna et vient poser sa main sur la sienne, serrant doucement sa paume.