Wrong Road || Archie && Danny

Cela fait cinq jours que nous avons installé notre camp dans la forêt de Pedernales Falls. C’est loin d’être le confort, mais on est tranquille. Jusqu’à présent, rien ni personne ne nous a dérangé et quoiqu’il arrive, on est prêts à partir si une merde survient. Ça devient machinal et on ne prend plus nos aises depuis bien longtemps. Si ce ne sont pas les rôdeurs, ce sont les Hommes. Les Hommes sont la pire des menaces que l’on peut croiser en ce monde et c’est triste de le penser. J’aurais cru que tout le monde se serrerait les coudes mais c’est probablement une idée utopiste que j’avais au départ. J’ai bien vu comment certains profitaient de la situation pour faire assoir leur autorité, devenir quelqu’un qu’ils n’auraient jamais été dans le monde normal, jouant sur la force et la terreur pour être craint et obtenir ce qu’ils veulent.

Je me suis aventuré dans une petite ville complètement à l’abandon. La forêt étant calcinée, il est difficile de trouver des ressources pour se nourrir. J’ai tenté tant bien que mal de trouver quelques conserves, des denrées impérissables. Ce n’est pas un franc succès mais pour ce soir, on aura de quoi se nourrir. Des céréales au chocolat, ça peut paraître stupide, mais ces merdes me manquent tellement. J’étais du genre à faire attention à ne pas manger de bêtises quand je vivais encore une vie normale, aujourd’hui je donnerais n’importe quoi pour une soirée au chaud devant un bon film avec un bol de céréales… aux côtés de Lydia.

Ces endroits sont tellement déserts que seuls quelques rôdeurs dans un état presque endormi jonchent les rues. Tant qu’on reste discrets et d’un pas suffisamment lent, ils n’attaquent pas, ils se retournent mais ne deviennent pas violents. J’ai quand même dû en abattre quelques-uns sur mon chemin et principalement dans la maison dans laquelle j’ai trouvé ce peu de vivres. A croire que je suis entré dans une colocation d’adolescents se nourrissant que de céréales à en juger l’apparence des quatre rôdeurs qui se sont jeté sur moi lorsque j’ai franchi la porte de l’habitation. Dire qu’à une période, au moindre rôdeur derrière une porte, nous étions surpris et nous poussions souvent des cris de terreur. Les voir est devenu une habitude, malheureusement.

Je reste quelques instants dans la maison. Tout est dévasté, il y a des trous dans les fenêtres et plus aucun meuble sain pour réellement pouvoir s’y installer avec John et Juliet. Mais me poser dans un canapé aussi pourri soit-il me fait un bien fou. Je m’y crois presque, avec le peu d’imagination qu’il me reste, je pourrais presque croire que je suis chez moi, que tout va bien et que, dans peu de temps, la porte va s’ouvrir et Lydia m’apparaîtra, exténuée de sa longue journée de travail. Je tente de lutter à la fatigue qui s’empare de mon corps mais je me surprends à somnoler. Ce confort est un danger, je ne devrais pas traîner par là et me dépêcher de rentrer au camp improvisé. J’ai promis à mes amis d’être rapide, si je ne rentre pas, ils pourraient partir sans moi.

Je sors de la maison sans prendre la peine de refermer la porte et je traverse l’artère principale de la petite ville, direction la forêt. La ville a beau être déserte, j’ai toujours ce sentiment d’être observé du coin d’une fenêtre, que quelqu’un va me tomber dessus et me tendre un piège. Je me rappelle de St Louis et cet adolescent qui me disait connaître Lydia. Dans quoi m’étais-je embarqué ? J’étais si naïf de croire que des gens voulaient simplement m’aider à retrouver ma fiancée. Non, j’étais une main d’œuvre à exploiter pour eux. J’ai toujours ce sale réflexe de me retourner au moindre bruit, à la moindre impression d’être suivi, pourtant ce ne sont que des rôdeurs.

Lorsque j’arrive à l’orée de la ville, je suis pourtant pris d’une inquiétude. J’ai vraiment le sentiment d’être suivi. Je me retourne alors, mais rien, personne. Je me retourne de nouveau en direction de la forêt cette fois-ci et là, je fais face à un homme. Je fronce les sourcils et je réalise que je n’ai pas pris ma hache avec moi. Je porte ma main à ma ceinture, prêt à sortir mon couteau s’il le faut et j’interroge cet homme.

« Qui êtes-vous ? »

Encore cette même question.

« Ça fait longtemps que vous êtes là ? »

Ayant eu le sentiment d’être suivi, je veux m’assurer que ce n’est pas le cas auquel cas il devrait s’expliquer. S’il m’a suivi, il sait peut-être où je suis avec John et Juliet, nous serons alors obligés de bouger une énième fois.

Jouer. Les occasions étaient moins nombreuses, depuis qu’il était officiellement devenu un membre à part entière de la carrière. Ou plutôt, s’il en avait tout autant qu’avant, elles étaient moins intéressantes. Il fallait bien qu’Archibald soit sage, qu’il ne crée pas trop de vagues ici. Ce n’était pas comme à Stonebriar où, lorsque l’on avait un différend à régler avec un autre chacal, personne ne se souciait des couteaux tirés et du sang susceptible de gicler : chacun lavait son linge sale et du moment que cela n’importunait pas trop les autres alors où était le problème ?
A la carrière, ce n’était pas la même chanson. Et puis il y avait ce putain de “roi”, Diggs. S’il avait eu la bonté d’âme de les accueillir, il ne valait pas un Rosario. Il était gentil, Diggs. Enfin, comparé à ce dont Archibald avait eu l’habitude ces dernières années. Et pour cette même raison, il semblait qu’il ne tolérait pas vraiment le meurtre ou la violence gratuite au sein de son royaume. Oh bien sûr, l’ancien chacal n’était pas animé au quotidien de pulsions meurtrières ou sanguines, il n’était pas de ce genre-là, pas encore assez dégénéré pour être descendu aussi bas dans l’échelle de l’humanité. Mais il aimait s’amuser au dépend des autres et certains de ses petits jeux pouvaient parfois s’avérer cruels, et appeler la vengeance.
On lui avait dit de se calmer.
Et Archibald ne voulait pas partir de ce nouveau campement. Il avait pris goût à la sédentarité.

La première question de l’étranger lui arracha un petit rire qui n’avait rien de mesquin. Plutôt quelques éclats amusés face à une telle naïveté. La seconde, heureusement, relevait déjà un tant soit peu le niveau de la conversation à venir. « Ouais. » Autant jouer franc-jeu, non ? Quand on donnait dans la franchise dès le début, les mensonges passaient mieux après, tout camouflés qu’ils étaient dans les morceaux de vérités. « Une heure ? Ou deux peut-être ? Je t’avoue j’ai pas trop la notion du temps. » Pas de montre. Et si le soleil était un indicateur très fiable du temps qui passait, il n’y prêtait pas trop d’attention pour la simple et pure raison qu’il s’en foutait complètement. Il rit à nouveau, l’air tranquille et pas du tout crispé à l’inverse de l’autre qui avait déjà la main trop proche de la garde de son couteau. « Je t’ai vu tout à l’heure, dans la ville. J’ai pas pu m’empêcher de te suivre : trop longtemps que j’avais plus vu d’être humains, tu comprends ? » A l’inverse de son vis-à-vis, Archibald était tombé d’entrée de jeu dans la familiarité. Et après tout pourquoi pas ? Pourquoi s’encombrer de cet écart imposé par la politesse trop guindé alors qu’il ne restait pratiquement plus personne sur Terre ? « Bref moi c’est Casey, je sais pas si ça réponds à ta question sur “qui je suis” mais dans la mesure où je vais pas non plus te faire un résumé de ma vie entière j’imagine que ça suffira ? » Tellement sincère, dans ses mensonges, dans son sourire sympathique. Tellement inoffensif, semblait-il. Enfin il avait bien ses armes, apparentes puisque facile d’accès en cas de problème mais il se tenait là, les mains un peu écartées du corps, l’attitude complètement pacifique et ce sourire qui lui retroussait les lèvres. On lui aurait donné le bon Dieu sans confession. Ou non.

Je suis devenu légèrement paranoïaque depuis quelques mois si ce ne sont quelques années. Ce n’est pas simplement le fait de l’épidémie mais ce qu’il s’est produit le soir de la mort de Lydia. Le manque de confiance en autrui me rend méfiant. C’est pour cette raison que je pose constamment les mêmes questions en présence des étrangers et encore plus lorsque je suis sur un terrain qui m’est inconnu. Ce n’est pourtant pas la première ville que je visite. Combien de temps est-ce que ça durera ? Je me souviens de mes années d’insouciance avant l’épidémie, on vivait simplement et on avait confiance en notre prochain. Le monde est bel est bien changé et pas seulement en surface.

Quelques vivres en poches, je reste sur mes gardes. Je demande à l’homme qui se trouve face à moi qui il est, simple question d’habitude même si à vrai dire, je me fiche de son nom et de qui il est réellement. Ayant eu le sentiment d’être suivi, je lui demande si c’est bien le cas et à ma grande surprise, le mec est cash et me dit que oui, il me suit depuis au moins une heure. Ce n’est pas vraiment comme ça que je vais relâcher la pression. J’ai l’habitude des gens qui préfèrent calmer le jeu et parfois mentir plutôt que d’avouer ce genre de choses. Mais au moins, il a le mérite d’être honnête.

« Et je peux te demander pourquoi ? Enfin je sais pas, suivre les gens c’est pas vraiment quelque chose de normal, du moins pas par chez moi. »

Je suis tendu, ça se voit, je le sais, parce que je ne le cache pas. Lui, au contraire, il semble se foutre de moi à en juger son air quelque peu condescendent. Il m’explique alors ne pas avoir vu d’humain depuis un moment. Ça semble être une excuse valable étrangement même si je me demande comment il a pu survivre tout seul, du moins mentalement. Je crois que je serais devenu fou si je n’avais pas eu John et Juliet. Même si la raison semble tenir debout, il aurait selon moi mieux fait de se manifester plus vite je ne serais peut-être pas de si mauvaise humeur. Il finit par se présenter. Casey et effectivement le reste de sa vie ne m’intéresse pas plus que ça, s’il dit ne pas avoir vu d’humain depuis longtemps comme il le dit.

« Moi c’est Danny. Et comme tu dis un résumé de ta vie ne m’avancera pas à grand-chose. Tu es seul donc ? Comment tu fais pour survivre sans personne ? Tu as tué beaucoup de marcheurs je suppose. »

Je le toise de haut en bas et je décide de relâcher un peu ma garde. Il ne semble pas vouloir rester secret alors à quoi bon. Je ne suis pas stupide, j’ai bien vu qu’il était armé lui aussi et bien plus que moi, donc quoique je fasse, il aura probablement le dessus.

« Tu connais le coin ? Je te tutoie aussi du coup, je suppose que tu n’y vois aucun inconvénient. »

Danny. Il engrangea l’information dans un coin de son esprit tout en sachant pertinemment qu’il l’oublierait bien vite du fait de son profond désintérêt pour ces jeux de présentation stupides qui, de son point de vue, ne rimaient à rien en plus d’être dénués de la moindre utilité. « Non, pas vraiment. On se démerde plus facilement quand on parvient à éviter ces putains d’infectés. » Et l’autre pourrait bien le comprendre, c’était la meilleure stratégie à avoir lorsqu’on se déplaçait seul. ne pas foncer au milieu de problèmes dont on n’était pas sûr de savoir se tirer ensuite. Archie avait toujours trouvé plus aisé les déplacements discrets aux actions frontales, il n’était pas exactement taillé pour les combats, grande carcasse dégingandée, et avait à cœur de ne pas s’y plonger dans la mesure du possible s’il n’avait pas quelques atouts dans sa poche. Ou une bonne raison pour aveugler le peu de bon sens qui lui restait encore.
L’œil vigilant, il nota le léger relâchement dans l’attitude de son vis-à-vis et s’en sentit satisfait, bien qu’il se gardât bien d’en manifester la trace. Un bon point pour lui, déjà. Si ce Danny était si prompt à baisser sa garde, il ne devrait pas lui être trop difficile de le pousser dans cette voie jusqu’à ce qu’il se laisse avoir. Ses épaules eurent un mouvement nonchalant du genre “fais bien ce que tu veux, je m’en balance” devant la décision de l’étranger, avant qu’il ne daigne acquiescer par l’affirmative à sa dernière question. « Pas loin. Je traîne un peu à droite et à gauche, c’est pas très sécuritaire de crécher toujours au même endroit quand on a pas l’assurance que personne ne risque de débarquer au pire moment. » Il s’adossa à un arbre, appuyant son corps contre l’écorce abîmée et croisa les mains contre sa poitrine, peu enclin à passer tout son temps raide et planté droit comme un piquet. « Et toi alors ? Je t’ai encore jamais croisé ici, pourtant c’est pas faute d’y passer régulièrement. On trouve pas mal de merdes utiles, là-bas – il désigna du menton la ville dressée dans le dos de Danny, et de laquelle ils venaient tous les deux – pour peu qu’on sache comment fouiller. Et comment contourner les rôdeurs. » Force était d’admettre qu’il était plutôt doué dans ce domaine, Archibald, autant la violence n’avait jamais été un problème pour lui, autant il n’avait jamais été très friand de ces créatures. Si elles avaient été partie prenante de nombreux jeux au sein du mal, il avait plutôt tendance à les éviter comme la peste dès lors qu’il se trouvait en sortie, raid solitaire ou non. Malgré tous ses travers, il n’aimait pas spécialement le bruit dégueulasse d’un crâne que l’on fracasse. Pourtant les années écoulées l’avaient vu s’y livrer plus qu’à son tour. « Tu n’es pas assez bien équipé pour te déplacer ici sans compagnie. » Ce n’était pas une agression, ni même une menace, rien d’autre qu’un simple constat face à ce qu’il voyait de son équipement. Si sa traque ne lui avait pas dénoncé d’autres présences à ses côtés, cela ne voulait pas dire qu’il n’était qu’une pauvre brebis égarée et toute prête à tomber dans la gueule du loup. Aussi innocente la remarque avait-elle pu paraître, Archibald voulait surtout savoir s’il risquait quoi que ce soit en s’en prenant à lui. Danny pouvait très bien avoir un coéquipier qu’il n’avait pas vu, prêt à agir dans le dos des autres. Mais l'homme n’était pas assez con pour croire qu’il n’était pas le seul à apprécier ces méthodes fourbes et lâches : c’était encore un des moyens les plus faciles de tirer son épingle du jeu.