I promise you wonderland (evana)

Le silence pesant de la vallée lui tombe dessus alors qu’elle sort enfin du ranch, prête à se lancer dans sa campagne de recrutement. Elle retrouve avec délice le sentiment d’être complètement seule, sans regard sur le côté qui épie ses moindres faits et gestes en secret. Personne pour l’observer, personne pour lui faire de remarque, personne pour lui poser des questions, juste le bruit de la nature qui accueille chacun de ses pas.
Cette semaine, elle devait se rendre dans les petits villages voisins, souvent abandonnés, un lieu idéal pour se reposer sur une longue route. D’habitude, c’est Miller qui s’occupe de ces zones mais il ne se sentait pas vraiment en forme ces derniers jours, alors Malini avait proposé de couvrir l’endroit. Elle était surtout pressée de sortir et n’importe quelle occasion était bonne pour respirer un air moins chargé. Depuis l’assaut sur le centre commercial, elle était plutôt populaire au ranch et les gens l’invitaient ci et là pour une partie de carte, un repas à partager, une bouteille à descendre. Sa nouvelle notoriété, elle en profitait pour mener sa petite mission secrète pour Abel. Même s’ils n’en avaient pas reparlé, même s’ils étaient toujours en froid suite aux débordements de leur dispute, elle avait continué à fouiner à droite et à gauche pour trouver le fameux traitre qui planifie la mort du leader. Pour l’instant, elle n’avait pas beaucoup de résultat. Peu importe qui avait conduit l’opération, il se terrait bien comme il faut et jouait parfaitement son rôle.

La recruteuse prend une grande bouffée d’air et commence à s’éloigner de la route pour emprunter les sentiers qui descendent vers les confluents. Là où il y a de l’eau, il y a de la vie. Un des principes premiers non seulement de l’existence, mais aussi du recrutement. Mais déjà sur le sentier, une impression bizarre la frappe, un frisson d’appréhension lancé par son sixième sens. Elle se retourne immédiatement, s’attendant à tomber sur des rôdeurs silencieux. Rien.
Méfiante, elle reprend le cours de sa marche, les sens toujours en alerte et l’impression d’être observée collée au fond de son estomac. Il y a quelqu’un d’autre. Ses doigts tirent son couteau de chasse de sa ceinture et se cramponnent au manche. Elle ne se laisserait pas surprendre. Elle accélère le pas, se rappelle de toutes ses courses dans les bois avec Bass, de ses stratégies de cachette pour lui sauter dessus et le piéger ensuite. Est-ce que c’était lui qui était tapi entre les branches à essayer de reproduire une de leur partie ? Elle en doute. Leurs dernières conversations avaient été violentes, confuses, laissant leur relation dans le flou total.
C’était quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui visiblement rôdait près du ranch ou alors qui en venait et la suivait délibérément. Mallory ? Peut-être que l’aspirante recruteuse en avait assez d’attendre et avait décidé de prendre les choses en main ? Mais il était beaucoup trop dangereux pour elle de briser de nouvelles règles… Alors c’est peut-être quelqu’un qui lui en veut, quelqu’un qui cherche des informations sur elle. Ses antennes de paranoïa s’activent et échafaudent des théories jusqu’à ce que les bruits de filature soient trop proches pour être véritablement ignorés.

Ne pas céder à la peur. Malini s’arrête net de marcher, serre son couteau prêt à trancher des jugulaires et de l’autre bras, elle attrape sa hachette accrochée à son sac. « Okay James Bond, fini l’espionnage. Montre-toi, sinon je vais venir te chercher sans ménagement. »

Ça fait quelques jours, maintenant, que j’observe le ranch. Ranch dont j’ai entendu parler par l’un de ses membres, Stanley Carpenter. J’aurais pu choisir d’y aller avec lui, directement, mais je ne l’ai pas fait. Je suis trop sauvage, trop méfiante pour ça. A la place, j’ai ricané, et j’ai fini par poursuivre mon chemin, disant que je n’avais besoin de personne. J’ai envie que ça soit vrai. J’ai envie de croire que je peux me débrouiller seule. Mais je sais pertinemment que ce n’est pas le cas. Je suis trop jeune et quand bien même je ne le serais pas, survivre longtemps seule dans un monde comme celui-ci, c’est impossible. J’ai bien recroisé la route d’Aleksey, mais il va vers Dallas. Et moi, j’ai besoin de savoir si mon frère est dans le coin, avant de m’éloigner. Alors j’espionne cette communauté, qui me semble bien implantée. Ca me fait peur, une communauté pareille. Jusque là, les groupes que j’ai intégrés pendant quelques temps étaient des nomades, comme moi. Ceux-là… Clairement, ils n’ont jamais dû bouger depuis le début de l’épidémie, sept ans plus tôt. Est-ce possible d’intégrer ce genre de groupe ? Je n’en ai pas la moindre idée. Il faut que j’en sache plus sur eux… Je songe en quittant ma cachette. Mais comment ? Au fond, je ne sais pas réellement. Je me vois mal approcher sur le dos de mon cheval avec un « Salut c’est moi ! Je viens voir si je peux vous rejoindre ! » Cette idée m’arrache un semblant de sourire. Une grimace, davantage. Je ne sais plus sourire depuis longtemps.

Comme à chaque fois que ma route croise celle d’une communauté, je me demande si mon frère est à l’intérieur. Carpenter m’a dit qu’il y était peut-être. Mais je ne sais pas si je dois croire ce type. Il ne m’a pas forcément fait une mauvaise impression mais… Je suis comme Saint Thomas. Je ne crois que ce que je vois. Je vais là où j’ai laissé ma monture, décidée à revenir demain et peut-être, essayer de m’approcher pour que quelqu’un me voit, quand mon regard est attiré par un mouvement en provenance du ranch. Une silhouette solitaire s’en éloigne, à pied, malgré la présence de chevaux dans leur camp. Je fronce les sourcils. S’aventurer à pied dans ces contrées n’est pas forcément des plus sécurisant. Je jette un œil à ma monture avant de décider qu’elle ne craint pas grand-chose là où elle est. Au pire, ils tenteront de l’attraper, et il se sauvera comme un cheval sauvage.

Je décide alors de suivre la silhouette, restant cependant dissimulée à sa vue, m’arrêtant lorsqu’elle fait de même. Pourtant, petit à petit je me rapproche d’elle. Parce qu’elle est seule, isolée. Je ne doute pas d’être plus rapide qu’elle si elle est armée et que je dois fuir. Et armée, elle l’est. Je déglutis, me demandant si elle s’y connait en lancer. Sur le moment, je regrette carrément de l’avoir suivie. Mon intention première, me pointer à l’entrée du ranch demain était peut-être la bonne solution. « Okay James Bond, fini l’espionnage. Montre-toi, sinon je vais venir te chercher sans ménagement. »   Mais elle semble me laisser une chance de me montrer avant de passer en mode guerrière. A nouveau, je tente d’esquisser un sourire. Raté. « Je suis derrière toi ! » Je lance en sortant de ma cachette. Je me demande comment elle interprète ce qu’elle voit en me regardant. Voit-elle une menace pour sa sécurité ? Une pauvre gamine ? Ou une adolescente endurcie par la vie ? Une chose est sûre, je ne dois pas avoir fière allure avec mes fringues à moitié déchirées. Il faut dire que ça fait un moment que je ne suis pas aller faire les boutiques… Un semblant de rire m’échappe alors, rapidement étouffé cependant.

Il y a un moment de flottement où Malini se trouve un peu ridicule de s'adresser au vide comme ça. Mais il y a bien quelqu'un, elle en mettrait sa main à couper. Elle a passé bien trop de temps seule dans les alentours pour ne pas être capable de déceler la présence d'autrui. Autrui est peut-être même une menace, ce qui la pousse à tenir plus fermement ses deux armes et à scruter les feuillages. Autrui a peut-être un flingue et tirerait peut-être sans sommation. Mais la recruteuse ne penche pas trop pour cette option, parce que si menace de mort il y avait, elle serait déjà à terre en train de se vider de son sang.
Et finalement, après quelques secondes à patienter, une voix se fait entendre derrière elle. Malini fait immédiatement volte face pour rencontrer... Une jeune fille. L'indienne fronce les sourcils mais ne baisse pas sa garde pour autant. Sept ans de survie lui ont appris une chose : tout le monde est dangereux. Elle a déjà vu des enfants plus redoutables que des soldats tirer sur des rôdeurs de sang froid. Il n'y a plus de présomption d'innocence.

A la surprise de la brune, la jeune fille étouffe une sorte de rire qui laisse Malini complètement perplexe. Elle prend le temps alors de l'observer. La jeune fille a toutes les traces de l'errance sur elle. Les vêtements en pièce, la lueur farouche dans le regard, l'espèce d'assurance qu'on essaie de se donner pour déstabiliser. La recruteuse baisse les armes mais ne les range pas, ne s'approche pas, se contente de rester alerte au cas où la blonde tente quelque chose. "Pourquoi tu me suivais ? Qu'est-ce que tu veux ?" Une façon un peu brusque de commencer la conversation, mais c'est qu'elle a pas l'habitude d'être suivie la Malini. Elle a plutôt l'habitude d'être celle tapie dans l'ombre, de filer, de flairer les traces et d'espionner les techniques de survie des autres. D'ordinaire, elle ne se laisse pas surprendre. Mais la situation n'est pas ordinaire... Ce qui l'inquiète encore plus, c'est la proximité du ranch. Est-ce que la gamine était mandatée par quelqu'un pour espionner les cavaliers et rapporter leurs faits et gestes ? Les jackals ne sont peut-être plus une menace, mais personne ne savait vraiment ce qui pouvait bien se terrer d'autre ou encore si les alliances avec les autres camps étaient si solides. "Tu as besoin d'aide ? Si tu as faim, j'ai de l'eau et à manger. Mais si t'es venue pour autre chose, tu ferais mieux de faire gaffe. Je suis pas connue pour me laisser faire gentiment."

Même si la gamine a l'air inoffensive, Malini préfère se préparer à une éventuelle confrontation. Au début de l'épidémie, elles étaient nombreuses les jeunes filles comme elle à faire semblant d'être en détresse pour arrêter des voyageurs et les dépouiller sans remords à l'aide de complice. Même la recruteuse avait autre fois fait preuve de ce genre de techniques. Parfois, elle faisait pire. Elle s'accrochait à un groupe, gagnait leur confiance, leur complicité puis disparaissait avec tout ce qu'ils avaient. Si elle avait semé des morts comme ça derrière elle ? Sûrement. Si elle en ressent de la culpabilité ? Pas le moins du monde. Alors méfiance était vraiment de rigueur.  

Pourquoi je la suis ? Bonne question. Peut-être parce que je veux en savoir plus sur cet endroit dont on m’a parlé ? Peut-être parce qu’elle est une femme seule et que c’est plus facile de l’aborder ainsi ? Mais visiblement, cela ne lui passe pas par la tête. Je hausse les épaules, regrettant presque de l’avoir suivie. Si elle ne comprend pas mes raisons, ce n’est peut-être pas une bonne idée de vouloir rejoindre ce groupe. Je détourne la tête, prenant mon temps avant de répondre, mais je n’en ai finalement pas encore le temps qu’elle reprend la parole, me prenant en pitié avant de me menacer. Je retourne brutalement le regard vers elle, les yeux étrécis. « Ta pitié, déjà, j’en veux pas. C’est pas la pitié qui permet de survivre dans ce monde. Ensuite, si j’avais voulu te tuer, j’aurais pu le faire depuis longtemps. Mais j’suis pas une meurtrière. » Pourtant, j’ai déjà tué quelqu’un, une fois. Pour me défendre. Je croyais que c’était un rôdeur. J’en fais encore des cauchemars la nuit, de ce meurtre alors que c’était un accident.

Je secoue la tête pour chasse ce souvenir et me reconcentrer sur la femme qui me fait face en cet instant : « Quelqu’un m’a parlé du ranch. Et je m’disais que… P’t-être que mon frère y est. Ou p’t-être qu’il y a une place pour moi. Mais si c’est pas l’cas, tant pis. Je r’partirai avec mon cheval et puis voilà. Rester seule encore, ça va pas m’tuer. » Je hausse les épaules. En temps normal, j’aurais sans doute pas dévoilé tout de suite les raisons pour lesquelles je la suis. Mais la vérité, c’est que je fatigue d’être seule en permanence. La vérité, c’est que je commence à avoir envie de me poser, quelques temps, pouvoir respirer un peu. Et de ce que j’en ai vu, ils sont pas nomades, eux… Ca me changerait la vie d’avoir un endroit où me poser, pour une fois. Je tourne la tête vers l’endroit où elle vient avant de la regarder elle à nouveau. « C’est un type avec une lame à la place de la main qui m’a parlé d’cet endroit. » J’espère qu’elle verra de qui je parle, et surtout, qu’il est bien d’ici. Parce que sinon… Sinon, ça voudra dire que je n’ai qu’à repartir et chercher un autre endroit où crécher, au final…

La petite a du répondant. C'est bien, et surtout, c'est nécessaire à la survie. Des années sur les routes, ça forge forcément le caractère et ce caractère est déterminant dans une rencontre. Par exemple, la demoiselle aurait été trop docile, trop passive, la recruteuse aurait sûrement perdu patience, aurait plus ou moins gentiment renvoyé la blonde vers Olympia, là où on collecte tout le monde sans distingo. Au ranch, on valorise un peu plus l'utilité de chacun, les pleureuses et les victimes n'y ont pas leur place.
Et ensuite vient un twist inattendu. Voilà bien une première pour la recruteuse, quelqu'un vient diretement la trouver pour essayer d'intégrer le ranch. Pas besoin de fouiller la forêt, pas besoin d'essayer de convaincre les plus farouches, il lui suffirait de faire demi tour avec la gamine et rentrer au ranch. Un recrutement en vingt minutes ? Voilà quelque chose dont elle se vanterait bien auprès de Bass... S'ils avaient une relation un peu moins chaotique.

Et dans son histoire, la gamine évoque un frère perdu, une famille séparée, des sujets qui font beaucoup trop écho à Malini. Décidément... Elles se sont données le mot avec Mallory ? La prendre par les sentiments en parlant famille, un sujet qui la hante souvent et lui fait envie plus que de raison. Elle était à deux doigts d'avoir une famille à nouveau avec Caden et ça avait foiré. Et pour ce qui est de sa vraie famille ? Elle n'a aucune idée de ce qui est arrivée à sa mère et sa soeur et elle est bien trop effrayée à l'idée de se rendre dans son bled natal pour en avoir le coeur net. Alors elle n'a rien et ça la bouffe. La nuit quand elle se réveille, c'est à ça qu'elle pense...
Alors son attitude change immédiatement, sa garde tombe, peut-être à tort, et elle regarde derrière elle une dernière fois, s'assure que personne d'autre ne se cache dans les fourrés et ne s'apprête à lui sauter dessus si elle se montrait amadouée par le récit de la blonde. "Stanley. Le type que tu as rencontré." Elle marque un temps d'arrêt, tente d'analyser les traits de la jeune fille pour trouver d'éventuelles ressemblances avec un membre du ranch. Et elle ne sait pas si elle se persuade ou si c'est vraiment le cas, mais elle a l'impression que des traits lui sont familiers, la forme des yeux, celle des lèvres... Peut-être qu'elle hallucine mais... "C'est quoi le nom de ton frangin ? Je peux peut-être te dire s'il y est vraiment et ensuite on parlera recrutement." Elle marque un temps d'arrêt avant de clarifier sa dernière phrase : "Je suis recruteuse justement." Un détail important, qui pourrait peut-être pousser la jeune blonde à s'ouvrir vraiment, avec l'espoir d'avoir une porte d'entrée au ranch.