Love the way you lie

Elle est un peu moins triste, Jenna, un peu plus joyeuse, nostalgique aussi cependant. Elle ne voulait pas la laisser partir, Cirilla, sa confidente. Pourtant, il a fallu qu’elle se rende à l’évidence, sa vie est ailleurs, elle a d’autres histoires à gérer que ses problèmes de cœur, en commençant par ses propres soucis de cœur d’ailleurs. Sincèrement, elle ne sait pas comment elles ont réussi à se foutre dans un merdier pareil. C’est l’apocalypse et elles se la jouent héroïnes phares d’un drame romantique. En ce qui la concerne, sa vie sentimentale était incontestablement plus simple avant la fin du monde. Elle n’était entichée de personne, encore moins enceinte et elle le vivait à merveille. Le bon vieux temps.  

Jenna souhaiterait être aveugle à l’heure actuelle, plutôt que d’être une spectatrice passive de la scène se déroulant juste sous ses yeux, à quelques mètres d’elle. Elle boit une gorgée et repose rageusement sa pinte de bière. Il se prend pour qui, sérieusement ? D’accord, peut-être qu’il est chez lui, ce n’est pas pour autant qu’il a le droit de se jouer d’elle de la sorte. Elle ne sait pas réellement comment le prendre : est-ce un test ou quelque chose du genre ? Elle détourne son regard, affligée par le comportement de l’autre minaudeuse s’agrippant à Ren comme si le sort du monde en dépendait. Elle souffle, relativise, il ne faut pas qu’elle craque, les rumeurs se répandent bien trop vite dans le coin et puis, ça lui flatterait trop l’ego à l’autre abruti. Loin d’elle l’envie qu’il s’imagine qu’elle est jalouse. Elle l’est, oui, mais il n’a tout simplement pas besoin d’en être informé. Elle se sent précisément minable et seule. Pourtant, elle pourrait très bien quémander l’attention d’un des hommes présent dans les parages, elle a les atouts pour, mais elle s’abstient, elle au moins. Elle ne veut pas se montrer puérile. Peut-être qu’elle devrait partir, oui, probablement. Cependant, elle n’a pas envie de les laisser-là, sans surveillance. Si, elle tourne les talons, l’autre brune aura le champ libre et franchement, ça ne l’emballe pas plus que ça. Elle n’aurait pas dû venir, elle le sentait. Le fait est qu’elle devient folle, cloîtrée dans son abri de fortune, coupée des autres. La solitude ne le convient pas le moins du monde.
Et puis, merde. Elle se lève, furieuse, bien décidée à ne plus assister à ce cauchemar éveillé, se dirigeant vers la sortie du bar de fortune en prenant soin de ne pas laisser vagabonder son regard. Tout va de mal en pire à la carrière. Comment est-ce qu’elle va bien pouvoir tenir plusieurs mois durant sans étriper quelqu’un ? Question non résolue pour l’instant. Peut-être qu’elle va commencer par l’autre là. Elle se ravise, se stoppe nette face à la sortie, elle n’y arrive pas, bordel. C’est plus fort qu’elle. Il ne lui faut que quelques secondes pour se planter entre les deux tourtereaux, décrochant avec vigueur les mains effrontées s’agrippant à la nuque du roi de lieux. Elle proteste, l’autre fille, ce qui lui vaut une œillade assassine. « Je vois que tu les choisis de plus en plus jeune. Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne pas ? » Le ton est cynique, débordant de fureur également. Elle ne doit pas avoir plus de vingt-cinq ans, oui elle est mal placée pour juger, mais tout de même. Il ne lui faut pas longtemps pour remarquer que l’attention des autres clients du bar est piquée au vif. Il ne manquait plus que ça de toute façon. « Il faut qu’on parle, dehors. » Parce qu’il est hors de question qu’elle se donne en spectacle et que les échos de cette scène arrivent jusqu’au ranch. Elle n’attend aucune réponse, ne lui laisse de toute manière pas le choix et l’empoigne sans attendre par le bras, le tirant à l’extérieur. Elle remarque aussitôt l'intention qu’a l’inconnue de les suivre. Hors de question. « Toi, tu restes là. » s’exclame-t-elle sèchement. Un problème à la fois, pas deux. Une fois à l’abri des regards, enfin de la majorité des regards, elle explose, littéralement. « Tu te prends pour qui ? » Et la gifle part toute seule, sans qu’elle ne puisse se contrôler. Il le mérite de toute façon.

Jenna aurait pu regretter la nature de son geste emporté et excessif, pourtant ce n’est pas le cas, elle ne compte pas nier le bien fou que cette simple gifle lui a procuré. Elle avait besoin de décharger sa colère d’une manière ou d’une autre et de stupides mots n’auraient pas suffi à l’apaiser, quoique le terme apaiser n’est pas réellement de circonstance. D’accord, leur dernière rencontre s’est soldée d’une façon regrettable, sonnant tel un au revoir amer. Ça ne signifie pas pour autant que ses sentiments se sont volatilisés par la même occasion, surement pas, le fait qu’il se permette de la narguer ainsi, de l’humilier même, n’est pas quelque chose à laquelle elle s’attendait, pas venant de sa part. Il est supposément juste et droit, du moins autant que l’apocalypse le lui permet, pourtant ce soir, elle ne le reconnait pas. Il ose s’afficher avec une autre sous ses yeux sans songer un instant à ce qu’elle peut bien ressentir, comportement mesquin et puéril. Alors oui, elle a conscience que la manière dont elle vient de se comporter n’est pas des plus classes, mais tout de même.
Elle laisse le courroux de Ren s’abattre sur elle sans ouvrir la bouche ne serait-ce qu’une fois. Elle sent qu’il vaut mieux éviter de le couper tandis qu’il cherche les mots les plus adéquats afin de l’incendier, de la toucher. L’alcool coulant dans les veines du leader des lieux ne semble pas lui faciliter la tâche et la confusion est de mise. Elle l’observe s’agiter tel à animal en cage. Elle a du mal à saisir tout ce qu’il lui crache au visage sans aucune forme de respect. Il est confus, énervé, mélange contre-productif. Elle fronce les sourcils, peu encline à se laisser marcher sur les pieds, pas son genre. Partager ses jouets. Passer à autre chose. Il n’est clairement pas doué pour interpréter son comportement. Donc, il ose s’imaginer qu’elle s’est joué de lui, sans aucun remords, l’utilisant pour… Pourquoi au juste ? C’est insensé. C’est lui après tout qui s’est mis en tête de la séduire. Franchement, c’est le monde à l’envers. Si elle avait souhaité se servir de lui, elle ne lui aurait pas résisté aussi longtemps, elle n’aurait pas non plus mis un point final à leur relation. C’est débile, illogique. Elle ne sait même pas par quoi commencer. Elle entrouvre les lèvres, les referment presque immédiatement, cherchant un sens à la situation. Il a y quelque chose qui ne tourne pas rond. « Très classe. Décidément ce soir tu ne fais pas les choses à moitié, entre te pavaner avec une autre sous mon nez et l’éloquence dont tu viens de faire preuve. » Elle met de l’huile sur le feu, elle le sait, ce n’est pas volontaire, enfin pas totalement. Elle pourrait très bien tourner les talons maintenant, elle ne peut simplement pas s’y résoudre, pas dans ces conditions. Il faut crever l’abcès. Elle soupire, se radoucit par la même occasion. Se balancer des piques ne sert strictement à rien, si ce n’est faire du surplace. « Alors, tout d’abord, entre nous deux, ce n’est certainement pas moi qui ai perdu la tête. J’aurais pu mille fois te faire enrager depuis mon arrivée, j’aurais pu m’afficher avec d’autres, ça n’a pas été le cas. Je me suis tenue à carreau, m’efforçant de ne pas être dans tes pattes, de ne pas rendre la situation plus compliquée qu’elle ne l’est déjà. Et puis toi, un beau soir, tu décides de me faire souffrir, pourquoi au juste ? Donne-moi ne serait-ce qu’une raison valable. » Elle marque un temps d’arrêt, le calme avec lequel elle vient tout juste de débiter ces paroles l’étonne. Elle en a plus qu’assez de se battre. « Ensuite, je ne vois pas ce qui te permet de penser que je me suis jouée de toi, que j’ai tourné la page. Je n’ai jamais cherché à t’utiliser, jamais. T’es aveugle à quel point ? Tout ce qui vient de se produire est la preuve que je ne suis pas passé à autre chose. Comment est-ce que je le pourrais alors que je te croise presque tous les jours ? Il n’y a que toi, tout ça, toute cette histoire, ce n’est pas qu’un jeu pour moi. Pour toi par contre, je commence à en douter. » Elle se sent essoufflée, abattue. Tout ce qu’elle a réussi à refouler depuis leur dernière rencontre vient tout juste de refaire surface. Tout est à recommencer.