you've got bad dreams from the broken wedding rings that you keep under your pillow while you sleep. and there's open spaces, blank faces, when you search for answers on the street. there's no one left to call. nothing much to say, pretty sure the world is gonna end today.▼▼▼
Elle se souvient d'une vie heureuse baignée de soleil. Souvenirs vivaces qui tend parfois à s'effacer, comme un rêve au lever du jour. Elle se rappelle des sensations qui font vibrer son corps, frissonner ses membres. Devant ses yeux défilent des visages figés dans le temps. Enfance bénie, fillette aimée et choyée, on la jalouse pour ce passé glorieux en ignorant les souffrances enfouies. Elle se réveille de ce cauchemar récurrent, réalité amère qui lui serre la gorge, lui fait monter les larmes aux yeux.
« Ne t’en va pas ! » Un soupir triste et l’ombre se retourne, dévoile un visage doux encadré de cheveux brun batailleurs. Elle s’approche, entoure la fillette blonde de ses bras, l’étouffe presque.
« Il le faut kiddo. C’est ta vie. Pas la mienne. » Un dernier baiser et l’étreinte s’efface. Il ne reste que le froid et le vide qu’elle laisse dans son cœur.
« Tu m’écriera ? » Un sourire sincère, souillé par la tristesse, accompagne les dernières paroles qu’elle lui adresse.
« Promis. » Et sans un autre regard elle disparait. Cette sœur tant aimée, cette figure admirée, partie en une fraction de seconde. Alors trop jeune pour comprendre, Elanor comprends maintenant. Elle se souvient des disputes, des cris et des éclats de pleurs. Elle se rappelle les faux pas de cette grande sœur rebelle qui n’en faisait qu’à sa tête. Elle se souvient de l’amour mutuel qui les animait. Et elle se souvient qu’elle ne la verra plus jamais. Ni elle, ni ses frères, ni ses parents. Elle ne foulera plus l’herbe de son enfance, n’entendra plus les chevaux hennirent et les poules piailler. Alors elle garde ces souvenirs vivaces dans ses rêves, s’endort chaque soir en pensant à cette vie terminée, à ces moments vécus qu’elle ne vivra plus. Comme ce jour où elle était rentrée de l’école pour découvrir une lettre qui avait tout changé.
« Je suis admise au programme du Bellevue Hospital ! » Et juste comme ça elle avait quitté son Nebraska natal pour la terrifiante Grosse Pomme. Elle avait suivi son chemin, ses modestes rêves. Devenue aide soignante, tout était désormais possible.
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Elle verse une larme. Une unique larme salée, brûlante, qui se noie dans les plis de son cou. Elle laisse le chagrin l'envahir et la peur serpenter sous sa peau. Elle hurle sans qu'aucun son ne sorte de sa gorge. Enfermée dans quelques petits mètres carrés, les battements de son cœur s'accélèrent, elle le sent dans sa poitrine. Sa respiration se coupe régulièrement, menaçant de la tuer à tout moment. Sa vision se brouille tandis que les larmes coulent maintenant à flot sur son beau visage. Adieu son maquillage parfait, adieu son sourire épanouie. Elle voudrait crier pour couvrir le bruit incessant qu'il fait, ces sons insupportables venant de sa gorge, le raclement de ses ongles contre la paroi de sa cachette. Le dos appuyé contre une commode remplie de ses sous vêtements, elle pleure, sanglote, prend de grandes bouffées d'air dans l'espoir de se calmer. Mais toujours elle l'entends de l'autre côté, cherchant un moyen de l'atteindre. Elle l'appelle désespérément et il lui répond avec ce son rauque lointain qui la dégoûte. Il n'est plus. Cette chose dehors n'était plus son Connor. L'homme qu'elle devait épouser deux jours plus tard s'était soudainement évanoui sous ses yeux et s'était réveillé en bête immonde.
« J’ai essayé. J’ai essayé de te sauver. J’ai essayé, je te le promets. » Elle avait beau lui répéter ces mots comme une prière, rien ne changeait. Il restait là à cogner contre la porte du dressing, à griffer le bois et à lui répondre par des cris bestiaux. Et elle demeurait assise sur le sol froid, le dos contre la petite commode, les yeux rougis par les pleurs, la respiration saccadée. Après la première nuit, elle avait fouillé ses sacs et avait trouvé un inhalateur qui la calmait plus ou moins quand la panique la submergeait. Elle l'entendait encore de l'autre côté de la porte, errant sans but dans leur chambre, se cognant parfois, essayant encore de l'atteindre de l'autre côté. Et puis elle avait entendu des voix lointaines, comme dans un rêve.
« Elanor ? Connor ? » Les yeux clos, elle rêvait. Personne ne montait les escaliers en l'appelant. Personne n'ouvrait la porte de la chambre, personne ne lâchait un juron. Pourtant, quelqu'un tenta bien d'ouvrir la porte de sa petite forteresse.
« Elanor ? Elanor, ouvre. C’est moi, Alex ! » A bout de forces, elle se hisse à la porte, déverrouille et laisse la lumière du dehors percer le dressing, agresser ses yeux rouge.
« Alex ? » Elle le distingue à peine dans toute cette lumière soudaine. Elle se sent soulevée sur sol, s'accroche à son cou comme une enfant apeurée, perdue.
« Tout va bien. On va te sortir d’ici. Ferme les yeux ma belle. » Elle s'exécute et sombre dans le néant.
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« On a réussi à aménager tout cet étage. Le rez-de-chaussée est un no man’s land. Au-dessus, on évite d’y aller. Sauf si on a besoin d’équipement spécifique. » Elle acquiesce d’un hochement de tête, distraite par ce que ses yeux enregistraient. Debout depuis quelques heures, après des jours passés enfermée dans une chambre, allongée dans un lit, elle prenait pleinement conscience de la situation. On lui avait expliqué, plusieurs fois, que le chaos s’était emparé de la ville, que l’épidémie avait prit de l’ampleur et transformait les gens. C’était arrivé à Connor et elle parvenait tout juste à l’accepter. En apparence.
« Tu tiens le coup ? » Immobile, le regard perdu face à une vitre transparente qui laisse voir la salle des familles où joue des enfants, Elanor sourit. Elle ne devrait pas. Le monde part en vrille. Son monde s’écroule, son fiancé est mort, elle n’a aucune nouvelle de sa famille, aucun moyen de s’assurer qu’ils vont bien. Pourtant elle sourit.
« Il le faut bien. » Elle se détache de sa contemplation, adresse un sourire à son ami, inspire profondément avant de relâcher la bouffée d’air salvatrice.
« Essayons de tenir le fort jusqu’à l’arrivée des secours. » C’est là sa tâche, son but, elle en est certaine. Le Bellevue Hospital avait toujours été un refuge et il le resterait pour ces survivants. Elanor allait y veiller.
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« Cours !! Fonce ! » Elle attrape le sac à dos qu’il lui lance, s’y accroche de toutes ses forces et l’abandonne, le laisse derrière elle, ne se retourne pas en l’entendant hurler. Elle fonce sans trop savoir où elle va. Elle sait que l’étage du bas est condamné, que les morts le tiennent, sait que les étages du haut ne la mèneront nulle part. Piégée, petit animal sans défense, elle se retrouve dans la cage d’escaliers. Descend parce que la liberté est vers le bas, qu’elle n’a pas d’autres solutions. Elle tente le tout pour le tout. Armée d’un simple couteau de combat, chargée de ses sacs qu’elle ne lâcherait pour rien au monde, elle se retrouve prise au piège. La fin approche, elle lève son couteau dans un geste parfaitement inutile, tombe mollement au sol, sent l’air quitter ses poumons et la panique l’envahir. C’est la fin.
« Bouge ! » Ses yeux s’ouvrent, se posent sur cet inconnu imposant qui vient de la libérer. Elle voudrait bouger, essaie de toutes ses forces. Mais c’est la peur qui dicte ses mouvements, coule dans ses veines, l’empêche d’avancer, de respirer. Il grogne quelque chose, la soulève du sol, poids mort entre ses bras. Ce n’est qu’une fois à l’extérieur, quand le soleil lui réchauffe la peau, lui brûle les yeux, qu’il la pose sur le sol et qu’elle parvient à atteindre l’inhalateur dans sa poche. Une bouffée, puis deux et trois. Elle respire enfin, calme sa peur en fermant les yeux, en regardant les visages familiers défiler dans sa tête.
« C’est pas le moment pour une sieste. » Arrachée à sa contemplation, elle s’abrite les yeux du soleil éblouissant, l’observe, remarque le sang qui macule ses vêtements, les bouts humains attachés ici et là, sa peau crasseuse, son visage fermé, ses yeux perçants.
« Il faut aller chercher les autres. » Debout en un bond, elle s’élance déjà vers l’hôpital. Il la retient, referme sa main sur son poignet sans ménagement, sans se soucier du mal qu’il lui cause.
« Ils sont morts. » Elle se débat à peine, ne parvient pas à se défaire de son emprise, lui lance un regard suppliant, au bord des larmes.
« Non ! Lâchez-moi ! » Rien n’y fait. Il resserre son emprise sur elle, l’empêche de bouger et puis la lâche violemment, l’envoie valser au sol.
« C’est fini idiote ! Ton petit paradis est envahi de chairs pourries ! » La violence des mots la frappe en plein cœur, lui fait réaliser la vérité sur ce monde dévasté. Silencieuse, le chagrin l’envahi, elle l’accueil comme un vieil ami. Les minutes passent et la corde autour de son cœur se sert de plus en plus.
« Aller viens. » Relevée contre son gré, Elanor suit, ne lutte plus, ne se pose plus de questions, ne cherche pas à comprendre ce monde malade. Ils quittent la ville, dépassent ces milliers de voitures à l’abandon, certaines encore pleine de monstres.
« Pourquoi m’avoir sauvé ? » Sa voix résonne dans la nuit sombre, elle distingue à peine sa figure à la lumière dansante des flammes. Il reste silencieux, ne la regarde même pas. Elle abandonne, se couche tout près du feu, espère se réveiller de ce cauchemar.
« J’ai cru distinguer quelque chose de bon. » Il ne dira rien d’autres, acceptera de l’escorter jusqu’à Lincoln, la tiendra dans ses bras quand elle pleura sa famille, les tuera pour elle. Il apprendra à la calmer pendant ses crises, continuera de chercher des inhalateurs, juste au cas où. Il la protègera contre tout, les morts et les vivants. Il lui trouvera un foyer. Et ils s’aimeraient en silence, d’une manière singulière, bien à eux.
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Rester sur le long terme lui était impossible. La vie au ranch, au grand air, lui avait fait du bien. Mais ça ne suffisait pas. De vieux souvenirs s’éveillent, douloureux, remplis d’amertume. Elle ne trouve pas sa place parmi ces dresseurs de chevaux trop fougueux, trop sûrs de tout. La tête lui tourne, elle sursaute au moindre coup de feu tiré, ne parvient pas à les regarder droit dans les yeux. Il est temps d’avancer. Ses affaires prêtes, elle s’avance dans l’obscurité planante d’où l’on devine le lever du soleil proche. Elle quitte le camp en toute discrétion, ne s’arrête pas, marche de plus en plus vite, sent son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, s’attends à être rattrapée, à entendre des sabots marteler le sol. Rien. Tout est silencieux.
« Tu croyais vraiment pouvoir foutre le camp sans que j’men aperçoive ? » Ses yeux se ferme, son corps se raidit, arrêté dans son élan, son cœur ralentit, sa respiration s’accélère. Il est tout près et pourtant si loin déjà. Plus question de faire demi-tour.
« Il faut que je m’en aille. Tu le sais très bien. » Dans la pâle lueur du jour qui pointe à l’horizon, elle le voit serrer les mâchoires, devine ses poings serrés et la tempête qui fait rage dans son esprit.
« Je n’ai pas ma place parmi ces gens. » Inconsidérée, gêne permanente, fillette à moitié morte, elle ne vaut rien.
« On s’en branle pas mal de ce qu’ils pensent ! » Elle se mord la lèvre si fort que le sang envahit sa bouche, goût de fer amer. Il avance, elle recule. Le temps se fige, le silence se fait pesant, ennemi juré de leur relation maintenant terminé.
« Tu peux arrêter de t’inquiéter et prendre soin de toi, comme avant. » Sa gorge se noue, elle combat les sanglots et ces larmes brûlantes qui tentent de s’échapper de ses yeux brillants.
« C’est mieux pour tout le monde. » Le dos tourné, elle dit adieu au passé, se remet en marche vers l’avenir tandis qu’il l’insulte, déverse son chagrin, crache son venin.
« Tu tiendras pas deux jours sans moi princesse ! » Ainsi soit-il.