natural disaster (eoghan)

Le temps commençait à se faire long. Très long. Il n’était pas encore complètement guéri, mais il pouvait enfin sortir de son lit sans trop serrer les dents, faire les cents pas sans boiter et son nez ressemblait moins à un vieux déchet écrasé sur le bord d’une route. Eóghan pouvait sortir Moya tout seul et à n’importe quelle heure. Il était persuadé que prendre l’air l’aidait dans sa guérison. Il avait encore besoin d’être seul même si la solitude l’effrayait beaucoup par moment car il était encore prisonnier de ses plus mauvais souvenirs et de son mensonge dont il n’avait pas encore réussi à se débarrasser. Il lui arrivait souvent de se mettre à la place de Joey et d’essayer de comprendre comment son ancien colocataire pouvait vivre avec un poids aussi lourd, regarder leurs amis dans les yeux quasi quotidiennement sans avoir de remords ou l’envie de balancer toute la vérité au grand jour se sentir plus à l’aise. Pour l’heure, ce qui freinait encore le mécano était l’attitude de Nino qui faisait encore le deuil de sa sœur. Il ne pouvait pas remuer davantage le couteau dans la plaie en annonçant qu’il était un traitre et qu’un jour dans sa vie, il avait un peu trop parlé à des inconnus.  

Moya dormait paisiblement sur son lit. Sa tête reposait sur le ventre du survivant qui la caressait entre les deux oreilles en lisant un livre rongé par le temps et l’apocalypse. Il l’avait choisi au hasard sans prêter plus d’attention à la couverture qui ne ressemblait plus à grand-chose. Il s’agissait de l’un des romans de la table ronde, un volume du Lancelot-Graal. Eóghan n’était pas un grand fan de la chevalerie, mais se projeter au Moyen-âge était pour lui un formidable moyen de s’évader de la réalité. Plongé dans sa lecture, il ne remarqua pas que la chienne avait relevé brusquement la tête au bruit des pas dans l’escalier. Bien que son tempérament fût d’un naturel très calme, elle n’avait pu se défaire de ses vieux réflexes, comme d’être constamment sur ses gardes alors qu’ils étaient en sécurité depuis déjà plusieurs semaines. Hopkins, lui, ne réagit que lorsqu’il entendit frapper doucement à la porte de la chambre. Etonné, la chienne et son maître échangèrent un regard avant que l’ancien Miner ne décide d’aller ouvrir. Il était loin de s’imaginer la suite, croyant d’abord que Nino, Portia ou Joey venait le voir pour s’assurer que tout allait bien.

Tirant doucement la porte vers lui, Eóghan avait froncé les sourcils, puis la surprise se lut immédiatement sur son visage lorsqu’il croisa le regard azur de Mikh Sloan. Après un instant, figé devant le jeune homme qu’il n’avait plus revu depuis des années, le survivant réalisa que ses pensées étaient vides. Il n’entendait aucun mot. Sa conscience elle-même demeurait sous le choc. Il se tenait là, sur le seuil de la porte de la chambre que ses amis lui avaient gracieusement confiée, incapable de faire le moindre geste, comme si son ex petit ami était un oiseau et qu’il s’envolerait au premier mouvement d’Hopkins. Il l’avait souvent imaginé comme un rouge gorge ou un merle qui prenait la fuite chaque fois que les choses venaient à se corser, sans jamais donner de raison. La dernière fois, ils n’avaient été que deux hommes en désaccord sur leur avenir. L’un avait choisi la survie et l’autre, sa famille. Ils avaient déployé leurs ailes et étaient partis chacun de leur côté sans jamais penser à d’éventuelles retrouvailles, comme si leur fin était définitive, qu’ils ne se reverraient plus jamais. Le mécano détourna enfin le regard et serra la mâchoire. Il se détourna pour aller regarder par la fenêtre. Les mots se bousculèrent progressivement dans son esprit, mais au moins, en regardant dehors, Mikh ne verrait plus que son dos et non pas l’étrange sentiment qu’Eóghan ne parvenait pas à identifier et qui se lisait dans ses yeux brillants. Ses émotions avaient déjà fait bien des dégâts par le passé, il était hors de question qu’il les révèle, encore une fois.