« Tell me your story
please tell me everything »
Quand il pensait à sa chambre, il se rappelait un soir alors qu'il aurait dû dormir depuis longtemps, sauf qu'il ne voulait pas éteindre, sauf qu'il voulait dessiner encore.
Maintenant, il ne dessinait plus.Il avait levé la tête pour une raison quelconque, vu l'insecte sur le mur, énorme, repoussant. Tellement gros que s'il s'approchait avec son chausson dans une main pour l'écraser, Adrian craignait que la semelle ne soit pas assez...
S'il avait éteint à l'heure dite, s'il avait été sage ainsi que ses parents le lui demandaient, jamais Adrian n'aurait vu l'insecte, jamais il n'aurait eu peur de dormir ou de détourner les yeux simplement.
Maintenant, la chambre ne lui apparaissait plus qu'ainsi lorsqu'il fermait les yeux : l'insecte, l'ampoule nue qui éclairait sans chasser les ombres, la peur glacée de ne pouvoir se protéger aussi. Comme si l'endroit ne pouvait avoir eu d'autre existence avant cette nuit -cela avait été le cas pourtant – comme s'il n'y avait pas eu d'autres nuits après -il y en avait eu-.
Un souvenir brisé, sa mère lui répétait qu'il brisait tout ce qu'il touchait, ça semblait aussi le cas avec la mémoire...
Presque dix ans qu'ils avaient quitté la maison, tous. Presque...
Adrian se rappelait avoir porté deux sacs trop lourds. Maman avait les jumeaux dans les bras, ils étaient assez grands pour marcher mais elle refusait de les lâcher. Tenir la main de son fils aîné, ça lui semblait pas important par contre.
Pas important non plus pour papa, qui marchait devant eux et se retournait pour regarder sa femme de temps à autre. Si Adrian traînait trop, ils lui criaient après mais lui, ils ne le regardaient pas forcément.
L'adolescent faisait au mieux, promis. Il avait des ampoules aux pieds, les lacets de ses chaussures se défaisaient et Adrian ne pouvait les refaire seuls. Ses
problèmes disat sa mère. Elle ne voulait pas parler de handicap, jamais. Un mot interdit...
Il portait les sacs, pas les plus importants cependant, juste...juste les sacs.
Ceux qu'on pouvait se permettre de perdre.
Comme lui.
***
Il était parti en leur laissant les sacs, un geste idiot. Un geste idiot sauf qu'à part attendre et mourir, Adrian ne pouvait faire grand chose.
Ses parents s'étaient réveillés, ils avaient mis plus de temps que d'habitude à se préparer en voyant qu'il n'était pas là, mais ils ne l'avaient pas cherché.
Ils étaient parti, simplement. De loin, Adrian les avait observé. Il avait de nouveau l'impression d'être dans sa chambre, de regarder l'insecte pour voir s'il allait bouger ou non.
Et puis il se retrouva seul...
Adrian avait 16 ans, on pouvait se permettre de mourir à cet âge là même quand on ne voulait pas.
***
Ca devenait rare, les chaussures à lacets. Les baskets qu'il avait aux pieds étaient défoncées un peu, mais il pouvait marcher avec.
Comme s'il était comme tout le monde.
Les distances étaient grandes, on pouvait se blesser sur la route, devenir inutile. Le plus dur pour lui, c'était de parler en marchant quand on lui adressait la parole. La coordination touchait beauoup de choses, et c'était d'elle dont Adrian manquait.
Il ne l'avait dit à personne du groupe, se souvenait du dégoût de sa mère pour le mot.
Handicap.
Et puis il y avait eu le vaccin, le vaccin pour survivre. Dans l'esprit du jeune homme (vingt ans presque, pourtant il restait jeune), ça l'avait aussi soigné lui de tous ses problèmes d'avant, des choses invisibles qui lui marquaient le corps, l'empêchaient d'être comme tout le monde, de faire comme tout le monde.
Il s'en convainquait avec rage, y croyait lui-même de la même manière qu'il croyait en Lazare.
Et puis Dieu.
Parce que Dieu parlait par Lazare....
Au sein de la secte, Adrian se sent entouré pour la première fois. Il a oublié sa famille, ses parents, les jumeaux...parfois de mauvais souvenirs reviennent, le jeune homme les chasse.
Parfois il se souvenait encore. L'insecte au mur, et s'il y avait une parabole il n'est pas assez intelligent pour la comprendre.
***
Il a vingt-et-un ans, on rit de lui parce que le soleil du Texas semble lui brûler la peau pire qu'au Nouveau-Mexique. On rit de lui et il rit aussi, il n'a pas peur. Dans le camps, il s'occupe de ses tâches, fait les corvées qu'on lui assigne. Il a une place, n'a pas à subir l'ombre de préférés.
Des tragédies arrivent pourtant, Adrian les accepte : il est important que Dieu les mette à l'épreuve. Il y a quelques jours, un homme du camps est mort et beaucoup le regrettent. On savait que cet homme partageait la couche de Lazare, si cela signifie une tristesse Lazare n'en montre rien car ses sermons sont toujours aussi forts, toujours aussi purs dans le Divin.
Adrian les écoute avec exaltation, ici il n'y a personne pour lui dire qu'il n'y comprend rien. Le jeune homme aime à penser que c'est une autre blessure qui se referme...
Quand Lazare le fait venir à lui, il obéit. Lazare utilise son nouveau nom, celui qui est le sien dans la tribu : David. Adrian n'a eu aucune éducation religieuse avant la secte. Ici, on lui a signifié ce que voulait dire ce nom et, face à l'homme à qui il a juré allégeance et qu'il aime plus que tout car il est leur Sauveur, Adrian se souvient.
Aimé de Dieu.Peut-être l'imagine-t-il seulement, mais la main de Lazare est sur sa joue...
Dorénavant, il se glisse dans sa couche quand lazare en exprime le désir, c'est là ce qu'on attend d'un concubin.
Il n'y a pas de préféré ici, pourtant son existence a un poids, Adrian le sait désormais. Il a vingt-et-un-an, il est heureux...