don't fool me (jude)

Comme un air de nostalgie. Il parcourait la Carrière, mais pas question cette fois-ci d’aller casser du jackal, ou d’aller se renseigner sur telle ou telle épine dans son pied. Certes, il y avait toujours la tentation d’aller se renseigner sur Amalia. Il avait appris que la jeune femme avait quitté la Carrière après que son trafic avait été révélé par des Olympiens. Il n’avait pas encore les noms, mais est-ce que cela servait bien à quelque chose de les avoir. Il n’était pas en position de force pour aller casser la gueule de quelques balances dans son propre camp, et ce n’est pas comme si une mise à tabac allait changer quoique ce soit. Non, la raison pour laquelle il se rendait à la Carrière, c’était pour effectuer un service qu’il monnayait lorsqu’il n’était encore qu’un simple jackal avide de réseau et d’opportunités. Un de ses vieux clients, Rockson, avait besoin de lui pour le déplacement d’une importante quantité de vivres et de gibier frais vers Olympia. Comme il faisait confiance à Havener, avec lequel il avait traité par le passé, et que la Carrière était désormais alliée à Olympia, son choix s’était naturellement porté vers le blond. C’était d’ailleurs à Ryan qu’incombait la tâche de choisir son équipe. Le trajet était bien connu et sécurisé, en théorie, il ne devrait pas y avoir de problèmes. Ryan alla donc voir une des personnes avec lesquelles il travaillait habituellement pour voir avec lui qui prendre. Habituellement, deux personnes en plus de ceux qui déplacent les marchandises suffisaient pour un trajet si bien tracé, mais comme les marchandises étaient importantes et surtout fraîches donc avec une odeur plus forte, mieux valait prendre une ou deux personnes en plus. Il alla donc voir Albert, qui lui conseilla deux personnes en plus de Ryan, et « un nouveau gars, Jude, connais pas trop, mais il a une petite fille à nourrir donc ça doit être un gars sérieux et faut lui donner sa chance. » Si Ryan n’aimait pas trop travailler avec des bleus, car ils étaient souvent plus des boulets qu’autre chose à ses yeux, il faisait confiance à Albert. Et puis, il allait peut-être intimider un peu le nouveau gars pour récupérer un peu de sa part, voir ce qu’il a dans le ventre. Ryan nettoya un peu son flingue, histoire qu’elle ne s’enraye pas au mauvais moment sait-on jamais, affuta un peu sa machette et se pointa ensuite au point de départ du convoi. Il jaugea du regard les gars présents qui laçaient leur chaussure ou montait leur armes. Il regarda l’heure puis s’adressa au groupe. « Salut les gars, moi c’est Ryan, après avoir été choisi personnellement par Rockson, c’est moi qui vais diriger ce convoi. On va à Olympia, on devrait pas avoir d’embrouilles sur le trajet et je suppose que la plupart d’entre vous connaissent le chemin, mais au moindre pépin, vous faites pas les fous et vous attendez mes ordres. C'est moi qui gère vos parts, alors vous feriez mieux de m'écouter. » Il fit quelques pas vers le groupe des hommes pour mieux les observer, tous plus ou moins blasés et habitués à ce genre de trajet. Puis il tomba sur un homme, pas comme les autres. Pas le même regard. « C’est toi le nouveau gars, Jude ? Je te préviens, j’ai pas beaucoup de patience avec les noob, t’as des questions ? C’est le moment car après j’aurais autre chose à faire que de jouer les profs. » Il voulait donner la couleur tout de suite, bien que ce Jude n’ait pas l’air handicapé ou quoique ce soit, il voulait juste que la chose se passe vite et bien. Rockson était un client important de son réseau, et si ça merdait, les bons comptes et arrangements de Ryan risquaient d’être mis en péril.

Escorter un convoi en échange de quelques denrées, le genre de travail que Jude espérait. Seulement, il était nouveau ici, les gens savaient pas encore jusqu'où on pouvait lui faire confiance. Jusqu'où il méritait aussi, plus que d'autres peut-être, alors sans doute qu'on penserait à l'escroquer. Un prix à payer pour se faire accepter, si du moins ce genre de bizutage ne durait pas. Les règles de la Carrière, il en connaissait pas les subtilités, de même qu'il savait peu de choses des personnes d'ici et d'ailleurs, les autres camps.
Ce que Jude savait, c'est que connaître l'extérieur et les rôdeurs, ça faisait pas forcément de lui quelqu'un de compétent. Les autres, fallait les rencontrer aussi, voir qui pourrait aider un jour, qui poserait problème peut-être, ce genre de subtilités...

Il avait accepté pour le convoi, posant juste les questions nécessaires afin de préparer Indiana à son absence. L'enfant était secouée depuis quelques jours, de mauvaises choses arrivées à la Carrière, une impression illusoire de sécurité qui se cassait un peu la gueule. Heureusement, l'homme avait trouvé quelqu'un pour s'occuper d'elle jusqu'à ce qu'il revienne. Elle n'avait pas pleuré, sachant que son père détestait les caprices, mais la tristesse se lisait bien pas sur son visage mais dans ses poings fermés.
C'était aussi pour elle qu'il faisait ça, pour qu'elle ait à manger, ce dont elle pouvait avoir besoin pour survivre. Elle comprenait, c'était peut-être ça qui lui donnait mal au coeur à la gamine aussi, qu'elle comprenne.

Les visages étaient fermés alors qu'on se préparait au départ. Rudes, plus qu'hostiles. L'homme chargé de les diriger se présenta à eux, impossible de dire quoi que ce soit de lui d'après son apparence. Ils avaient tous la même gueule au fond, celle de survivants.
Quand Ryan s'approcha de lui, Jude se contenta de le regarder droit dans les yeux.

”T'écouter et suivre tes directives même quand les merdes arrivent, garde tes ordres aussi clairs que ça et non j'aurai aucun mal à les comprendre et obéir.”

Il n'était pas là pour faire des histoires, mais bien pour apprendre. Sa stature était celle de quelqu'un non pas sur le qui-vive, mais de simplement prêt, à l'écoute. Obéir à un inconnu demandait des efforts cependant. Il y avait donc une hiérarchie ici (et cela était normal) avec Ryan tout en haut de la chaîne alimentaire et le convoi en but de mission puisque raison de leur départ pour Olympia. Cela signifiait que le convoi et Ryan étaient indispensables. Les autres, peut-être pas..
Observer Ryan lui serait bénéfique, voir jusqu'où l'on pouvait aller dans des ordres quelconques c'était ça qui intéressait l'homme. Pas que de la simple curiosité, d'ailleurs, simplement qu'il lui faudrait être prêt à faire de même si Jude voulait continuer à vendre ses services.
Pour les missions en solo, pas de soucis, mais en groupe, l'homme comptait bien devenir autre chose qu'un troufion de base et se rendre indispensable...

C’était assez grisant, d’avoir à nouveau du pouvoir et de commander une petite escorte. Ca lui rappelait les débuts de l’Influenza, quand il était à la tête d’un groupe d’une cinquantaine de brigands. Chacun qui écoutait la moindre de ses paroles, s’exécutait au moindre ordre sans sourciller et broncher. Ryan avait toujours aimer contrôler, parfois même abuser de son pouvoir. Juste parce que se sentir comme un roi lui donnait un plaisir fou. Jude ne semblait pas emmerdant, pas le genre de gars qui allait le contrarier ou défier son leadership. Du moins, pas dans l’immédiat. L’homme répliqua qu’il n’avait pas de questions et qu’il était prêt à lui obéir au doigt et à l’oeil. « Bien. » dit-il en acquiesçant de la tête. Il siffla en direction des deux hommes qui portaient le bétail pour leur indiquer de venir avec eux. « En route ! » le groupe commença à avancer et graduellement s’éloigner des abords de la Carrière.

Ryan est placé au milieu du cortège, indiquant à chacun où se placer afin qu’aucun d’entre eux ne soit surpris. Le chemin est pour le moment calme et il ne croise personne sur la route. Jude est légèrement devant l’ex-jackal, impassible et silencieux. « Alors, tu nous viens d’où le nouveau ? » Ryan pouvait se permettre de lui parler, il ne sentait pas de dangers dans l’immédiat sur cette route bien sécurisée. Il avait du flair pour cela, et il savait que les potentielles embrouilles pouvaient venir dans un quart d’heure, lorsqu’ils auraient quitté la route principale. « C’est quoi ton histoire ? » Le début de l’Influenza remontait à un paquet de temps désormais, et tous ceux qui avaient survécu jusqu’à présent avait nécessairement une histoire digne d’être racontée, au moins dans les grandes lignes.

Et puis, c’était en l’écoutant aussi parler de lui-même que Ryan pourrait évaluer s’il avait affaire à quelqu’un de sournois ou pas. Si c’était un mec à problèmes ou pas. Car Ryan n’avait pas besoin de gars comme ça dans son équipe, lui, il était plutôt du genre tyrannique à dégager celui qui commettait le moindre impair ou émettait le moindre doute sur sa façon de faire les choses. C’était en somme donc le premier test que Jude allait devoir passer. Face à la première hésitation que semblait lui accorder le Carrière, Ryan ajouta : « Si on est en tous là, c’est pas par hasard. J’veux simplement savoir comment toi t’en es arrivé là. » Pas plus de crainte que cela à avoir, il connaissait vaguement les histoires des autres gars, il ne faisait qu’être un bon chef d’équipe en essayant de savoir qui étaient ceux qu’ils commandaient actuellement. Sait-on jamais que ça tourne au vinaigre, faut savoir qui il serait prêt à sauver et qui serait disposable. Jude avait donc tout intérêt à répondre malgré le pseudo détachement avec laquelle l’olympien avait posé ces questions.  

L’expédition commença, Jude n'avait effectivement rien d'autre à faire qu'obéir aux directives. Il semblait être le seul (ou du moins l'un des seuls) du convoi à ne pas encore avoir été sous les ordres de Ryan. Les autres possédaient des habitudes et des réflexes, lorsque lui-même devait suivre les ordres point par point pour ne pas oublier quelque chose dans ce que l'on attendait de lui.
Frustrant, pour quiconque ayant eu l'habitude de bosser seul, nécessaire cependant pour s'accorder au groupe, comprendre l'importance des choses. Et jude s'exécuta donc, les gestes précis, pareils à ceux d'un robot car il ne discutait pas, ne cherchait pas à trop en faire ou pas assez, faisant simplement ce que l'on voulait qu'il fasse.

Alors qu'ils avançaient, Ryan se porta à ses côtés. Jude tourna la tête légèrement pour lui montrer qu'il lui donnait de l'attention, tout en ne relâchant pas sa garde malgré tout, les muscles non pas crispés mais prêts à se déployer si besoin est.
Quelque chose pouvant être interprété comme contre le chef d'expédition, lorsque l'homme voulait juste éviter d'être surpris par des Rôdeurs ou des pillards.

”Tampa, Floride... J'suis là pour ma fille.”

Ce n'était pas par amitié que Ryan demandait cela, Jude comprenait qu'il attendait plus niveau réponse. L'homme estimait n'avoir aucune raison de mentir, à moins que...? Ils avaient fuit l'Etat pour ne pas que la fillette ne se retrouve en esclavage, néanmoins pouvait-il y avoir des contacts entre certaines personnes à la Carrière et des gangs de Floride? Ils avaient tous bourlingués après tout, même Ryan le disait.

”On s'est fait avoir par un gang là bas, ils m'ont laissé pour mort, un coup de pot. Ils voulaient la petite, elle était assez grande pour eux, leur convenir. Je sais même plus comment j'ai fait exactement pour les retrouver, les attaquer... Ca a pris du temps, et puis il a fallu fuir. “

Dans le regard clair, une méfiance. Très vite cependant, Jude reporta les yeux droits devant lui. Il n'avait pas conscience de ne pas être le véritable père de l'enfant. Quant à la fillette, pour oublier et dénier une partie de son traumatisme, elle avait appris à accepter Jude comme tel.
Ce soir, ils auraient de quoi manger, et Jude la regarderait dormir ensuite, une arme à la main, veillant sur son sommeil avec la culpabilité de quelqu'un n'ayant pu empêcher l'inévitable.

”Vous êtes tous du coin, à l'origine?”

Il y avait quelque chose de blasé chez Jude. Un air de robot qui ne plaisait pas des masses à Ryan. Habituellement, il aimait qu’on ne discute pas ses ordres et qu’on soit attentif à ses moindres faits et gestes, mais lorsque cela était sur Jude, cela faisait comme… anormal. Comme s’il n’était pas humain. Ryan se dit qu’il était sûrement trop paranoïaque, dégageant ses pensées étranges pour écouter le Carrière parler de lui. Il avait une fille, c’était souvent un signe rassurant. Les gens avec des enfants n’étaient généralement pas des psychopathes qui tirent sur tout ce qui bouge. Il y avait certes des exceptions, mais bon, il était plus risqué de se mettre des gens à dos ou de fuir une scène de crime avec un gosse sous Le Bras. « Quel âge a-t-elle ? » Sait-on jamais que Jude mente, Ryan pourrait se renseigner au sein de la Carrière, voir si un enfant récemment arrivé correspondait bien à la description. Encore une fois, sûrement trop parano, mais c’était dans sa nature et il avait l’habitude de trier ses hommes sur le volet.

Jude fut plus vague dans son récit de route, des histoires de gangs et de kidnapping, ce qui fit froncer les sourcils de Ryan, soucieux d’en savoir plus. « Je comprends pas. Pourquoi ils voulaient kidnapper ta gosse ? Les gangs ont pas besoin de gosses. » Ryan en savait quelque chose, il avait lui-même été à la tête d’un gang, aucun d’eux n’avait des enfants, même adolescents. C’était une bouche à nourrir en plus et un poids superflu. « Si tu te rappelles pas de comment t’as sauvé ta fille, t’as de sérieux soucis de mémoire l’ami. » dit-il, surpris de ce que lui disait Jude sur un ton énigmatique. Un événement pareil, ça se retient, et il espérait que Jude allait expliciter.

Le groupe continuait d’avancer, certains hommes prenant la liberté de s’allumer une cigarette. « Moi je suis né au Texas, donc j’ai toujours traîné dans le coin, et les autres gars sont tous d’Etats du Sud, pas loin quoi. » Pour se retrouver au Texas, si on venait du nord du pays, sans caisse ou quoique ce soit, ça faisait quand même une sacré trotte et Ryan connaissait peu de monde qui soit réellement originaire d’Etats si lointains.

Texas et environ, tous. Pour certains, ça s'entendait un peu : Indiana avait même eu un instant d'absence tétanisé en entendant quelqu'un lui parler avec le vrai accent terroir, à la Carrière...

”Treize ans...” Ils ne fêtaient plus les anniversaires, ils comptaient juste les années. Même faire des cadeaux, ça n'existait plus, et Jude apprenait à sa fille à trouver par elle-même, un peu aussi à mériter même si au fond, le mérite, lui aussi il voulait plus rien dire.

”C'était des dégénérés, tout ce qu'ils voyaient, c'est que c'était une fille et que donc, ça leur plaisait pour leurs...projets. “

Rentrer dans les détails, quelque chose que Jude ne savait plus faire. Ca, reconnaître ses erreurs aussi, personne n'étant parfait. Il haussa les épaules, essaya de sourire. Une grimace, d'abord, puis ses traits se détendirent un peu. Ca restait malsain, mais ça ressemblait quand même un peu plus à quelque chose.

”Simple façon de parler. Je veux juste plus m'en souvenir, c'est surtout ça... J'en ai tué quelques uns, Indiana a tout vu et elle comprenait pas. Elle me prenait pour un monstre, ma propre fille, et j'pouvais même pas lui dire que non puisque j'ai été assez monstrueux pour pas pouvoir la sauver à temps. A part ça, promis, j'ai aucun problème de mémoire. Un vrai jeune homme...”

Et il y croyait, le bougre, que son cerveau allait bien. En dehors de problèmes psychologiques propres aux survivants, Jude ne semblait pas avoir de symptômes spécifiques. Des traumatismes, voilà tout, des envies d'oubli, mais il était là. Il était là...

”D'ailleurs, on va où déjà?”

Aucun problème de mémoire, tu vois? C'était ce que disait sa plaisanterie pas drôle.

”J'ai la maladie de l'implicite, j'aime pas les détails. J'suis précieux et pudique, mais pas incapable. Ca ira quand même?”

Gueule cassée, pour sûr qu'il l'était aussi. Ca se casse, les visage, quand on voit trop de trucs dégueulasses, quand on subit. Ca se casse de manière invisible, mais on sent que quelque chose va pas, c'est tout.
Que la personne devant vous, a vécu.
Et c'était aussi cela qui déstabilisait, chez Jude, car des choses vécues il en avait beaucoup. Son esprit oubliait, quelque chose dans son corps, son apparence, se souvenait...

”Et toi, t'as des enfants?”

A nouveau, l'homme tourna la tête vers Ryan, le regarda. Ils continuaient à marcher d'un pas égal, et Jude prenait conscience de chacun des hommes du convoi. Ils étaient compétents, ils savaient ce qu'ils faisaient, à qui obéir.
Ils obéissaient à Ryan, et cela semblait la bonne solution en effet.

”Merci pour m'avoir donné ma chance. Précieux et pudique, ma fille est plus virile que moi, tu vois?“

Sa fille était assez âgée selon les dires de Jude, et vu l’âge que Ryan lui donnait, cela voulait dire qu’il avait dû l’avoir assez jeune. « Et elle s’appelle comment ? » Au point où il en était, il pouvait bien lui poser la question directement pour connaître son nom et ne pas perdre trop de temps dans ses vérifications. Si Jude était vraiment quelqu’un d’honnête et obéissant, il n’aurait aucune raison de mentir à Ryan ou de refuser de lui divulguer cette information. Ryan ne savait pas encore à quoi sa fille ressemblait, mais vu son âge, il ne fut en effet pas surpris que des brigands en chien et particulièrement pervers souhaitent en faire leur esclave sexuel.

Si Jude ne dit pas exactement leurs intentions, Ryan le comprit sans mal. « Je vois, ravi que vous ayez pu échapper à ces tarés. » Même Ryan, qui avait quand même fait mal d’atrocités dans sa vie depuis le début de l’Influenza, n’était pas capable d’un tel geste. Peut-être que la combinaison du charme de sa personnalité et de ses bons gênes lui avait toujours évité de céder à ses impulsions les plus primales et monstrueuse pour aller violer quelqu’un. « Elle comprendra, il lui faut simplement du temps, mais pour qu’elle ait ce temps, il faut que tu la gardes en vie. » Logique implacable d’un monde impitoyable envers les enfants particulièrement vulnérables, en raison de leur inattention permanente et de leur maigre force physique.

Il continuait à avancer, remarquant qu’ils allaient quitter la route principale au prochain tournant. Il siffla pour attirer l’attention du groupe sur lui. « On va tourner à droite ici et s’aventurer dans des sentiers moins sécurisés. Je veux que tout le monde soit aux aguets. » Il sourit à la remarque de Jude, qui ne savait même plus où on allait. Un peu inquiétant tout de même. « Olympia, où est-ce qu’on pourrait aller d’autre à ton avis ? » La Carrière ne faisait pas exactement commerce avec la Mine ou le Ranch. « Moi des enfants ? C’est pas mon genre donc non. Du moins, pas à ma connaissance. » Ryan n’était pas resté vierge depuis le début de l’Influenza et ses rapports avaient été de moins en moins protégés avec le temps. Donc tout restait possible.

Il acquiesça de la tête au remerciement du Carrière de l’avoir emmené dans cette expédition, s’apprêtait à lui répondre, quand soudain, il se mit en alerte tel un animal lorsqu’il crut entendre un bruit provenir de leur côté du sentier. « T’as entendu ça ? »

Ah, de toutes évidences Ryan n'avait pas compris la pointe d'humour dans la question de Jude. Oui il savait où ils allaient, heureusement. L'homme ne prit pas la peine d'expliquer (de s'expliquer) à l'autre, inutile d'emmerder le chef avec plus d'infos que nécessaire.
Il avait donné le nom d'Indiana en même temps que leur histoire, que ce que voulait savoir le blond, essayant de répondre au mieux aux questions.
Et puis, en même temps il se demandait : à la place de l'autre, comment réagirait-il à quelqu'un comme lui, qu'en penserait-il?
Peut-être pas forcément du bien, peut-être pas forcément du mal.
Comme le reste du groupe, Jude écouta chacune des informations données par Ryan, prenant le temps d'effectuer ses manœuvres avec le plus de discrétion possible.
L'autre revint lui parler. Non, il n'avait pas d'enfants, du moins pas reconnus. Ca ne l'empêchait pas de savoir prendre soin d'un groupe de personnes, assez pour être à leur tête.
Il se figea, aux aguets. Quelque chose en lui avait bien enregistré un son mais son cerveau n'avait pu décider s'il ,s'agissait d'une menace ou pas.
Ce à quoi Jude réagissait n'était donc pas le bruit (pas vraiment) mais l'attitude adoptée par Ryan. Celle qui criait menace, celle qui criait prudence.
Plus loin, quelque chose faisait bouger la végétation. Il ne s'agissait pas du bruit furtif et rapide d'un animal en fuite désirant se barrer d'ici le plus loin possible, mais d'autre chose.
Merde...
C'était proche d'eux malgré tout, assez proche pour empêcher un repli si jamais cela devenait nécessaire.

”Quelqu'un bouge.” Un choix de mots peu anodin, mais la nature du bruit, de ce putain de bruit qu'il avait entendu parce que son cerveau ne l'avait pas reconnu comme faisant parti des bruits ambiants inhérents à la nature, tout portait à croire que c'était un bipède, la cause. ”Ca nous entend forcément avancer, parler...mais ça ne grogne pas.” Les rôdeurs grognaient, non?
L'expérience que Jude en avait était celle de prédateurs (monstres) ne pouvant/ne sachant être discrets. S'en foutant. Peut-être ceux du Texas étaient différents? Beaucoup de choses au Texas ne se passaient pas comme dans le reste du monde ou des Etats Unis après tout, mais... ”Curiosité professionnelle : ça se passe comment en cas de Traquenard, on fait des prisonniers? Parce que c'est ce qui semble nous tomber sur la gueule.”
Un traquenard, c'était avec des humains, cela voulait donc dire qu'ils pouvaient faire des erreurs humaines (et généralement, les assaillants ne s'en privaient pas. Couillons.), Jude préférait cela aux Rôdeurs.

Il fut dans un premier temps rassuré que Jude ait entendu le même bruit que lui. Le son avait été léger et avec le bruit environnant des autres hommes qui marchent, toussent, avancent, ils auraient pu ne pas entendre ce bruit. Pour l’instant, Ryan fait un léger signe à ses hommes pour qu’ils ralentissent le pas sans pour autant complètement s’arrêter. Si c’était des brigands, mieux valait qu’ils feignent l’ignorance pour mieux les surprendre lors d’une attaque éventuelle. Jude tendit l’oreille, semblant analyser la nature du bruit. Du même avis que Ryan, cela ne semblait pas être un animal qui aurait déjà fichu le camp face au bruit monumental - pour un animal - que le convoi aurait pu faire, ni un rôdeur qui se serait rapidement montré, lui au contraire attiré par le bruit, et signifiant souvent sa présence par un grognement perpétuel. Tout semblait indiquer une présence humaine qui traînait aux alentours, et ne semblait pas vouloir s’éloigner. Au contraire, c’est comme si ce même humain, mais Ryan était quasiment sûr qu’ils devaient être plusieurs, les suivaient. Il écouta la question de Jude et fit plusieurs signes à ses hommes, qui pour un non-initié, ne voulaient probablement rien dire. Mais les autres collègues hochèrent de la tête en signe de compréhension avec un regard appuyé et il y eut un changement de dispositif.

« Dans ce genre d’embuscade, il y a souvent un homme qui va se mettre devant dans quelques mètres, comme appât. Il va nous faire croire qu’il est blessé ou alors écroulé au sol ou alors boîtant vers nous va implorer notre pitié, bref, tu vois le genre. Des hommes vont aller à sa rencontre, il va en tuer un et d’autres hommes vont débarquer sur les flancs, voire même peut-être un derrière. Il faut donc adopter une position en losange. »

Ainsi, il y avait un homme sur chaque flanc, un homme à l’arrière mais aussi un homme à l’intérieur du losange comme dernier garde-fou du convoi. Il ne restait plus qu’à envoyer un homme devant, celui qui irait à la rencontre du potentiel appât placé par les brigands. « Si tu veux apprendre, t’es sorti le bon jour, je te laisse aller au charbon et aller devant. Si appât il y a, c’est toi qui va devoir aller lui parler et ne pas te faire surprendre s’il essaie de te tuer. Je ne peux pas risquer d’envoyer deux hommes. Considère cela comme ton bizutage. »

Bien entendu, Ryan pouvait se tromper et peut-être qu’il n’y aurait aucune attaque, ou peut-être que les brigands les attaqueraient dans quelques secondes, quelques minutes, d’une autre façon. Mais il avait mené suffisamment de convois par le passé pour savoir que c’était le type d’embuscade le plus utilisée, lui même y eu recours lorsqu’il était à la tête d’un énorme groupes de brigands sans foi ni loi. Restait à voir ce que Jude avait dans le ventre.

La compassion, un piège mortel. Certes, si cracher sur ceux lui réclamant de l'aide n'avait jamais empêché Jude de dormir, il y avait d'autres personnes avec qui si on instinct tordu de protection pouvait se réveiller. Quoi qu'on en dise, l'homme possédait tout sauf l'empathie facile... Ce qu'il voulait, c'était protéger sa fille des autres et casser la gueule et les dents de tout ce qu'il interprétait comme une menace. Dans le même temps, Jude exigeait que l'on ait de la compassion pour la petite malgré tout. Cette même compassion qu'il refusait de donner aux autres, qu'il refusait également qu'Indy donne aux autres.
Exiger et arracher, pas d'autres lignes de conduite, surtout pas.

Les hommes s'étaient sensiblement organisés autour du convoie, dans une série de mouvements infimes, non décelables pour qui ne savait pas exactement comment regarder. Quant à lui, on lui proposait un bizutage étrange et tordu : aller devant.
Jude n'avait pas les moyens de refuser, il se contenta de marcher un peu plus vite simplement. De loin, on pouvait croire que ses mains reposaient dans ses poches avec nonchalance, en vérité elles restaient à la ceinture de son jean, prêt à se saisir d'une arme au besoin.
Un mètre le sépara des autres, puis deux, puis dix. Il s'arrêta comme pour les attendre, regardant droit devant lui, attentif. Rien, toujours rien
Si on les observait -90% de chances à cela- on jouait également avec leurs nerfs, attendant de les voir perdre patience, baisser leur garde aussi pour se rassurer, se convaincre qu'il n'y avait rien.

Et puis ça bougea un peu plus dans les buissons, voir même beaucoup plus. Un adolescent malingre émergea de l'un d'eux, le regard hagard, essoufflé, couvert de sang. Le genre de gamin qu'on foutait en première ligne pour apitoyer parce que merde quoi, c'était un gosse. Jusqu'à ce qu'il soit trop vieux pour cela, en ce cas soit il servait la bande autrement, soit on s'en débarrassait. Malheureusement, le môme risquait pas d'avoir l'occasion de grandir beaucoup.

”Chef? Ces cons ont du se faire attaquer par des rôdeurs en attendant qu'on avance... J'crois qu'on va avoir les deux sur les bras très bientôt.”

L'épaule du jeune adolescent dégoulinait de sang et d'autres humeurs poisseuses, on y distinguait cependant encore très bien la marque de morsure. Il essaya de bégayer quelque chose, mais Jude n'avait pas envie de perdre son temps. D'un rapide coup de machette, il abrégea les souffrances du môme.
Amen, à bientôt, au revoir.

”La bonne nouvelle c'est qu'ils ont un peu plus loin qu'on ne le pense, la mauvaise, le mioche a tracé une véritable autoroute en fonçant comme ça dans les buissons”

A première vue, Ryan pouvait sembler avoir tort. Personne n’était venu à leur rencontre ou ne s’était encore placé sur leur chemin. Le bruit paraissait indiquer que la menace était imminente, et si Jude ne fut pas totalement rassuré de se placer en tête du cortège, les premières minutes après le changement de dispositif et l’état d’alerte maximal furent silencieuses. Ryan observait loin devant lui, guettant le moindre changement d’attitude de Jude plus loin devant eux, qui restait pour le moment arme à la main, sans changement notable dans son allure.

Et puis, il entendit à nouveau des bruits cette fois-ci plus vifs, pas le genre de personnes qui tentaient de rester caché ou de ne pas se faire entendre pour le coup. Une personne surgit devant Jude, sans que Ryan puisse évaluer exactement la situation. Il se fia donc aux paroles de sa nouvelle recrue. Visiblement, leurs potentiels assaillants avaient été attaqués par des rôdeurs et ce qui semblait être un jeune homme ou adolescent au regard de Ryan à sa distance actuelle, était visiblement mordue. Tout en continuant à avancer avec le convoi, ils virent Jude achever le mordu sans dire un mot, sans même prendre la peine d’écouter ce qu’il avait à dire. Le convoi parvint alors jusqu’à Jude et Ryan regarda le corps sans vie, tendant une flasque à Jude.

« C’est bien, t’as fait ce qu’il fallait. Tu veux boire un coup ? » Si Ryan avait l’habitude de tuer à tout va, sans que cela lui pèse sur la conscience plus que cela, il savait que ce n’était pas le cas de tout le monde et il voulait que Jude digère son acte au plus vite. L’alcool pouvait aider, sans être obligatoire. Il médita les pensées du Carrière, ce dernier supposant que si les brigands étaient encore loin, rôdeurs comme fuyards allaient pas tarder à venir à leur rencontre suite au boucan commis par la fuite du jeune mordu. Il se gratta le bout de sa barbe, regardant autour de lui, comme à la recherche d'une solution.

« On est plus très loin d’Olympia mais on peut pas risquer d’accélérer le pas en espérant ne pas tomber sur eux. » Les marchandises étaient nombreuses, et le risque était qu’ils perdent une partie de leurs ressources en tentant de sprinter vers Olympia ou fuir une quelconque menace. « Il faut qu’on nettoie discrètement la zone et que des gens restent avec les marchandises un peu plus en retrait. » Il désigna trois gardes pour surveiller les marchandises et les deux personnes non-armées qui portaient la plus grosse partie des marchandises. Et Il fit signe de la main à Jude de s’approcher.

« On dirait que c’est l’heure de ton deuxième test, on va y aller juste tous les deux, essayer de discrètement voir s’ils s’approchent de notre position, s’ils constituent une menace, et si besoin, les neutraliser. Rôdeurs comme humains. » Ryan n’était pas connu pour s’emmerder à laisser des gens vivants sur son chemin. Si c’était bel et bien des brigands armés, il se fiait à son intuition sur leurs intentions, même intuition qui lui faisait rarement défaut et ne prenait aucun risques. « Le gars est venu d’où ? Je te suis. » Pistolet Beretta dans une main, couteau de taille moyenne dans l’autre, il était prêt à infiltrer les bois et en découdre.

Il refusa l'alcool en secouant la tête. L'empathie pour les autres, morts comme vivants, c'était pas son fort à Jude. On tuait, on était tué, on s'appropriait ce qu'on pouvait quand on le pouvait, et pour ces choses (personnes) là, on espérait.
Est-ce que l'homme aurait du réagir autrement, être horrifié de son propre geste? Un instant, Jude espéra ne pas avoir commis d'erreur. Il avait vécu seul sur les routes, seul avec Indiana bien sûr (seul seul seul, sans nom, sans identité, SEUL) et dictait les règles alors, décidant de ce qui était mauvais et de ce qui était bon.
Tuer était bon, on achevait par miséricorde, on se permettait de survivre aussi. Sauf qu'il n'était pas en compagnie de la fillette, à lui faire la leçon. Il était au milieu d'autres hommes, parfois tout autant dangereux que lui, parfois plus, et les règles ne venaient plus de sa bouche mais de celle de Ryan.
Ryan qui donnait l'ordre alors pour tous les deux d'aller voir un peu plus en amont l'endroit d'où venait le fuyard. Jude acquiesça, machette à la main. Ses yeux glissèrent sur le beretta de l'autre homme et comme à chaque fois il sentit son ventre se tordre: Jude détestait les armes à feu.

Il n'y avait pas de temps à perdre : Ryan l'avait rappelé, Olympia était proche. Gaspiller des secondes et des minutes ainsi, ça plaisait à personne. L'homme s'enfonça par où était apparu le garçon désormais mort, ouvrant la marche. Les muscles de sa mâchoire était contractés alors qu'il guettait, attentif, le moindre bruit suspicieux. Rien...
”Les pilleurs, ça arrive que vous les connaissiez?” Demanda-t-il à mi voix. Lui n'était qu'un étranger ici, pas Ryan. Avait-il abattu l'ami de quelqu'un? Brusquement, quelque chose : un bruit de sanglots.
Quelqu'un pleurait en essayant de couvrir le son le plus possible. Et puis une voix pour appeler à l'aide aussi, triste, désespérée.
”On fait une bonne action et on va voir, ou pas?” La propre voix du père de famille était amusée, un écho de quelque chose peut être. Il écarta les jambes soudain et abattit sa machette sur le crâne d'une moitié de zombie qui rampait vers eux. Saloperie...
La voix un peu plus loin eut un sanglot un peu plus fort puis se tut. Elle n'avait pas été attrapée, juste que...quelque chose approchait. Quelque chose, plusieurs choses.
Des rôdeurs, la bouche dégoulinante de sang, de tripes, de merdes vu que dans les tripes, il y a de la merde et quand on mâche, ça éclate.

”Encore une preuve que la campagne est et restera toujours bucolique...”

Ryan tiqua à la question de Jude, ne pouvant s’empêcher de laisser échapper un sourire. Bien sûr qu’il en connaissait des brigands, y’avait des bandes d’ailleurs redoutables dans le coin, mais ils ne s’attaquaient pas à la route d’Olympia, elle était trop fréquentée. Eux, ils traînaient plus loin, s’attaquant aux nouveaux venus dans la région. Le butin était plus maigre, mais ils étaient quasiment assurés de le récupérer et ils subissaient peu de représailles. Comme un pacte officieux. Ryan savait très bien où certains traînaient, et s’il se faisait attaquer par l’une de ces bandes, il n’aurait aucun mal à les retrouver, mais en venant cette fois-ci bien plus nombreux et armés jusqu’aux dents pour leur faire la peau. Les bandes qui traînaient sur cette route étaient plus des opportunistes de passage, seulement là depuis quelques jours et ayant reperé un filon pas mal.

« Oui, mais les bandes de voleurs aguerries que je connais ne viennent pas s’aventurer ici, de peur des représailles car les raideurs comme moi ou marchands du coin savent très bien les zones où ils établissent leur camp. L’avantage des clans comme la Carrière ou Olympia, c’est que la force est dans notre nombre. Ceux qui volent sur ces routes sont en général des nomades un peu impatients. »

Et donc, un peu débiles aussi. Si on comprend assez vite que la route empruntée est une route commerciale, on doit en général comprendre assez vite que s’il est aussi utilisée, c’est que les convois doivent être rarement attaqués. Et si on comprend que les convois sont rarement attaqués, c’est qu’il y a bien une raison. Néanmoins, les nomades avaient l’avantage de ne souvent pas rester dans la région, et pourtant, Ryan n’était jamais tombée sur des brigands vraiment efficaces sur cette route.

Il suivit Jude en silence jusqu’à ce qu’ils entendent une personne pleurer, où du moins ça y ressemblait. Si Ryan n’avait pas nécessairement envie de s’y rendre, s’attendant à tomber sur un spectacle assez macabre, il fallait pourtant bien faire le tour des lieux. Il prit quelques instants pour réfléchir, instants durant lesquels un rôdeur rampant fut abattu par Jude. Et puis, plus rien. Plus de pleurs. Simplement le bruit du feuillage qui se faisait de plus en plus pressant vers eux. Ryan n’eut pas le temps de débiter le fond de sa pensée qu’elle surgit devant lui : des rôdeurs, une bonne chiée subite.

Il écouta la remarque de Jude et sourit une fois de plus, restant toutefois concentré en tirant dans la tête du premier qui s’approchait d’eux. Pour ne pas gaspiller davantage de balles, il sortit ensuite sa machette et s’écarta de Jude, afin que les rôdeurs, eux aussi s’éparpillent. Il en tua à coup de machette dans le crâne, puis un deuxième un peu plus loin. Un troisième sortit soudainement d’un buisson à gauche et Ryan eut tout juste le temps de lui couper le bras avant que ce dernier le griffe. Il aurait peut-être dûr sortir ses protection en mousse, qu’il embarquait en général pour les raids. « Tu t’en sors ? » demanda-t-il en criant en direction de Jude, qu’il apercevait un peu plus loin parmi les fourrés. Ryan s’avança un peu et débusqua encore deux rôdeurs qui s’approchait de lui, peut-être attirés par le bruit de son tir quelques instants plus tôt. Il s’en débarrassa donc sans avoir recours à son arme, et tendit l’oreille. Pas de bruit aux alentours, ils en avaient peut-être fini, en tout cas avec les rôdeurs dans l’immédiat.

Revenant sur ses pas, il découvrit alors la provenance du bruit, voyant le corps frais de deux hommes plus âgés, ils semblaient être frères vu la ressemblance physique, fraîchement dévorés à la gorge et aux entrailles qui semblaient encore chaudes. Il entendit Jude approcher pendant qu’il planta sa machette dans un des deux hommes, pour empêcher l’inévitable transformation à venir. « Je crois qu’on a trouvé un des pères du gamin de tout à l’heure. » Il couvrit sa bouche de son t-shirt, quelque peu dégoûté par les entrailles apparentes des deux cadavres, plantant sa machette dans le crâne du deuxième homme.

« Je pense qu’on ferait mieux de vite avancer vers Olympia avant que d’autres rôdeurs attirés par le coup de feu ne se joignent à la fête. Je ne pense pas que d’autres brigands vont se pointer dans ce contexte. » En général, un coup de feu était synonyme de rôdeurs dans le même coin dans les vingt minutes qui suivaient, donc on évitait de s’attarder.

”Au moins, le père et le fils seront pas restés séparés longtemps. Il est peut être mort en imaginant que son gamin survivrait...”
Le cynisme portait une pointe de tristesse, un peu. Il regarda les morts sans dignité aucune, , puis n'éprouva plus rien d'autre. Les sentiments, s'il en attrapait parfois quelques uns au passage, Jude se contentait de jeter au vent ceux jugés trop superflus.
Il abaissa les paupières du mort malgré tout. Les rites funéraires du nouveau monde maintenant, c'était défoncer le crâne d'un macchabée. Parfois, la blessure était telle qu'il n'y avait plus d'oeil à fermer, quand cela était le cas cependant, il y avait encore ce geste qui revenait, ce geste de l'ancien monde.
Ca semblait important de le faire, important, dérisoire et ridicule tout à la fois. Mécanique aussi, il fallait le faire parce que, juste parce que.
Pour que les morts se reposent enfin? Putain de merde, ça faisait huit ans que les morts se reposaient plus...
Il acquiesça tendis que Ryan donnait ses recommandations : non, une source de bruit était une source de rôdeurs, personne de vivant et de sensé ne s'y précipiterait ainsi. Mieux valait attendre quelques heures, que les morts-vivants détournent leur attention sur autre chose, alors seulement on pouvait voler ce qu'il y avait à voler ou bien, pour les plus altruistes, trouver d'éventuels survivants.

”Je te suis, il y aurait un point de repère particulier à avoir, par ici, pour retrouver Olympia ou même la Carrière?”

Ils s'étaient enfoncés à l'écart, des arbres masquaient la vue, pourtant la topographie du lieu laissait de quoi trouver des marques facilement. Jude n'était pas d'ici, il lui manquait quelques uns des réflexes pour se dire “si le soleil est de ce côté alors qu'on est dans l'après midi, alors la Carrière est par là, ou bien Olympia par ici...”.
A dire vrai, il n'avait pas non plus eu ce genre de réflexes en Floride (il n'avait jamais vécu en Floride, le père d'Indiana oui, lui non...).

L'homme agita sa machette dans les hautes herbes, pour l'en débarrasser du sang et des débris d'os et de cervelles collées à la lame. Une lame demandait de l'entretien, y compris pour ne pas s'oxyder, il ne supportait pas de voir la sienne sale.
Cela était....important pour lui.
Parfois, cela le dérangeait de prendre conscience des choses importantes. Comme de ne pas aimer les armes à feu, de ne jamais ranger une lame sale...
La sensation d'une énigme que l'on ne posait pas en entier mais qui demandait une solution. Une solution rapide...

Ils restèrent là quelques instants, à observer les deux êtres désormais sans vie et sans aucune possibilité de revenir à la vie - quoique plus rien ne fût impossible de nos jours. Jude commenta la situation d’une phrase assez limpide qui en disait long sur cette ère : on espérait le mieux pour nos proches lorsqu’on passait l’arme à gauche, mais en réalité, on n’avait aucun moyen de savoir comment ils s’en sortiraient, et il y avait effectivement peu de chances qu’ils trouvent une meilleure situation que soi-même. Quand bien même le gamin aurait survécu, avec la vie nomade que Ryan leur suspectait d’avoir, il n’aurait pas fait grand chose de sa vie et serait sûrement tombé sur plus nombreux ou plus fort que lui un jour. Ryan avait suffisamment tracé les routes avec sa bande par le passé pour comprendre que le temps et la fatigue du mouvement finit par imploser n’importe quel groupe, faibles ou puissants. Et ce n’est pas comme si son supposé père pouvait veiller sur lui, car selon Ryan, il n’y avait pas de vie après la mort. Bref, pas d’espoir.

« Bon, arrêtons de broyer du noir et dégageons vite fait bien fait d’ici. » répondit-il, ne souhaitant pas s’attarder davantage sur cette situation bien déprimante, même pour lui qui avait vu son paquet de morts affreuses. Jude semblait bien d’accord avec lui et positionna derrière lui pour rebrousser chemin et revenir vers le cortège. Ryan n’avait pas entendu de bruit de coup de feu, le convoi devait donc être en sécurité et il espérait qu’il n’y avait pas eu d’autres affrontements. Chassant quelques branches apparentes et ronces hautes avec sa machette, il leva la tête, pour se repérer, peu après que Jude lui a posé la question. Très souvent, il faisait à l’instinct, et il avait tellement parcouru ces terres et ces forêts que cela devenait comme un sens animal, une seconde nature. Mais, au début, il avait bien entendu utilisé des marqueurs et des signes pour se repérer.

« Quand j’ai commencé à explorer les environs comme raideurs ou faire des détours, j’utilisais des marqueurs en gravant certains arbres d’une croix ou autres, avec le temps, j’ai appris aussi à faire confiance à mon ouïe, bien tendre l’oreille pour retrouver mon groupe si je ne me suis pas trop éloigné… Et puis, encore une fois avec l’habitude, j’ai fini par repérer les inclinaisons des grands arbres du coin, leur inclinaisons indiquent le sens du vent mais souvent je m’en sers davantage pour savoir d’où je suis venu. » Il indiqua un arbre imposant qui lorsqu’ils étaient passés était incliné vers la droite.

« Tu vois cet arbre est incliné vers la gauche, quand on est passé devant, il était à droite, donc je sais qu’on doit aller à gauche pour revenir sur nos pas. » De cette façon, ils arrivèrent plus ou moins près de la brèche dans laquelle ils s’étaient engouffrés. Ryan fit signe au convoi qui attendait sagement de les rejoindre. Aucun dégât ou altercation à signaler.

Le groupe avança sans encombres jusqu’aux portes de la ville d’Olympia. Ryan se chargea de faire ouvrir les portes, le convoi rentra et les hommes chargés de la protection restèrent devant l’entrée. Ryan alla serrer la main à chacun d’entre eux, terminant par Jude. « Bon travail les gars, je dirai à Rockson de vous donner votre part en bon et due forme, et vous pouvez féliciter notre petit bleu pour sa première. » Il sourit en direction du récent Carrière, avant de s’éloigner pour rentrer dans la ville. Il espérait avoir été un moniteur correct pour ce dernier.