warming up | adam

Parfois seul en tête à tête avec lui-même, il a l’impression de devenir fou. C’est facile de blaguer sur cette connerie de virus avec les autres, conserver son masque affable de tous les jours et prétendre que ça ne l’affecte pas. Mais ça le devient un peu moins, en revanche, quand il se retrouve face à ses propres réflexions, face à la fatalité qui l’attend au bout du chemin. Il va crever, et ça sera juste parce qu’il aura bouffé une putain de connerie empoisonnée par des putains d’illuminés. Bien sûr, l’antiviral marche, bien sûr il ne perd pas espoir et se dit qu’une solution définitive finira bien par être mise en place mais… comment en être sûr ? En huit ans, personne n’a trouvé la solution miracle face aux morts qui se relèvent, combien de temps encore va-t-il falloir attendre pour ce nouveau mal qui en découle ?
Il y a quelques semaines de ça, il a testé l’Angélus sous l’impulsion d’Elsie. Pas mal comme exutoire, pour oublier un peu, penser à autre chose. Mais, cela n’est pas suffisant – d’abord il ne tient pas spécialement à passer trop de temps sous influence, même si les effets sont globalement positifs –, puis il ne veut pas que cela se sache à Olympia. Trop risqué. Ses frasques à la Carrière restent à la Carrière. Ensuite, il a besoin d’autre chose. Un exutoire pour sa frustration qui s’accumule et crée des sacs de noeuds dans son ventre, un exutoire pour la flippe du lendemain, la peur de crever trop tôt qui habite plus ou moins tout le monde mais qui le hante beaucoup plus depuis qu’il se sait dépendant d’un vaccin pour sa survie.
Sauf qu’Adam, il sort pas – pas trop. Pas que l’extérieur lui fiche la frousse, pas qu’il ne sache pas s’y débrouiller – après autant d’années dans un monde en chaos, on peut logiquement supposer que tous ceux qui sont encore vivants sont débrouillards – mais il y a beaucoup trop de morceaux de son passé qui traînent de l’autre côté des murs d’Olympia et qu’il ne tient pas spécialement à recroiser. Puis il est pas spécialement d’une nature violente, pas envers les autres en tout cas, pas sans raison. Alors les raids…
Entre les quatre murs de sa chambre qui s’apparente parfois à une cellule aux barreaux dorés, une idée remonte jusqu’à ses pensées tandis que l’olympien termine son sport quotidien du soir. Rien de plus que quelques réminiscences d’une conversation avec le shérif, proposition refoulée à l’époque mais qui, alors que depuis quelques temps il cherche volontairement à s’exténuer tous les soirs en augmentant drastiquement le nombre et l’intensité de ses exercices, lui apparaît soudain digne d’un intérêt qu’il avait complètement renié à l’époque.

Personne ne répond quand il toque à la porte mais, Leon est chez lui, on le lui a affirmé. Peut-être trop occupé pour répondre ? Au pire, il peut toujours repasser demain, c’est ce qu’il se dit tandis que son regard balaie la maison et ses environs, pour finalement s’arrêter sur le garage et la lumière qui en filtre.
Cette fois, la porte s’ouvre et c’est un Leon en nage qui lui fait face. On dirait qu’il arrive au bon moment. Bref hochement de la tête en guise de retour de politesse face au salut, puis il embraye directement : « Sort of. Je sais pas trop, ça dépend de toi. » Sage, il reste sur le seuil du garage tant qu’on ne l’y a pas invité, mains nonchalamment glissées dans les poches de son vieux futal. « J’repensais à ta proposition de l’autre fois et si elle est toujours d’actualité, j’crois bien que j’aimerais tenter le coup. Besoin d’un os à ronger. »

Leon se détourne de lui après un bref signe et Adam attrape l’invitation sans un mot de plus pour s’engouffrer dans le garage, refermant la porte derrière lui dans la manœuvre. Ce qu’il aime bien chez le shérif, c’est exactement ça : pas de blabla inutile et directement droit au but. Parce qu’Adam, les discussions de surface, c’est pas vraiment sa tasse de thé, encore moins ces derniers temps alors que tout ce qu’il recherche, c’est du concret. Et ce concret, Leon est en train de le lui préparer tandis qu’il sort le matériel nécessaire à sa réalisation. L’olympien acquiesce en silence à la décision de son camarade, attrape les gants et le laisse l’aider à s’équiper sans broncher. « Ça t’étonne ? il riposte, un poil amer mais néanmoins sans la moindre trace d’animosité ; ce n’est pas Leon qui est le destinataire de toute sa frustration. J’ai l’impression de plus être maître de mon corps. » Putain de virus quand la date de la prochaine prise d’antidote approche et qu’il le sent agir de manière plus virulente au sein de son organisme. C’est à se rendre dingue, percevoir les changements de son corps et ne rien pouvoir faire contre, ou presque. Encore doit-il s’estimer chanceux de ne pas avoir de problème pour se procurer la médication…

Marrant, c’est la première fois qu’il enfile ces trucs et ça lui fait tout drôle, l’impression d’être un peu handicapé à première vue étant donné que l’usage de ses mains n’a désormais plus qu’un seul champ de possible.  Cogner il sait faire, un peu comme tout le monde sans doute mais pas de cette manière, pas dans les règles. Mais paraît qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre, d’après un vieux dicton pourri. Alors on va mettre ça en pratique tout de suite. « Putain mec, j’ai l’impression de tourner comme un lion en cage. Ça va me rendre fou, cette connerie. » Il ne développe pas plus, d’abord parce qu’il n’est pas venu ici pour exposer dans les moindres détails son mal-être des suites de la maladie, ensuite parce que Leon enchaîne sur tout autre chose à peine le son de sa propre voix éteint. Frappe. Adam ne se fait pas prier, un premier coup part à peine l’injonction donnée. Oh, rien de bien impressionnant, le mouvement et sa finalité résultent plus d’une curiosité à satisfaire que d’un réel coup de poing avec toutes ses tripes pour le balancer : d’abord, il veut tester le ressenti, voir l’effet que lui renvoie le pao. Après tout l’olympien, il a jamais tapé contre rien d’autre qu’un de ses semblables, dicté par l’impulsion, la colère, la peur, ce genre de chose. Contre un mur aussi, une fois. Trois phalanges cassées, plusieurs fêlures sur leurs voisines, Dieu sait qu’il s’en souvient encore aujourd’hui.
Il teste, donc, l’esprit à froid et sans l’urgence de sa propre défense pour envoyer son poing en attaque. Il teste, et apprécie le retour. Trop tôt encore pour savoir si c’est là bel et bien ce qu’il lui faut, mais le poing vole une seconde fois, amené d’une force de frappe un peu plus conséquente. On est encore bien loin d’un Goliath à la puissance incroyable mais, hé, faut bien partir de quelque part. « T'as du temps pour moi ce soir ? » Manière détournée de dire que là maintenant tout de suite, il a bien envie de se crever jusqu'à l'épuisement et au moins passer une nuit sans ruminer ses pensées noires.

Le remerciement dans son regard n’est pas verbalisé mais pas moins explicite face à l’accord de Leon de l’accepter ici pour la soirée. Pour cette nuit au moins, Adam possède ainsi la quasi-certitude de pouvoir dormir sans que ces putains de pensées noires ne viennent tracasser son sommeil. Sauf que pour en arriver là, il faut d’abord que les heures passent dans ce petit garage et en compagnie d’un homme qu’il ne connait somme toute que très peu, mais qui pourtant n’as pas rechigné un seul instant avant de lui tendre la main. Alors l’olympien lui obéit et toujours sans rajouter un mot, recommence à lui envoyer ses coups.
C’est drôle parce que même si l’autre ne dit rien, il a conscience de ses défauts en lisant dans son regard le jugement muet que le shérif porte sur lui, il en a conscience également au moment précis où il cogne parce qu’il se rend bien compte que sa force n’est pas bien canalisée, que ses frappes manquent de précision. Quoi de plus étonnant, puisqu’il n’a jamais rien appris en ce sens sinon sur le tas, embourbé dans une situation d’urgence et l’adrénaline coulant à flot dans son corps ? Dans l’intimité de cette pièce et de l’étrange paire qu’ils forment, il réalise des défauts dont il ne s’est jamais soucié auparavant, mais ne s’en sent pas spécialement gêné face à l’homme qu’il devine largement plus expérimenté que lui. « Je suis prêt », Adam déclare finalement après un temps. Il est déjà en nage, mais la faute est plus à imputer à la chaleur du climat et au manque d’aération de l’endroit qu’à un trop plein d’efforts de sa part, ils n’en sont encore qu’au début après tout. « La suite du programme, chef ? » Il se permet un très mince sourire à l’égard de son interlocuteur mais ne pousse pas plus loin, plus curieux et intéressé par la suite des évènement que d’entamer une réelle conversation avec lui. Pas que cela le dérange, en soi, mais de toute façon Leon est encore moins bavard que lui à ce qu’il lui semble, alors que ne sont certainement pas quelques minutes d’un entraînement gentillet qui vont lui délier la langue. De toute manière, ce n’est pas ça qui l’intéresse dans l’immédiat : Adam vient de goûter à un truc qui lui plaît, et Adam en redemande, la violence gratuite mais canalisée et jeter dans ses coups contre l’autre toute cette peur non exprimée qu’il a de crever demain, ou dans une semaine, ou n’importe quand si l’antidote devient soudainement inefficace. Dire qu’ici, on ne lui laisse même pas garder son flingue s’il n’est pas hors les murs, dire qu’il n’a même pas cette opportunité-là s’il sent la fin proche… Mais, allez, il est justement venu ici pour oublier tout ça, ou le dégueuler à travers ses poings, se tirer cette putain d’angoisse hors de son corps et dénouer ses muscles du stress et de la tension inconsciemment accumulés à cause de ça. Et si l’entraînement est aussi efficace, peut-être qu’il proposera un verre à Leon après ça. Noyer la fatigue dans du poison pour oublier avoir cherché cet état à cause d’un autre poison, c’est un serpent qui se mord la queue au final…