she pretends + fran

Le retour au Ranch était un véritable soulagement pour Francesca. Dès qu’elle avait commencé à reconnaître au loin la ligne des premières barrières, elle s’était déjà mise en tête de rattraper ses quelques jours d’absence forcée et de se réjouir de ce retour à la vie sur la terre ferme, au beau milieu des canassons, chiens de chasse et Crimsons bruyants et rustres.

La compagnie de Nino et la vie à la Mine étaient bien loin d’être un calvaire évidemment. Seulement, passer toutes ses journées enterrée ne seyait pas à quelqu’un comme la mécano, éprise de liberté, de mouvement et principalement de grand air. Quant à l’éclaireur … Eh bien elle ne pouvait pas dire qu’elle le détestait et qu’il ne s’était pas montré particulièrement cavalier avec elle durant cette première phase de guérison. Il avait fait en sorte que son séjour imprévu fut le moins désagréable. Elle le savait, elle lui devait une véritable chandelle.

Bien sûr sa cheville n’était absolument pas rétablie pour le moment – elle avait eu pour consignes de minimiser ses excursions et déplacements autant que faire se peut et devait porter une sorte d’attelle artisanale aussi encombrante que nécessaire au soulagement de sa jambe. Le temps devait faire son office et si la douleur revenait, alors elle savait qu’elle aurait déjà trop tiré sur la corde. Le risque d’infection avait été écarté et à part un nouvel incident sur sa jambe, Fran ne perdrait pas l’usage d’un seul membre. Tout était bien qui finissait bien, en somme.

Son entrée sur le territoire des Rhodes à l’avant de Lambo qu’elle conduisait avec Nino en passager se fit sans encombre notoire. Elle ne tarderait évidemment pas à rendre les comptes nécessaires à sa disparition de ces derniers jours mais la missive qu’elle avait réussi à faire partir de la Mine pour avertir au moins son paternel avait eu le mérite de rassurer les inquiétudes de ce dernier. Sa fille n’avait ni déserté, ni n’avait été sauvagement tuée par une horde de rôdeurs. Au grand dam de certains de ses détracteurs, probablement.

Le brun avait insisté pour l’accompagner jusqu’à son cabanon – sûrement pour aller au bout des choses et faire en sorte qu’elle soit arrivée à bon port. A priori Fran n’avait pas forcément besoin d’un majordome ou d’un porteur de valises mais en revanche elle ne pouvait pas encore descendre de cheval sans difficultés et sans aide. La rééducation viendrait, elle aussi, en temps et en heure. Le miner l’avait donc quittée et curieusement, son départ sonnait comme un drôle de vide. Finalement bel et bien seule mais certainement pas pour très longtemps, la blonde chassa cette idée sombre de sa tête et se mit en quête de vider son sac avec ses affaires afin de faire le tri.

Moment bien choisi pour que Sloan fasse son irruption avec toute la délicatesse et la subtilité qu’on lui connaissait, soit proche du néant. La marchande aurait pu en faire un arrêt cardiaque si elle n’avait pas le myocarde déjà bien accroché, et se contenta donc d’un grognement d’ores et déjà fatigué par l’échange qui allait suivre. « Oh non, pas toi. » Et si, lui. Lui, ses vingt-sept balais de nonchalance et de fierté agaçante, son petit talent pour toujours balancer la remarque désobligeante qui allait la chatouiller et ses aises prises sans demander l’avis de personne – et pas de la propriétaire des lieux. La curiosité avait piqué à vif le jeune garde qui, en grand handicapé sentimental comme elle, ne parvenait pas à témoigner son ravissement de retrouver une disparue sans se montrer particulièrement infect et envahissant. La présence d’un étranger à ses côtés l’avait marqué et il n’avait pas loupé une miette de son retour. Pas étonnant de la part de Mikh. « Qui t’a demandé ton avis ? » marmonna la blonde, toujours aussi aimable et douce à l’encontre de ce dernier, ses doigts coinçant distraitement une cigarette entre ses lèvres pincées tandis qu’elle cherchait de sa main libre de quoi l’allumer. « De qui tu parles d’ailleurs, espèce de petite fouine ? C’est ça l’accueil qu’on réserve aux revenants ? » Elle tira une longue taffe, recracha la fumée comme un dragon laissant échapper la fureur de ses naseaux avant de soupirer de lassitude. « C’est vraiment nul à chier. » Eluder les questions était sa tactique de base.

La fumée de sa cigarette remontait jusqu’au plafond pendant qu’elle l’écoutait déblatérer ses âneries. La blonde se surprit à contempler les volutes avec un intérêt plus vif qu’elle ne l’imaginait, ce qui en disait long sur toute l’importance qu’elle accordait aux cancans de son interlocuteur. D’ailleurs il monopolisait un peu trop la parole à son goût et elle se chargea de le lui signifier à sa manière, tendre et délicate. « Ta gueule, un peu. Tu me donnes mal au crâne. » Pour être franche, la cavalière risquait davantage d’attraper une migraine en ingurgitant un verre d’alcool que de l’entendre parler de Jack – après ces quelques jours de sevrage médical non-intentionnel loin du Ranch, quelques gouttes auraient suffi. Mais pour rembarrer quelqu’un du calibre de Mikh Sloan, il était plus sage d’être direct et incisif.

Parlant d’alcool, Fran avait soif. Bien évidemment le médecin de la mine avait largement déconseillé la consommation d’autre chose que de l’eau potable pour s’hydrater, mais la blonde aurait bien mérité un petit verre pour tous ses efforts et son courage des jours passés. Claudiquant, appuyée sur l’espèce de béquille qu’on lui avait refilée, jusqu’à sa réserve, la jeune femme commença à fouiller dans le petit renfoncement bricolé en placard. « C’est ça. T’es un petit génie, tu le sais ? T’aurais pu être détective dans une autre vie. » Ses dents se dévoilèrent furtivement, carnassières. Elle se foutait ouvertement de lui mais il ne prendrait pas la mouche et pour cette raison précisément elle ne craignait pas une seule seconde de se moquer du garde. Malgré toutes les qualités que la mécano pouvait potentiellement reconnaître à Mikh, cela ne la priverait pas de le rembarrer pour ses questions intrusives et le jeune homme de se heurter à un énième refus d’en dire plus. « Y a rien à dire. Occupe-toi de tes oignons. » l’envoya t-elle gentiment à nouveau bouler, bien au fait que ces remontrances ne suffiraient pas à freiner la curiosité du brun. Avec satisfaction elle venait de retrouver un fond de vieux rhum ambré – dégueulasse vu l’étiquette bon marché -, mais c’était déjà mieux que rien.

Revenue jusqu’à la table en un temps record pour l’éclopée qu’elle était, Fran attrapa au passage deux verres qui atterrirent sur le bois usé dans un claquement sec en même temps que la bouteille. Elle posa un regard suspicieux sur le garde, ses bras se croisant pendant qu’elle recrachait la fumée de sa cigarette artisanale par le nez. « Dis donc tu viens pas pour me piquer des trucs plutôt ? J’parie que t’étais déjà en train de te faire une joie de récupérer mon cabanon et toutes mes affaires si jamais je revenais pas. » Ah, les vautours. La pire espèce, celle qui rôdait dans l’espoir fou et morbide de pouvoir s’enrichir sur le dos des disparus. Dans la nouvelle population survivaliste, ces gens étaient plus nombreux qu’on ne le pensait et ils ne reculaient devant rien. Bon, le garde avait plutôt tout du squatteur invétéré que du pingre parasite, mais qui sait. « Dommage pour toi, je suis encore en vie. » Et la jeune femme de ponctuer d’un sourire satisfait sa réplique. Il n’était pas réellement là pour lui voler ses trouvailles, qui de facto encombreraient davantage son futur possesseur qu’elles ne l’intéresseraient.

Une crapule, un beau-parleur ou un profiteur ; il avait du endosser bien des casquettes mais sûrement pas celle de privé. La blonde ne doutait pas de sa roublardise et de sa capacité à trouver ce qu’il voulait mais il aurait été un piètre détective au vu de sa difficulté à passer inaperçu. « Un casse-couilles, et ça a pas changé visiblement. »  A bien y réfléchir, Mikh était une sorte de pendant d’un petit-frère éloigné ou quelque chose dans ce goût-là. Ils s’étaient bien trouvés et sous ses airs revêches, elle appréciait sa présence et sa nonchalance.

Chafouine quand il s’agissait de parler de ses possessions matérielles, la trentenaire lui rétorqua d’un air à peine ironique. « J'pensais à une chose : en toute amitié, un gros pain dans ta tête, ça serait de nature à te convenir ? »  Ses vieilles babioles, comme il disait avec tout l’irrespect et l’arrogance dont il était capable, valaient bien plus cher à elles seules que la moitié des cabanons qui jouxtaient le sien. Une caverne au butin bien garni que Fran avait conçu de sorte de ne jamais laisser transiter des trouvailles de trop grande valeur apparente. Elle savait bien qu’au Ranch personne n’était un voleur avec les siens – mais également que beaucoup de cavaliers n’avaient pas un passé d’enfant de chœur ou de bonne-sœur. Et si elle faisait confiance à son cercle proche, elle n’en oubliait pas qu’avec les allées et venues de leurs nouveaux alliés, une effraction pouvait bien vite arriver. « Juste comme ça, hein. »  Il n’allait pas le prendre mal, voyons. C’était une tête de mule et un impoli de nature comme elle. Ils prenaient ce qu’ils voulaient, se servaient joyeusement sans demander et s’en allaient repus voir ailleurs – si l’herbe était plus verte que le coin qu’ils avaient dépenaillé.

Passé les blagues et les taquineries de circonstance, Mikh paraissait borné au point de relancer la discussion vis-à-vis de son accompagnant-mystère qu’il avait vu. Fran ne pouvait plus vraiment faire diversion et se retrouvait ainsi dos au mur dans son propre trou. Quel sale gosse, ce Sloane. Evidemment qu’elle s’en doutait, que son silence ne jouait pas en sa faveur. « Qu’est-ce que tu veux que je te raconte, mh ? Qu’on a passé des folles nuits torrides alors que j’ai la cheville pétée à la lueur des étoiles ? »  Un écran de fumée soufflé en pleine face plus tard, Fran finit par hausser les épaules et marmonner. « C’est lui qui m’a ramenée à la Mine, ouais, parce que j’étais blessée. Il m’a trouvée, point barre. »  Il n’y avait pas de quoi faire tout un scandale. Même si elle savait pertinemment que le garde était piqué par la curiosité et que son attitude volontairement évasive ne calmaient en rien ses ardeurs d’investigation, la mécano ne tenait pas à s’épancher sur le sujet. Peut-être parce qu’elle-même avait un peu besoin d’y réfléchir et parce que ces quelques jours passés en autarcie à la Mine avaient légèrement changé son point de vue sur les choses. Elle ne pouvait plus considérer Nino comme un ennemi, un menteur ou un lâche. Fran lui devait en réalité une fière chandelle et elle ne pouvait pas faire comme si l’ardoise entre eux était réglée.

Les yeux dans le vague, la blonde s’empara de son verre et l’en vida d’une partie après avoir trinqué. « Santé, à mon nouveau handicap. »  La chaleur, comme une vieille amie revenue après une longue absence, lui brûla la gorge nettement et le liquide ambré lui laissa sur la langue une amertume sucrée qu’elle savoura en silence. Pour une fois que Mikh n’occupait pas l’espace sonore, autant en profiter.

Et bla-bla-bla, voilà que Mikh parlait comme un grand théoricien, pour un peu la trentenaire lui aurait filé un tableau noir, un paquet de craies et il aurait pu se lancer dans une dissertation poussive de l’art de la guerre. Enfin, il croyait réellement que Fran aurait pu le tuer d’énervement ? Sacré dramaturge que ce garde-là. Elle ne put qu’éclater d’un rire bref et franc, tirant une latte avant de le dévisager avec amusement. « Tu t’es pris un coup sur le crâne ou quoi, pour parler comme un aristo ? » Au pire, oui, elle lui aurait bien collé un gnon dans ses plus mauvais jours. Pas de quoi en faire toute une histoire. Le garçon s’en remettrait, à son âge, ce n’était pas quelques beignes qui l’arrêteraient de casser les pieds du reste du monde.

De là à ce que ça se produise un jour, il y avait de la marge. Mikhaïl n’était pas un mauvais garçon pour peu qu’on savait comment le prendre. Et bien qu’il plaisantait sur l’ingratitude dont il était capable de faire preuve avec elle, la Crimson n’ignorait pas qu’elle avait été bien chanceuse de tomber sur quelqu’un comme Nino et pas sur un opportuniste-né comme elle. « Heureusement que tous les hommes restants sur cette Terre sont pas comme toi, on serait dans la merde jusqu’au cou. » Il ne le dirait sûrement pas mais il y avait forcément quelques belles demoiselles pour lesquelles il aurait joué le chevalier servant, Fran n’en doutait pas.

Ses commissures s’étirèrent d’elles-mêmes face aux interrogations du garde sur son passage-éclair dans les dédales souterrains d’Anita Jones. « C’est sous terre, voilà ce que c’est. » Il n’y avait pas grand-chose à y expliquer : oui, certes, elle aurait pu lui raconter ce qu’elle avait observé mais avec la douleur et les événements, Fran avait eu bien autre chose en tête que l’inspection de fond en comble de la Mine. Et puis très honnêtement, la blonde n’était absolument pas attirée par l’endroit, ce qui ne l’avait pas vraiment incitée à s’y intéresser plus que ça. « T’as pas envie d’y vivre, crois-moi, à moins d’être une taupe. » Ce qu’ils n’étaient clairement pas, tous cavaliers et amoureux de l’air vif du dehors qu’ils étaient. « Enfin je suppose que ça leur convient comme ça. Ils connaissent que ça depuis un moment, et puis au moins ça pue pas le crottin de cheval chez eux. » De tout ce qu'elle pouvait lister dans son esprit, le point le plus positif pour les miners était l'absence totale d'effluve équin. Pas de récurage de boxes, pas de risque de marcher dans quoi que ce soit qui serait autre chose qu'un amalgame de terre. « Te fais pas d’illusion, j’ai pas vu grand-chose non plus, à part l’infirmerie et les dortoirs. » Parce qu’elle connaissait par cœur l’état d’esprit du renard rusé qui la lorgnait d’un air goguenard, la blonde coupa aussitôt court à toutes les futilités vaseuses qu’il allait débiter sur sa fameuse visite des dortoirs. « Commence même pas. » Connaissant le spécimen, mieux valait prévenir que guérir.

Heureux comme un gamin au pied du sapin de Noël, Mikh jubilait. Qu’est-ce qu’elle avait fait pour qu’il vienne jusqu’au pas de sa porte l’ennuyer avec ses questions sans queue ni tête au sujet de Nino ? Ah, elle se souvenait : strictement rien. Le garde allait et venait où bon lui semblait, décidait quand l’envie lui prenait d’aller se mêler de la vie des autres. Et ce n’était pas près de changer. « Je cherche rien, c’est toi qui me trouves toujours quand j’ai simplement envie d’avoir la paix. » objecta la blonde avant de déglutir une nouvelle gorgée d’alcool, l’air pensive. Elle ne pouvait nier que la lutte verbale dans laquelle ils venaient de se lancer n’était pas dénuée de divertissement mais après ces quelques jours Fran était un brin fatiguée et elle avait tendance à relâcher un peu la garde, notamment en donnant du biscuit à Mikh avec ses réponses un peu trop honnêtes.

Alors qu’elle recrachait les dernières lattes de sa cigarette vers le plafond, le regard pesant du brun sur elle la fit ronchonner de nouveau. D’une main lasse elle écrasa sa fin sur la table déjà bien marquée par les brûlures diverses et variées de toutes les clopes entamées avant de pointer de son mégot le principal intéressé. « Toi, tu devrais arrêter de sourire. J'te promets ; ça devient vraiment malsain. » Avant qu’il ne se fasse déjà plus d’idées délirantes qu’il n’était en train d’ânonner, Fran rectifia le tir. « J’ai dormi seule dans un lit de camp pourri. Qu’est-ce que tu peux être con quand tu t’y mets … » Sa cheville fracturée avait clairement plus occupé ses pensées que tous les scénario possibles d’une petite nuit agitée à la Mine. Et puis on parlait quand même de Nino Weaver. Evidemment Mikh ne le connaissait pas et ne pouvait pas savoir à quel degré d’incompatibilité avec Fran le Miner se situait.

Ses paroles trahissaient d’ailleurs son ignorance totale du sujet ; pour prétendre que la mécano devait peut-être tenter une approche avec quelqu’un comme l’éclaireur, c’était qu’il n’avait jamais entendu parler du passif entre eux. Et également qu’il avait décidément un sens de l’humour très développé. « Très drôle. » Pendant qu’elle dévissait le bouchon de la bouteille pour resservir une lichette générale, elle arqua un sourcil en intégrant que pour une fois Mikh avait eu l’air d’être sérieux. Elle reposa alors la bouteille, le dévisageant comme s’il venait de proférer une insanité – et pour choquer Fran il fallait se lever de bonne heure. « Pardon ? Attends, tu étais sérieusement en train de me donner des conseils de vie sur le choix des types avec lesquels je dois coucher ? » La blonde s’esclaffa et referma le flacon d’ivresse d’un coup sec. « Préviens, la prochaine fois, j’aurais pu m’étouffer. »

Fran soupira avant de boire à nouveau et de jouer avec le liquide dans son verre, faisant tournoyer celui-ci sous son regard amusé. « Déjà … J’suis très bien comme ça. Et j’y peux rien si les p’tits jeunes comme tu dis » De ses deux mains elle mima des guillemets factices. « savent que l’expérience est une valeur sûre. » Haussant les épaules non sans une pointe de fierté – et parce qu’elle se foutait pas mal de l’âge des hommes avec qui elle s’envoyait en l’air tant qu’ils étaient majeurs, parfaitement à son goût et entièrement consentants voire un minimum entreprenants -, Fran reprit avec une pointe de curiosité dans la voix. Et de moquerie aussi, il fallait l’avouer. « Et puis quoi ? T’es en manque d’amour ? T’as envie d’un film à l’eau de rose ? Les cinémas existent plus mais va t’acheter un livre au Mall comme tout le monde. » Temps d’arrêt avant qu’elle ne le réattaqua gentiment d’un discret coup verbal derrière la nuque. « Enfin tu me diras, j’sais pas si tu sais lire. »

Le garde avait réfléchi à tout ça. En l’écoutant, la cavalière resta l’espace d’un instant admirative de sa volonté de fer à lui prouver qu’elle loupait potentiellement la chance de sa vie – et aurait pu respecter son esprit utopiste. Ce n’était pas un trait de caractère qu’elle avait soupçonné en premier lieu chez Mikh et il se pouvait que derrière cette armure lourde et brute il se cachait un jeune homme sûrement bien plus ouvert au romantisme qu’il n’y paraissait. De là à ce qu’il se transforme en parfait gentleman, rose entre les dents et bague de fiançailles récupérée sur un cadavre, il n’en était pas encore là mais Francesca se promit de prêter un peu plus attention aux élans romanesques de son camarade beuverie.

En attendant de comparer ses conquêtes et autres coups d’un soir à un stand de boucherie-charcuterie, la blonde finit par lever les yeux au ciel – implorant pour la énième fois une divinité qu’elle savait inexistante. « Rien que ça. » Elle sirota l’alcool jusqu’à trouver la conclusion de tout cet argumentaire et la partager avec son interlocuteur. « Nan mais tu sais si tu le trouves si génial que ça ce mec, tu peux carrément coucher avec. A t’écouter c’est plutôt toi qui devrais te marier avec. T’as même ma bénédiction. » qu’elle pouffa. L’image l’amusait beaucoup. Il ne restait qu’à demander l’avis de l’autre partie, Nino ayant tout de même son avis à donner dans toute cette histoire à dormir debout.

Comprenant peu à peu que ce n’était pas ce soir qu’il réussirait à ouvrir les yeux de la cavalière, le plus jeune lui accorda le temps de la réflexion. Assuré qu’elle finirait par admettre ses torts, il arracha cette fois un rire à la blonde qui secoua doucement la tête d’un air faussement résigné. « Je sais pas si j’arriverai à te trouver adorable un jour, mais si ça te fait plaisir … » Elle pouvait bien lui accorder cette petite victoire. Après tout c’était le seul Crimson des environs qui venait se soucier de sa petite vie, elle ne pouvait pas non plus se montrer désagréable avec lui du début jusqu’à la fin.

Bien que l’autre avait peut-être en tête des projets de repas et d’estomac à remplir, il ne semblait pas en être de même pour Francesca qui en était toujours à l’étape d’hydratation. Tant que la bouteille n’était pas descendue à un niveau acceptable, elle serait encore debout – mauvaise habitude pour trouver un sommeil lourd et sans rêve. C’était une conduite sûrement répréhensible mais heureusement qu’elle n'avait aucune dignité, sinon elle serait bien dans la merde. « Donc c’est ça ta nouvelle activité, jouer les Cupidon ? » Bourreau des cœurs ou briseur de couples d’accord, mais entremetteur, là, elle avait plus de mal à y croire. Il aurait pu se promener avec un arc en bandoulière et une paire d’ailes blanches qu’il n’aurait pas eu beaucoup plus de crédibilité en tant que tel. « Méfie-toi. Ca pourrait te retomber dessus. » Sourire canaille tordant ses commissures, la blonde fut vite rattrapée par la fatigue accumulée et poussa un profond bâillement à s’en décrocher la mâchoire. On aurait pu croire qu’elle feignait l’épuisement pour faire déguerpir Mikh plus vite et pouvoir se réfugier dans un sommeil profond mais Fran était en réalité loin d’être une si bonne comédienne.

Raté. Mikh n’était donc pas sensible aux charmes des boucles sombres et des yeux rieurs de Nino Weaver. Pourquoi est-ce qu’elle pensait à ces détails physiques avec une telle acuité, au juste ? Pour rien, sombre abrutie. A force de souper la guimauve que lui vendait le garde depuis tout à l’heure, elle avait du s’être légèrement laissée distraire. Et puis elle était épuisée. Forcément, c’était ça l’explication du fil de ses pensées qui n’avaient ni queue ni tête.

Se reconcentrant sur les dires de son camarade, la blonde se renfrogna face à ses théories nébuleuses. « C’est quoi ta logique là ? Tu racontes de la merde. » Vraiment ? Là, ce n’était même plus des arguments, juste de la mauvaise foi en dose déraisonnable. « Non, moi j'crois qu'il faut qu’t’arrêtes d'essayer d'dire des trucs, poursuivit-elle d’un ton plus docte qui ne lui allait pas vraiment. Ça te fatigue, déjà, et pour les autres, tu te rends pas compte de ce que c’est. Moi quand tu fais ça, ça me fout une angoisse... elle marqua une pause d’hésitation. J'pourrais te tuer, j'crois. » Devant l’air mi-figue mi-raisin du concerné, elle finit par lever les yeux au ciel, dédramatisant ses paroles qui n’étaient pas à prendre au pied de la lettre. Même si elle y allait un peu fort, elle devait l’avouer. Elle n’épargnait pas Mikh. « Bon, peut-être pas jusque là. Mais en tout cas ta psychologie de comptoir me fout le bourdon. »

Elle sentait qu’à force de tirer sur la corde et de charrier le brun, il finirait par lui dire d’aller se faire foutre et quitterait son cabanon sans regret. Mine de rien, se retrouver seule le premier soir de son retour lui aurait filé le cafard, elle le savait en son for intérieur. Alors Fran cessa les hostilités amicales pour deux minutes et lui donna ce qu’il attendait. Allez. Un p’tit verre pour me pardonner. Sinon, à la prochaine entorse que je me ferai, j’aurai plus aucun comité d’accueil. D’autorité elle versa à nouveau un peu d’alcool dans le verre attribué au garde, non sans un sourire amusé. « T’es drôle. Tu fais comme si t’étais chez toi et pourtant t’attends encore que je te serve comme si j’étais ta mère. »  Réflexion faite, si elle avait été la génitrice d’un gamin, il était tout à fait probable qu’il finisse comme cette crapule aux jolies mirettes qui squattait son lit de fortune. Il valait donc mieux qu’elle ne songe jamais à avoir une progéniture dans la mesure du possible, et pas uniquement parce que le monde n’avait pas besoin de bébés Swanson casse-pieds, mais parce qu’un tel endroit n’était pas franchement adapté pour l’éducation de bambins complètement inoffensifs et faibles.

« Mikh, question comme ça. Totalement hors-sujet, tu t'en doutes. » Le risque qu’il se foute d’elle sans aucune honte était énorme. Mais puisqu’il s’escrimait depuis tout à l’heure à vouloir d’elle qu’elle daigne jouer franc jeu, elle allait le faire. Soit il le prendrait sérieusement et il lui répondrait sur le même ton, soit il se paierait sa tronche – et elle l’aurait mérité, à penser qu’elle pouvait avoir une conversation d’adultes avec un petit con arrogant comme lui. « Tu tenterais de t’envoyer en l’air avec une nana que t’as pigeonné ? Genre, vraiment bien arnaqué alors qu’elle te faisait confiance ? » Essayer de prédire sa réponse n’était pas si facile que cela. Mikh se donnait de grands airs indifférents mais il y avait une probabilité pour qu’il soit au-dessus de ces considérations.

La blonde ne comptait pas faire de folie surhumaine ce soir en ce qui concernait sa cheville : elle se limitait donc au minimum syndical pour rendre la vie de son invité plus facile mais n’en oubliait pas les politesses que l’on devait aux siens. Parfois et sous couvert de grognements bourrus ou de manières peu diplomates, la blonde avait cette tendance à toujours s’occuper des siens et à leur prémâcher le travail. Un peu comme une mère incapable d’envisager que ses petits étaient aptes à se débrouiller tous seuls, ou bien comme une femme fière et têtue qui n’avait aucune confiance dans les capacités de ses petits camarades de camp. Dans un extrême comme dans l’autre elle préférait gérer les autres à leur place. Peut-être que pour Mikh, c’était ce qu’une matronne faisait. Elle préférait en rire plutôt que de considérer accoucher d’un minuscule diablotin et de devoir le gérer. Elle n’était déjà pas partante pour un bébé, pas besoin d’avoir à cadrer un grand enfant. « J’me serais passée de cette info. » grimaça la blonde, pas plus flattée que ça d’être mieux que feu Mrs Sloan.

Finalement l’incrusteur proposa de partager le refuge qu’il avait délibérément décidé d’occuper sans avis ce qui était parfaitement raccord avec le toupet caractéristique du jeune homme. Un rictus sardonique anima sa bouche et la mécano abandonna toute tentative de rester fière et droite pour aller s’avachir là où elle aurait très rapidement échoué si Sloan ne s’était pas pointé. « Pousse-toi alors. Tu prends toute la place alors que tu pèses vingt kilos tout mouillé, c’est pas croyable. » Sans ménagement, elle bouscula le garde pour s’installer sur le mobilier qui lui appartenait avec plus d’ampleur, prenant à son tour ses aises dans ce lit déjà bien réduit pour elle et qui en devint rapidement ridiculement petit pour les deux cavaliers.

Elle n’avait pas attendu l’épiphanie de son camarade pour s’embarquer à bord de son couchage de fortune avec la bouteille entamée. Il lui faudrait au moins le contenu entier de ce flacon pour endurer les sarcasmes grivois de son compère. Sa réaction ne la surprenait pas vraiment : tant qu'il trouvait un intérêt à ce qui lui arrivait, Mikh se satisfaisait de toutes les opportunités. Fran aurait pu facilement le rejoindre sur ce point, mais on ne parlait pas de n'importe qui, là. C'était Nino, pas un illustre anonyme. Et c'était peut-être déjà un élément de réponse pouvant vite porter à confusion qu'elle venait de soulever intérieurement. « Mh. » Le temps mort qui suivit l’analyse de ses paroles fit percuter qu’un nom entièrement inconnu à ses oreilles et sa mémoire venait d’être balancé. Mini-grenade dégoupillée à la dernière seconde par le garde qui croyait – ou non – s’en sortir sans aucun dommage collatéral. Après avoir emmerdé depuis plusieurs longues minutes son aînée au sujet d’amourettes imaginaires, c’était se fourrer le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate que de croire que Fran ne relèverait pas. « Quoi ? Attends c’est qui celle-là, une nouvelle au Ranch ? » Le nom ne lui disait absolument rien et elle ne faisait pas forcément l’effort de retenir le patronyme de toutes les greluches que le garde cherchait à piéger dans ses filets. Néanmoins, pour qu’il ait volontairement retenu son patronyme et qu’il le cite de la sorte, la principale intéressée et absente ne devait pas être juste un joli petit fessier à suivre du regard. Et puis surtout, elle avait été piégée par cette crapule. Qui l’aurait blâmé ? Il devait y avoir un paquet de filles susceptibles d’avoir baissé leurs gardes face à lui. Francesca déglutit une gorgée d’alcool avant de sonder Mikh d’un regard inquisiteur. « J’ai loupé combien d’épisodes pendant mon absence, au juste ? » Chacun son tour.

Une fille. Quand il y en avait une dans l’esprit d’un homme du genre de Mikhaïl, ce n’était que rarement anodin. Fran se promit intérieurement de faire l’effort de retenir ce prénom aux consonances plutôt rares, ne serait-ce que pour le ressortir en guise de distraction dans un moment d’égarement … ou lorsqu’elle éprouverait l’envie de se soucier un peu des états d’âme du garde. Pour l’heure et d’après lui, cette fameuse Portia n’était pas vraiment d’une importance capitale, mais le seul fait de l’avoir évoquée rendait ses propos un brin contradictoires.

Quoi qu’il en soit au sujet de leur hypothétique lien, le brun avait apparemment inversé la vapeur en la spoliant et comme toute victime, elle n’avait pas apprécié. « J’vois le genre. » La mécano n’avait même pas cherché à garder pour elle le petit ricanement amusé qui avait secoué légèrement ses épaules. Elle secoua la tête, comme vaguement fatiguée d’entendre ces mots qu’elle aurait pu croire sortis de sa propre bouche. Parfois elle se demandait pourquoi elle continuait de traîner avec des gens qui ne l’invitaient certainement pas à être une meilleure personne – et puis elle se rappelait la seconde suivante qu’elle attirait forcément à elle les spécimens du même calibre qu’elle. Pour le reste, la cavalière avait tôt fait d’envoyer paître les redresseurs de tort et les moralisateurs.

Lui avait admis sa faute, à elle de jouer le jeu. « Pas mieux que toi. » A l’époque elle aurait eu le culot de rajouter « trois fois rien, si tu veux mon avis ». Mais si on avait demandé le sien à Nino, il aurait répondu l’exact opposé. « On a été dans le même groupe de survie avec lui, un de ses potes et mon père pendant un p’tit bout de route. Ca se passait pas trop mal mais j’ai su certains trucs et j’ai préféré me barrer avant que ça dégénère. » La blonde n’estima pas vital de rentrer dans les détails, ce n’était pas ce qui passionnerait Mikh et puis il n’avait aucune raison de savoir ce que Nino avait fait dans son passé. « Disons juste qu’on s’est servis dans leurs vivres avant de partir. Et que j’ai pas vraiment prévenu qu’on se barrait. » Le jugement du garde et ami, peu importe ce qu’il fut, n’affecterait guère la trentenaire. Elle avait passé depuis très longtemps le cap des regrets et des excuses, qu’elle savait bien futiles depuis le temps. Ce n’était qu’un ramassis de mots soigneusement choisis et formulés à assembler correctement, et elle était une trop belle parleuse pour qu’on la croie sincère. Francesca aurait pu paisiblement continuer à se foutre de tout cela si le Mineur ne s’acharnait pas, malgré lui, à inéluctablement croiser sa route et à faire le bien. Tout aurait été drôlement plus facile et marrant s’il s’était énervé, aurait cherché la vengeance ou le retour de flammes. Au moins, elle aurait pu régler cette histoire comme à son habitude.

Etre ainsi sortie de sa zone de confort et mise dans une position qu’elle n’aimait pas – une place qu’elle subissait et qu’elle ne connaissait pas -, c’était nouveau pour elle et ça ne l’arrangeait pas. « On peut dire qu’on est vraiment de belles enflures, mh ? » Elle leva son verre pour saluer leur haut niveau de vice sans pourtant afficher le moindre sourire caustique, et but ce qui restait d’alcool. « Assez caqueté pour ce soir. » Ils avaient parlé assez longtemps de bien trop de choses et Fran n’était aucunement d’humeur à cogiter. « J’suis un peu fatiguée, pour pas te mentir. Tu peux rester là si tu veux, mais si je te réponds plus c’est qu’je dors. » Histoire qu’il ne prenne pas mal ses silences s’il voulait continuer à bavasser ; Fran n’allait pas le mettre dehors, bien trop contente de ne pas être seule, mais son énergie était en décrue sévère.