You're late for tea | Raven&Holly

Assise sur une chaise en bois pourrit, le regard levé vers le ciel, je réfléchis aux derniers événements. Je suis à Olympia depuis quelques semaines et pourtant, les choses ne s’arrangent pas. Je ne me sens pas totalement à ma place. J’ai l’impression de détonner un peu parmi tous ces gens. Ils sont de loin les hommes et les femmes les plus normaux que j’ai pu croiser depuis le début de l’épidémie. C’est à croire que certains n’ont pas changé du tout depuis que les morts ont commencé  à se relever. Ils arrivent à surmonter, pour la plupart. Ou bien ils se voilent les yeux. Mais, peu importe la raison, j’envie leur optimisme et leur bonheur. J’aimerais être aussi insouciante qu’eux, pouvoir retrouver la Holly d’avant. Celle qui jouait de la guitare autour d’un feu de camp, entourée de tous ses plus proches amis. Celle qui se levait pratiquement en dansant, ravie d’aller travailler. Celle qui n’avait jamais vu d’enfants mourir, même pas à la télévision. Elle me manque, l’ancienne Holly. Et plus j’y pense, plus son absence est cruelle. C’est beaucoup plus facile de prétendre, mais aussi beaucoup plus amusant comme ça. C’est toujours plus marrant quand on fait semblant. Comme présentement. Je baisse le regard vers mon interlocutrice, une femme dans la cinquantaine ou la soixantaine, c’est dur à dire, qui porte une chemise ravissante et qui est toujours en accord avec ce que je dis. Un vrai charme que j’ai eu la chance de rencontrer il y a quelques jours. « Qu’est-ce que vous dites, Martha? » Le rôdeur se débat au bout des chaines qui le maintiennent assis. Il grogne dans ma direction et je lui réponds d’un sourire sincère. « Oh, tu as parfaitement raison. J’aurais du apporter plus de thé. Mais une certaine petite souris préférait boire du chocolat chaud. » Je me retourne vers la gamine. Je lui adresse un clin d’œil, puis je porte à nouveau la tasse à mes lèvres. Je ne le dirai jamais à Martha, mais Rachel a fait un excellent choix. Le chocolat chaud a toujours été parmi mes boissons préférées. Pourquoi se forcer à boire un café corsé, alors qu’on peut profiter d’un régal chocolaté. Les deux ont à peu près le même effet, en plus. Le sucre me tient autant éveillé que la caféine. Sur mon ancienne élève, les résultats sont encore plus effroyables. Et à voir comment elle englouti les petits gâteaux que je lui ai apporté, ceux qui s’occupent d’elle en ville auront bien du mal. J’aimerais dire que c’est bien fait pour eux, mais si je veux m’intégrer, ce n’est pas le genre de comportement à adopter. Je veux donc lui dire de ralentir un peu, lorsqu’un bruit parvient à mes oreilles. Une branche s’est cassée, à peine perceptible. Le bruit semble venir de là-bas, entre les buissons. Ça pourrait être un animal, mais ça pourrait aussi être pire. Je fais donc signe à Rachel de partir, comme nous l’avons souvent répété. La petite proteste un peu, me rappelant qu’elle sait se battre maintenant. Mais je m’impose un peu plus et elle finit par détaler entre les troncs. Moi, je reste assise avec Martha un moment. Je me lève seulement lorsque je sais que la petite est assez loin. Je m’engouffre dans la forêt, en direction du bruit. J’avance tranquillement, à la recherche d’un potentiel rôdeur.

T’es vraiment pas faite pour trouver de quoi bouffer. Tu penses que ce sera gravé sur ta tombe un jour, si jamais t’as la chance d’en avoir une. En fait, tu sais même pas pourquoi tu penses à avoir une tombe, tu crois même pas en Dieu. Bref. Si t’en avais une, c’est ce qui serait écrit dessus en belles lettrines, parce que séparer les têtes des rôdeurs de leurs corps, tu sais faire, mais trouver de quoi bouffer à toujours été plus dur que tu ne le pensais. T’as tellement maigri depuis le début de toute cette merde. T’en as perdu le peu de cul que tu avais avant. Enfin, ce n’était pas comme si t’avais à séduire très souvent mais parfois, c’était plutôt sympathique… quand ils avaient de la bouffe, par exemple. Alors il t’arrivait de chasser, parfois. C’est pas non plus ton fort, ça, mais t’essaies de te démerder. Parce que maintenant, ya pas que toi et Maya a nourrir - il y a aussi Kyle qui vous a rejoint. T’avais pas prévu de te créer un mini groupe, un mini clan, mais cet espèce d’adorable imbécile avait réussi à se frayer une place indispensable au sein de votre groupe. Même Maya avait fini par l’adopter.

Ton serpent autour du cou, tu étais sorti afin de trouver de quoi vous mettre sous la dent. T’avais prévu de t’aventurer dans la forêt histoire d’avoir plus de chance de trouver quelque chose, quitte à ce que tu doives tuer un animal de tes propres mains. T’es pas super confiante quant à la présence d’animaux dans une ville comme ça vu le nombre de rôdeurs, mais t’as envie d’y croire, au fond. Alors, ton sabre à la main, tu t’avances dans la forêt sur des bottines en essayant de faire le moins de bruit possible. La discrétion, ça n’a jamais été ton truc mais avec la tournure des évènements, tu as fini par t’y habituer, par devenir meilleure. Cela dit, tu n’es pas à l’abris de marcher sur une branche, de temps à autre. Un bruit retentit lorsque cela arrive et tu jures entre tes dents. Merde Des fois, tu n’es vraiment pas douée. Alors tu te planques derrière un arbre, ton sabre plaqué contre toi afin de le cacher aussi et tu arrêtes de respirer pendant plusieurs secondes. T’espère que personne ne t’a entendu. T’espères que le bruit est passé inaperçu. T’as du mal à y croire, pourtant. T’as du mal à te dire que t’as attiré l’attention d’aucun rôdeur des environs - t’es loin d’être naïve. Sauf que tu ne t’attendais pas à voir une tête rousse - une tête humaine - alors que tu osais jeter un coup d’oeil derrière ton arbre. Une personne bien vivante qui s’avance prudemment et qui ne semble pas avoir envie de manger ton cerveau. C’est plutôt une bonne nouvelle. T’as dû lui faire peur aussi, en marchant sur la putain de branche. Elle doit te prendre pour un zombie, toi aussi. Alors tu sors très doucement de ta cachette, une main en l’air tandis que l’autre tient encore ton arme de prédilection - au cas où. « Ce n’est que moi, désolée. J’mange pas encore de cerveau. » Tu le dis doucement, assez pour qu’elle t’entende mais pas assez pour ameuter tout le quartier dans le silence des bois. Mais tu connais assez ce nouveau monde pour savoir qu’il vaut mieux t’annoncer avant de te faire attaquer et peut-être tuer. Et puis, à cette distance, t'as pas encore tilté. T'as pas encore tilté que son visage t'es familier.

Je ne suis pas angoissée pour Rachel. Elle est maligne, forte et endurante. Elle sait grimper aux arbres et elle est rapide. Elle connait le chemin de la maison sur le bout des doigts. Elle pourrait le faire les yeux fermés, rôdeurs ou pas. Ce qui m’inquiète, c’est la présence qui rôde dans les bois. J’espère que ce n’est pas Martha qui a attiré ses amis. Sa mâchoire et ses bras ont beau être tranchés, lorsqu’elle s’agite ses chaines claquent. Ce serait probable, bien que malheureux. Moi et la gamine perdrions notre coin de jeu préféré, ce que je préfèrerais éviter. J’avance donc tranquillement, le souffle lent, les sens complètement aux aguets. Sauf qu’il n’y a plus rien. Il ne s’agit donc pas d’un rôdeur. Ceux-ci sont détectables à une distance impressionnante. Ce qui traine dans les bois à ce moment est un habitué. Il sait se montrer furtif. Peut-être un animal sauvage, mais ça m’étonnerait. J’aurais vu des traces quelque part. Non, ça doit être un humain et ça, c’est la pire des rencontres qu’il est possible de faire de nos jours. Expirant silencieusement, je resserre ma poigne sur Léa, puis je reprends ma route, me préparant au pire.

Au bout d’un moment, je tombe sur une brune qui m’est familière. Sortant des broussailles, les cheveux en bataille, elle prononce quelques excuses. Je fronce les sourcils, frustrée après ma mémoire défaillante. Je suis certaine de l’avoir déjà vue. Mon chemin a croisé le sien, mais, comme je n’arrive plus à m’en souvenir, j’ignore encore s’il s’agissait d’une belle rencontre ou non. « Tu fais bien, la texture est pas géniale. » Je laisse mon bras s’affaisser lentement, ne lâchant pas prise sur mon arme pour autant. « Mon père m’a fait goûter à la cervelle d’agneau y’a… un bail. Je l’ai pratiquement revomi, alors j’imagine pas celle des humains. » Je grimace, profitant de cette pseudo-conversation pour faire un pas vers l’avant. C’est là que je remarque le reptile niché sur ses épaules. « Eden? » Non, c’est pas ça. J’esquisse un sourire en réalisant à qui j’ai à faire. J’ai connu la brune il y a des années. Avec elle, je me souviens que la vie était un peu plus plaisante. J’étais déjà bien enfoncée dans la dépression lorsqu’elle m’a trouvé, mais sa présence a ajouté un voile de lumière à mon existence, jusqu’à ce que nos chemins se séparent. Si elle avait voulu me tuer, elle aurait pu le faire à maintes reprises par le passé. « Peu importe. Ça te dirait d’aller prendre un chocolat chaud? » Je repense à la pauvre Martha qu’on a complètement plantée. Elle serait probablement ravie d’avoir un peu de compagnie et quoi de mieux pour renouer avec quelqu’un, accessoirement savoir si je peux lui faire à nouveau confiance, qu’un bon breuvage et quelques pâtisseries maison.