You can't escape your past | Whilelmina & Jonas

Fichue gamine, le nez toujours fourré là où il ne faut pas. Ce qu’elle a vu ce matin n’est qu’un accident. Le malheureux s’est simplement trouvé au mauvais endroit  et il était déjà à l’article de la mort. Je n’ai rien fait de mal, vraiment. Je n’ai fait que saisir une opportunité qui s’offrait à moi. Une occasion d’observer les effets de l’infection sur un cobaye toujours en vie. De voir à quel point elle se propage dans le membre affecter, comment et à quelle vitesse. Une expérience captivante qui a occupé toute ma matinée. Lorsque je suis revenu et que je suis tombé sur Micah, je n’ai pas eu le temps de cacher les preuves résiduelles sur mes habits et mes outils. J’ai tenté de les cacher rapidement, avant qu’elle ne les voie et qu’elle ne me questionne sur la raison de mes agissements. Mais je n’ai pas été assez vif et l’interrogatoire n’a pas tardé. Je lui ai raconté que j’avais croisé un homme qui s’était blessé hors de la carrière. Un fidèle de Lazare, un vaurien qui aurait probablement subi bien pire si je l’avais ramené ici. Par bonté, j’ai préféré abréger ses souffrances. Un mensonge éhonté auquel elle a cru, mais qui ne lui a pas plu. Je suis juge, certes, mais dans ce cas-ci, je n’avais aucun antécédent, aucune raison de croire qu’il n’aurait pas mérité les soins, qu’importe si c’était pour être emprisonné par la suite. La blonde a fait preuve d’insubordination, chose qui arrive un peu plus fréquemment depuis que nous sommes à la carrière. J’ai tenté de la retenir, mais je n’ai rien pu faire. Elle est partie en vitesse, probablement pour aller travailler avec Whilelmina et décanter. Je l’ai laissé filer, ayant autre chose à faire que de gérer des caprices d’adolescents. Je ne me suis lancé à sa recherche qu’au moment où j’ai eu terminé de nettoyer mes outils pour les ranger soigneusement, enterrant ces reliques du passé pour un moment. Il ne faut pas attirer l’attention sur moi. Ce matin était une erreur de parcours  qui ne se reproduira pas avant longtemps. Pour rester discret, il vaut mieux limiter mes écarts de conduite.  

Une fois mon secret bien dissimulé, je me mets en route. Je repasse ma chemise du revers de ma main, puis je suis le chemin que, je l’espère, Micah a emprunté une trentaine de minutes plus tôt. J’avance d’un pas certain, confiant. Je ne m’arrête que pour saluer quelques voisins sur le chemin de l’infirmerie. Des gens insignifiants qui se font une grande image de moi. Des pions qui se multiplient à un rythme bien trop lent à mon goût. Mais ce n’est pas le moment de travailler là-dessus. J’accélère le pas et, quelques minutes plus tard, je fais face à une amère déception lorsque je trouve ma destination déserte. Aucune gamine en vue. Par contre, au moment où je m’apprête à partir, une tête brune que je reconnais bien fait son apparition. Un sourire s’étire sur mon visage alors que je m’approche de la nouvelle venue. « Pardonnez mon intrusion, mais auriez-vous croisé une blonde, d’extrême bonne humeur et d’environ… cette taille? » J’illustre mes paroles, levant la main à ma hauteur d’épaule.

L’infirmerie, un lieu qui ravive d’exquis souvenirs. Partout où mon regard se pose, je songe à une myriade de jeux et d’expériences que j’ai pu mener. L’odeur, aussi, est attrayante. Un mélange âcre de chair et de médicament, témoin des multiples passages d’être blessés ou malades. Un terrain de jeu idéal si je réussissais à m’y faufiler en douce dans les heures moins achalandées. Mais, vu la population sans cesse croissante de la carrière, il s’agit d’une mission impossible. Je me contente de rêver, de réprimer mes envies en attendant d’avoir enfin l’occasion de les exprimer. Le jour où je pourrai reprendre mes activités, mon art, en sera un de célébration. Mais il me reste beaucoup de travail avant d’en arriver là.

Sorti de ma douce rêverie par le ton sèche employé par l’ancienne Jackals, mes sourcils s’haussent légèrement. Mon rictus s’efface lentement et ma main droite se crispe imperceptiblement. Whilelmina. Je me souviens bien d’elle, chose frêle parmi les monstres. Elle me faisait un peu penser à Micah la première fois que je l’ai vu. Pratiquement aussi naïve. Mais il faut croire que je l’ai sous-estimé. Sinon, c’est qu’elle s’est finalement adaptée au monde qui l’entoure. Elle est sortie de sa coquille, constatation qui me rappelle cruellement la précarité de ma relation avec ma propre fille. La seule différence est que si la seconde en venait au même niveau que la première, je devrais l’écarter du chemin. Me débarrasser d’elle afin qu’elle ne divulgue aucun de mes secrets. Une tâche simple vu la confiance qu’elle me voue. Avec la brune, toutefois, ce serait plus compliqué. Elle est bien intégrée ici et sa disparition soulèverait des questions. C’est dommage vu toutes les choses que je pourrais lui faire. Une tragédie, même. Une occasion ratée de mettre sa foi à l’épreuve.

Face à cette pensée, un sourire vient à nouveau orner mon visage, cette fois entaché par l’amère déception qui me ronge. Un jour, peut-être. En attendant, ça ne veut pas dire que je ne peux m’amuser un peu avec elle. Je m’approche doucement, d’une démarche presque prédatrice.  Je jauge les outils qui s’étalent devant elle, analysant l’endroit où sa main s’est probablement instinctivement posée. Un scalpel. Le choix évident, mais aussi le plus ennuyant. Les pinces me paraissent bien plus utiles. Je secoue la tête, un air désapprobateur déformant mon visage, ma manière de lui indiquer qu'à sa place, je me tiendrais tranquille. « J’ignore ce qui se passe là-dedans. » Je murmure pratiquement en repoussant une mèche de ses cheveux du bout des doigts. Un geste rapide, précis, qu’elle ne peut esquiver.

Je recule d’un pas et mon sourire revient juste avant que je ne reprenne la parole. « Mais peu importe ce que tu penses ou ce que tu peux avoir imaginé, je tiens à Micah. Peut-être même plus que je ne pourrais l’avouer. Si je suis venu ici, c’est d’abord pour la protéger. Elle le mérite, tu ne trouves pas? Mais comme toute famille, il nous arrive d’avoir des désaccords qui ne concernent que nous deux.  » Je déambule dans l’infirmerie, observant les outils dont les soigneurs disposent. Un étalage assez complet. Pendant un instant, je ne peux m’empêcher d’imaginer ce que pourrait faire Micah si elle mettait ses connaissances à profit autrement. Je suis sur le point de me perdre à nouveau dans mes rêves diurnes lorsque l’infirmière pousse l’affront à un autre niveau. Je secoue doucement la tête, amusé par sa bravoure.

« Il y a bien autre chose que j’aimerais savoir, Whilelmina. » Je m’immobilise à nouveau lorsque je reviens à sa hauteur. « Pour en être rendu là, il faut avoir envie de survivre. Souvent, ça nous mène à commettre des horreurs. Des erreurs, si tu préfères. Je connais les miennes et j’essaie de me racheter. Mais quelles sont les tiennes? Comment est-ce qu’une fille comme toi a pu survivre toutes ces années? Tu dois être intelligente. Tu dois savoir quand te taire et quand prendre ta place. »  J’espère pour elle que c’est le cas. Ce serait dommage que Micah perde une amie si précieuse.

En un instant, la déception de ne pas avoir retrouvé Micah s’envole. Cette conversation avec la douce Whilelmina est bien plus intéressante, presque passionnante même. Je suis agréablement surpris de voir comment elle a grandit. L’adolescente que j’ai connue s’est envolée, laissant place à une femme un peu plus assurée. La connaître davantage, je pourrais pratiquement être fier des progrès qu’elle a fait. Elle ne se laisse pas intimider, loin de là. Elle défend farouchement je-ne-sais-quoi. J’ignore s’il s’agit d’elle-même, de Micah ou d’autre chose, mais ça m’est égal, car chaque affront m’amuse d’une manière délectable. Je n’ai pas envie d’arrêter de sourire, au contraire. Mais, pour montrer à l’ancienne Jackals que je suis réellement prêt à faire des efforts, je me contiens. J’affiche un visage impassible, ni grave, ni amusé, lorsque je reviens vers elle. Je m’arrête toutefois à une distance raisonnable, de crainte de l’effaroucher davantage. « L’ironie, c’est de s’accrocher à sa haine, alors que nos croyances prônent le contraire. » Pour l’avoir lue à maintes reprises, je sais que les écrits qui s’y retrouvent n’ont plus autant de sens aujourd’hui qu’à l’époque à laquelle ils ont été consignés. Néanmoins, certaines valeurs véhiculées par l’ouvrage restent d’actualité. Le pardon est l’une d’entre elle, pratiquement omniprésente dans ses récits.

Pourtant, la jeune Jennings ne semble pas y accorder grand importance ou du moins, elle ne s’y adonne pas aussi facilement que ce à quoi je m’attendais d’une personne aussi fervente. « C’est aussi de ne pas pardonner les erreurs de ton semblable, alors que tu en as toi-même commises. » Certes, nos péchés ne doivent pas s’équivaloir. Je ne crois pas qu’une fillette comme elle aurait pu s’abaisser à de telles atrocités, même si nécessaire. Mais pour s’être rendue jusqu’ici, elle doit avoir commis quelques erreurs. C’est inévitable. Elle n’a donc aucune raison de monter sur ses grands chevaux, de jouer aux plus fines avec moi, alors qu’on faut, nous sommes tous égaux. Seulement deux humains, un homme et une femme qui tentent de survivre du mieux qu’ils le peuvent.

Poussant un long soupire, je m’approche à nouveau, cette fois tirant un tabouret avec moi. Je le glisse près du comptoir bancal derrière lequel la jeune soigneuse s’affaire, puis je prends place sur le siège aussi inconfortable que rouillé. « Qu’est-ce qu’il faudrait pour que tu m’accordes un peu de crédibilité? » Je demande, observant mon interlocutrice avec intensité. Peu importe quel sera son prix, je me prêterai au jeu. Tous les moyens sont bons pour en arriver à mes fins. S’il faut que je m’abaisse encore plus pour pouvoir gravir les échelons à la carrière, ainsi soit-il. De toute façon, étant déjà le toutou de Marisa, je ne vois pas en quoi je pourrais me ridiculiser davantage. Dans le pire des cas, ça fera même plaisir à Micah de voir que je m’entends bien avec une personne qu’elle perçoit aussi comme un modèle. Un modèle. Juste d’y penser, un frisson me parcours l’échine. Si je vois que, finalement, Whilelmina cause plus de tord que de bien, il faudra que je trouve une autre solution.

Je reste parfaitement impassible, jaugeant les réactions de Whilelmina. La pauvre Jackal déchue qui s’accroche aux mêmes croyances que moi. Des âneries retranscrites dans un livre au fil des années. Tous ces versets ont été passés de génération en génération, version glorifiée du téléphone arabe si on me demande mon avis. Puis, comme si ces charlatans, ces faux-prophètes en quête de sensationnalisme, n’en avaient pas déjà fait assez, la parole de Dieu est rédigée à coup de métaphores, de devinettes et d’autres énigmes insensées. Et c'est là le danger de la métaphore... si on parle avec des gros tas de bidoches, au bout de cinq minutes personne ne parle de la même chose. Autrement dit, la bible, c’est un ramassis d’histoires pour enfants que tout le monde peu interpréter comme bon lui semble. Voilà la seule raison qui m’attache encore à l’Église. Pour la brune, les rapports semblent plus compliqués, plus insidieux. Elle s’accroche tant à ces croyances dépassées qu’elle finira par s’y perdre. Si ce n’est pas déjà le cas. Il n’y a rien de plus répressif que les religions, séries de règles et de tabous qui briment l’expression de l’humain. Libérée de toutes ses morales inutiles, je suis persuadé que l’infirmière ferait une excellente élève, surtout en vu de toutes ces choses dont j’ignore la nature, mais qu’elle ne peut se pardonner. Probablement des actes aussi atroces que les miens à ses yeux. De fait, ce sont souvent les plus coincés qui cachent le plus grand potentiel. Mais, à l’entendre réciter sa feuille de bonne conduite, l’étincelle dans mon regard s’éteint. Je crois qu’il est trop tard pour elle. Son esprit n’est plus aussi modulable que l’est celui de Micah. « Non, je ne suis pas naïf. Je sais qu’il ne me suffira pas de claquer des doigts pour que tout le monde oublie. Comment le pourraient-ils après tout ce que j’ai fait? Mais je suis prêt à persévérer pour gagner la confiance des gens. De tous les gens. » Mes pupilles scrutent les siennes, à la recherche du moindre signe de défaillance. Mais elle s’accroche, bien plus forte que ce que j’aurais cru. Un défi de taille, mais j’ai tendance à croire que rien n’est impossible. « Est-ce que Micah t’a déjà raconté comment nous nous sommes retrouvés ensembles? » Je sais que plusieurs rumeurs circulaient à ce sujet lorsque nous habitions encore le centre commercial. Certaines se rapprochaient de la réalité, mais aucune ne l’égalait. Comment auraient-ils pu savoir? Entre une gamine muette et un tortionnaire tout aussi peu expressif, il y avait de quoi élaborer les scénarios les plus fantaisistes. « Elle était dans une secte. Eux aussi interprétaient la bible comme ils le souhaitaient. Leurs femmes étaient battues, exploitées autant pour leur capacité à donner la vie que pour leur force physique. Les hommes étaient horribles, bien plus que moi. Ils s’en prenaient aux enfants. C’est sa mère qui l’a préparée ce jour-là et lorsque j’ai su pourquoi, mon esprit a tilté. Elle n’avait que douze ans, Whilelmina. Douze ans. Elle n’avait jamais mis les pieds à l’extérieur et il n’y avait personne pour la protéger. Pas même Dieu. Alors moi, je l’ai fait. » Je jette un bref coup d’œil aux alentours, m’assurant que personne ne soit témoin de cette conversation. « Tu peux croire ce que tu veux à mon sujet, mais saches que jamais je ne lèverais un seul doigt sur elle. Plutôt m’exiler que de la faire souffrir à nouveau. » Ce n’est pas complètement vrai, mais mon visage complètement hermétique ne laisse rien transparaître. Si la blonde devenait un fardeau plus qu’autre chose, je serais capable de me débarrasser d’elle. Elle ne partirait pas après des jours de souffrance. Je la laisserais s’envoler en quelques secondes à peine, sans qu’elle ne sente rien. C’est, pour moi, ce qui se rapproche le plus de l’affection.

Micah m’en voudra probablement d’avoir raconté tout ça, parce qu’elle essaie d’oublier. Mais elle est facile à contrôler. Elle respire quand je lui ordonne. Ce n’est pas un problème de taille, contrairement à la brunette qui me fait face. Whilelmina n’a rien du rôle que je lui attribuais. Elle ne se laisse pas avoir et elle sait faire face aux atrocités du monde. J’ai du mal à voir en quoi elle pourrait m’être utile à voir à quel point elle s’accroche à ses convictions et j’ai l’impression que le seul moyen que j’ai de l’avoir ne serait-ce qu’un petit peu est de me montrer honnête. Du moins, partiellement. De toute façon, je ne peux pas nier les horreurs, les tableaux monstrueux que j’ai peints au fil des années. Je n’en ai même pas envie. Alors, plutôt que de jouer la comédie, je me dévoile un peu à elle. Je lui offre des morceaux de mon passé, espérant qu’ils ternissent l’image qu’elle se fait présentement de moi. Je veux lui faire miroiter la possibilité que je ne sois pas qu’un bourreau, que la réalité est plus complexe qu’il n’y parait. J’essaie. « Non, elle s’est sauvée elle-même. Je l’ai sortie de là, mais c’est elle qui a choisi de se relever et de continuer. » N’importe quelle gamine se serait laissée abattre en voyant son univers exploser complètement. Mais Micah s’est accrochée à moi comme à une bouée. Peut-être que l’instinct de survie y est pour quelque chose, peut-être qu’elle est simplement naïve. Finalement, c’est probablement un mélange des deux. Elle savait que j’étais sa seule chance d’aspirer à autre chose, alors elle s’est prêtée au jeu, jusqu’à s’y laisser complètement prendre. Une autre proie dans la gueule du loup, qui ne sait même pas que les crocs pourraient se refermer sur son cou à n’importe quel instant. « Espérons. » J’ai promis d’être honnête, autant y être à fond. Je joue le tout pour le tout, ne craignant pas de me bruler les ailes. Dans le pire des cas, je n’aurai qu’à mettre les voiles. Ce ne serait pas la première fois et même si tout est à une proximité pratique ici, ce ne serait pas la fin de mon monde.

Je secoue la tête, presque contrit. « Elle n’a rien fait si ce n’est survivre. » La blonde n’a fait que ce que j’ai exigé d’elle. Son plus grand crime a été de fermer les yeux et de faire confiance à la mauvaise personne, mais ça, tout le monde le fait quotidiennement. Il n’y a pas de quoi la condamner. « Mais je suis satisfait de savoir qu’elle pourra se détendre un peu. Elle n’a pas l’étoffe pour rester seule. Ce qu’il lui faut, c’est un endroit comme ici, des gens pour la guider et l’encourager à continuer. » Satisfait. C’est le mot. Je ne suis ni heureux, ni malheureux, juste satisfait. En plus de m’être aussi utile qu’avant, la gamine n’est plus toujours dans mes pattes. J’espère seulement que l’élargissement de son entourage ne mettra pas en branle sa fidélité. Si jamais c’est le cas, je serai là, tapis dans l’ombre.

Son arrogance m’agace à un plus au point, mais ce n’est rien en comparaison à l’envie dérangeante que j’ai de lui faire regretter tous ses affronts. Il me suffirait de tendre la main, de l’attraper par le bras pour qu’elle soit à ma merci le temps que ses cris n’alertent quelqu’un. À moins que la chance ne me sourie et que j’aie le temps de la bâillonner avant qu’on ne remarque quoi que ce soit. En quel cas je pourrais l’amener avec moi dans la forêt pour profiter tranquillement de son corps, m’amuser enfin comme je ne l’ai pas fait depuis si longtemps. La seule problématique est que je devrai quitter cet endroit. Il me sera alors improbable de revenir à la carrière, ni-même dans aucun des camps de la région sans qu’on me soupçonne de quoi que ce soit. Je calme mes donc mes envies, affichant une tranquillité presque placide.

« Je t’assure que je ne représente plus aucun danger pour personne. » Je t’assure plutôt que je te promets, car je n’aime pas venir à l’encontre de ma parole. Malgré les apparences, je m’attache toujours à quelques valeurs. Je ne peux faire de fausses promesses, surtout aussi grandes que celles-ci. Toutefois, je n’ai aucun remord à lui mentir en plein visage. Ça, je le fais tous les jours. Le mensonge est maintenant mon quotidien, comme une seconde peau que je revêts à chaque réveil. J’y suis tellement habitué qu’il est presque confortable. C’est grâce à ce cher ami que j’ai pu me tailler une petite place ici, aussi ingrate soit-elle. Mais je sais qu’un jour viendra où j’arriverai à me débarrasser de Marisa ou, au moins, à la déclasser. Il me suffit d’être patient.

« Non, ça ira. Marisa m’en met toujours plus sur le dos. Ça a été un véritable plaisir, Whilelmina. » Je lâche un soupire, sincère cette fois, puis je tourne les talons. Au mall, l’ancienne gouvernante ne me dérangeait pas. Elle ne se mêlait pas trop de mes affaires. Son frère me foutait la paix et je pouvais expérimenter comme bon me semblait. Mais, maintenant qu’il était parti et qu’elle n’avait plus personne vers qui se tourner, j’écopais de toutes les corvées ingrates. J’étais forcée de la suivre et de lui obéir, ce qui allait à l’encontre de tous mes instincts. Une vie de merde pour un chien, amplement méritée. Pourtant, ça ne m’empêche pas de vouloir m’en défaire et de rêver sans cesse au jour où je pourrai retourner Rosario à l’envers. Littéralement. Mais en attendant, je dois jouer les bons soldats. Continuer de jouer la comédie comme je l’ai fait avec Whilelmina. C’est habituellement facile, mais aujourd’hui, j’ai eu l’impression de me frapper à un mur. Elle est trop méfiante. Tant pis. Tant que cette petite souris ne s’échappe pas, ça m’est égal.