look at my horse | caden

Décembre 2016

Elle était contente d’être au Texas. En ce début de journée, l’air était un peu frais sans pour autant être glacé comme il l’aurait été plus au nord. Il faisait bon, en fait, assez pour qu’elle puisse se permettre de se promener en t-shirt malgré le fait qu’il ait plu dans la journée et que le sol était encore humide. Le ciel était dégagé, maintenant, et le soleil allait commencer à vraiment taper dans une heure ou deux. Alors qu’elle s’avançait sur la route de terre battue, elle regardait tout autour d’elles ; toutes ces cabanes, toute cette activité matinale. C’était étrange. Elle ne se sentait pas à sa place. Mais ce doute fut balayé très vite par l’idée qu’elle n’avait de place nulle part et que si elle en voulait une, elle devrait se la tailler.
Mais pas maintenant. Elle n’en avait pas envie. Alors qu’elle marchait, elle ne prit même pas la peine de dévier sa trajectoire lorsqu’un colosse de deux têtes de plus qu’elle se mit sur son chemin. Elle lui mit une épaule, et ne se tourna pas alors qu’elle entendit le type s’arrêter. Elle traça sa route, passa devant la demeure Rhodes, pour continuer jusqu’aux pâturages. En entrant sur la route de ces derniers, elle fut accueillie par la fraîcheur de l’odeur de l’herbe humide, ce qui ne manqua pas de lui arracher un sourire.

Alors qu’elle se lançait sur ce sentier traversant ces champs déserts, il lui semblait apercevoir la silhouette de celui qui devait la former en équitation. Caden, le frère d’Abel en personne. En y pensant, une moue étrange déforma son visage. Caden. Abel. Deux opposés, de ce qu’elle en avait vu. L’un avait été sympathique et avenant. L’autre l’avait tabassé et menacé. M’enfin. Le chemin lui parut long, donc elle pressa le pas pour finalement arriver à porter du type qu’elle reconnut un peu plus. Il ne la regardait pas à ce moment là, donc elle manifesta sa présence en lui annonçant tout en agitant son bras : “Ca…” elle glissa à ce moment là, se rattrapa in extremis avant de reprendre : “Ca…” elle aurait dû se taire et se concentrer pour garder l’équilibre, puisqu’elle glissa une nouvelle fois à ce moment là, son pied glissant cette fois-ci en avant sur le sol humide. Au lieu de terminer son mot, elle poussa une expiration alors que son arrière-train touchait lourdement le sol. Elle parcourut ensuite les derniers mètres qui la séparait de lui en faisant du surf sur l’herbe mouillée. Elle s’arrêta en enfonçant de plus en plus les talons de ses rangers dans le sol, pour s’arrêter face à l’homme. Sans se démonter, elle reprit sans bouger : “Caca. J’peux me permettre de t’appeler comme ça ? C’est un beau surnom, j'l'aime bien” elle afficha un sourire, levant son petit menton pour regarder le type. Depuis son arrivée, elle n’avait causé à presque personne, et n’avait pas vraiment envie de le faire. Mais ce type était le frère d’Abel. Et, il avait été sympa envers elle. Alors, elle décida de faire un effort en lui tendant sa main en guise d’introduction, son aide n’étant pas nécessaire mais la bienvenue.  

Se relevant, pas vraiment embarassée de cette chute ; c’était des choses qui arrivaient ; elle écouta la réponse du bonhomme. Si elle était venue sans trop espérer grand chose, elle était agréablement surprise. Il n’avait pas l’air d’avoir un balais dans le cul, déjà, et, au Ranch c’était un exploit en soit. Elle lui rétorqua donc directement : “J’suis spéciale, tu le comprendras assez vite” elle lui esquissa un sourire, avant de se tourner pour essayer de se débarasser de la boue qui lui collait maintenant aux vêtements. Elle l’écoutait en même temps, alors que pour elle, il l’invitait à l’appeler tout le temps comme ça. Elle esquissa un sourire en tentant tant bien que mal d’essuyer et de sécher ses mains sur son pantalon de treillis. Elle le regarda caresser le cheval en arquant un sourcil, alors qu’il voulait visiblement attaquer les choses sérieuses, ce qu’elle comprenait.

Elle s’approcha de lui, en regardant le cheval de plus près et en annonçant : “Une fois quand j’étais gamine, et une fois à l’université” elle se souvient d’avoir été entraînée par une de ses amies de l’époque à ce cours d’équitation. Ce n’était pas tant le cheval qui l’avait agacé, mais la compagnie de tous ces fils de gradés, leurs manières et leurs éducations pénibles. Elle n’avait donc tenté l’expérience qu’une fois, et à la grande déception de son amie, n’y était plus jamais retournée. De toute façon, à l’époque, elle savait déjà clairement ce qu’elel voulait faire : pilote. Et elle en avait rien à foutre de la tradition et de l’équitation puisqu’elles n’avaient pas vraiment leurs places dans des unités aussi modernes.

Repensant à son passé, elle ajouta sans trop réfléchir : “Et dire que j’ai servi dans la cavalerie… “ elle le regarda, haussant les épaules en guise de dépit, prenant une expression faussement grave et triste. Elle poussa un soupir, pour ensuite planter ses poings dans ses hances et pencher sa tête avant de lui demander : “Enfin, je suis pas vraiment inquiète. Je suis pas du genre à stresser. On commence par quoi, mon p’tit Caca ?” Elle ne pensait pas être à l’aise aussi facilement, mais, ce type était cool. Son enthousiasme, d’ailleurs, n’était pas feint. Après plusieurs jours à ne rien faire de très passionnant, difficile pour elle de ne pas être excitée à l’idée de faire quelque chose de nouveau. Elle se plaça donc aux côtés de Caden, écoutant attentivement sa réponse, jaugeant celle-ci au besoin, et se prépara à obéir à ses potentielles instructions.

Elle ne manqua pas de lui faire un clin d’oeil complice quand il lui fit remarquer que c’était aux enfants limités qu’on disait qu’ils étaient spéciaux, malgré le fait que ce soit faux. Plusieurs fois, au cours de sa scolarité, la remarque avait été faite à son propos ; à un point que ça en devienne redondant. Et pas dans le sens où elle n’était pas très douée ; c’était l’inverse en fait. Elle était spéciale, mais feignante surtout. En y repensant, c’était dommage qu’elle ait perdu ses bulletins de notes. Ils étaient amusants à lire, du moins, jusqu’au décès de son père. Après ça, même la ville au complet étant au courant, même les profs dans les matières où elle ne faisait toujours rien n’osait plus la bâcher. Ce qui avait rendu son deuil encore plus difficile, et avait renforcé sa détermination à l’époque.

En attendant, poney time. Elle écouta la réponse de l’autre. En le regardant en biais, elle tentait de voir s’il blaguait ou non. Probablement. Elle attendit qu’il termine ce qu’il avait à dire, avant d’envisager de répondre. Elle le regarda, plissa un peu des yeux, et prit la parole d’un ton faussement sérieux : “Ce serait dommage de gâcher mon potentiel, non ?” elle poussa un soupir, avant de rajouter d’un ton moins théatral mais à la limite de la carricature cette fois-ci : “Amène moi tout ce que tu veux, mon poulet, et j’le monterais sans problème” elle haussa les sourcils plusieurs fois pour montrer son assurance, avant que le cavalier ne la démonte en lui demandant de monter sur le canasson. Elle posa une main sur l’encolure du cheval, et lui annonça : “Tu sais ce que t’as à faire si tu veux pas devenir un steak” puis elle se plaça face à la selle. Elle prit une inspiration, puis, réfléchit brèvement à comment elle allait s’y prendre.

Au final, elle décida d’attaquer ça de front. Elle posa son pied dans l’étrier, puis, se donna une impulsion en s’accrochant à la selle de son bras. C’était sans compter sur sa blessure ; qui commençait à dater, était refermée, mais la lancinait toujours. Elle poussa un gémissement de douleur, alors qu’elle parvenait à passer sa jambe de l’autre côté, sans arriver à caler son pied dans l’étrier. Elle s’agrippa de ses deux mains à la selle, alors que le cheval commençait un peu à s’agiter. Sa cavalière était tendue, non pas à cause du stress, mais de la douleur. Celle-ci avait poussé d’instinct ses jambes contre les côtes du canasson, et inconsciemment, elle y appliquait une pression bien trop forte et probablement désagréable pour le cheval. Elle prit une inspiration, avant d’annoncer : “Facile” en serrant les dents à moitié, le visage un peu crispé par le pic de douleur qui ne tarda pas à se dissiper.

Droite sur son cheval, Idyl aurait aimé se dire qu’elle avait l’air d’un de ces cavalier qu’on pouvait voir sur des peintures ; se tenant glorieusement sur son fier destrier, avec une classe et une prestance sans pareil. Mais, pour le coup ce n’était pas vraiment le cas et elle en avait parfaitement conscience. Au moins, elle tenait dessus. Elle sentit alors à ce moment là un contact en bas de son dos. Elle essaya de tordre son coup pour voir ce qu’il en était, mais abandonna alors que le contact se rompait, ne comprenant pas vraiment. Du coup, elle essaya de rectifier sa position. Peut-être n’était-elle pas assez droite ? Après quelques instants, elle arriva dans ce qui lui sembla être la position où sa colonne vertébrale était la plus droite possible. Elle avait vraiment l’impression d’avoir un balais dans le cul, pour le coup. Elle chercha dans le regard de l’autre son approbation, mais, elle n’y vit que ce qu’elle perçu comme de la confusion, ou de la gêne. Elle n’était pas très empathique, et ne savait que dire.

Avant qu’elle le puisse trouver quelque chose de toute façon, son interlocuteur prit la parole. Elle prit une profonde inspiration, alors anticipait la question et qu’elle réalisait qu’elle avait bien deviner de quoi il s’agissait. Il s’inquiétait de son état. Elle pivota sa tête, roula des yeux avant d’annoncer à Caden : “C’est rien ; un souvenir de ma rencontre avec ton frère. Le genre douloureux” elle lâcha d’une main la selle, et porta un de ses doigts à l’endroit où la cicatrice par balle était fraiche et visible sur son bras gauche. En même temps, le cheval bougea, et elle s’empressa de s’agripper avec ses deux mains à la selle, tout en s’exclamant : “Uh, détends toi mec” le cheval avait probablement simplement ajusté sa position, mais elle y connaissait rien, en canasson. Elle pensait se contenter d’ignorer la remarque qui l’avait passablement énervée, mais, un peu perturbée par ce mouvement, elle décida de lâcher : “La comédie, hein ? Tu me prends pour quoi, une attention whore ? Tu vas te calmer toi aussi, mon p’tit bonhomme”

à ce moment là, elle réalisa la joie qu’était celle d’être un cavalier. Elle ne se l’était jamais cachée ; elle était petite. Et, jaugée là, dépassant de plusieurs têtes ce bonhomme, elle découvrait un sentiment primitif mais pas des plus désagréable de supériorité. S’amusant de la situation, elle leva son menton afin de renforcer l’impression qu’il devait avoir qu’elle était en train de le juger, alors qu’elle luttait contre l’envie de sourire et de gâcher son attitude.

Elle ne le lâcha pas du regard, esquissant un sourire alors qu’il tentait de se justifier. Sérieusement ? Son regard amusé devint confus ; comment ce type pouvait-il être aussi différent que son frère ? L’hypothèse la plus cohérente, la première qui lui vint à l’esprit, était que Caden ait été victimisé par son aîné. C’est plus logique, même. Pauvre bonhomme. Elle s’apprêtait à lui répondre, ouvrit même la bouche quand celui-ci mit fin à cette discussion. Idyl n’y voyait pas de problème, alors, elle haussa les épaules, et obéit docilement au cavalier. Elle agrippa les rênes, essayant de les placer aux endroits où les mains de l’autre la guidait. Puis, toujours silencieuse, écouta les instructions, avant d’acquiescer d’un signe de tête.

Alors qu’elle s’apprêtait à talonner son cheval sans trop savoir quelle force y mettre, l’autre posa une question. Elle commença donc par lui dire : “Ma première rencontre, avec lui. Il t’a jamais raconté ?” demanda-t-elle, un peu étonnée. Elle talonna à ce moment là, et le cheval s’élança. Elle resta raide sur sa selle, étant secouée à chaque foulée de l’animal. C’était étrange, comme sensation. Elle continua, alors qu’ils s’avançaient tous les deux, en commençant par commenter : “Etonnant” d’une manière anodine, qui cachait de la curiosité mal placée. Elle reprit vite, cependant, en rajoutant : “J’me suis retrouvée coincée avec lui et ses hommes, dans une usine, alors qu’une horde nous encerclait. Si on est parti sur des mauvaises bases” elle fit un signe de la tête vers sa blessure “on a pas eu d’autres choix que de se serrer les coudes, pour s’en sortir” et pas que, mais elle songea qu’il était judicieux d’arrêter sa phrase où elle en était. elle se tut un instant, regardant les alentours, contente de voir que la monte était peut-être plus simple que ce qu’elle pensait. Puis, au final, elle rajouta d’un ton étrangement neutre : “J’ai eu de la chance dans ma malchance, semble-t-il ” elle se tut, alors qu’elle continuait de faire la girouette sur son cheval.

Elle n’en voulait pas aux cavaliers pour cette tentative de vol, puis de meurtre. Sa présence au ranch en était la preuve, et cette dernière n’était pas du seul fait de sa capacité à pardonner. En fait, si elle était là, c’est parce que leur mentalité était la bonne. C’était la loi du plus fort, sans pour autant pousser le vice et partir dans de la cruauté sauvage. Animale. Non. Si elle avait été tuée, ce jour là, c’est parce qu’elle s’était défendue, et elle supposa qu’elle aurait eu droit à une mort rapide, au moins. Rien n’était noir, rien n’était blanc dans ce monde en ruine, et pour elle, il était important d’assumer le fait qu’on était gris. La moralité apporte la mort, l’imoralité, la folie ; tout était une question d’équilibre. Et, à cet instant, elle plongea son regard devenu grave dans celui de son interlocuteur, se demandant si justement, elle ne faisait pas face à quelqu’un d’un peu trop moral pour s’en sortir sans la protection de son frère.