crawling back to you | angel

Le bidonville du cimetière de voitures pouvait, parfois et avec un peu de chances, s’avérer une mine d’or pour les nouveaux arrivants au sein de la Carrière. C’était là qu’on l’avait en tout cas redirigé non sans un rire moqueur et la promesse potentielle de rencontrer quelques esprits si d’aventure elle s’y rendait à la tombée de la nuit. Whil n’était pas plus froussarde que naïve, mais aller seule dans une décharge d’épaves automobiles en pleine obscurité ne la tentait guère. Elle avait donc attendu le lendemain matin – et passé une nuit des plus médiocres sur le vieux matelas troué qu’on avait accepté de lui céder – pour partir à la conquête de ce dépotoir gigantesque.

Dépotoir dont elle avait à la fois sous-estimé la taille et l’aspect pour le moins … dissuasif. Si en effet il restait beaucoup trop de carcasses de métal et de plastiques, certaines avaient été éventrées, décortiquées voire brûlées. Sûrement l’assouvissement de quelques pyromanes quarries. Quoiqu’il en fut, Willie sentait que sa recherche allait prendre une tournure de fouille presque archéologique tandis qu’elle avisait un vieux fauteuil de voiture arraché de son nid et troué de part en part. Des impacts de … balle, de ce qu’elle en reconnaissait.

Plusieurs mètres parcourus et déjà au bout de sa troisième voiture inspectée, Willie sentait qu’elle allait faire chou blanc. Pourtant son baraquement avait besoin de davantage de solidification ou elle ne passerait clairement pas la semaine. Un craquement et une ombre qui passèrent dans le coin gauche de son champ de vision la firent sursauter. Au beau milieu de ce silence et de ce néant humain, impossible qu’elle ait rêvé ce qui venait de se produire. Ou alors il y avait bel et bien des fantômes dans ce coin. N’importe quoi ! « Hey ! » Pas un bruit, pas un souffle de vent. Elle en était persuadée. Un truc avait bougé devant elle. Elle n’était définitivement pas seule dans cet endroit. Et le pire c’était que la personne ne voulait pas se montrer. Non, rectificatif : le pire c’était que Whilelmina avait oublié son arme. Qui oubliait de prendre un truc pour se défendre dans une époque pareille et encore plus quand on était nouvelle dans un campement rempli de cinglés ? Les idiotes de ton genre.

Ses yeux fouillèrent le sol et les alentours en quête du premier objet contendant qui servirait de défense ; le seul truc qu’elle dénicha ressemblait à un vieux rétroviseur cassé et elle décida de ne pas le retenir. En revanche, le morceau de verre plus loin qui brillait pouvait faire l’affaire. En silence elle se baissa pour le ramasser, continuant d’avancer à pas de loup dans la direction du mouvement qu’elle pensait avoir aperçu.

Une main l’empoigna brusquement de nulle part et avant même qu’elle n’ait pu pousser le moindre cri, un bras la coinçait au thorax contre une portière de bagnole rouillée. Pivotée sur elle-même à cent-quatre-vingt degrés dans un mouvement vif qui lui donnait la sensation d’être un pantin sans aucun libre-arbitre, la jeune fille crut bien être victime d’un mirage véritable. Ou alors, Dieu avait bel et bien réussi à ressusciter un des enfants qui l’avait rejoint. « Angel ?! » En chair et en os, et a priori pas le moins du monde enchanté de la voir là bien en vie et respirer. « Mais tu … T’étais mort ? » ne put-elle s’empêcher de constater à haute voix, trop surprise pour réfléchir à un moyen de s’échapper de son emprise.

Ses pupilles vadrouillèrent de droite à gauche, oscillant entre panique et incompréhension tandis qu’une main venait faire taire d’autorité tous les mots qui se bousculaient au portillon pour sortir de sa bouche. « Att- » Pas moyen qu’il attende, non ; Angel Harrington paraissait bien trop soucieux pour être en mesure d’avoir du temps devant lui.

Il n’avait pas beaucoup changé malgré les années qui s’étaient écoulées entre leur dernière entrevue et aujourd’hui. Le temps – et une mort anti-datée – ne l’avaient pas rendu plus patient. Au-delà de ça, il semblait sur la défensive, ce qui pouvait largement se comprendre étant donné qu’il ne savait pas face à qui il était. Une ennemie ou une alliée, une potentielle traîtresse capable de le dénoncer au premier moment venu ou une personne digne de confiance qui saurait l’aider, l’ancien Chacal n’avait aucun moyen tangible de savoir ce que Will pensait de lui.

De ce fait, il en était réduit à user de sa force brute pour obtenir ce qu’il voulait – quoi, là résidait toute la question - ; la stratégie n’était pas si mauvaise si ce n’était qu’il était en train de commettre une grave erreur en pensant que Whilelmina faisait encore partie du groupe de Marisa. Alors qu’il la dominait de toute sa hauteur, la question suivante, lapidaire, lui confirma qu’elle avait tout à prouver au frère de Gabrielle. Le passé appartenait au passé : ici à la Carrière, les choses pouvaient être différentes dans un sens comme dans l’autre. « Je suis seule, ok ? » Un peu trop tendue, la texane aurait du sous-peser ses paroles. Elle n’aimait pas ce qui se tramait là parce qu’elle se rendait compte à quel point elle avait agi stupidement en se promenant ici comme une débutante, sans défense et sans avoir prévenu qui que ce soit de ses affaires. Angel aurait pu choisir de l’abattre ici sans autre forme de procès que personne ne l’aurait remarqué.

La soigneuse aurait souhaité pouvoir échanger plus calmement mais lui en était toujours resté au stade de l’agressivité active. S’il voulait effrayer Whil, il n’était pas totalement passé à côté de son objectif – la demoiselle se demanda durant quelques secondes si la désertion n’avait pas fait vriller le jeune homme au point qu’il puisse vouloir tuer à vue tous ceux qui avaient fait partie des Jackals. La fureur de vivre ou en tout cas, une farouche volonté de ne pas tomber à la première erreur qu’il ferait se ressentait en lui. Instable et surtout imprévisible, Willie ne pouvait décemment pas prendre le risque de l’énerver un peu plus. C’aurait été trop pour un seul type. « Si tu me laisses m’expliquer, il n’y a aucune raison que les choses se passent mal. » articula la brune le plus calmement possible, sa respiration désaccordée profitant des quelques millisecondes de répit que son interlocuteur lui laissait pour reprendre son souffle. « Tu peux au moins me lâcher ? S’il te plaît ? » Ses iris vagabondèrent du visage d’Angel à la proximité on ne peut plus réduite à laquelle il la forçait, en passant par le bras ferme qui la maintenait coincée comme un rat. Pas vraiment la posture la plus plaisante pour mettre les choses au clair. « Je suis pas armée. » Au cas où il ne l’aurait pas remarqué, elle n’avait aucun fusil sur elle – et le pauvre morceau de verre qu’elle avait songé pouvoir exploiter était désormais bien loin. Soit il la croyait, soit il jetait sa parole au feu et la réduirait à être fouillée comme la première des menteuses.

Le calme qu’elle s’évertuait à maintenir dans sa voix et dans ses gestes n’était que de façade. En son for intérieur, plus la pression d’Angel contre elle s’exerçait plus ses neurones s’agitaient en tous sens, perturbés par l’afflux soudain d’informations contradictoires. Dans sa tête, résonnaient les paroles de Gabrielle trois ans en arrière. Mort, assassiné de la main de sa propre famille pour avoir voulu s’enfuir. Et il n’en était en fait rien. Son amie lui avait éhontément menti – pour le protéger, soit, mais elle devait déjà le digérer – et des mois, non, des années plus tard, le jumeau refaisait surface comme par magie tandis que son reflet féminin lui, avait disparu de la circulation sans mot dire. La saveur aigre-douce d’une injustice mal aboutie avait envahi sa bouche. Ce n’était pas juste qu’après tout ce qui s’était passé pour eux, ils en arrivent là, à cette conclusion sordide et ironique où les plus lâches s’en sortaient le mieux et où les autres, trop loyaux pour ne pas être intelligents, avaient sûrement péri pour des idéaux morts eux aussi.

Et elle devait garder le secret de son existence, comme si elle avait besoin d’un fardeau supplémentaire à porter dans cet endroit de misère. Whilelmina aurait préféré se passer de cette contrainte mais une petite voix pleine de bon sens lui suggéra qu’elle aussi allait devenir un poids pour Harrington. Pas question qu’il ne dise quoi que ce soit à qui que ce soit sur elle. « Quelle générosité. » cracha t-elle, la mine sombre. Puisque Monsieur Angel voulait bien la laisser vivre dans le même monde qu’elle … Elle se contentait donc de son aval tant attendu – tu parles.

Son regard ne lâcha pas le sien alors qu’elle attendait encore et toujours sous le joug de l’oppresseur. A lui de décider s’il la libérait ou si elle représentait encore une menace telle qu’elle avait besoin d’être contenue ; mais il y avait de quoi presque en rire à voir la menue charpente de celle dont Angel paraissait se méfier comme de la peste. Finalement il prit sa décision et la relâcha non sans se fendre d’un commentaire qui devait valoir pour un avertissement – avertissement qu’elle balaya d’un revers de manche cynique. « Ca va être compliqué. » grogna la petite brune qui ne pouvait pas vraiment faire quoi que ce soit pour lui nuire physiquement puisque, bêtement, elle n’avait rien pour cela.

Aussitôt dit, aussitôt fait : Whil s’écarta vivement du jeune homme comme si son seul contact la brûlait au deuxième degré. « Merci. » lâcha t-elle d’un ton froid non sans se masser le bras durant quelques secondes. « Je sais pas où est Gabrielle. C’est ta sœur, tu devrais le savoir mieux que moi, non ? » Quoi, c’était maintenant qu’il s’inquiétait ? Comment avait-il pu accepter la laisser seule au beau milieu des cinglés qu’ils étaient ? Pourquoi n’était-il jamais revenu la sauver s’il avait réussi à s’en sortir jusqu’ici ? Whilelmina n’avait toujours rien pour menacer Angel mais rien ne la retint de l’attaquer par les mots qu’elle lui balança en pleine face sans crier gare. « Oh mais ça me revient. Maintenant que t’en parles ça serait intéressant de la retrouver, ouais. Pour savoir ce qu’elle a à dire du retour parmi les vivants du frère qu’elle est censée avoir tué ! » Il n’y avait aucune peur et encore moins de scrupules à se servir de Gabrielle pour le faire sortir de ses gonds. C’était tout ce qu’il méritait à cet instant, au même titre qu’elle méritait bien de savoir ce qu’il foutait ici.

L’attaque était sûrement la stratégie qui collait le mieux au caractère impétueux d’Harrington. Et il était bougrement doué à ce jeu. Manque de pot pour lui, Whilelmina la passive avait eu le temps et les moyens de s’endurcir, et surtout de ne pas se laisser impressionner par la première gifle, verbale ou physique, qu’on lui adresserait. « C’est pas la question, ma famille n’était pas avec moi quand j’ai rejoint les Jackals, moi ! » rétorqua t-elle abruptement. La culpabilité avait parlé et la soigneuse sut instantanément qu’elle avait visé juste en lui rappelant à ses souvenirs sa jumelle : Angel aurait menti en prétendant qu’il ne se sentait pas responsable de ce qui lui était arrivé, quoi qu’il lui soit arrivé. Son problème majeur, c’était qu’il ne savait tout bonnement pas dans quelle fosse il l’avait abandonnée. Un peu comme elle et les siens.

Elle ne s’arrêta pas là et poursuivit sans s’adoucir. « Mais à choisir, j’aurais préféré qu’ils soient avec moi, au moins j’aurais plus de chances de savoir s’ils sont encore en vie. Merci de me le rappeler ! » Il ne pouvait pas simplement reporter la faute sur la première venue en espérant que ça le soulagerait. Il se trompait lourdement. La peine ne ferait que revenir, lancinante et vive ; ça n’était qu’une question de temps.

Leurs voix qui s’élevaient l’une sur l’autre ne prouvaient qu’une chose : ils n’étaient pas là pour ressasser le bon vieux temps et faire la paix. Si guerre il y avait réellement … Whilelmina avait encore du mal à comprendre qu’Angel était toujours vivant mais surtout, se demandait à présent ce qu’il était advenu de lui depuis tous ces mois de disparition simulée. Elle était en colère contre lui, bien sûr ; d’une certaine façon il les avait trahis à une période où elle ne l’aurait jamais imaginé d’un tel acte. Mais une nouvelle extension de sa conscience le comprenait, était prête à l’écouter. Le pardon était un bien grand mot pour eux deux, pauvres déserteurs sans loyauté qui avaient accepté sans – presque – aucun remord de passer leurs sorts avant ceux des leurs. Au final, elle ne valait pas mieux que lui.

Ce constat, à la fois amer et un peu sec qu’elle avait tenté d’éviter depuis des semaines, calma un peu l’ardeur de son regard brûlant planté sur le blondinet. A court d’arguments, elle oublia la peur pour quelques secondes. « Je sais pas où elle est Angel. Je te mens pas. » finit-elle par conclure d’un ton aussi plat et sincère que possible. Elle était désolée pour lui, quoi qu’il ait commis, de ne pas pouvoir lui donner ce qu’il cherchait. « J’étais pas là quand l’attaque des rôdeurs a eu lieu, la dernière fois que je l’ai vue … » Dans sa tête défilaient les images de son départ à la hâte, des mensonges qu’elle avait élucubrés des jours durant alors que son esprit n’était plus qu’obsédé par sa seule envie de partir ; de sa fuite sous le regard déçu de Roxana ; des éclats de voix, des reproches blessants et des mots durs qu’elle lui avait jetés pour l’éloigner une bonne fois pour toutes et lui faire jurer de ne plus jamais la voir revenir. Du visage d’Angus, encore endormi, qu’elle avait regardé une dernière fois avant de le laisser derrière elle une bonne fois pour toutes. De la peur qui la tenaillait encore en imaginant ce qui se produirait s’il revenait, s’il avait survécu. « … Elle allait bien. » Oui, Gabrielle allait encore bien avant tout ça. Mais maintenant, elle ne pouvait plus garantir que les choses soient restées à l’identique.

Puisqu’elle lui avait dit qu’elle s’expliquerait, il était temps qu’elle le fasse. Qu’il réalise si ce n’était pas déjà le cas qu’elle n’était pas l’ennemie qu’il pensait avoir face à lui. « J’ai quitté le groupe si tu veux tout savoir. Ca fait un bon mois que je suis arrivée ici. » Silence, avant de reprendre sous le regard qui en disait long du jeune homme. « Tu vas peut-être me juger ? Ca serait à peine culotté de ta part. » Comme si lui rappeler qu’ils partageaient tous deux le même secret lui aurait permis de mieux supporter le sien … Une belle erreur que Whilelmina commettait en toute connaissance de cause.

Un fantôme ne revenait jamais seul. Forcément, après avoir utilisé Gabrielle, lui se servait d’Angus. Elle l’avait mérité. Son regard s’éclaira d’une lueur indéfinissable ; la blessure morale qui guérissait lentement et qu’il lui avait infligée pendant deux ans, elle, n’oubliait pas. Elle n’était pour le moment pas prête à céder le moindre terrain à ce sujet si sensible et équivoque. « Et ce qui se passe avec Angus te regarde pas. Mais je l’ai quitté lui aussi, ça s’arrête là. » Sa réponse était mue par un étrange élan d’orgueil qui décrédibilisait sa volonté de ne rien dire, comme pour prouver que non, elle n’avait pas subi. Elle avait choisi tout cela. C’était sûrement la pire décision qu’elle ait pu prendre et elle ne pouvait que craindre le jour où un Jackal – où Angus lui-même – la retrouverait, mais au moins, elle avait fini par ouvrir les yeux une bonne fois pour toutes.

L’agressivité d’Angel lui pesait plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Ils n’étaient pas particulièrement amis ni même proches, la seule chose qu’ils partageaient était leur appartenance aux Jackals dans un passé proche. Elle ne le détestait pas mais ne pouvait pas dire qu’elle le connaissait très bien au contraire de Gabrielle, et en cela les attaques qu’il multipliait envers elle la dérangeait. Qu’il la critiquait pour ce qu’elle avait pu faire pour les Rosario était une chose, mais qu’il la jugeait pour tout le reste alors qu’ils étaient tout juste deux connaissances la froissait. Ils étaient plus que différents, ils étaient presque à l’opposé l’un de l’autre, et il osait dire le contraire tout haut.

Pourtant, elle se montra plus intelligente – en tout cas c’était l’effet escompté – que lui en ne répliquant rien. Il était déjà bien assez énervé et les nerfs à vif qu’elle cesse le petit jeu qu’il avait puérilement démarré. Ce n’était pas comme si la discussion mènerait à autre chose qu’une joute verbale stérile. Encore une preuve qu’ils n’étaient pas aussi similaires qu’il le claironnait.

Une faille dans la carapace dure du jeune homme, minime, s’était formée. Elle aurait pu s’y engouffrer si elle n’avait pas eu le moindre remord. Une façon de se débarrasser de lui et de le garder à distance. Elle repoussa cette possibilité qu’elle ne pouvait envisager, même si elle ne savait pas si Angel lui rendrait la pareille. « Je te le jure. » répéta t-elle sans détour. Qu’il la croyait ou non, elle ne lui mentirait pas sur un tel détail. Il ne méritait pas qu’elle lui mente sur sa sœur et ce au moins au nom de l’amitié qu’elles avaient eu à une période.

Harrington ne tenta pas de masquer sa surprise. Il y avait de quoi l’être, quand on se souvenait de la docilité et du dévouement de l’ancienne chacal. Elle aurait aimé sourire mais elle ne fit pas l’effort, se contentant de s’asseoir face à lui. « Où aller, sinon ? » Certes Hamilton’s Quarry abritait leurs anciens collaborateurs et c’était un très gros inconvénient qui suffisait à les éloigner d’ici le plus vite possible. Cependant c’était dans ce même endroit que les zones et leurs limites permettaient un confinement temporaire entre eux et les autres. C’était ce même lieu qui les aurait accepté plus que n’importe quel autre sans trop regarder – en tout cas, sans trop creuser la surface de leurs couvertures. « Je doute que qui que ce soit nous accueille à bras plus ouverts qu’ici. » Olympia était un rêve éveillé inaccessible pour l’heure, rejoindre les Crimson Riders ne lui était même jamais venu à l’esprit. Restaient la Mine et la Carrière, où le bazar ambiant de l’une leur profitait bien davantage. Son menton se releva légèrement alors qu’elle esquissait enfin un semblant de rictus amer – une fois n’était pas coutume, il ne valait mieux pas qu’il espère un remerciement de sa part. « C’est au moins la première chose intelligente que je t’entends dire. Félicitations. » Et comme il risquait de prendre la mouche à nouveau, elle poursuivit. « Je ne compte pas vraiment te dénoncer non plus, même si tu étais prêt à m’égorger pour avoir des nouvelles de ta sœur. » Décidément, Angel avait le droit au visage le plus avenant de Whilelmina.

L’absence d’Angus à ses côtés avait attisé l’intérêt de son interlocuteur. Le duo inséparable n’était plus, il devait y avoir eu des problèmes au paradis ou il s’était seulement avéré que sous le masque, il ne s’agissait que d’un enfer bien déguisé. Le blondinet eut la surprenante délicatesse de ne pas insister et si elle n’en dit rien, Will apprécia son geste respectueux. Elle s’attendait malgré tout à autre chose qu’à l’impression soudaine que maintenant qu’il savait ce qu’il avait voulu savoir, il allait repartir comme une fleur. « C’est tout ? » Elle s’insurgea un peu, se relevant à son tour pour marcher jusqu’à lui et lui faire face. « Tu me fais une scène pas possible pour filer comme ça, l’air de rien ? » Tant de menaces et d’insistance pour si peu, alors qu’ils savaient à présent tous les deux qu’ils étaient vivants l’un et l’autre et qu’ils faisaient partie du même camp. « Je te rappelle que comme tu l’as dit, on est tous les deux traîtres et pas si différents. Pour reprendre tes mots. » L’expression indéchiffrable de son visage ne donnait pas d’idée précise sur le niveau d’ironie qu’elle employait, et il était impossible de dire si Whil se moquait de lui ou si elle avait fini par approuver ses dires.

« Ca vaudrait peut-être mieux de s’aider que de se tirer dans les pattes, non ? » L’hypothèse d’une alliance était un peu folle, surtout qu’ils n’avaient en apparence rien à s’apporter l’un et l’autre. En apparence. Whil s’était rangée mais ça ne voulait pas dire qu’elle ne pensait pas à assurer ses arrières. « Ou au moins savoir à quoi on s’en tient. Quels mensonges il faudra sortir si jamais on vient nous poser des questions. »

L’apocalypse n’avait pas ôté tout sens de la rêverie au monde. Angel avait encore quelques espoirs fous – ceux de pouvoir trouver une terre non hostile où il vivrait avec sa sœur jumelle retrouvée. Whil, elle, n’était peut-être pas moins optimiste en songeant au bonheur incommensurable qu’elle aurait pu éprouver en retrouvant ne serait-ce qu’une partie de sa famille, un frère ou une sœur, peut-être même sa mère. Elle n’en dit rien cependant, gardant pour elle seule ces fantasmes qui devenaient de plus en plus irréalistes au fur et à mesure que le temps passait.

Le jeune homme n’était déjà plus agressif, quoiqu’encore un peu acide face aux piques vraiment mal dissimulées de la jeune fille. Elle y était allée un peu fort avec lui, et la texane aurait pu être prise d’une vague de regret pour s’être montrée aussi froide et tranchante alors qu’il n’avait agi qu’avec le cœur et l’impulsivité qui lui était caractéristique. Mais elle ne pouvait pas tout pardonner. Elle ne pouvait plus tout justifier. Alors elle se contenta d’un hochement de tête bref, histoire de remettre à plus tard ce moment gênant où ils se sentiraient désolés de leurs attitudes d’animaux sauvages.

Elle aurait pu s’attendre à un large refus – une association avec une jeune fille aussi fragile pouvait ne pas valoir grand-chose pour Angel, elle n’était pas dans sa tête pour le juger. Cependant il accepta et en moins de temps qu’il n’en fallut pour épeler le mot jackal. « Vraiment ? » Sourcils haussés, elle se reprit en remplaçant de force sa surprise par un furtif sourire de politesse. « … Merci. » Une « pas si mauvaise idée » ; de sa bouche, cela sonnait comme un compliment. « Voilà, dans ce genre d’idées. » acquiesça la soigneuse, presque soulagée de trouver là un premier appui après des semaines de solitude.

Quelqu’un pour l’aider, quelqu’un qui la comprendrait. C’était ce dont elle avait besoin. Peu importait qu’elle ne choisissait pas qui serait cette personne. Instinctivement, elle songea qu’elle devait donner à Angel toutes les chances d’être le compagnon de route qu’il lui fallait. Et pour cela, elle devait aller au-delà des apparences et des a priori. Un exercice pas aussi difficile qu’elle ne l’imaginait. Sa main vint saisir la sienne tendue pour la serrer dans une ambiance étrangement solennelle. « Rien à redire alors… Marché conclu. »

Elle se surprit à le suivre à ses côtés, marchant sur un rythme calqué au sien. Maintenant que le chemin se faisait dans son esprit, quelque chose la chiffonnait légèrement. « Où est-ce que tu vis exactement ? » Dans le fond des iris bleutées de l’ex-Chacal, Whilelmina semblait à la recherche d’un détail qu’elle ne parvenait pas à préciser ou plutôt d’une certitude qu’elle aurait voulu concrète. Elle avait beau retourner ses bribes de souvenirs dans tous les sens, il valait mieux directement lui poser la question pour voir de quoi il en retournait réellement. « Parce que maintenant que j’y réfléchis je suis persuadée de t’avoir déjà revu traîner dans les parages. » C’était une allégation facile à faire pour se donner l’air d’avoir vu le coup venir ; mais en réalité et à bien y réfléchir, la jeune femme avait bien aperçu une ou deux fois un visage, une ombre qu’elle avait cru confondre avec celle d’Harrington. Des croisements trop fugaces, trop hasardeux, ou tout simplement  « Ou c’est peut-être le fruit de mon imagination, mh ? » Ses épaules se haussèrent avant qu’elle ne poursuive.

« Il faudra qu’on réfléchisse à un mensonge commun. » Parfois et sous certains angles, le pragmatisme de Whilelmina pouvait frôler le calcul pur et simple. Comme elle sentait très aisément dans le regard que lui jeta le blondinet qu’elle voyait un poil trop loin et anticipait sûrement des risques en bonne paranoïaque, elle rajouta un peu précipitamment. « Si on vient à nous poser des questions un de ces quatre … Il faut qu’on dise la même chose. » Sinon ils pouvaient tout simplement faire une croix sur leur tranquillité fraîchement dénichée. On ne savait jamais ce qui pouvait arriver, après tout ; c’était là une simple mesure de sécurité.

Dubitative, la petite brune l’écouta déconstruire bien trop simplement la solution à leurs problèmes. Nier tout en bloc n’allait absolument pas les protéger de la suspicion d’autrui mais ça, Angel n’avait pas l’air de le comprendre. En tout cas, pas de son propre chef. « Il va falloir un peu plus qu’un ‘on n’est pas jackals’, tu crois pas ? » voulut-elle objecter sans trop le brusquer, bien au fait qu’il n’était pas question de remettre en cause les certitudes d’Harrington. Le but n’était pas d’inventer bêtement un mensonge pour s’amuser et s’inventer une vie. Ce n’était qu’une façon de consolider leurs couvertures et de parer les indiscrétions des autres Carrière. Angel devait sûrement préférer l’offensive au défensif, ce qui finit par achever les réflexions de la demoiselle. « Pour aujourd’hui … » commença t-elle, prête à relancer la discussion avant de laisser un ange passer. « Ca ira. » Non, c’était bien loin d’aller, s’insurgeait sa conscience. Mais pourtant le simple fait d’être retombé sur un élément du passé et d’avoir réussi à conclure un pacte avec lui relevait du miracle solide. Elle devait apprendre à s’en contenter. « Mais il va bien falloir qu’on y réfléchisse. » Un petit rappel qui pourrait bien lui valoir le qualificatif de rabat-joie, ce qui ne la touchait que trop peu.

La route défilait à l’envers sous leurs pieds et le jeune Jackal ne cachait pas aussi bien sa surprise qu’il l’aurait voulu en l’observant le suivre. « Et ce qui est bien, c’est qu’on vit tous les deux dans la même zone. » Non, Whilelmina Jennings ne se laissait jamais abattre. Certains aimaient vivre dans une insouciance bienheureuse et improviser au dernier moment lorsque tous les projecteurs étaient braqués sur eux : elle, elle était plutôt genre première de classe qui s’enthousiasme à l’idée de pouvoir travailler même les week-ends sur le projet d’école de fin d’année avec son voisin cancre. Encore un aspect de sa personnalité dont le blondinet allait assurément raffoler.

Encore quelques mètres et déjà le cimetière de voitures disparaissait derrière eux, les bruits lointains du campement les rattrapant doucement mais sûrement. « Au fait … Si jamais tu te blesses, tu n’as qu’à me rendre visite ; c’est moi qui m’occupe de soigner les bras cassés dans la zone. » Ca pouvait toujours servir. De ce qu’elle se rappelait, Angel n’était pas le dernier pour s’attirer des ennuis. Autant qu’il sache qu’il pouvait compter sur elle pour un peu plus que mentir dans son intérêt personnel. « Je pars par là. » indiqua t-elle alors un peu abruptement, s’arrêtant pour montrer d’un signe de tête la direction d’Auspex. La journée ne faisait que commencer, inutile qu’elle revienne bras dessus bras dessous avec Harrington alors qu’elle avait encore des fouilles à faire pour meubler son abri. « A une prochaine, qui sait ? » Une salutation bien étrange qu’elle ne put s’empêcher de ponctuer d’un petit sourire énigmatique avant de finalement lui tourner le dos pour séparer sa route de la sienne.