flower of the universe, child of mine (abel & jenna)

Le temps semblait figé depuis ce qui s’était passé à Olympia, et il était peu dire qu’il éprouvait le plus grand mal à faire la part des choses. Face à un deuil dont il ne savait que faire, ni quelle était la meilleure manière de le gérer, Abel avait opté pour la solution la plus facile : la fuite en avant. Il avait évité la ville, évité Peyton pour ne pas avoir à se retrouver face à elle sans rien avoir à lui dire et parce qu’il ne pouvait pas supporter le poids de son regard, évité le sujet de manière générale et puis ses proches quand lui semblait que ceux-ci s’apprêtaient à dire quelque chose là-dessus. Il s’était replongé corps et âme dans ce qu’il savait faire le mieux, autrement dit la gestion de son ranch, mettant ses journées toutes entière là-dedans pour se retrouver le soir épuisé et prétendre trouver le sommeil plus aisément. Il ignorait, aussi, la pointe douleur qui revenait de plus en plus souvent s’inviter dans sa cuisse tandis qu’il la sollicitait sans relâche, toujours en mouvement et rarement derrière son bureau, et qui lui signifiait pourtant d’une manière on ne pouvait plus claire qu’il ferait mieux de s’économiser sous peine de finir par le regretter d’ici quelque temps. Dans un aveuglement borné, il avait préféré remettre au goût du jour la canne que lui avait fourgué Ferguson lorsqu’il arpentait ses terres, pour soulager sa jambe et ne pas se retrouver à boiter lourdement avant la fin de la journée, plutôt que d’admettre qu’il n’aurait jamais dû y avoir recours en premier lieu.
Fatalement, le cavalier était d’une humeur maussade avec tout ça. Le ton sec, la réprimande facile et le regard sévère, tandis qu’il évoluait parmi ses hommes, distribuant les ordres à la volée et préparant les prochains raids avec ses chefs d’expéditions. Lorsqu’un garde était venu comme ça, out of fucking nowhere, lui balancer que Diggs s’était ramené à la frontière de ses terres et braillait à qui mieux mieux son prénom et celui de sa sœur, sa mine s’était davantage allongée. Passée la surprise presque interloquée de se demander 1) ce que le foutu roi de la carrière fichait dans le coin et 2) si on lui avait asséné un sale coup derrière le crâne pour qu’il semble à ce point perdre la boule, Abel n’avait vu en cette présence inopinée que le sombre présage que sa journée s’annonçait merdique à souhait. Peu importait l’envie qu’il avait bien pu nourrir, de longs mois durant, quant à l’éventualité de baptiser de son poing la gueule d’Aaren après ce que Jenna lui avait révélé, se retrouver face à face avec ce dernier était bien la moindre des choses dont il avait envie ces derniers temps. Mais, et à moins d’être réellement tombé sur la tête, il ne se serait jamais déplacé jusqu’ici sans une véritable raison de le faire, non ? Sachant les risques qu’il courait loin de la sécurité de son clan, de ses hommes, et à réclamer à cor et à cri l’une des personnes qui rêvait de se débarrasser de lui depuis déjà un bon bout de temps.

Abel récupéra le cheval du garde – se taper à pied le chemin jusqu’à l’autre bout des cultures, non merci –, fit un premier arrêt pour enjoindre Jenna à le suivre fissa (conscient qu’elle ramènerait de toute façon sa fraise dès lors qu’elle serait au courant, alors autant que la nouvelle vienne de lui) avant de piquer des deux sans attendre sa frangine pour mener l’animal droit vers son ancien allié et s’arrêter enfin à trois mètres de lui. « T’as perdu la tête, Diggs ? Ou tu t’es découvert une nouvelle passion pour les élans suicidaires ? » Décidément pas d’humeur pour la politesse de surface, la voix froide avait claqué à l’instant où le canasson avait pilé et que les deux regards s’étaient croisés. Le cavalier mit pied à terre sans s’embarrasser d’ajouter son flingue à la menace déjà présente des deux gardes qui tenaient déjà l’individu en joue, retrouvant presqu’immédiatement l’appui léger de sa canne, et se planta là pour le considérer quelques secondes, avant de reprendre dans la foulée : « Ton sac, tes armes. Tout de suite. T’avise pas de jouer au con, parce que j’ai aucune raison de pas te buter sur le champ si tu t’y essaies. » Pas vraiment des paroles en l'air, pas le ton froid juste pour jouer au grand méchant : l'aîné des Rhodes était d'un sérieux à toute épreuve, vraiment pas d'humeur ou en l'état de faire la moindre concession. Même si ce n'était peut-être pas tout à fait vrai, même si le fait qu’Aaren fut le père de sa nièce le ferait hésiter à presser la détente, mais par affection pour Jenna seulement. « Qu’est-ce que tu viens branler ici au juste ? » A part échauffer ses cordes vocales, bien évidemment.

Une entrée comme il se doit ? Abel fut bien obligé de retenir un léger rire, toutefois trahi par le rictus sarcastique qui étira ses lèvres, brièvement. Drôle de définition qu’il avait là, Diggs, mais enfin si faire chier son monde et passer pour un abruti était sa notion d’entrée remarquable, force était d’admettre que ce n’était pas complètement faux : de fait, on l’avait effectivement remarqué. Peut-être pas de la meilleure manière ni pour les bonnes raisons cependant, mais ça ce n’était pas vraiment son problème au final. Du moment en tout cas qu’il arrêtait de faire chier ses hommes, et de brailler comme le dernier des imbéciles.
L’expression qu’avait son vis-à-vis sur son visage, l’aîné des Rhodes ne la connaissait que trop bien. Et avait cessé de s’en formaliser avec le temps, tant cela ne représentait rien pour lui après l’humiliation permanente qu’il s’était persuadé subir au quotidien sur les premières semaines de sa lente rééducation suite à cette blessure qui continuait à le faire souffrir des mois après (et qui l'accompagnerait encore longtemps, en bon souvenir indélébile de Rosario). Qu’il le sous-estime du fait de sa canne, qu’il se contente de le prendre pour un bête handicapé si cela lui chantait, Abel n’était pas à ça près et n’avait guère besoin d’une raison supplémentaire pour mettre sa menace à exécution. De fait, il pouvait difficilement être plus agacé par Ren que ce que sa simple présence ici et face à lui suscitait déjà en lui. Mais au moins celui-ci ne fit-il pas d’ennui pour obéir à sa requête (ordre), se séparant de ses affaires comme demandé tandis qu’en retour le cavalier ne bronchait pas devant son obstination à garder sa flasque. Et vu la consommation qu’il faisait de l’alcool ces derniers temps, cela aurait été de toute manière l’hôpital se fichant allègrement de la charité. « Je t’ai pas demandé de venir, et j’avais aucune raison de te voir. Alors je ne me sens pas le moindre devoir d'hospitalité envers toi, et je me contrefous que ça te déplaise. » Le ton de sa voix était d’un cordial-glacé qui exprimait à merveille toute sa mauvaise foi à devoir le recevoir, puisque Diggs ne lui avait guère laissé d’autre choix. Mais de là à l’accepter chez lui, l’accueillir sous son toit ? Il faudrait que l’autre homme sache se montrer un petit peu plus persuasif que ça, parce qu’Abel était de ces rustres qui se fichaient royalement du souci d’un accueil convenable à l’égard d’un autre leader du coin, étant entendu qu’en ce qui concernait Diggs il estimait ne plus rien avoir à faire avec lui et ne se souciait que très peu de recoller les moindres morceaux entre eux. Il l’aurait laissé dehors sous la pluie sans le moindre scrupule si cela avait pu le persuader de tourner les talons, malheureusement le temps était radieux et, qu’il veuille l’admettre ouvertement ou non, sa curiosité quant au motif de cette visite imprévue était en ce qui la concernait bel et bien présente.

Aaren se mit à avancer et le cavalier resta parfaitement impassible dans un premier temps, imposant de par son immobilité aux deux autres gardes – qui avaient d’ailleurs baissé leurs armes depuis qu’ils avaient récupéré celles de l’intrus – d'en faire de même. L’air, presque, de vouloir se rendre aux réclamations insistantes d’un Aaren Diggs visiblement bien déterminé à se faire accepter dans la demeure familiale. Ce n’est qu’au moment où celui-ci arrivait pratiquement à sa hauteur que sa main se leva pour l’arrêter, se refermant autour du bras avec une poigne bien assez ferme quoi qu’on puisse en penser quand on le voyait déambuler avec sa canne. « Non. » Le mot avait claqué, ferme, fendant l’air entre eux deux. « Tu crois sérieusement que tu peux te ramener ici et être en droit d’exiger quoi que ce soit ? » Qui il ordonnait et comment il se comportait à la carrière, ou n’importe où ailleurs, ce n’était pas son problème ; ici, ça le devenait. « Je t’ai posé une question, il me semble. Et on bougera pas d’ici tant que j’aurais pas ma réponse. » Ni même après, potentiellement, tout dépendait de la teneur de ladite réponse. Le cavalier avait tout sauf l’envie de lui faire une visite guidée de ses terres, ou de son salon, et s’il pouvait tout à fait convenir que le roi de la carrière ne se serait pas ramené ici sans une raison parfaitement valable d’agir de la sorte, il entendait savoir en premier lieu cette raison avant de poursuivre plus en avant. « T’as été suffisamment con pour te ramener ici, tout seul et sur mes terres, ça c’est ton problème. Ni ton autorité ni ton statut valent quoi que ce soit ici donc tu ferais mieux de te le carrer dans la tête et m’expliquer ce que tu fous là, accessoirement ce que tu veux à ma sœur. » Parce que Jenna, elle était bien assez grande pour savoir où le trouver si d’aventure elle avait eu envie de le voir. Qu’Abel approuvât ou non ce qui s’était passé – se passait toujours ? – entre eux, il n’avait guère d’autre choix que de l’accepter, elle ne lui laissait guère d'autre choix ; la benjamine des Rhodes était qui plus est bien assez débrouillarde pour se casser du ranch même si son frère le lui interdisait explicitement.

Une lueur de surprise mécontente s’alluma brièvement dans son regard alors qu’Aaren crachait enfin le morceau, évoquant Lou et la paternité qu’on s’était fait fort de lui cacher jusqu’à ce jour. Non pas qu’il apprenait à son tour la nouvelle, puisque Jenna avait fini par lui révéler le pot au rose lorsqu’elle avait donné naissance à sa nièce, mais il ne pouvait s’empêcher de se demander d’où le roi de la carrière pouvait-il bien tenir cette information. Certainement pas de la bouche de sa sœur, puisqu’alors il ne serait pas venu ici en réclamant de régler ses comptes, mais alors qui ? Il s’était douté, en fait, que l’autre leader se pointait pour ça vu qu’il ne voyait aucune autre raison plausible, mais il avait tout de même espéré que ce ne soit pas le cas. Espoir promptement piétiné, donc, mais hé : il fallait bien que cela finisse par arriver un jour de toute manière.
Un rictus maquillé de sarcasme déforma ses traits alors que Diggs se rapprochait de lui, persistant dans ses menaces, continuant à exiger que l’on satisfasse à ses demandes. Et sinon quoi ? Est-ce qu’il réalisait seulement qu’il n’était pas invincible, et certainement pas en position de supériorité ici ? De toute évidence, il était persuadé d’être dans son bon droit, persuadé de pouvoir balancer son mépris à la gueule du leader des cavaliers, sur ses propres terres, devant ses propres hommes, et croire que l’on allait gentiment s’incliner devant lui en acquiesçant à ses propos. « Bien sûr, rétorqua-t-il avec un léger hochement de tête approbateur, largement moqueur aussi bien dans le geste que dans l'intonation, et son regard ne quittant pas celui de son vis-à-vis. Et tu veux pas un thé, une visite guidée et les clefs du ranch tant qu’on y est ? » L’envie de lui en coller un en pleine figure le démangeait férocement mais, bien qu’il ne doutât pas que cette envie soit tout à fait réciproque, Abel restait malgré tout parfaitement lucide au moins sur ce plan : pour ce qui était de la force physique pure, il ne faisait clairement pas le poids face à Aaren. S’il initiait un combat simplement parce que son énervement et son humeur noire lui avaient ôté jusqu’aux dernières graines de sa patience, ce serait une belle connerie dont même lui était encore complètement conscient. « J’ai parfaitement compris ce que tu veux, j’en ai juste rien à foutre. Jenna va venir, parce que je le lui ai demandé, mais toi tu restes là. Continue à me balancer tes ordres si ça te chantes, mais si tu t’attends à ce que j’y obéisse avec une courbette va peut-être falloir que t’ouvres un peu les yeux sur la merde dans laquelle tu t’es foutue tout seul. » Et Abel ne cèderait certainement pas devant lui, ni aujourd’hui ni jamais à moins d’y être contraint et forcé. Une situation qui était donc aux antipodes de ce qui se passait actuellement.

Au loin, le bruit d’une cavalcade lui parvint de derrière son dos et son corps se détendit imperceptiblement. Pas trop tôt. « T’es ni en territoire ami, ni en territoire neutre. Si tu crois posséder la moindre immunité tu peux commencer à te la foutre au cul tout de suite. Te buter ici et maintenant réglerait beaucoup de mes problèmes alors n’imagines surtout pas que j’hésiterai un seul instant si tu persistes à te comporter comme un imbécile. » Les sabots se rapprochaient, battant la terre d’un galop dont on devinait à l’oreille le ralentissement du rythme imposé par la cavalière. « Et ce ne sont pas des menaces, Diggs, simplement la réalité. Si tu veux ce que t’es venu chercher, tu ferais mieux de commencer par arrêter de te comporter comme si on te devait la moindre obéissance. » Abel ne s’attendait pas à recevoir la moindre marque de respect de la part de son ennemi de longue date, leur antipathie mutuelle étant déjà partie trop loin pour ce faire (et lui-même ne s’y étant pas essayé à un seul instant de leur confrontation), mais il y avait tout de même des limites à ne pas dépasser et il n’entendait pas se faire marcher sur les pieds aussi aisément.
Le cheval s’arrêta finalement à maigre distance derrière lui et l’aîné des Rhodes s’écarta d’un pas sur le côté, glissant un regard par dessus son épaule pour accrocher la silhouette de Jenna descendant de sa monture. « C’est pas trop tôt, putain, il lui balança dans un grommellement qui, au vu du climat actuel, pouvait bien passer pour un accueil chaleureux. Tu t’es perdue en cours de route ou quoi. » Reproche injuste, en ce qu’il avait sûrement fallu qu’elle termine ce à quoi elle était occupée lorsque son frère lui avait balancé la nouvelle avant de se tirer sans l’attendre une seconde de plus, mais son agacement lui prenait trop de place pour qu’il ne soit capable de le diriger qu’à l’encontre de leur visiteur indésirable.

Au moment où le regard de Jenna avait croisé le sien, Abel savait déjà ce qu’elle comptait lui demander. Mot pour mot, il aurait pu deviner sa requête, prédire la manière dont elle allait la formuler, tout en continuant néanmoins d’espérer qu’elle n’allait pas lui demander ça. Encore un espoir déçu. « Non. » Le ton se voulait inflexible, et le cavalier n’avait pas hésité une seule fraction de seconde avant d’opposer son refus farouche, obstiné. Non, il n’avait pas la moindre intention de la laisser en privé avec Ren, il ne faisait pas confiance au roi de la carrière, ni franchement à sa sœur en cet instant précis. Sœur qui, de toute évidence, n’avait pas la moindre intention de se contenter de ce refus et semblait bien partie pour le saouler jusqu’à ce qu’il se plie à sa requête. Elle faisait cette tête-là, la tête de la frangine bien motivée à avoir ce qu’elle réclamait et pas prête de lâcher le morceau tant qu’elle n’aurait pas obtenu gain de cause. « Moi, j’ai pas vraiment envie de te laisser en tête-à-tête avec lui sans la moindre surveillance. » Lui, il semblait d’ailleurs l’avoir déjà partiellement oublié puisque son attention ne se concentrait à l’instant présent, que sur Jenna et l’air de détermination clairement affichée sur ses traits. « Non », il rétorqua encore quand elle évoqua les écuries, avant de se fendre d’un rictus sarcastique. « Heureusement que tu me donnes cette permission-là. Je suis bien content de pouvoir disposer de mes propres gardes comme je l’entend au sein de mes terres. » Oh, sweet irony. De fait, il apparaissait assez évident que quand bien même il finirait par plier l’échine devant elle – chose qui ne risquait certainement pas d’arriver, n’est-ce pas ? – il y aurait forcément des hommes non loin, sinon lui, prêt à intervenir au moindre signe de nécessité. Qui ne risquait pas d’arriver puisque, de toute évidence, Abel n’allait pas accorder cette entrevue-là. Pas vrai ?

« Putain, tu me les brise, Jen ! » S’il avait fini par tomber à court d’argument avant elle ? Peut-être. Le fait était qu’elle avait refusé de céder jusqu’à, au choix, qu’il commence à être royalement gavé ou bien que les arguments se présentant les uns après les autres finissent par avoir raison de lui. Mais vu l’état actuel de sa patience, et vu la détermination de Jenna, on savait sans conteste ce qui était probablement arrivé. « L’écurie, trente minutes. Et pas une de plus. » Voire même moins, de préférence. Il la gratifia d’une œillade assassine, ne jeta qu’un vague regard à Ren un peu en retrait de là avant de se tourner de nouveau vers sa sœur. « Sous aucun prétexte je veux le voir s’approcher de la maison, compris ? Il n’y aura pas d’autre avertissement. » La menace était claire, et sans appel. Abel n’avait aucun intérêt (ou croyait-il) en la personne d’Aaren Diggs et Jenna savait pertinemment que son frère n’était pas du genre à balancer des coups d’épée dans l’eau. « Trente minutes, il lui répéta, à partir de maintenant. Je serai pas loin. » D’une main posée sur son épaule, il l’écarta sans réelle brusquerie pour se diriger vers les chevaux. Récupérant les rênes d’Athos d’une main, il enfourcha l’autre et lui planta les talons dans les flancs, le faisant démarrer au quart de tour en abandonnant là les deux autres après un petit signe à l’attention des gardes qui se tenaient encore à l’affût à quelques mètres de distance.