STRESSED OUT + Jenna

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♔ CIRI & JENNA

« Stressed out

Cirilla regarde avec un dédain non dissimulé le jeune homme qui lui fait face. Tremblotant, il tend une blouse couverte de sang et un couteau. Elle les attrape sans le ménager, et fébrile il manque de tomber. Il est frêle, très frêle, et fragile. Sa peau est pâle, presque translucide. « Qu'est-ce que tu fais ici ? » demande-t'elle avec une pointe d'agacement. Les visiteurs n'étaient pas autorisés dans les grandes plaines rougeoyantes du ranch, et souvent abattus directement. Mais le garçon était parvenu jusqu'aux écuries, et avait pris Cirilla par surprise en mettant son couteau à sa gorge, une mauvaise idée. Quelques minutes plus tard, c'était lui qui fléchissait sous la pointe menaçante du saï porté à sa poitrine. « Je ne vous dirai rien » crache t'il en retour, sans réelle véhémence. Il est sans doute trop fatigué, affamé, un peu fiévreux. La maladie et la faim semblent déformer son visage. Le pauvre avait probablement été conduit par le désespoir. « Tu voulais voler un cheval, c'est ça ? » dit-elle, amusée, en levant un sourcil. Derrière elle ; Roach, son fier étalon à la robe palomino, s'ébroue et souffle en tapant des sabots. Elle passe une main sur son museau pour le calmer, et il se laisse sans difficulté pousser plus loin dans son enclot. « Écoute » finit-elle par dire, face à son silence obstiné « Tu n'as pas le droit d'être ici. Tu n'as aucune chance de t'en tirer avec ne serait-ce qu'un âne. Ils t'abattraient avant même que tu te mettes au galop » elle désigne au loin Pinocchio, seul mulet du ranch. « Je vais te laisser partir. Je ne t'ai pas vu. Cours vers le sud est, il y a un petit village. Tu pourras y trouver des vivres et un endroit où te reposer, en attendant d'aller mieux. » elle lui jète son couteau, sachant pertinemment qu'elle prenait un risque, et abaisse son saï. Il l'observe, méfiant, et paraît calculer ses chances de la tuer et de s'emparer de Roach. Sentant manifestement ce geste comme risqué, il finit par piétiner le sol et déguerpir. Cirilla inspire profondément et laisse son cœur reprendre un rythme moins effréné. Elle rengaine son saï et le met dans un porte épées à sa ceinture. Roach hennit doucement, et heurte son dos de son museau, peut-être désireux de recevoir une carotte ou une friandise pour sa bonne volonté. Elle attrape une poignée de graines et lui donne, lui caresse le front avant d'attraper une brosse afin d'enlever la poussière et la terre de son poitrail puissant. Dans moins d'une demi heure, elle partirait avec Jenna vers Barrera, un petit village au nord du ranch, afin de trouver des vivres et des médicaments pour soigner la légère épidémie de gastroentérite qui forçait la moitié des cavaliers à rester dans la vicinité des toilettes. Un virus en théorie peu dangereux, sauf pour les nourrissons et les enfants en bas âge. Chloë était jusqu'alors épargnée, mais Cirilla se refusait à voir sa fille confronter à un tel danger quand elle pouvait s'assurer de sa sécurité.

Mentalement, Cirilla fait la liste des choses à emporter – assez courte. Un grand sac de sport, des armes, un cur-pied, des bouteilles d'eau. Des barres protéinées. Elle attache le mors à la bouche du destrier, pose un tapis de selle et plus difficilement la lourde selle en cuir noir. Roach propre et paré à partir, elle ouvre la porte du box et le tire vers la sortie. La démarche lourde du cheval l'accompagne et elle se sent apaisé par le bruit rythmé des sabots sur le sol dur et sec. Souriante, elle ferme les yeux et profite d'une brise fraiche qui vient caresser sa peau ensoleillée. Nora, une petite blonde un peu ronde, arrive avec Chloë dans les bras. Sa fille glousse et secoue ses petites mains vers elle, ses yeux bleus arrondis par le grand sourire qui adorne ses jolies lèvres. Cirilla dépose un bisou baveux sur les joues potelets de l'enfant de six mois et lui arrache un nouveau rire et la chatouillant du bout des doigts. « Prends en soin » dit-elle, à Nora, tâchant de cacher l'inquiétude qui la submerge « Et ne la laisse pas à Meera. Je ne lui fais pas confiance. ». Nora rit à son tour « Je comprends. Elle regarde Chloë comme un rôdeur le ferait. Pauvre femme, perdre son enfant si jeune, ce n'est pas normal. ». Elles partagent un regard entendu, et Cirilla monte sur Roach. Elle l'enjoint à trotter doucement d'un coup de talons, et se dirige vers la prairie où Jenna fait paître sa propre monture. Elle la salue d'un signe de tête « On y va ? Tu es prête ? ». Déjà, elle sent monter en elle les frissons et l'adrénaline. Et l'angoisse, toujours, de tomber sur le rôdeur de trop.

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♔ Cirilla & Jenna

« stressed out.

La solitude. Elle pensait connaitre ce sujet par cœur. Pourtant, elle ne s’est jamais sentie aussi seule que ces quatre derniers mois. Tout laisser derrière elle, s’envoler pour New-York et couper les ponts avec sa famille, c’était de la rigolade à côté de ce qu’elle ressent actuellement. Ce n’est pourtant pas le monde qui manque, elle n’est à proprement parlé presque jamais seule cependant elle a l’impression d’être… isolée, vidée. En même temps, elle s’attendait à quoi exactement après avoir passé presque deux mois entiers cloitrés chez les jackals ? C’est à peine si elle arrive encore à fermer les yeux sans visualiser ce sordide parking ou plutôt salle de torture aménagée. Elle secoue violemment la tête, chassant par la même occasion ces pensées sinistres, tout en posant une main sur l’encolure d’Athos, fidèle compagnon. Elle n’a personne à qui se confier, aucune oreille attentive. Ses frères s’obstinent à balayer de leur esprit ces deux mois d’absence, agissant comme si de rien n’était, préférant probablement éviter de repenser à l’état dans lequel la benjamine des Rhodes est revenue à crismon valley. Peau sur les os, ecchymoses apparentes, écorchures encore à vif, lacérations purulentes et on en passe. D’autres, comme Ciri, Ren ou Arianna s’efforcent de sourire chaleureusement, d’adresser des regards compatissants, mais ne trouvent pas les mots. De toute façon, elle ne les blâme pas, au final ce n’est pas comme si elle avait réellement envie de parler de tout ça, se confier revient en définitive à tout revivre. Elle ne veut rien revivre, elle veut juste oublier, ne plus se souvenir. Et puis, elle reçoit déjà bien assez de pitié comme ça sans qu’elle n’ait besoin d’ouvrir la bouche. Elle préfère de loin faire semblant et c’est d’ailleurs de plus en plus facile à mesure que plus le temps défile, plus les séquelles physiques s’estompent, laissant tout de même des cicatrices imperméables, vestiges d’un chapitre tourmenté de sa vie. Psychologiquement, c’est… compliqué. Depuis son retour au ranch, elle déambule, sourit faussement, rit aux éclats quand il le faut, aboie comme elle en a toujours eu le don, préserve les apparences, en réalité elle se sent complètement invisible, tel un spectre sans but précis elle erre sur terre, parfois elle se sent complètement morte de l’intérieur. Pourtant, elle continue d’avancer pour une raison qui lui est indéfinissable, gardant la tête haute, s’efforçant de ne pas s’effondrer. Oh oui, elle aurait pu être actrice dans une autre vie.
Tandis qu’elle attend patiemment la venue de Cirilla, sac à dos paré, monture sellée, elle observe ses ongles joliment vernis d’une touche de beige tendre d’un air contrit. La couleur s’écaille déjà. Avant l’apocalypse, elle n’avait jamais particulièrement pris le temps d’apprêter ses ongles, depuis sa captivité c’est en quelque sorte devenu sa nouvelle lubie, à tel point que Silas s’est également pris de passion pour cette activité et qu’elle s’est donc vu dans l’obligation de lui vernir les orteils. Mieux vaut qu’Abel ne soit pas au courant de cette histoire, songe-t-elle, sourire aux lèvres. Vous savez combien de temps dure la repousse complète d’un ongle ? Six mois, rien que ça ! Et elle n’en n’est qu’au troisième mois, mi-repousse. On ne mesure l’utilité d’un ongle qu’une fois ce dernier perdu ! Bref, une obsession comme une autre qui peut au moins se vanter d’avoir le mérite de distraire plusieurs minutes durant. Alors que Cirilla la salue d’un signe de la tête, elle enfourche Athos, sac fixé à la selle, pistolet à la ceinture et arc sur le dos. « Prête oui, motivée on peut mieux faire. » Il y a des jours avec et des jours sans. Jenna est lasse pour l’instant, elle ne ressent plus ce frisson, cette adrénaline caractéristique des raids et du danger. Elle donne un léger coup de talon auquel son cheval répond au quart de tour, après avoir échangé un regard entendu avec son amie, elle enclenche la vitesse supérieure. Mieux vaut quitter les étendues verdoyantes du ranch avant de tomber sur un de ses frères – elle n’a pas besoin d’eux pour se rappeler en quoi consiste ce raid en question – ou sur un autre raider volontaire – loin d’elle l’envie de supporter une personne supplémentaire.

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♔ CIRI & JENNA

« Stressed out

Cirilla n'avait pas été indifférente à la disparition de Jenna. À son enlèvement. Elle avait passé deux mois à se morfondre, à tempêter, à exiger le retour de la jeune femme, à tenter des missions de sauvetage avortées parce que trop dangereuses, pas assez réfléchies. « La période de réflexion est terminée. » avait-elle claquée en retour, quand ils avaient tenté d'opposer des arguments logiques et raisonnés à son emportement. Et maintenant qu'elle était revenue, elle la trouvait changée. Les blessures physiques s'étaient affadies jusqu'à devenir fantômes oubliés, mais elle devinait en son amie une noirceur autrefois absente. Une mélancolie et une tristesse qu'elle voulait éliminer. Mais comment l'aider quand Jenna semblait incapable de confier quoique ce soit à quiconque ? Elle-même ne trouvait pas les mots pour lui demander ce qui avait changé. Impuissante, Ciri se trouvait désarmée pour aider Jenna à surmonter ses peines. Et petit à petit, elle la voyait s'éloigner. Elle n'avait parfois pas le sentiment de se trouver avec l'amie et la confidente qui l'avait épaulée ces six dernières années, mais face à une étrangère assombrie et languie dont elle ne connaissait plus que le prénom. Occasionnellement, il lui venait l'impression que seule Chloë savait encore comment arracher un sourire à sa tante. Leurs conversations étaient devenues plus superficielles et fausses, elles parlaient souvent pour ne rien dire, abordaient le mauvais temps comme elles avaient pu aborder des discussions plus profondes quelques mois auparavant. C'était l'une des raisons pour lesquelles elle demandait à se voir confier de plus en plus de missions avec Jenna, tentant tant bien que mal de se rapprocher d'elle à nouveau, de retrouver en elle son alliée et de la décharger un temps de son fardeau, même l'histoire de quelques heures. La Jenna qui lui faisait face à présent et qu'elle venait de saluer était fausse, souriait d'un sourire vide et sans joie. « Prête oui, motivée on peut mieux faire. » répond-elle sans entrain et effectivement, sans motivation, alors qu'elle enfourche sa propre monture. En silence, elles chevauchent toutes deux quelques minutes, probablement désireuses d'échapper à une énième leçon d'Abel si - par malheur - il leur tombait dessus.

Le silence devint cependant rapidement pesant pour Cirilla, et elle se mit rapidement à chercher un sujet de conversation pour venir briser la glace. Un peu balbutiante et timide, comme on parlerait à une inconnue, elle marmonne « J'aime beaucoup tes ongles. Il faudra que tu fasses les miens. ». Elle regarde tristement sa main et ses ongles rongés qu'elle n'a pas entretenu depuis des lustres. Il faut dire qu'avec l'Apocalypse, elle a autre chose à faire que de penser à ça. Cette réflexion la remplit d'agacement envers Jenna, d'un coup sans prévenir. Son « amie » qui trouvait du temps pour se peinturlurer les mains mais pas pour lui parler. Qui cherchait la solitude à tout prix, inconsciemment, et qui portait un masque depuis plusieurs mois en pensant que personne ne s'apercevait de son manège. Dont elle ignorait ce nouvel attrait pour la manucure simplement parce qu'elle ne lui parlait presque plus. Elle avait envie de lui hurler dessus, de lui reprocher la distance qu'elle avait imposée entre elles, et à tous les autres membres du ranch. Mais elle se retint à grande peine, mordit ses lèvres jusqu'au sang et agrippa les rênes avec plus de nervosité encore. Elle finit par articuler, presque de mauvaise grâce, en tâchant de cacher la colère qui l'emportait en adoptant un ton indifférent et détaché : « Je ne t'ai presque pas vue ces dernières semaines. Qu'est-ce que tu deviens ? On habite à côté et c'est à peine si je te croise. ». Elle rajouta, un peu plus chaleureuse mais sans cacher le reproche de sa voix « Tu n'es même pas passée voir Chloë cette semaine. ».

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♔ Cirilla & Jenna

« stressed out.

Le silence n’est pas quelque chose de redouté par Jenna, du moins en temps normal. À choisir, autant fermer sa bouche plutôt que de débiter un flux incessant de paroles pour concrètement…ne rien dire, causer dans le vide. Ce genre de comportement l’a toujours profondément irritée. Mais ça, c’est bien en temps normal. Désormais, elle donnerait n’importe quoi afin que Cirilla brise ce silence gênant et pour le moins déroutant. Les deux jeunes femmes ont traversé tellement d’épreuves ces six dernières années, qu’elles en étaient arrivées à un point où rien ne semblait pouvoir s’immiscer entre elles. Pourtant, force est d’admettre que l’écho de ce silence traduit leur éloignement. Volontaire, peut-être. Jenna s’est considérablement éloignée de toute personne susceptible de s’intéresser de trop près – ou même de loin - à ses malheurs. Elle a érigé des jolies barrières impénétrables, ah ça oui ! Il est clair que ce n’est pas forcément la solution idéale que de se renfermer sur soi-même, néanmoins ce n’est qu’un simple moyen de préservation, ni plus ni moins. Aujourd’hui, elle a conscience que son amitié et sa relation de confiance avec Cirilla en pâtissent sacrément, mais de toute façon, elle voit mal comment rattraper le tir. Et puis de toute manière, elle n’est pas certaine d’en avoir la force pour l’instant.

Une fois la distance prise avec le ranch, ses muscles se relâchent, son corps tout entier se détend. Elle subit une pression pour le moins conséquente ces derniers temps. Comme si le poids du monde semble reposer sur ses épaules, elle se sent assaillie de toute part. « J'aime beaucoup tes ongles. Il faudra que tu fasses les miens. » bredouille Ciri dans une tentative vaine de dérider l’atmosphère pesante. Elle esquisse un semblant de sourire, il faut qu’elle y mette aussi du sien. « J’ai retrouvé de vieux vernis même pas entamés dans la commode de ma mère, ça faisait des lustres que je n’avais plus touché à ses affaires. » En réalité, quand elle songe à Louise, elle ne ressent que rancœur, rien d’autre, ni peine ni nostalgie. Le dernier souvenir qu’elle garde de sa mère n’est autre que sa silhouette maigrelette dans l’embrasure de la porte lui criant à pleins poumons de ne plus remettre les pieds à crimson valley. Et tout ça pourquoi ? Parce qu’elle avait sa propre vision du monde, une vision qui ne collait pas avec les plans de sa génitrice. « Pas certaine que ce soit une bonne idée de me confier tes ongles vu ma piètre performance en application de vernis. » Malgré ses tentatives de plaisanterie, l’ambiance retombe bien vite à plat. Elle tapote machinalement l’encolure d’Athos, nouvelle technique de relaxation, tout en gardant les yeux rivés sur l’horizon. Le chemin risque d’être long. « Je ne t'ai presque pas vue ces dernières semaines. Qu'est-ce que tu deviens ? On habite à côté et c'est à peine si je te croise. » Jenna perçoit parfaitement la froideur dans le timbre de voix don son amie. D’accord, elles ne sont plus vraiment proches ces derniers temps, cela n’empêche qu’elle la connait toujours assez bien pour déceler ce genre de détail. De toute façon, elle n’a plus vu grand monde ces dernières semaines, si ce n’est ses frères – parce qu’elle est bien obligée de se les coltiner. Ce n’est donc pas personnel, en aucun cas. La solitude, c’est plus facile à gérer que de la compagnie. « Je sais. Ce n’est pas contre toi, j’avais besoin de me couper un peu des autres, de prendre du temps pour moi, pour réfléchir. » Elle sait qu’il ne s’agit guère d’une réponse admissible, on ne coupe pas les ponts du jour au lendemain sans prévenir. « Tu n'es même pas passée voir Chloë cette semaine. » Ce coup-ci, le reproche est à peine déguisé. Encore une fois, acte involontaire. Elle tient à sa nièce comme à la prunelle de ses yeux, ce qui est tout aussi valable pour Silas. Ses neveux sont les uniques personnes arrivant encore à lui décocher un sourire ou même un éclat de rire. Parfois, elle leur envie leur innocence, leur insouciance. « Je suis désolée, je n’ai pas trouvé le temps. Je me suis occupée de Silas toute la semaine, Abel étant pas mal occupé. » Ce qui est absolument vrai, si ce n’est que son frère n’est pas aussi occupé que ça, enfin partiellement. En compagnie de Silas, elle vide son esprit, oublie tout l’espace d’un instant. Il est une véritable bouffée d’oxygène. Chloe n’est qu’un bébé, en l’occurrence si elle souhaite donc la voir, elle doit passer par la case " contact avec un autre adulte ". Il faut l’avouer, elle n’est pas non plus certaine d’avoir toujours l’autorisation de rester seule avec la petite, vu son changement de comportement radical. Elle n’est pas dans la tête de Ciri après tout. Elle comprendrait d’ailleurs parfaitement ce revirement de situation. « Comment va-t-elle ? Pas de souci avec Meera dernièrement ? » s’enquit-elle inquiète. Meera, elle l’avait presque oubliée celle-là.

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« J’ai retrouvé de vieux vernis même pas entamés dans la commode de ma mère, ça faisait des lustres que je n’avais plus touché à ses affaires. » Une phrase anodine en soi, mais Ciri réalise à quel point Jenna devait se sentir d'humeur réflective si elle se mettait à fouiller dans les possessions de sa défunte mère. Elle savait que leurs relations avaient été orageuses, et comprenait la rancune de Jenna. Après tout, elles avaient toutes deux eu des histoires familiales très similaires, et ses problèmes se reflétaient souvent dans sa propre vie. « Pas certaine que ce soit une bonne idée de me confier tes ongles vu ma piètre performance en application de vernis. » poursuit Jenna sur le ton de la plaisanterie, et en observant les ongles de la jeune femme Cirilla remarque qu'en effet, elle n'a rien à envier à la performance esthétique de son amie. Bon, de toute façon, ce n'est pas comme si elle avait été un jour de celles qui aimaient le vernis, elle n'en mettait jamais autrefois, par choix et paresse. Elle préférait de loin des ongles propres et dépourvus de tout ornement. Le silence revient rapidement après cet échange hâtif, et Cirilla remarque le malaise qui l'envahit. Elle ne sait plus comment se comporter avec Jenna et regrette cet embarras qui vient ternir leur relation. Alors que Jenna justifie tant bien que mal son absence, Ciri enjoint Roach à hâter la marche. Elles avaient beau être parties au matin, elle redoutait plus que tout la tomber de la nuit qu'un pas trop lent pourrait leur infliger « Je suis désolée, je n’ai pas trouvé le temps. Je me suis occupée de Silas toute la semaine, Abel étant pas mal occupé. ». Ah, Abel; ce cher Abel. Était-il vraiment si occupé ? Elle voyait souvent l'aîné des Rhodes se prélasser au soleil, ou se tourner les pouces en la regardant bosser d'un air goguenard. Comme s'il lui disait, maintenant que tu n'es plus enceinte, rattrape ton retard gros cul. Bon, peut-être pas de manière si virulente (quoique) mais c'était tout à fait le genre de chose qu'il pourrait lui reprocher. « Comment va-t-elle ? Pas de souci avec Meera dernièrement ? » s'enquit Jenna. Cirilla ne répond pas immédiatement, et pointe d'un doigt un rôdeur au loin qui trébuche dans leur direction. Elle l'observe dégainer son arc, envoyer sa flèche en plein dans l'oeil du putréfié, puis mettre un pied à terre pour récupérer le dard sanguinolent. « Bien visé ! » complimente-t'elle, un peu impressionnée malgré elle. Puis « Elle va bien. Elle commence à faire ses dents, je crois, alors elle me réveille à des heures pas possible, et avec moi tout le ranch. Je crois que ton frère complote pour m'assassiner, il est venu toquer à 3 h du matin pour me demander d'aller dormir dans la forêt avec Chloë. Si jamais je meurs de manière suspicieuse... ». Elle rit, amusée de se rappeler ce souvenir.

« J'espère que tu n'as pas été dérangée par ses hurlements. Elle a des poumons de chanteuse d'opéra, ma fille. » elle a un sourire tendre, un peu secret, elle a encore du mal à digérer le fait qu'elle est mère, qu'elle a créé un petit être qui ne dépend que d'elle. D'ailleurs, elle culpabilise, aussi. Parce que Chloë ne connaîtra jamais que le désordre, la guerre, l'horreur. Elle n'aura pas de vie normale, pas de premier amour sur un banc d'école, ni de D- parce qu'elle a préféré sécher plutôt que d'aller à sa leçon de mathématiques. Elle serait formée très tôt au combat, petite soldate déjà de 6 mois à peine, victime innocente de cette apocalypse. « Elle ne connaîtra jamais la paix, Chloë. » murmure-t'elle avec regret « Des fois, je me dis que j'ai fait une erreur en portant ma grossesse à terme. » elle ne sait pas pourquoi elle se confie comme cela. Peut-être parce que Jenna a été capturée quelques semaines seulement après son accouchement, qu'elle a manqué les jours les plus importants de sa vie, et qu'elle était revenue changée et distante. Tel le petit prince et son renard, elle a envie de l'apprivoiser à nouveau, de se laisser apprivoiser, de non pas revenir à leur dynamique d'autrefois mais d'en créer une nouvelle. « Attention, devant toi » hurle-t'elle d'un coup en faisant une embardée. Elle évite de justesse un rôdeur, puis un deuxième. Ils viennent littéralement de nulle part, sortie de la terre en poussant un râle d'outre-tombe. Elle sort l'un de ses saï et met un pied à terre, enfourchant la tête du premier sans pitié.

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♔ Cirilla & Jenna

« stressed out.

Lorsqu’un rôdeur trouble leur conversation pour le moins banale, Jenna dégaine avec prestance son arc, vise, tire et décoche la flèche qui trouve refuge dans l’orbite gauche du mort. Un de moins. « Merci. » répond-elle tout en récupérant sa flèche. Constat : piteux état. Bientôt son arc n’aura plus aucune utilité. Le jour où elle se retrouvera à court de munitions approche à grands pas. Fatalité à laquelle elle ne préfère guère songer pour l’instant. Elle remonte rapidement en selle, bien décidée à ne pas perdre de temps, on ne sait jamais ce que l’on risque de rencontrer et les retards que cela peut engendrer. Pas question qu’elles fassent le retour de nuit, alternative beaucoup trop dangereuse et risquée. Elle ne peut s’empêcher de lever ses prunelles émeraude vers le ciel tandis que son amie lui explique les réactions débiles de son frère. Elle l’imagine d’ici, vêtu de son vieux bas de pyjama à l’effigie des Simpsons, à moitié endormi et l’expression assassine parfaitement ancrée au visage. Elle sourit à cette image nette et précise que lui impose son esprit, ce dernier s’estompe cependant rapidement, envolé, effacé par l’inévitable retour à la réalité. Il n’a jamais aimé Ciri et il n’est pas prêt de l’apprécier, elle le sait d’ailleurs pertinemment et ce depuis le premier jour. L’espace d’un instant, lorsqu’elle s’est retrouvée coincée auprès des jackals, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter sans cesse pour Cirilla et Chloe. S’il advenait qu’elle meurt, elle n’est pas persuadée qu’Abel ne les jetterait pas à la porte sans plus de cérémonie, ce serait bien son genre. Elle soupire rien qu’à cette idée. Peut-être que Caden s’y opposerait, il y a toujours un espoir. En attendant, elle est belle et bien vivante, même si elle a parfois du mal à le réaliser. Elle a juste l’impression de trainer sa carcasse, tel un marcheur.

« J'espère que tu n'as pas été dérangée par ses hurlements. Elle a des poumons de chanteuse d'opéra, ma fille. » à vrai dire, elle ne saurait être dérangée par les pleures de sa nièce, puisque pour ce faire il faudrait déjà qu’elle trouve le sommeil. Ce qui n’est pas le cas. Même son subconscient ne semble pas vouloir lui accorder du répit. Dès que ses paupières s’alourdissent, des images accablantes lui parviennent, la torturant. Elle est hantée, jour et nuit. À quand remonte ses dernières huit heures de repos ? Aucune idée. Elle espère secrètement que cette expédition la mènera tout droit à des somnifères, sous peine de devenir complètement cinglée. « Oh tu sais, j’ai le sommeil lourd ! Même une horde de rôdeurs grattant à ma porte ne m’empêcherait pas de dormir. » ment-elle d’une façon assez convaincante. Elle s’en félicite intérieurement. La dernière chose dont elle ait envie, c’est d’attirer encore plus les soupçons de son amie. Pas besoin que cette dernière se fasse du mouron pour elle. « Elle ne connaîtra jamais la paix, Chloë. Des fois, je me dis que j'ai fait une erreur en portant ma grossesse à terme. » Jenna est plutôt troublée, non pas par cette révélation, mais plutôt par ce soudain revirement. Depuis le début de leur " balade ", les deux jeunes femmes mettent un point d’honneur à n’aborder que des sujets anodins et futiles, alors oui, c’est étonnant. « Elle n’aura pas de souvenirs du monde tel qu’il était avant, mais elle nous aura nous. C’est notre job de lui créer des souvenirs heureux. » Et puis de toute façon, la petite ne ressentira jamais ce vide. Au final, peut-être est-ce mieux de ne pas avoir connu le monde d’antan… Quant aux souvenirs de Jenna, ils s’estompent de plus en plus, happés par la noirceur de cette nouvelle ère. « Il vaut d’ailleurs peut-être mieux qu’elle ne l’ait jam… » Elle est coupée nette par l’avertissement de Cirilla. Athos cabre sous le coup de la peur, déstabilisé la jeune Rhodes perd l’équilibre et chute de sa monture. Heureusement ses réflexes ne semblent pas tous l’avoir abandonnée, elle roule sur le côté et évite ainsi de justesse la mâchoire putride du monstre tandis qu’une vive douleur lui irradie le bas du dos. « CIRILLA ! » s’écrie-t-elle alors qu’elle peine à décocher son couteau de sa botte. Toujours aussi assoiffé de chair fraîche, le putréfié revient à la charge, se jetant de toutes ses forces sur elle. Prise au piège entre le sol et un mort, elle se surprend à vouloir vivre ne serait-ce que quelques minutes de plus.

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Jenna a l'air étonné par le sujet abordé. Un instant à court. Mais Jenna, c'est sa meilleure amie, sa partenaire de crime, sa meilleure (ou pire) moitié. Alors quand elle a envie de parler de sujets difficiles, comme ça, Cirilla n'a qu'elle. Même si la jeune femme semble rechigner à tout forme de contact en ce moment, à toute intimité entre elles, désormais simples connaissances là où elles avaient été inséparables. Ça fait mal. Même si Cirilla s'est créée une vie au ranch, elle a peu d'amis, peu de conversations. Les gens la craignent, l'ignorent, elle est trop exubérante, ou trop isolée. Trop proche des Rhodes pour entendre les confidences des sous-fifres, mais pas assez pour qu'on la respecte. Jenna, c'est l'une de ses uniques raisons de rester. Ça, et Chloë, qu'elle ne veut pas enlever à sa famille. Même si Caden ne sait pas. « Elle n’aura pas de souvenirs du monde tel qu’il était avant, mais elle nous aura nous. C’est notre job de lui créer des souvenirs heureux. » dit Jenna. Secrètement, Cirilla s'enthousiasme de ce « nous ». Savoir que Jenna ne s'est pas désolidarisée de Chloë, c'est une bénédiction. Une nouvelle qu'elle n'attendait plus. Et puis elle a raison, Chloë peut elle réellement regretter un monde qu'elle n'a pas connu ? Elle n'aura connu que les terres arides et désertes du Texas, les clans, la loyauté indicible qui lie tous les membres de leur communauté ensemble, qu'ils s'apprécient ou non. Et avec Jenna, elles lui feraient comprendre que même dans la pire des situations brille encore une flammèche d'espoir, une étincelle nostalgique de ce qui aurait pu être, et surtout de ce qui pouvait être, si tenté que personne n'abandonne. Cirilla n'avait jamais considéré l'apocalypse comme une chance de recommencer, de faire table rase du passé, des guerres, des politiques corrompues. Mais au final n'était-ce pas l'opportunité d'avoir des rêves, de reconstruire une civilisation nouvelle ? Il était encore trop tôt, bien entendu. Mais peut-être qu'un jour, dans une, deux générations, l'Humanité bâtirait une nouvelle société au dessus des ruines de l'ancien monde. Une pensée à moitié réconfortante. Elle espérait que Chloë aurait la chance de vivre ça, loin de toutes les inquiétudes et de toutes les angoisses du jour présent. Loin de la mort et de la violence. Sans doute était-elle trop idéaliste. Leur conversation est interrompue lorsque le cheval de Jenna se cabre et que Ciri évite les rôdeurs. Elle met pied à terre tout de suite, laissant Roach s'enfuir quelques mètres plus loin avec le cheval de Jenna. Alors qu'elle combat le petit groupe qui s'est amoncelé autour d'elle, affamé, les mâchoires grinçantes et l'odeur écoeurante, elle entend l'appel à l'aide de Jenna qui est au sol, repoussant tant bien que mal les dents avides du putréfié qui l'écrase. Ce moment d'inattention manque de lui coûter la vie, et la main d'un rôdeur la pousse sur une partie inégale de la plaine, qui la fait trébucher. La douleur dans sa cheville lui arrache une plainte sourde, et elle tire une goutte de sang de sa lèvre inférieure tant elle la mord fort. Achevant son agresseur avec difficulté, elle boîte périlleusement jusqu'à Jenna et enfonce l'épée dans la boîte crânienne du mort, qui s'affaisse sur la jeune femme, la couvrant d'un sang visqueux.

Cirilla se penche et pousse le cadavre du corps de son amie, avant de lui tendre une main pour l'aider à se relever. La chute de cheval semble l'avoir un peu étourdie, quoiqu'elle garde de bons réflexe. Une tâche rouge s'élargit progressivement sur son t-shirt, au niveau des côtes. « Jenna, tu es blessée ! » panique Cirilla. Elle n'a malheureusement pas le temps de soulever le tissus pour vérifier, et sent une respiration putride près de sa joue, alors qu'un bras vient lui enserre le cou. Elle tombe à la renverse, entraînée par le dernier rôdeur qu'elle avait oublié dans sa course jusqu'à Jenna. Merde, merde, merde. Des années qu'elles tuaient des rôdeurs à la dizaine, et voilà qu'un groupe de quatre petits morts vivants les mettait en échec. C'était pathétique. « Un peu d'aide s'il te plaît » murmure-t-elle, à moitié étouffée, en s'éloignant comme elle peut de la bouche du zombie qui claque comme une symphonie morbide.