Suzy Dario
« bless this acid house »
Un léger mal de crâne lui cognait les tympans, en ce début de matinée curieusement fraîche ; sans doute fallait-il l’imputer à la fatigue, au manque d’un vrai repos, mais les insomnies ces derniers temps lui étaient fréquentes sans qu’il ne puisse vraiment se l’expliquer – quoique l’ouragan en était partie fautif en ce qu’il n’avait pas laissé que des traces visibles, sillons creusés à travers le territoire de la carrière, et que l’angoisse, même assumée irrationnelle, qu’un tel évènement puisse de nouveau se reproduire alors qu’ils s’en relevaient à peine était encore palpable, suffisait parfois à lui garder les yeux ouverts et les pensées occupées, tourbillonnantes, inquiètes. Dario, fidèle à ses habitudes, se levait aux aurores après un passage parfois trop bref entre les bras de Morphée tandis que sa nuit avait plutôt été dépensée à quelques bricolages, vieille manie autant que passe-temps consistant à essayer de réparer quelques bricoles avec les moyens pour son loisir ou à la demande d’autres.
La voix fraîche de Suzy lui tira le nez d’un vieux moteur et il s’en détourna pour apercevoir son amie, sourire sincère fleurissant sa bouche et contact léger contre son bras. Son visage sembla s’éclairer davantage tandis que leurs regards se croisaient et qu’il lui rendait son salut d’un léger hochement de tête, l’expression déjà bien moins austère une fois sa concentration abandonnée à côté des travaux qui l’occupaient encore quelques instants plus tôt. «
Je suis toujours occupé, Suzy. Tu le sais bien. » Ça, depuis que Diggs l’avait nommé à ce poste, il était clair que l’ancien garagiste n’avait plus guère le temps de se tourner les pouces, et ce d’autant plus vu comme il prenait à cœur son job. Mais même sans ça, il n’avait jamais été de nature à chômer ses journées, et Dieu savait qu’on ne manquait jamais de quoi faire ici. La réplique, néanmoins, ne s’était pas voulue reproche, simplement remarque sur le ton léger d’une conversation bénigne. «
Et tu sais aussi que j’ai toujours du temps pour toi. » Il lui devait trop, et l’appréciait trop, pour avoir le culot – ni même l’envie – de lui refuser une faveur alors qu’elle ne lui demandait pratiquement jamais rien. Et même si l’idée d’une excursion au mall de Stonebriar ne semblait pas, à première vue, être une randonnée des plus passionnantes, l’aura de terreur qui imprégnait encore les lieux et les mémoires n’était désormais plus qu’un vestige qu’il lui serait peut-être bon d’affronter – c’était, ainsi, une manière de constater visuellement que
oui les lieux étaient désormais bel et bien vides de leurs anciens habitants, que cette menace-là ne pesait plus sur les épaules de personne (et même si, en théorie, elle ne les avait jamais vraiment nargué mais, tout alliés éphémères qu’ils eussent pu être avec Diggs, Dario les avait toujours plus redoutés qu’appréciés), un problème de moins pour eux et c’était toujours ça de gagné. «
T’as réussi à te dégoter d’autres paires de bras pour le voyage, ou ça sera juste toi et moi ? Tu veux partir quand ? » Il y avait tout de même une bonne douzaine de kilomètres pour s’y rendre et s’ils devaient s’attarder là-bas à remuer les détritus mieux valait s’assurer de ne pas avoir à rentrer à la nuit tombée – ou
pire, à devoir y passer la nuit. Les fantômes étaient tenaces, et sûrement encore trop frais pour être déjà apaisés. Dario ne se considérait pas comme un lâche, mais il y avait tout de mêmes certaines choses qu’il préférait éviter de faire s’il n’y était pas obligé et un camping en plein cœur de l’ancien mouroir des chacal figurait en assez bonne position sur cette liste.