au fond des yeux, la colère

(mi-septembre, quatre jours avant l'ouragan)

Il ne s’était pas attendu à la croiser ici, Casey. Parce qu’Harrison l’avait informé de sa présence, il n’était pas surpris de la savoir dans les environs, sa curiosité l’avait même poussé à la guetter à son insu lorsqu’il se trouvait encore à la carrière mais ici, à Olympia ? Une bête curiosité l’avait titillé quelques secondes, celle de l’aborder et de se manifester à elle mais pour faire quoi ensuite ? Ils n’avaient rien à se dire, on allait tout de même pas prétendre que l’apocalypse allait réussir à les rapprocher là où des années de vie commune avaient lamentablement échoué. Du plus loin qu’il se souvienne encore, Adam n’avait eu à l’égard de sa sœur que des mots peu aimables sinon dédaigneux, et il n’en regrettait pas un seul à ce jour. Son départ du foyer familial,bien des années plus tôt, ne l’avait pas chamboulé outre mesure alors en quoi des retrouvailles aujourd’hui allaient y changer quoi que ce soit ?
Elle ne l’avait même pas reconnu, alors qu’une bousculade peut-être pas vraiment innocente les faisait entrer en collision l’espace d’une fraction de seconde.
Adam, néanmoins, n’avait pas su résister à l’envie d’infléchir sa courses afin de voir où se rendait sa sœur. Qui, ici, était supposé connaître l’autre morceau de la famille Redfield ? Qui avait reconnu le nom de famille identique mais s’était bien gardé de l’ouvrir à ce sujet ? Oh, bien sûr, restait la possibilité qu’il s’agisse d’une personne qui ignorait jusqu’à son existence ici mais ils n’étaient pas si nombreux que ça, les Olympiens : tout le monde se connaissait plus ou moins et les nouveaux venus ne se fondaient pas exactement dans la masse. Casey n’avait pas remarqué la présence discrète, plusieurs mètres en arrière, et l’avait mené droit vers une révélation à laquelle il ne s’était pas attendu. Il ne s’était, néanmoins, pas attardé plus que nécessaire une fois sa réponse entre les mains : suffisamment patient pour savoir attendre une explication susceptible de pallier à ce qui venait de se passer sous son nez, Adam avait tourné les talons et était reparti s’occuper de ses affaires.

Impossible de dire combien de temps était passé lorsque la porte de la maison s’ouvrit sur le passage de son colocataire mais l’autre olympien, occupé avec un vieux livre dénué du moindre intérêt qu’il avait déniché dans un quoi (reste des précédents habitants de cette baraque, probablement), l’avait attendu suffisamment longtemps pour réagir au quart de tour en entendant la porter claquer derrière lui. Adam attendit quelques secondes, le temps de s’assurer que l’autre était rentré seul et qu’aucun bruit de bas ne faisait écho aux siens, puis il s’était levé de son fauteuil et était sorti du salon en quelques pas rapide. « Ryan ? » Le concerné s’arrêta dans sa progression vers les escaliers tandis que l’autre homme comblait la distance qui les séparait. Et il ne s’arrêta pas avant d’être sur lui, avant qu’une de ses mains ne lui accroche l’épaule pour le retourner vers lui tandis que l’autre l’empoignait au col et le bousculait sans ménagement vers l’arrière, vers la cloison la plus proche, pour enfin l’y abandonner là et se reculer d’un pas. « Je peux savoir ce que tu foutais avec ma sœur ? » Son visage, une fois n’est pas coutume, n’avait pas l’air franchement amical. Et s’il sembla un instant déstabilisé de réaliser soudainement dans quel état était celui de son compagnon, il n’en perdit pas moins la dureté de sa voix, de son regard. Ryan, après tout, ne pouvait pas prétendre ignorer le lien qui l’unissait à Casey et pourtant il ne lui avait jamais rien dit, lui, au sujet de la jeune femme. « Et va pas m’affirmer que tu la connaissais pas, vu son comportement tu seras pas vraiment crédible. J’préfère encore te prévenir. » S’il ignorait tout de ce qui avait bien pu se passer dans la remise (hormis le fait, visible, que Ryan avait morflé), il avait bien vu en revanche comme elle l’avait sciemment cherché, et attendu. Ce n’était pas une coïncidence qui les avait mis sur le même carrefour aujourd’hui. Alors, forcément, il y avait un peu de colère qui brûlait dans le fond de sa voix, toute destinée à son comparse qui ne semblait pas au bout de ces peines pour l’instant.
C’est-à-dire qu’Adam n’appréciait pas vraiment qu’on lui mente ou qu’on lui cache des informations, surtout quand le concerné était quelqu’un pour qui il éprouvait une réelle sympathie.

Il allait le lui dire, qu’il affirmait, mais à quel moment au juste ? Ça commençait à faire quelques temps qu’ils se connaissaient, plusieurs mois, et Ryan ne pouvait pas prétendre qu’il n’avait jamais fait le lien entre Casey et lui : s’il ignorait ce que sa sœur avait bien pu lui raconter à ce sujet il savait très bien, en ce qui le concernait, qu’il ne lui avait pas caché l’existence de l’autre morceau encore vivant de la famille Redfield.
Pour autant, cela n’avait pas empêché Adam de le lâcher, de lui accorder le bénéfice du doute au titre de cette espèce d’amitié un peu bancale et née de pas grand chose qu’il avait trouvée chez l’ancien chacal. Il l’avait suivi jusque dans le salon mais était resté debout, peut-être trop nerveux pour s’asseoir, le regard vissé sur son vis-à-vis tandis que ses bras finissaient finalement par se croiser sur sa poitrine. Prêt à écouter, oui, à brider son impatience tandis qu’il se tenait à bonne distance de Ryan – sur un malentendu, un coup de poing était si vite parti. Pas qu’il craignait cette réaction de la part de son compagnon, non, mais il était à cet instant précis plutôt énervé et tout à fait conscient de ce que l’impulsivité pouvait dicter comme geste inconsidéré.
A la place il éclata de rire.
« Tu te fous de ma gueule ? »  Chaque mot fut martelé, la voix aussi incisive que les iris clairs qui semblait à l’heure actuelle porter sur l’autre homme un jugement peu flatteur. Et ce n’était pas drôle, non, pas le moins du monde mais il eut bien du mal à ravaler les derniers éclats tandis qu’il se reconstituait une expression un peu plus sérieuse. « Tu me déballes ça comme si tu causais de ton dernier pique-nique dominical en famille. Comme si c’était normal. » De fait, si elle ne lui avait pas refait le portrait Adam aurait été en droit légitime de se demander quel était le degré de connerie dans ce qu’il venait de lui déballer. Mais il doutait fort, cependant, que Ryan se soit fait casser le nez pour le simple plaisir de se donner un peu de crédibilité. Adam se passa une main sur le visage, tentant plus ou moins d’assimiler les paroles de son interlocuteur, mais force lui était d’admettre que la pilule lui restait en travers de la gorge. Il resta silencieux pendant quelques secondes, longues, avant de finalement poser la question qui le démangeait : « Et elle a raison ? J’veux dire, de t’en vouloir. » La question n’était pas aussi anodine qu’elle pouvait le paraître à première vue, en ce que la réponse que le concerné y apporterait touchait visait deux personnes, et n’était pas exactement quelque chose de moindre importance. Ce n’était certainement pas le moment pour s’amuser d’une plaisanterie. « Non attends. Réfléchis bien à la réponse que tu vas me donner. J’reviens. » Et il tourna les talons aussi sec, sorti de la pièce pour se rendre à la cuisine récupérer dans le réfrigérateur (un luxe auquel il ne s’habituait toujours pas, pour être honnête) un peu de glace qui serait sans aucun doute bien plus utile sur la blessure de son partenaire.

Casey voulait le voir. S’il avait fait l’impasse sur cette déclaration, il ne l’avait pas manqué pour autant. Eh, oui, il était curieux de cette lubie qu’elle semblait avoir, et qui ne devait pas dater de la dernière pluie s’il en croyait les dires de son colocataire et la réaction qu’elle avait eu à l’entente de son prénom. Curieux et peut-être un peu perplexe, mais sans doute avait-elle une raison de le vouloir, et il ne croyait pas qu’elle soit due au simple fait qu’il était son frère. Casey, après tout, vivait à la mine. Quant à lui… eh bien, disons que son nom là-bas n’était pas franchement inconnu.
De retour dans la pièce, il balança à Ryan le petit sachet froid pour lequel il s’était éclipsé l’espace de quelques minutes et son geste avait été vif, s’était simplement basé sur les réflexes de l’autre pour qu’il l’attrape au vol. Et puis, peut-être un peu calmé, il s’assit finalement face à son compagnon. « Tu te doutes bien, j’imagine, qu’après ce que tu viens de me chier j’vais avoir besoin d’un peu plus de détails. Alors ? »

Sage, et surtout fermement décidé à connaître le fin mot de cette histoire, Adam s’était fait bon auditeur aussi attentif que silencieux. Et si ses oreilles accueillaient la moindre de ses paroles, son attention restait rivée à lui aussi parce qu’il étudiait ses réactions, la franchise de son regard en même temps qu’il lui racontait ce passé commun. Il aurait pu demander encore plus de détails, s’il l’avait voulu – il comprenait bien à la réaction violente que Casey semblait avoir eu tout à l’heure que ce n’était pas aussi simple que ce qu’il lui déballait maintenant –, mais il préféra ne pas l’interrompre et le laisser parler : qu’avait-il besoin, de toute manière, de connaître exactement les tenants et les aboutissants de tout ce que Ryan avait fait à l’époque ? Il savait très bien, de toute manière, que ce retour au chaos avait poussé bien des gens à faire des choses qu’ils n’auraient jamais osé avant, volontairement ou non. Lui-même ne pouvait pas se targuer d’avoir une conscience irréprochable alors savoir exactement jusqu’où son compagnon avait été foutu d’aller ne l’intéressait même pas : Adam se trouvait mieux dans l’ignorance de certaines choses, en ce qu’il savait pertinemment qu’autrement son jugement n’aurait pas pu s’empêcher d’être déformé par quelques vagues relents des conventions de la société dans laquelle ils vivaient avant. Terrible, après toutes ces années, de continuer encore à évaluer ses pairs à l’aune de règles sociales enterrées depuis longtemps mais c’était là un mécanisme automatique dont il lui faudrait probablement encore beaucoup de temps afin de parvenir à s’en défaire complètement. D’ailleurs, Olympia ne l’y aiderait sans doute pas. Mais que Ryan, derrière le couvert de ses belles paroles édulcorées, ait été le pire des connards, appartenait à un passé duquel il pouvait aisément détourner le regard du moment qu’il lui livrait les seules informations qui l’intéressaient réellement.
Un petit rire ponctua la question tombant abruptement après le silence de toutes ces révélations. « Pour être parfaitement honnête, j’crois que même maintenant elle et toi vous êtes plus proches que ce qu’on a jamais été. » Et il n’avait aucun intérêt à le lui cacher, ne voyait pas le but d’une telle manœuvre. Adam n’avait rien eu à foutre du sort de Casey bien avant que les morts ne commencent à se réveiller. Lorsqu’il s’était marié, il ne s’était même pas embarrassé d’une invitation hypocrite à son égard : leurs chemins avaient divergé alors qu’ils étaient encore jeunes, et Adam n’avait jamais conçu le moindre regret d’être ainsi aussi distant avec quelqu’un qui lui était pourtant lié par le sang. A l’époque, il avait rêvé d’avoir un petit frère, mais ce microbe blond sorti du ventre de sa mère ne lui avait tout au plus inspiré qu’un profond désintérêt quand il n’était pas occupé à l’emmerder ou se chamailler avec elle. Proches, avait dit Ryan et la manière dont il avait fait rouler les syllabes lui avait inspiré une question, bien qu’ils ne se souciât au final qu’assez peu de la réponse. Que l’ancien chacal ait pu baiser sa sœur, à l’époque, ne regardait qu’eux d’eux et lui n’allait certainement pas s’inventer un élan protecteur maintenant. « Je saurais pas te dire la dernière fois qu’on s’est causé, ça remonte à loin. On s’est jamais entendu elle et moi, d’ailleurs je pensais qu’elle était morte avant qu’on m’informe de l’inverse. » Et il avait dit ça avec une nonchalance évidente, parce qu’apprendre qu’elle était en fait toujours là l’avait en réalité surpris, quand avec le peu d’estime qu’il avait toujours nourri à son égard il s’était persuadé sans grande émotion ni difficulté qu’elle avait probablement fait partie de la première vague à crever. « J’crois pas qu’on ait grand chose à se dire, déjà à l’époque ça nous manquait pas de pas se capter. Elle t’a dit pourquoi elle voulait me voir ? J’ai du mal à concevoir qu’elle se sente soudain investie d’un élan fraternel, ni même qu'elle soit réellement curieuse de me savoir encore en vie. » L’idée le fit ricaner encore, mais ce qu’il avait pu apercevoir de Casey ne lui évoquait pas grand chose de cette sœur qu’il avait fréquenté jadis. Elle lui avait semblé beaucoup plus dure, sauvage ; le nez cassé de Ryan en était une preuve flagrante, au même titre que ses histoires à son sujet.

De l’espoir. Il lui donnait envie de rire, Ryan, bien que cette fois Adam eut la décence de s’en abstenir : l’autre homme ne méritait pas de se manger un sarcasme juste pour avoir tiré des conclusions d’une situation dont il ignorait à priori les bases. L’idée d’imaginer sa sœur rongée par le regret avait néanmoins quelque chose d’indéfinissablement comique en ce qu’elle n’avait jamais semblé plus heureuse que lorsqu’elle s’était barrée de la maison familiale. « Autant essayer de renouer avec de parfaits étrangers, qu’il riposta néanmoins, nous ne sommes pas grand chose de plus que ça l’un pour l’autre. » L’autre olympien, néanmoins, semblait fort de sa conviction et ne se laissa pas démonter par la remarque, continuant plutôt d’exposer sa ligne d’arguments. L’énergie qu’il mettait dans sa tentative de le ranger à son point de vue allumait tout de même sa curiosité : est-ce qu’elle avait vraiment eu une réaction à ce point marquée à la simple mention de son prénom ? Même si elle ne le cherchait que parce qu’elle avait eu vent d’une manière ou d’une autre de son implication dans quelque affaire louche entre la mine et le ranch, est-ce que cela méritait un comportement aussi tranché ? Cela remontait, tout de même, à bon nombre d’années désormais. Même si la lumière était faite sur sa traîtrise, il était globalement convaincu que ça ne changerait rien et que ça n’empêcherait personne de dormir.
« Mais c’est ça le problème, Ryan : t’es pas à sa place. » Ou peut-être que c’était lui, tout simplement, qui s’obstinait à trouver ça ridicule, parce qu’il ne partageait pas cette envie. Sa famille proche était morte, le reste ne lui avait pas semblé bien important parce qu’il s’était empressé de tous les jeter dans le même panier. Sœur, cousins… quelle importance ? Après la perte de sa femme et de ses gosses, il avait préféré tourner la page, ne pas vouloir retrouver qui que ce soit ni s’entêter à espérer qu’ils soient vivants parce que ce n’était qu’un boulet qu’on se traînait alors, formé sur une montagne d’espoirs inutiles qui ne changeaient rien à sa survie dans le quotidien. La mort de son père, qu’il n’avait appris que tardivement, n’avait fait que confirmer cette décision. « C’est pour ça qu’elle t’a épargné ? T’as échangé ta vie contre une rencontre avec moi ? » Aucune agressivité ou accusation dans la voix, son intérêt était honnête. « Et après, quoi ? Elle ne t’a pas dit ce qu’elle me voulait, je suppose. Elle a pas vraiment de raison pour vouloir me buter alors j’ai au moins ça pour moi, j’imagine… » Même si ce n’était de toute évidence plus la Casey qu’il avait connue à l’époque et que celle-là semblait s’être découvert un penchant autrement plus violent – la preuve lui riait au nez à chaque fois que son regard s’attardait sur le visage amoché de son interlocuteur –, les désaccords qu’ils avaient pu avoir à l’époque étaient loin de valoir une telle rancœur vengeresse. Ce n’était pas non plus le cas de ses actes un peu plus récent au cœur de la mine et, de plus, il estimait être capable de se tirer de ça sans trop de difficulté s’il s’avérait qu’il avait vu juste en pensant qu’elle voulait essentiellement le confronter à ce sujet. « Elle va te foutre la paix parce qu’elle aura eu son dû, ou je dois commencer à monter un plaidoyer en ta faveur ? » Même si l’ironie déformait ses propos et le rictus qu’il avait collé aux lèvres, l’interrogation restait tout de même légitime. S’il croyait ce que Ryan lui avait avoué – et il n’avait pas vraiment de raison d’en douter –, elle n’allait pas simplement se contenter de ce qu’elle avait fait aujourd’hui.

Un instant silencieux, Adam se prit la tête entre ses mains après que Ryan se fut tu, les pensées folles se bousculant à l’intérieur de sa caboche. Outre la surprise de les avoir vu ensemble tout à l’heure, il ne s’était certainement pas attendu à se recevoir ce bloc d’informations sur le coin de la tronche comme ça, sans crier gare. Et ses sentiments à cet égard étaient salement mitigés, il ne savait pas trop quoi penser de Ryan à l’heure actuelle, ni de Casey. Ou de leur passé, pour ce que ça valait, pour ce que ça le concernait maintenant que son compagnon se décidait finalement à l’impliquer au milieu de tout ça. Il soupira, se redressa, pour finir par répondre : « Écoute, okay, on va arranger cette foutue rencontre. Peut-être que t’as raison, après tout. Qu’est-ce que j’en sais, alors que j’ignore tout de ce que ma sœur est devenue. » Pas comme s’il s’était jamais réellement intéressé à elle, de toute manière. Déjà à l’époque il la connaissait plutôt mal, ne se serait jamais targué de pouvoir prédire ses réactions dans une situation donnée. Alors maintenant ? « J’essaierai de parler en ta faveur même si j’ai pas la moindre idée de ce pour quoi elle veut me causer. Note, il enchaîna avec un brin d’humour ironique, qu’il n’est jamais trop tard pour se découvrir un esprit de famille. » Il n’y croyait pas, tout son comportement tendait en ce sens depuis le début de cette conversation alors son vis-à-vis devait l’avoir déjà bien largement compris. « Sur un malentendu, on pourrait soudain se découvrir une affinité ignorée sur trois décennies. Ton cul serait tiré d’affaire, et tout le monde content. » Il eut un léger rire d’autodérision devant la bêtise de ses propres paroles, assumant sans gêne son besoin d’attaquer le côté trop sérieux du sujet, qui n’était pas sans susciter un léger malaise chez lui. En ce qui le concernait, sa “vraie” famille, celle à qui il avait accordé plus d’intérêt et d’attachement que ce que seul le lien du sang suggérait, était morte depuis belle lurette.
« J’imagine que vous avez déjà discuté des conditions de ce rendez-vous ? J’espère que tu es conscient que je ne sais même pas si on me laissera sortir d’Olympia seul, je ne me traîne peut-être pas ta sale réputation de chacal (il était très conscient qu’il le lui devait, d’ailleurs, de n’avoir jamais vendu la mèche), mais j’ai aussi peu d’ancienneté que toi. Pas sûr qu’on m’accorde cette confiance. » Et si Adam avait tout fait pour se comporter comme une brave petite recrue depuis qu’on lui avait ouvert les portes de la ville, il n’avait encore jamais essayé d’en sortir seul. La sécurité à l’intérieur des barricades lui convenait amplement pour l’instant, il avait un foutu besoin de ça après ses longues années passées sur la route – le mall ne comptait pas, il ne s’y était jamais, et à juste titre, senti en sécurité – alors s’il lui était arrivé à deux ou trois reprises de mettre le nez dehors, c’avait toujours été au sein d’une petite équipe d’olympiens bien plus expérimentés que lui. « Parle-moi d’elle, Ryan. J’ai besoin de savoir un minimum à quoi m’attendre. J’veux pas me retrouver pris au dépourvu une fois qu’on sera face à face. » De fait, il se doutait tout de même que cela finirait bien par arriver à un moment ou à un autre mais qu’est-ce qui l’empêcher d'engranger le plus d’information possibles en attendant ? A défaut de pouvoir lui affirmer avec certitudes les raisons de la motivation de Casey à vouloir lui mettre la main dessus, au moins pouvait-il toujours lui décrire un minimum cette personne qu’il avait sans contexte connu et fréquenté plus que lui depuis le début de l’épidémie.

Les informations de Ryan ne lui étaient pas des plus utiles qui soient pour savoir face à qui il allait se retrouver lorsque sa route croiserait finalement celle de Casey mais, tant pis ! Après tout, n’avait-il pas hésité une fois ou deux à l’alpaguer, durant son bref séjour à la carrière ? Il ne savait alors pas plus d’elle qu’aujourd’hui, voire même moins. Et pourtant il avait été à deux doigts de le faire, se retenant simplement parce qu’il ne savait pas trop bien ce qu’il aurait eu à lui dire ensuite. Il n’avait pas eu de regret, en posant finalement les pieds à Olympia, de s’être comporté de la sorte.
Et puis Ryan avait décidé de venir tout chambouler.
« Eh bien, t’as plus qu’à espérer qu’elle soit pas imperçable avec moi non plus » il répliqua simplement, engrangeant tout de même soigneusement les quelques renseignements de son vis-à-vis. « Parce que si j’arrive pas à la faire changer d’avis en ce qui te concerne, j’vois mal comment je serai en mesure de t’aider ensuite. » Le message était plutôt clair : si Adam n’éprouvait pas spécialement d’attachement envers sa sœur, il n’allait pas non plus jusqu’à nourrir de l’animosité à son encontre. Il voulait bien porter une main secourable à Ryan, mais il ne se retournerait pas contre elle à moins d’une attaque directe ou de quelque chose susceptible de le forcer à agir ; il n’avait pas besoin de se faire un nouvel ennemi ici, avait déjà suffisamment à faire avec le passé quelque peu complexe qu’il partageait avec deux des campements les plus importants de la région. A l’instar de ce qu’avait affirmé son compagnon un peu plus tôt, il avait lui aussi pour le moment simplement envie de pouvoir rester à Olympia sans problème ni réelle inquiétude quant à son avenir immédiat. Et peu importe si cela ne devait pas durer bien longtemps : il voulait en profiter tant que l’opportunité lui était encore offerte. « Une chose, quand même, me tracasse : à quel moment tu te serais décidé à venir m’en causer si ta vie s’était pas retrouvée dans la balance comme ça ? » Parce qu’on allait pas se voiler la face, à priori cela faisait déjà un certain temps que l’ancien chacal était au courant du lien de parenté unissant Casey et Adam et il n’avait jamais jugé utile d’amener ça sur le tapis tant qu’il ne s’était pas retrouvé, lui, sérieusement menacé de mort. Son regard soudainement redevenu un peu plus dur le jugea, lourd d’une accusation implicite, puis il se détourna finalement comme si, tout bien considéré, la réponse à cette question ne lui importait plus tant que ça. Un soupir balaya le début de tension revenu s’installer. « Enfin. j’imagine qu’on s’en fout un peu maintenant en fait. C’est pas comme si y avait quoi que ce soit à changer. Et il changea de sujet, abrupt, concluant ainsi cette conversation dans la manœuvre : Bon, je t'emmène à l’infirmerie, c’est pas un malheureux sachet de glaçons qui va faire des miracles sur ta tronche. T’as déjà une sale gueule, pas besoin d’en rajouter une couche non ? » Il lui tira un vieux sourire tordu, s’avança jusqu’à l’entrée de la pièce et balança un “magne-toi” tandis qu’il passait l’embrasure de la porte. Ils auraient bien le temps de fignoler les détails plus tard, de toute façon Adam avait bien besoin d’un peu de temps afin de bien digérer tout ce qu’il venait d’apprendre.


| terminé