Not all those who wander, are lost

(début avril)

Jenna, au moins, était revenue au ranch avec une bonne nouvelle concernant une potentielle recrue. Et si Abel, d’ordinaire, était relativement méfiant sur ce sujet, l’idée d’avoir enfin un médecin dans leurs rangs n’était pas quelque chose qu’il avait envie de négliger, ou de laisser de côté sans guère y accorder d’importance. Force était d’admettre qu’ils avaient un besoin non négligeable d’une personne avec ce genre de compétences : Caden, en tant que vétérinaire, était loin de suffire à la tâche même s’il avait toujours su jusqu’à présent gérer la plupart des problème. Mais la grossesse de Jenna changeait la donne.
Quant à l’idée de mettre la main sur quelqu’un appartenant jusqu’à présent aux troupes d’Anita Jones dans le dos de cette dernière et ce malgré leur nouvelle alliance encore fraîche, ça ne semblait pas particulièrement lui poser un problème d’éthique. Il aurait toujours le temps de gérer ça avec elle plus tard. Mais, dans l’immédiat, il ne voulait pas courir le moindre risque de se voir opposer un refus. Et il ne connaissait pas suffisamment bien la leader de la Mine pour être sûr de sa réaction face à cette nouvelle.

Ils n’avaient pas voulu courir le risque de prendre des chevaux car, alors, le signe de leur implication aurait été évidente : s’ils n’étaient certainement pas les seuls à utiliser des canassons en tant que moyen de locomotion désormais, ils avaient très certainement le monopole dans les terres adjacentes à la Crimson Valley. Une voiture avait donc été garée, camouflée dans les bosquets à quelques kilomètres du lieu que la benjamine Rhodes avait indiqué à son frère. Forcément, ce n’était pas lui qui avait déterminé l’endroit, encore moins le jour : on l’avait simplement mis devant le fait accompli avec le seul choix d’intervenir, ou non. Logique dans le sens où, une fois Jenna partie de la mine, il n’y avait plus de communication possible.
Abel avait choisi de mener l’opération en personne. Une mauvaise langue aurait sûrement prétendu que c’est parce qu’il n’avait pas assez confiance en ses subordonnés pour s’aventurer sur les territoires proches de la mine sans courir le risque de se faire attraper par ses éclaireurs et… c’était sûrement vrai. Au moins s’il devait y avoir du grabuge cette fois, il ne pourrait s’en prendre qu’à lui au lieu de victimiser on ne savait trop quel chef d’expédition en assénant que tout était de sa faute.

« McMahon ? » Qui d’autre ? Elle correspondait trait pour trait, en tout cas, à la description à laquelle ils avaient eu droit. Ça n’empêchait néanmoins pas le cavalier qui venait de prendre la parole de la tenir en joue, l’air aussi avenant qu’une porte de prison. « Viens avec moi. » Il ne semblait pas décidé à lui laisser le choix, de toute façon, alors mieux valait qu’elle coopère, tandis qu’il s’avançait vers elle et que sa main venait enserrer rudement son bras pour l’entraîner avec lui.
Les trois autres hommes attendaient un peu plus loin et il leur fallut quelques minutes de marche pour les rejoindre. Seule Alex manquait à l’appel, invisible tandis qu’elle patrouillait en silence et s’assurait qu’aucun danger ne menaçait, humain ou rôdeur. « Vous n’avez pas été suivis ? » Abel s’était avancé vers eux dès lors qu’ils s’étaient trouvés à portée de vue dans ce fouillis inextricable qu’était la zone du bois dans laquelle ils se trouvaient. Et si la question s’était adressée indifféremment aux deux nouveaux arrivants, son regard était déjà rivée sur la femme qu’il ne connaissait qu’à travers les dires de sa soeur et les iris aciers, déjà, semblaient la juger assez durement.

Elle n’avait pas fière allure, la médecin dont Jenna lui avait causé à quelques reprises. Maigrichonne dans ses habits flottants, la peau pâle dénonçait les mois passés majoritairement sous terre. On la lui aurait présenté pour travailler sur ses terres, il aurait affirmé que le travail physique l’aurait brisée en quelques jours seulement. Mais elle n’était pas là pour ça, il n’aurait pas pris de risque juste pour agrémenter ses rangs d’une ouvrière basique en plus, une bouche à nourrir qui demanderait plus que ce que ses maigres bras fourniraient comme efforts ; il ne se serait pas aventurée en territoire allié au risque de compromettre sa nouvelle entente avec Anita Jones pour le simple plaisir de lui voler une personne lambda.
Arte ouvrit sa gueule une première fois et il secoua la tête, un rictus cynique collé aux coin des lèvres. Pas farouche. Un bon point pour elle, car ainsi elle ne se ferait pas écraser par ses hommes, peu réputé pour leur tendresse. Un bon point du moment qu’elle savait où se trouvait les limites à ne pas franchir. « Et tu t’attendais à quoi ? Une petite fête avec des ballons et un apéro peut-être ? » Pas plus qu’elle, Abel n’avait envie de s’attarder ici, bien conscient d’usurper ses droits en arpentant, armé, une des parcelles du territoire clamé par la Mine. « C’était pas prévu, il répondit un peu sèchement à sa question avant de se tourner vers le cavalier qui l’avait ramenée jusqu’ici : Blake, fous-lui la paix, je m’en occupe. Pars devant. » L’autre cavalier obtempéra sans piper mot et se mit en branle, suivi dans la seconde par son chef qui lui emboîta le pas après un simple signe à la jeune femme signifiant de le suivre. Le dernier homme fermerait la marche, un peu en recul, et s’assurerait de brouiller un minimum leurs traces.
L’allure imposée n’avait rien d’une promenade de santé mais la brunette ne rechignait pas, ou alors pas encore : il leur faudrait du temps, même à ce rythme, pour arriver au pick-up. D’abord silencieux, Abel se contenta de l’étudier avec la même attention silencieuse qu’il accordait à l’environnement dans lequel ils progressaient et dont on savait qu’il pouvait s’avérer soudainement hostile sans crier gare. Sa main droite, d’ailleurs, ne s’éloignait jamais trop du holster dans lequel dormaient flingue et couteau, prêt à se saisir de l’un ou de l’autre s’il advenait qu’une urgence soudaine le lui réclame. « Jenna, il commença un peu abruptement, tu la connaissais bien ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit à propos du ranch ? » Oh il se doutait, bien sûr, qu’Arte n’avait pas attendu de se trouver en présence de la benjamine pour ouvrir ses oreilles aux rumeurs à propos des cavaliers. Mais entre ce qui se disait dans leur dos, et ce qu’une personne résidant sur les terres pouvait avoir à dire, il y avait tout une vaste palette de nuances. « J’ai cru comprendre que t’étais à Olympia avant. Si tu t’attends à retrouver ce même confort, tu seras déçue. Et si tu t’attends à pouvoir partir aussi facilement que tu l’a fait de là-bas ou de chez Jones dès que t’auras envie de changer d’air, va falloir que tu révises tes projets. » Au moins c’était dit, clair et net. Abel n’usurpait pas la réputation sévère qu’il se traînait et il n’avait pas l’intention de s’embarrasser de faux semblants avec cette nouvelle recrue. Les faits étaient là, noirs sur blancs : il avait besoin d’un médecin, il ne la laisserait pas partir.