just a soul whose intentions are good + archibald

Le problème avec l’été, c’est qu’il fait jour tard. « Quelqu’un va te reconnaître, c’est obligé. » Avait prédit Arianna, mais Archer ne l’avait pas écouté. Trois mois loin de chez lui, c’est trois mois de trop. Il fallait qu’il voie son père, ses chiens, même la saleté du bidonville lui manquait. « Et va pas au chenil ! » Archer entend encore Ari crier dans son dos alors qu’il quitte leur campement de misère. Magnus couine à côté d’elle, mais s’il veut passer inaperçu, Archer ne peut décemment pas l’emmener avec lui. Il a du mal à lutter contre un rictus quand il s’approche, après une demi-heure de marche, de la Carrière. Il observe la fumée monter en petits nuages grisâtres au-dessus des cabanes, il écoute le brouhaha qui résonne contre les parois de la Mine. Il resterait bien là à contempler la scène, mais il doit être rapide et éviter le plus de monde possible, rester planté là n’est donc pas une bonne idée. Il réajuste sa capuche et remonte le foulard que lui a prêté Arianna sur sa bouche. Tête baissée, il s’enfonce dans la foule. Au loin, il reconnaît Suzy qui passe un savon à un de ses raiders. Dario n’est pas loin et surveille les passants comme un berger fier de son bétail. Archer leur tourne le dos et prend un petit passage vers l’est. Il pourrait se rendre tout de suite dans la tente de son père, mais qui sait combien de temps leur entretient va durer ? Non, d’abord, il va aller voir les chiens. Le visage toujours bien caché sous sa capuche, Archer traverse Pyre et Auspex sans que personne ne le reconnaisse. Quand il passe à côté de l’entrée du Caveau un homme ivre manque de peu de lui tomber dessus, mais il arrive à l’éviter au dernier moment. Arrivé à l’orée du campement, seulement recouvert de poussière, Archer prend une grande inspiration. Traverser l’espèce de no man’s land entre les habitations et le chenil est risqué et il y a de fortes chances qu'on le remarque, mais une fois qu’il sera arrivé là-bas, personne ne devrait faire attention à lui.

Tout se passe bien puisqu’il arrive au chenil sans que personne ne l’aborde. Un miracle. Les chiens n’ont cependant pas besoin de le voir pour commencer à aboyer. Archer court les derniers mètres qui les séparent pour les faire taire. Il saute la barrière et une fois à l’intérieur, il est enseveli sous une vague de chiens surexcités. Kasper est le plus expressif d’entre eux, il pose ses pâtes sur les épaules d’Archer et lui lèche le visage. Difficilement, et avec un sourire jusqu’aux oreilles, Archer se relève. Peut-être qu’il n’ira pas voir son père finalement. Nan, rester là semble être une bien meilleure idée. Sous le préau, il remarque Lily, entourée de trois chiots d’environ un mois. Suivi de Kasper, Archer s’approche de la petite famille. Il aurait aimé être là lors de l’accouchement, mais il est surtout heureux que ce soit bien passé. « Mais qu’est-ce que tu nous as fait là ? » La chienne remue la queue et fait voler la poussière autour d’elle. Les chiots couinent et partent se cacher derrière leur mère. Archer reste plus longtemps qu’il ne l’avait prévu au chenil. Quand il se décide à aller retrouver son père, le soleil jette de longues ombres sur la Carrière toute entière. À contre-cœur, il repasse par-dessus la barrière, recouvre ses cheveux et son visage et prend la direction d’Auspex. Mais là, sur le chemin, quelqu’un l’attend.

Pour Archer il y a quelque chose d’affreusement anormal et étrange dans le fait de marcher sans entendre le trottinement de Magnus derrière lui. Il a beau être armé et savoir se servir de ses armes, en l’absence de son énorme chien, il se sent à découvert. C’est peut-être pour ça qu’il n’a pas remarqué l’homme qui le suivait, d’habitude, c’est Magnus qui l’informe de ce genre de chose en se mettant à grogner dans ses babines. Archer n’y pense même plus, s’il n’y a pas de grognement, alors il n’y a pas de danger. C’est un cas d’école du réflexe de Pavlov. C’est un atout non négligeable la plupart du temps, sauf quand, bien évidemment, Magnus n’est pas là.

L’homme, si on peut l’appeler ainsi, a l’air plus jeune qu’il ne doit réellement l’être. C’est peut-être ses yeux, ce regard satisfait ou alors son sourire narquois assez insupportable ? Ses vêtements peut-être ? Qui sait ? C’est certainement un tout. Les muscles d’Archer se crispent. Qu’est-ce qu’il fait là lui ? Qu’est-ce qu’il me veut ? J’ai pas le temps pour ses conneries ! « Archibald. » Répond Archer faussement enthousiaste. C’est le prénom de l’homme et c’est à peu près tout ce qu’Archer sait sur lui. Et si leurs noms n’étaient pas si similaires, il l’aurait probablement oublié sans plus de cérémonie, comme toutes les bribes d’information qu’il a pu entendre sur le chacal.

Là, au milieu de chemin, entre Auspex et le Chenil, Archibald à ce même regard qu’ont les jeunes chiens quand ils viennent d’attraper leur premier lapin. Une satisfaction mesquine, sale presque même. D’ailleurs, s’il ne venait pas de passer trois mois au Ranch des Rhodes, Archer aurait probablement la tête du lapin qui vient de se faire attraper. La tête basse et les yeux rivés sur le sol pour cacher son malaise (ou sa mort prochaine dans le cas du vrai lapin). Au lieu de ça, il se tient droit, l’air presque dédaigneux. Il faut dire, il a vu pire qu’un chacal solitaire lui barrant le chemin, le petit. La surprise, c’est de voir qu’un rapiat comme toi est encore en vie… Songe Archer. Il fronce les sourcils avec dédain. « Tu sais, je suis pas du genre à aimer les grandes célébrations. Je préfère garder profil bas. » Il se force à sourire et continue « Et puis les Carrières n’ont pas besoin d’une nouvelle raison pour se saouler ! » S’il est plutôt convaincant dans son arrogance, Archer est inquiet. Son père ne sait pas qu’il est là, Ari ne s’attend pas à le voir revenir avant demain matin. Il aurait dû saluer Suzy ou Dario, leur faire savoir qu’il est là. Si Archibald décide de s’amuser avec lui, il n’aura personne sur qui compter. Cela dit, il ne peut en vouloir qu’à lui-même. A force de jouer avec le feu, on finit par se brûler comme on dit ! Et à force de vouloir jouer les hommes indestructibles, Archer va finir par se rappeler qu’il n’est qu’un garçon. « Ou peut-être qu’on a pas jugé bon d’en informer un chacal ? Vas savoir. Bon bah sur ce… Si tu veux bien m’excuser. » Il continue sur sa lancée. Cette fois, son sourire est plus franc, Archer se remet en marche et se risque même à frapper amicalement l’épaule d’Archibald de la paume de sa main quand il passe à côté de lui. C’est un peu gros, il en a conscience. Archibald ne va pas laisser sa proie passer entre ses doigts comme ça sans se battre un peu. Mais Archer sait que parfois la subtilité n’est pas indispensable. Les chiots qui se battent ne mordent pas fort, mais ils mordent au bon endroit et surtout ils se sauvent le plus vite possible ensuite. Archer n’est pas un chien (je sais que le doute est parfois possible, mais croyez-moi, je vous l’assure, Archer n’est pas un chien), mais la surprise et la perplexité qu’il peut faire naître chez son adversaire seront peut-être suffisantes pour le sortir de cette situation ? Hey, l’espoir fait vivre ! Laissons-le rêvez en tout cas.

La main d’Archibald sur son épaule lui donne des frissons dans tout le haut du corps. Il grimace sous sa capuche et l’absence de Magnus se fait cruellement ressentir une fois de plus. Archer ne sait pas bien se défendre contre les vivants, ça a toujours été son point faible. Avec les rôdeurs, c’est facile, un coup de machette bien placé, un coup de fusil entre les deux yeux et on en parle plus. Avec les humains il faut parler d’abord et depuis l’incident, Archer a toujours bien fait attention à ne pas se laisser aller à la colère. Il ne se souvient même pas de la dernière fois où il s’est battu pour de vrai. Il se retourne à contre-cœur et toise Archibald de la tête aux pieds. Est-ce qu’il le prend pour un con ? Il doit véritablement réfléchir à la question. Probablement. Ou au moins un peu pour avoir pensé qu’un coup comme celui qu’il vient de faire avait une chance de marcher. Il s’abstient évidemment de répondre, préférant lever des yeux au ciel avec un sourire que se veut amusé, mais qui est plus agacé qu’autre chose. Il roule de l’épaule pour déloger le chacal, mais celui-ci tient bon encore quelques instants. « Archib… » Il commence avec une fausse exaspération amicale. L’intéressé n’est pas… Intéressé par ce qu’il peut avoir à dire et le coupe. Une chance, quand il y pense, car Archer n’avait pas la moindre idée de comment terminer sa phrase. Sans grande surprise, Archibald a vu clair dans son jeu, le bougre, et il n’a pas l’air peu fier. Ce qui exaspère d’autant plus d’adolescent. Tu veux pas me lâcher ? On jouera à tes petits jeux plus tard… Il songe. « J’ai vraiment pas le temps de… » Archibald le coupe une nouvelle fois, trop heureux de pouvoir s’amuser avec le pauvre petit Diggs. Et sans doute trop heureux d’avoir eu un éclair de génie, ça ne doit pas lui arriver souvent. Quand il en a terminé avec son monologue, Archer souffle un bon coup, puis relève la tête. Il fixe avec sérieux Archibald comme s’il allait expliquer à un enfant un peu simple, quelque chose d’extrêmement élémentaire. « Écoute. Ok, je l’admets, personne n’est au courant que je suis là. » Il marque une pause, comme pour s’assurer qu’Archibald suit bien. Il reprend encore plus lentement. « Enfin personne… Tu te doutes bien que Rhodes m’a pas laissé partir avec une photo souvenir et un bisou sur le front. Si tu es "des nôtres" comme tu dis, tu sais ce qui s’est passé avec Jenna. » Une nouvelle pause, plus courte cette fois. « Donc là… Je vais voir ? » Il attend une réponse. Il se sent un peu comme Dora l’exploratrice. Mais dis-donc, où est mon respect pour toi ? Est-ce que tu le vois ? Il l’a toujours trouvé dédaigneuse cette gamine, et même tout petit, il changeait de chaîne pour ne pas avoir à la supporter. Non mais se faire prendre pour un con comme ça dès le petit dej' c’est vraiment pas vivable. La réponse ne vient pas. « Mon père. Le roi. Qui m’attend. Tu veux venir avec moi peut-être ? Officialiser ton déménagement chez nous ? » Encore une fois, les ficelles ne sont pas d’une grande finesse, mais elles sont plus plausibles. N’importe qui d’à peu près sensé n’aura pas de mal à croire qu’Aaren ait organisé une mission sauvetage pour son fils après les événements récents. En fait, c’est la réalité qui semble bien moins plausible. Jenna Rhodes trahissant son frère dans le plus grand secret pour sauver le fils de leur ancien allié et plus grand ennemi ? Enfin plus grand ennemi... Pardonnez mon dramatisme, mais faut que ça claque aussi une peu. Cela dit, même Archer a encore du mal à se faire à l’idée. Allant jusqu’au bout de son mensonge, il pointe du doigt le Domaine comme pour inviter Archibald à le suivre là-bas, un sourire satisfait sur le visage. Une chose est sûre, il prend bel et bien Archibald pour un con.